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Le volume, à l’origine une thèse de doctorat, porte sur les relations industrielles au Canada de 1943 à 1950, période que l’auteur a choisi parce c’est le moment où s’est établi le système de relations de travail qui gouverne encore les rapports patronaux syndicaux. Ces années sont celles aussi où un certain modus vivendi s’installe entre le monde patronal et syndical et où le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux votent des lois pour faciliter et encadrer le processus de négociation collective. Ainsi, Québec adopte en 1944 la loi des relations ouvrières et Ottawa, en 1948, la loi des relations industrielles et sur les différends du travail, dont les principes animent toujours les codes québécois et canadiens du travail. Ces lois sont inspirées du Wagner Act adopté aux États-Unis en 1935 dans le sillage du New Deal, afin de protéger le droit des travailleurs de négocier collectivement leurs conditions de travail.
Le Wagner Act ayant eu un effet très positif sur l’expansion du syndicalisme aux États-Unis, les syndicats canadiens réclament des gouvernements au Canada des lois similaires à partir de 1937. Pendant la Guerre, le gouvernement fédéral met graduellement en application les principes du Wagner Act dans les industries de guerre, puis adopte en 1948 la loi mentionnée plus haut pour les entreprises de juridiction fédérale. Ces nouvelles législations permettront une hausse substantielle du nombre de syndiqués au Canada : d’un demi-million en 1941 à un million en 1950 et à un million et demi environ en 1960.
De plus, on note une amélioration substantielle des conditions des travailleurs canadiens pendant ces vingt années : le salaire horaire réel moyen des salariés (en tenant compte de l’inflation) a presque doublé, du jamais vu depuis le début du siècle. La semaine hebdomadaire de travail est généralement ramenée de 48 à 40 heures, et d’autres avantages sociaux se généralisent (semaine de vacances, fêtes chômées payées, etc.). Plus qu’en tout autre moment au xxe siècle, les travailleurs canadiens, syndiqués comme non syndiqués, tirent avantageusement profit de la croissance industrielle. Grâce à cette avancée, où le syndicalisme joue un rôle de premier plan, la condition des travailleurs canadiens les situe dans le peloton de tête parmi les pays industrialisés.
Mais dans l’ouvrage qui nous intéresse, Peter S. McInnis a une vision plus pessimiste de l’histoire du syndicalisme et des effets qu’il a pu avoir sur l’amélioration du sort des travailleurs. Comme hypothèse de départ, il adopte implicitement la dichotomie à la mode dans les années 1960 et 1970 voulant qu’il y ait deux façons de concevoir l’action syndicale, le syndicalisme d’affaires et un syndicalisme de classe, ou de combat comme on l’appelait au Québec. Il est cependant peu loquace sur ce dernier modèle de syndicalisme qu’il aurait voulu voir s’implanter au Canada.
Tout au long de son historique, l’auteur porte attention surtout au Congrès canadien du travail qui regroupe principalement les syndicats industriels rattachés au Congress of Industrial Organizations (CIO). Dans les années 1930 et 1940, ces syndicats, où oeuvraient plusieurs militants communistes, se sont signalés par leur militantisme. Mais dans l’après-guerre, l’auteur reproche à leurs dirigeants de verser dans le conservatisme et le bureaucratisme, ayant tendance à collaborer avec les patrons (corporatisme), tout en appuyant le gouvernement fédéral dans sa volonté d’encadrer les relations de travail (il élabore malheureusement trop peu sur ce dernier thème). Leurs préoccupations se tourneraient vers la négociation collective et l’amélioration du sort économique d’une frange de travailleurs privilégiés au détriment de l’avancement de la classe ouvrière dans son ensemble : « Contentious issues of workplace control or class solidarity were thus shunted aside in the rush to consumerism. » (p. 191) Il regrette notamment leur participation pour éliminer les syndicats dirigés par des communistes et insiste sur l’échec du gouvernement fédéral de mettre en place, après la guerre, un code uniforme de relations de travail en lieu et place de dix législations provinciales. Il en conclut que le patronat et le gouvernement fédéral auraient ainsi domestiqué la classe ouvrière et aurait enfermé le syndicalisme dans une orientation « affairiste », source de sa faiblesse actuelle.
Cette interprétation qui colore l’ouvrage n’est pas la nôtre. Comme nous l’avons indiqué plus haut, les travailleurs salariés ont fait des gains considérables dans les années 1950 et 1960 et ces avancées se sont répandues dans les milieux de travail non syndiqués. En outre, le mouvement syndical est largement responsable du filet de sécurité sociale mis en place pendant cette période et dont bénéficie l’ensemble de la population. Par ailleurs, l’auteur néglige complètement de mentionner le soutien des syndicats affiliés au CCT au parti CCF à partir de 1943, ce qui va entraîner la participation du Congrès du travail du Canada dans la fondation du NPD en 1960. On est loin d’un syndicalisme d’affaires à la Samuel Gompers. De plus, son analyse des prises de position des organisations patronales canadiennes (c’est la partie la plus neuve de l’ouvrage) montre bien que les employeurs ont souhaité, après la guerre, des politiques gouvernementales très restrictives à l’égard de l’action syndicale (p. 161-169). Mais le gouvernement fédéral n’a pas suivi et on peut argumenter que les lois votées pour encadrer le processus de négociation collective ont empêché un recul syndical comparable à celui qui a suivi la Première Guerre. Les protections légales sont des atouts majeurs pour les syndicats lorsque la conjoncture économique leur est moins favorable, notamment quand le niveau de chômage est élevé. Sans elles, il est certain qu’ils auraient subi une sévère dégringolade dans le sillage de la crise économique de 1982 et celle de 1990.
En fait, l’auteur est critique du syndicalisme pratiqué par les principales centrales canadiennes, car il n’apprécie pas leur « gradualisme » et leur relative modération. Mais c’est le choix des travailleurs canadiens qui auraient très bien pu joindre des syndicats plus militants offrant d’autres solutions de rechange sociales. Pour la majorité des syndiqués, il semble bien que le système économique capitaliste présentait la meilleure garantie de croissance économique et la liberté de négocier leurs conditions de travail. Du syndicalisme établi dans quel pays du monde auraient-ils dû s’inspirer pour connaître un meilleur sort ?