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Viviane Namaste, professeure adjointe à l’Institut Simone de Beauvoir à l’Université Concordia, effectue un véritable travail de pionnière en s’intéressant au vécu des personnes transsexuelles et travesties à travers la culture des cabarets de Montréal.
Cette toute première étude sur le milieu des transsexuelles et des travestis montréalais pour les années 1955 à 1985 se veut donc une analyse de la première génération de transsexuelles ayant entrepris de changer de sexe. Au début de la période étudiée, le terme même de transsexuelle n’existe pas encore au Québec. À l’époque, on parlait plutôt de travestis, entraînant ainsi une confusion entre les deux acceptions, confusion qui perdure parfois aujourd’hui. C’est pourquoi l’auteure, dans le but d’encadrer le contexte historique précis dans lequel les transsexuelles ont évolué, tente de saisir l’émergence du terme transsexuelle en commençant par une analyse des travestis. Cette dernière lui permet de comprendre l’apparition de l’identité transsexuelle devenue possible au Québec vers la fin des années 1960.
Dans cette optique, l’auteure cherche principalement à démontrer « l’expression du travestisme et de la transsexualité depuis leur émergence jusqu’à leur évolution récente ». L’objectif premier de Namaste est de documenter une page méconnue de l’histoire en dévoilant le vécu et les expériences des personnes transsexuelles au Québec. C’était du spectacle ! a été écrit, dans un effort de vulgarisation manifeste et réussi, d’abord et avant tout pour des lecteurs non spécialistes de l’histoire. Toutefois, et c’est là une force de l’auteure, l’historien peut également y trouver son compte.
L’ouvrage de Namaste se divise en cinq chapitres qui abordent dans l’ordre le travail des transsexuelles et des travestis dans les cabarets, la prostitution, l’accès aux soins de santé, les lois et l’état civil, de même que la répression policière. À l’intérieur de ces chapitres, une très grande place est accordée au récit de ces femmes. Par exemple, on y apprend que les transsexuelles devaient avoir recours discrètement aux chirurgies menant à leur changement de sexe, bien entendu lorsqu’elles y avaient accès. Un témoin fait bien sentir le climat qui régnait à l’époque au Québec, lorsqu’il raconte que de manière à ne pas être embarrassés, les chirurgiens qui acceptaient de faire ce type d’opération obligeaient ces femmes à passer par les escaliers de service afin d’éviter qu’elles soient mises en contact avec les autres patients. Il en est de même lorsque d’autres rappellent qu’encore en 1969, il était illégal pour les hommes de s’habiller en femme et que certains transsexuelles et travestis ont fait jusqu’à un an de prison pour l’avoir fait publiquement.
Au coeur de la démonstration de Namaste : la présence des transsexuelles et des travestis dans les cabarets montréalais est le point central de leur expérience personnelle. Elle établit que le monde des cabarets offrait à ces personnes de travailler en tant qu’artiste ou prostituée en leur permettant de valider, élément important, leur identité féminine. Dans cette approche, l’auteure a été influencée par le fait que certaines études gaies et lesbiennes soutiennent que les bars gais et lesbiens, en tant que lieux de sociabilité et d’échanges d’informations, jouent un rôle important dans la définition d’une identité positive. Namaste a donc choisi d’aborder sa problématique sous un angle similaire en étudiant les cabarets comme lieux de travail.
S’insérant dans le courant de l’histoire sociale, l’étude de Viviane Namaste s’inscrit aussi dans un domaine plus vaste, celui de la prise de parole par et pour les travestis et transsexuelles. Familière avec leur milieu, l’auteure s’appuie sur l’histoire orale qu’elle complète au moyen d’une recherche archivistique. Elle fait donc l’histoire des transsexuelles à partir de leurs propres perceptions. D’ailleurs, Namaste a su préserver l’émotion de chacune des personnes interviewées en reprenant leur propos sans les déformer. Il en résulte un ouvrage remarquablement bien documenté.
La méthode de l’entrevue utilisée par l’auteure a sans contredit permis d’obtenir de nouvelles informations à propos des expériences vécues par les transsexuelles et les travestis. Plusieurs éléments importants se rapportant à leur quotidien ont pu ainsi être recueillis. L’entretien a révélé des faits que l’on n’aurait pu connaître à travers les autres sources qu’a consultées l’auteure comme des rapports de psychiatres, des reportages des médias dans la presse populaire et les journaux jaunes. D’ailleurs, les écrits de la presse populaire ont souvent été confirmés par l’enquête orale.
Viviane Namaste a choisi d’aborder les questions méthodologiques en annexe afin d’alléger la lecture du récit des témoins. Au départ, cela pourrait apparaître un peu frustrant pour le lecteur, mais cette impression s’estompe lorsque l’auteure laisse place aux témoignages dans un style accessible et dynamique. Dans cette partie, elle explique les paramètres de son étude tout en étant consciente de ses limites. Ainsi, elle reconnaît que son travail représente l’histoire des personnes interrogées seulement et que des entrevues avec d’autres personnes transsexuelles et travesties auraient peut-être révélé des informations nouvelles sur leurs conditions de vie.
Au total, treize transsexuelles et un travesti ont été interviewés. Compte tenu de l’importance des distinctions et des similarités risquant d’apparaître entre les deux groupes, il aurait été souhaitable que Viviane Namaste révise à la hausse le nombre d’entretiens concernant les travestis. Elle aurait ainsi obtenu un portrait plus global de leur situation. La surreprésentation de l’échantillonnage d’un des groupes laisse dans l’ombre des aspects importants qui auraient peut-être permis de mieux saisir la disparité et la ressemblance des cheminements entre travestis et transsexuelles, surtout lorsqu’on considère la confusion existante entre les deux termes.
En définitive, il est clair que Viviane Namaste innove dans cet ouvrage qui a le mérite de susciter des réflexions, entre autres, sur les normes véhiculées par la société québécoise, normes qui ont été défiées par les travestis et transsexuelles lorsqu’ils ont tenté de s’intégrer, non sans difficulté, à la société. Les recherches dans ce domaine gagneraient à être poursuivies. Notamment, de nouvelles pistes pourraient être fouillées en ce qui concerne le passage de transsexuels du sexe féminin à masculin, un élément qui n’est pas abordé dans la présente étude.