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Fay, un jésuite professeur d’histoire au Séminaire Saint-Augustin de l’Université de Toronto, a voulu couronner sa carrière par la publication d’un ouvrage synthèse, la première histoire complète des catholiques au Canada, à partir des études existantes. C’est un pari largement tenu. Son plan est chronologique, en gros, mais il suit aussi les thématiques des articles et des ouvrages qu’il résume. C’est ainsi, par exemple, que toute la question des hôpitaux catholiques est traitée en trois pages, des origines à nos jours, à l’intérieur d’un chapitre (Church and Society) qui couvre la période 1840-1940. Une autre division traverse l’ouvrage, celle qui apparaît dans le sous-titre : Gallicanism, Romanism, and Canadianism. La frontière entre le gallicanisme et le « romanisme » passe pour lui entre Plessis et Lartigue. Elle n’est pas que politique : la spiritualité française est opposée à la spiritualité romaine. Quant au « canadianisme », c’est une notion beaucoup plus floue, qui se met en marche avec la Confédération. On voit que les frontières chronologiques n’ont ici rien de strict, et c’est heureux.

Autre qualité : l’ouvrage couvre bien les différentes régions du pays, les Maritimes, le Québec, l’Ontario et l’Ouest (le Nord un peu moins). Quelles sont les positions de Fay ? Elles sont plutôt modérées, mais il a manifestement un penchant pour les universités catholiques, pour les femmes dans l’Église, dont il parle beaucoup, pour les Autochtones, les immigrants, l’oecuménisme, les questions sociales. Son traitement du fait français est bon, en général. De manière assez amusante, il utilise pour désigner les francophones le mot canadien, un peu à la façon dont Michel Brunet utilisait le mot Canadian. Mais là où ce mot prenait un ton acerbe dans la bouche du maître montréalais, il comporte une touche de sympathie sous la plume de Fay.

Du point de vue scientifique, l’ouvrage de Fay ne repose pas sur des recherches personnelles (dans les archives, par exemple), mais uniquement sur les publications disponibles, qu’il résume. Son traitement est donc d’autant meilleur que les textes qu’il utilise sont bons. Pour le Canada français et le Québec, il suit surtout Chaussé, Choquette et Hamelin, ce qui le met à bonne école. Jusqu’en 1850, son histoire parle surtout d’évêques et là, il s’appuie beaucoup sur le DBC, qui rend ici service plus que jamais. Pour les francophones, l’ouvrage permettra surtout de découvrir le catholicisme canadien-anglais. Donnons l’exemple d’un chapitre qui me paraît particulièrement réussi, le chapitre 10. Les titres des chapitres sont souvent vagues (ici : Catholic Responses to the Depression), mais les titres de sections sont plus précis et plus parlants. Ainsi, ce chapitre traite du mouvement d’Antigonish (coopératives), de l’ordre social catholique au Québec, de l’enseignement social de Henry Somerville, le rédacteur du Canadian Register de 1933 à 1953, et de l’attitude des catholiques face au CCF en Saskatchewan (voix pour et contre). On voit bien le mouvement du chapitre d’est en ouest, et qui peut prétendre, au Québec, connaître toutes ces questions ? On trouvera assez peu à critiquer dans les prises de position de Fay, si ce n’est sur certaines interprétations, notamment en ce qui touche la politique. Ainsi, le chapitre 11, Catholics Caught Between Communism and Fascism, m’a paru bien tendre pour les inclinations au fascisme, qu’il excuse par le danger plus grand que représentait le communisme. De même, je me demande qui le suivra quand il prétend que la guerre civile espagnole était une guerre civile interne qui avait peu à voir avec le communisme ou le fascisme...

En général, Fay suit les positions des auteurs qu’il lit. Quand ils sont bons, tant mieux : par exemple Ryan et Seljak sur la Révolution tranquille au Québec. Mais quand il s’appuie sur Gérard Pelletier pour juger de Duplessis, on admettra que l’impartialité est en vacances ! (exemple : « He had no economic policy and advanced no social programs during the 1940s and 1950s »). Je protesterais aussi contre le titre qu’il donne à sa section sur la création de la Conférence des évêques catholiques du Canada : Creating the Canadian Church : CCCB. C’est d’une ecclésiologie un peu courte... Pour terminer avec le fond, notons une lacune : il n’y a pratiquement rien sur le mouvement missionnaire vers l’extérieur du Canada.

Mais la principale lacune n’est pas là : elle est dans l’appareil critique, les notes et la bibliographie. La bibliographie est considérable et substantielle (je note cependant qu’aucun article de la RHAF n’est utilisé). Les notes, abondantes, ne donnent que les premiers mots du titre (ce qui est bien), mais, pour environ la moitié des titres, la référence équivalente manque dans la bibliographie. Cela enlève à l’ouvrage beaucoup de son utilité scientifique. Ainsi, vous êtes passionné par l’article de Mary Ellen Sheehan sur la place des femmes dans l’Église depuis 1971 : vous devrez vous contenter des premiers mots du titre, « Recent Statements », auxquels renvoient neuf notes, mais ce titre ne figure pas en bibliographie. À cela s’ajoutent tant de coquilles et d’erreurs d’édition qu’il faut vigoureusement blâmer McGill-Queen’s de ce travail bâclé. Des exemples ? Le titre du chapitre 2 : The Church After the Conquest devient, dans le titre courant : Church of the Conquest. C’est le premier qui est le bon, mais le second revient neuf fois ! Adélard Langevin se lit tantôt Adélarde, tantôt Aélard. Il y a de bonnes photos, mais rien après 1951, sinon des photos des trois colombes, dont Jean Marchand, qui est présenté comme président de la CSN de 1969 à 1974. Une telle négligence laisse pantois...

On passe cependant facilement sur ces lacunes tant le récit est vivant et bien écrit. Ce n’est pas pour rien que Gregory Baum a écrit, dans son compte rendu à la Canadian Historical Review, qu’il s’était laissé entraîné dans cette lecture plusieurs fois tard dans la nuit... L’auteur se met même en scène : ainsi, on le voit arriver à l’Expo 67 en canot avec 24 jésuites partis de Sainte-Marie des Hurons. En somme, cet ouvrage constitue une excellente porte d’entrée pour qui veut connaître le catholicisme canadien. Il reste à l’éditeur à réviser la bibliographie, si on veut que le livre puisse être utile au point de vue scientifique.