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Se penchant sur les rites et les coutumes entourant la fête de Noël en Acadie tels qu’ils apparaissent surtout à la fin du xixe siècle, ce bref ouvrage fera le bonheur de tout lecteur intéressé par le folklore de cette région. Joliment illustré, bourré d’anecdotes pertinentes, ce livre dresse un beau portrait des fêtes hivernales acadiennes d’autrefois. Comment se fait-il, dès lors, que nous puissions avoir tant à redire dans ce compte rendu ? C’est que les critiques qui suivent ne visent, en somme, que l’interprétation, quand le principal mérite de cet ouvrage d’ethnologie réside dans la collecte de faits aussi riches que nombreux.
L’ouvrage est situé entre deux genres, savant et populaire, ce qui trahit déjà une tension qui habite Noël jusque dans le récit de ses origines. On s’expliquerait mal, autrement, que les livres sur Noël, publiés par les maisons d’édition les plus diverses, soient presque toujours abondamment illustrés, comme si le livre, serait-il universitaire, devait toujours déjà être un cadeau, une louange implicite à la féerie de décembre. Ici, la brièveté des chapitres (qui ne dépassent jamais 8 pages – vignettes et illustrations comprises – et sont parfois aussi courts que deux pages) indique déjà un parti pris pour une diffusion plus large, c’est-à-dire davantage « grand public ». Ce que l’on gagne en simplicité, on le perd toutefois en profondeur, et il est à prévoir que maints historiens seront déçus de la rapidité avec laquelle on passe par-dessus des sujets passionnants et complexes. Traiter en deux pages et demie de « L’Avent et la préparation spirituelle » (chapitre 3) ou des « Préparatifs matériels » (chapitre 4), par exemple, paraîtra cavalier aux yeux de plusieurs.
L’étude en est une d’ethnologie. Les sources premières sont donc celles qui se trouvent dans les archives des Maritimes francophones. Il est à déplorer cependant que l’auteur n’ait pas pris le soin de consulter plus abondamment des textes qui lui auraient permis de mieux faire sens de ses découvertes en les replaçant dans un contexte social et historique global. Je pense principalement à Ethnologie de Noël, de Maryse Perrot, mais aussi à Consumer Rites. The Buying and Selling of American Holidays, de Leigh Eric Schmidt, et Inventing Christmas. How Our Holiday Came to Be, de Jack Elliott. Les rares références faites à Le folklore français. Le cycle des douze jours, de Arnold Van Gennep, et à Christmas in America, Penne L. Restad, paraissent nettement insuffisantes. Déjà, en 1982, faut-il le mentionner ? la bibliographie de Noël établie par Sue Samuelson (Christmas. An Annotated Bibliography, New York, Garland Publishing Inc., 1982) comptait 89 pages ! Et puis, serait-ce trop insister sur l’oubli de l’étude, considérée pourtant incontournable, de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, Le Père Noël sacrifié ?
Enfin, nous nous portons en faux de la thèse de l’auteur, énoncée un peu partout au fil des pages mais surtout en conclusion, selon laquelle la commercialisation de Noël aurait dénaturé son essence traditionnelle et religieuse. Pour nous, d’une part, Noël est en quelque sorte une création de la société capitaliste industrielle et n’existerait pas en dehors d’elle (ce que tendrait à prouver le fait que le Noël « traditionnel » prenne corps justement à la fin du xixe siècle) ; on ne peut donc pas dire que la commercialisation des fêtes trahit cette célébration populaire acadienne. D’autre part, Noël demeure, malgré sa commercialisation, ou plutôt à cause d’elle, une fête religieuse, et ce, même si le dieu honoré n’est plus celui de l’Église catholique. C’est ainsi que nous ne pouvons pas souscrire à la vaine nostalgie de l’auteur, lequel se permet de terminer son ouvrage par ces mots : « Comme partout ailleurs, de nombreux Acadiens et Acadiennes rêvent d’un Noël plus simple, plus authentique, moins entaché du sceau de la consommation. » (p. 160) Cette authenticité est non seulement factice, elle semble absurde du point de vue d’une histoire de Noël.
Par-delà ces critiques, qui, si elles avaient été entendues avant la publication de l’ouvrage, auraient permis d’en élargir la portée, il demeure que Noël en Acadie est un livre très intéressant, passionnant même à certains égards. Le travail en archives (dont les microfilms des journaux) de Georges Arsenault est impressionnant et mérite force éloges. Le lecteur apprend toutes sortes de faits sur l’Avent, la messe de minuit, la crèche, le réveillon, la cuisine du temps des fêtes, le petit Jésus, le bas et l’arbre de Noël, les cadeaux, le bazar, le concert de Noël, etc. Les encarts où sont cités des extraits d’archives orales ou des bouts d’articles de journaux, les cartes des villages acadiens de la région, les photos de famille et les réclames publicitaires des journaux donnent un caractère vivant à ce sommaire de quelques-unes des traditions les plus « typiques » du Noël acadien. Il y a là une mine de renseignements inédits, utiles pour le chercheur tout autant qu’instructifs pour le profane. Au-delà des désaccords théoriques ou des oublis bibliographiques, et pour en rester sur un plan strictement empirique des faits recueillis, Noël en Acadie vaut sûrement le détour.