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Le problème ouvrier en regard de la doctrine sociale de l’Église, lettre collective de l’épiscopat québécois publiée en avril 1950, est connue des chercheurs intéressés par l’histoire de l’Église ou celle du travail. On sait moins qu’elle fut précédée d’une première version, élaborée par la Commission sacerdotale d’études sociales dès la fin de 1948 et soumise pour discussion en juin 1949, en pleine grève de l’Amiante. Suzanne Clavette a eu la bonne fortune de l’exhumer des archives du Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe et l’excellente idée de la publier en y greffant une présentation et une chronologie substantielles. La condition ouvrière, titre de cette première version, s’avère un document autrement plus audacieux, soutient l’auteure. Par ses options progressistes pour la réforme de l’entreprise (concept englobant la participation à la gestion et souvent un partage des profits), de meilleures lois et pratiques touchant le syndicalisme et une vigilance pour la santé et la sécurité au travail, ce texte a ébranlé une certaine droite. L’émoi de l’Association professionnelle des industriels, animée par le jésuite Émile Bouvier, et de l’aile conservatrice du haut clergé résulta, l’année suivante, en une version « édulcorée, empreinte de moralisme et prônant un retour au corporatisme » (p. iv de couverture).
Deux réflexions naissent de la Présentation et d’une comparaison des deux versions. Primo : la seconde représente-t-elle un recul au point d’en devenir bénigne, irénique ? Telle ne fut pas l’opinion des contemporains, en tout cas, qui la propulsèrent au statut de best-seller. Le document de 1950, indéniablement moralisateur, constate quand même l’insécurité économique et sociale de maints travailleurs, la répartition inéquitable de la richesse, l’insalubrité et l’exiguïté des logements, la déresponsabilisation et l’abrutissement du travail à la chaîne, l’hygiène insuffisante, les entraves à l’exercice du syndicalisme, la nouvelle réalité industrielle et urbaine… Secundo : quel bien réel aurait résulté de la publication non altérée de La condition ouvrière, avec sa doctrine cogestionnaire encore neuve et peu intégrée au corpus et aux us de l’Église ? Peut-être valait-il mieux, hic et nunc, proposer une version adoucie, mais qui parvint vaille que vaille à obtenir l’aval de l’épiscopat, fut une source de secret espoir chez les catholiques pro-travailleurs des années 1950 (marquées par un ressac en matière sociale et ouvrière par l’establishment clérical) et se fraya un chemin jusque dans l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII.
Par-delà les interrogations et nuances, remercions l’auteure de rouvrir, par cette publication et d’autres récentes (comme L’affaire silicose ou Les dessous d’Asbestos), le dossier de cet après-guerre où le social et le religieux se redéfinissaient non sans heurts.