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Peu d’historiens se sont engagés dans l’étude des disciplines dites « paramédicales ». Très majoritairement féminines, ces dernières participent pourtant de manière significative à l’éclatement du champ de la santé et connaissent, après 1960, un développement important.

Au cours des années 1990, les travaux de Nadia Fahmy-Eid (sur les diététistes et les physiothérapeutes) et de Johanne Collin (sur la profession pharmacienne) ont permis d’esquisser les principaux traits de ces travailleuses de la santé[2]. Ni médecins ni infirmières, ces dernières se caractérisent par l’exercice d’une compétence dite « professionnelle » et la revendication, sur le plan légal comme sur le lieu de travail, de l’autonomie et des privilèges légaux correspondants. Les travaux de Collin et Fahmy-Eid, desquels on peut rapprocher les monographies de Yolande Cohen et André Petitat sur les infirmières[3], mettent ainsi en scène des groupes qui, par divers discours et stratégies, prétendent au monopole de leur pratique et à la maîtrise de la formation qui y mène. Dominante dans la jeune historiographie québécoise sur le sujet, cette problématique rapproche l’étude des « paramédicales » de celle des médecins ou des infirmières, mais également d’autres groupes, comme les ingénieurs, qui, à un moment ou à un autre, ont aspiré au statut professionnel[4].

Le présent article décrit l’émergence, dans le Québec des années 1950, de l’orthophonie-audiologie, une nouvelle discipline paramédicale vouée au traitement des troubles de la parole et de la communication. À un bref exposé du cadre théorique suivra l’étude des relations des premières orthophonistes avec les représentants de l’institution médicale. Il y sera question, outre la création du premier programme québécois de formation en orthophonie, des luttes pour la définition du savoir disciplinaire. Il est à souhaiter qu’en identifiant les enjeux de ces luttes, nous contribuerons à préciser le rôle du savoir au sein des conflits interprofessionnels.

Autonomie professionnelle et savoir académique

On sait que le discours professionnel compte deux volets : le volet politique, soit l’entreprise de représentation adressée aux pouvoirs publics, à l’opinion et aux autres professions, et le volet académique, soit le savoir scientifique considéré lui aussi en tant que discours. Ces volets sont étroitement solidaires et se présentent comme deux facettes d’un discours unique. Ils constituent également, pour les professionnels eux-mêmes, des outils complémentaires de maîtrise de l’accès à la profession[5].

La revendication de ce contrôle est au coeur du discours professionnel, qui exige ainsi un pouvoir important et une position économique privilégiée. Pour justifier cette demande, les porte-parole d’une profession se réclament d’une vocation civique essentielle au bien-être de la société[6]. La légitimité de la demande dérive de l’impériosité du besoin à combler, mais surtout de l’aptitude du professionnel à s’y mesurer. Cette aptitude est garantie par un savoir ; il est devenu banal, pour cette raison, de qualifier les professions de « knowledge-based occupations[7]  ».

Mais de quel savoir s’agit-il ? On sait que les métiers de techniciens, même les plus indispensables, n’accèdent pas, par définition, à la considération et aux privilèges du statut professionnel. On dira donc du savoir professionnel qu’il est « plus abstrait », académique, universitaire. La recherche, pourtant, n’associe ce savoir académique ni à une demande plus pressante ni à un surcroît d’efficacité[8]. Pourquoi, dès lors, un corpus « relativement abstrait » serait-il préalable à la reconnaissance professionnelle ?

Les professionnels, en principe, ne fondent pas leurs exigences sur le droit des travailleurs, comme dans le discours syndical, mais sur l’exclusivité de leur compétence, qui doit les soustraire au jugement d’autrui, à la concurrence et à la substitution[9]. Or, pour se constituer un champ d’action ainsi dissemblable du sens commun et des autres discours savants, le savoir professionnel doit atteindre un niveau de généralité suffisant pour réinventer sa propre base épistémologique, et surplomber par le langage son domaine sans être dépassé à son tour.

C’est à cette condition que le langage professionnel, en devenant véritablement auto-référentiel, se ménage l’espace où il pourra, légitimement, déclarer irrecevable l’expérience d’autrui. Notons qu’en cette entreprise, le discours académique doit extraire son objet (et le maintenir éloigné) de tout ce qui, sens commun, intégrité individuelle ou collectivité politique, pourrait le subordonner à un impératif politique ou moral extérieur à lui-même[10].

Cette activité de délimitation de territoires exclusifs est partie prenante de la science, et notamment de la science telle que décrite par Kuhn : qu’est-ce que la science normale, sinon la stipulation d’une ontologie, et des méthodes usitées pour y accéder[11]  ? La science normale est aussi programmatique : le discours académique ne fournit pas qu’un champ, mais un certain allant, en construisant généralement ses objets sous la forme de problèmes à régler, bâtis sur mesure, en quelque sorte, pour les capacités de la profession, et si possible urgents[12]. La profession, d’un point de vue formel, se caractérise ainsi par sa revendication du pouvoir de problématiser, assuré par l’autonomie d’un discours scientifique, académique et abstrait.

Base de l’autonomie professionnelle, l’auto-référentialité du savoir représente un enjeu de taille dans la concurrence entre les professions, notamment entre les professions établies, comme la médecine, et les groupes plus jeunes qui tentent de s’imposer. En s’attardant ici aux luttes entre médecins et orthophonistes pour le contrôle de la formation en orthophonie-audiologie au sein de l’École de réadaptation de l’Université de Montréal entre 1956 et 1976, on propose l’hypothèse que l’enjeu principal, dans ces entreprises de définitions d’un savoir disciplinaire, n’est autre que l’« originalité épistémologique » du savoir et le socle d’abstraction qui en permet l’éclosion.

Le contexte d’émergence d’un secteur professionnel « paramédical »

Soucieux de professionnaliser la pratique des soins et désireux d’asseoir leurs prérogatives, de plus en plus de médecins hospitaliers manifestent, au tournant du siècle, une volonté concertée de présider à la direction des services infirmiers et à la création d’écoles de nursing. Ce mouvement, qui s’amorce au cours des années 1880 dans le milieu anglo-protestant, se fait jour à l’hôpital Notre-Dame de Montréal où les médecins fondent, en 1899, une école de gardes-malades. Ils y offrent une formation essentiellement pratique, qui laisse une grande place à l’apprentissage « sur le tas » et aux tâches d’intendance. Les futures infirmières apprennent à l’hôpital même leur métier de technicienne généraliste, dirigée par le docteur. Aux yeux des médecins, la « professionnalisation » de ces femmes ne signifie donc pas qu’elles accèdent au statut de professionnelles, mais qu’elles apprennent à s’incorporer aux exigences d’un univers de travail régi par des médecins[13].

Dès les années 1910, l’apparition d’études supérieures « connexes au nursing » et la mobilité réduite des infirmières à l’intérieur de l’hôpital indiquent la complexification et la division accrue de leurs tâches, qui délimitent des champs d’intervention et de compétence précis. Nombre de secteurs tendent dès lors à s’autonomiser et on assiste à l’apparition du vocable « paramédical », qui désigne alors des infirmières spécialisées, assignées à des tâches spécifiques sous la direction d’un médecin. Ces tâches comprennent surtout la manipulation de machines de diagnostic ou la tenue des dispensaires. En 1938, à Notre-Dame, 18 infirmières sur 48 remplissent ainsi des tâches particulières, distinctes, selon les registres, des « soins généraux ». Par ailleurs, lentement, les infirmières spécialisées ou non s’approprient plus ou moins consciemment un certain nombre d’actes professionnels exercés jusque-là par des médecins, comme les prises de sang ou les injections intraveineuses[14].

Le travail d’infirmière, fortement encadré par les médecins, offre cependant peu d’occasions d’autonomie et de véritable reconnaissance professionnelle. L’expansion du domaine de la santé pousse donc, surtout à partir de 1914, les filières féminines d’emploi à s’élargir grâce au développement de nouveaux secteurs, comme celui des « masseuses » thérapeutiques. Ces disciplines, dont les membres aspirent au statut de professionnel, émergent d’abord hors des murs de l’hôpital et proviennent majoritairement du monde anglophone[15]. À partir des années 1940, l’éclatement des connaissances et l’imposition du salariat entraînent la spécialisation accélérée de la main-d’oeuvre soignante : la porte du monde hospitalier s’ouvre alors à ces nouvelles pratiques, auxquelles se transpose définitivement l’épithète « paramédical ». Physiothérapeutes, ergothérapeutes, diététistes, orthophonistes envahissent rapidement ces îlots de sécurité économique et de reconnaissance sociale. De 1953 à 1967, alors que le personnel hospitalier est multiplié par quatre, le nombre de représentantes des nouvelles disciplines se multiplie par huit, passant de 7 % à 20 % des salariés des hôpitaux publics ; en guise d’exemple, le nombre de physiothérapeutes à l’emploi des hôpitaux publics passe alors de 38 à 361, dont plus de 90 % sont des femmes[16].

Cette entrée en masse dans le milieu hospitalier a cependant son prix : pour accéder à l’hôpital dirigé par des médecins, les « paramédicales » entrent dans l’orbite de l’une ou l’autre spécialité médicale dont elles deviennent, en pratique, les auxiliaires spécialisées, abdiquant leur autonomie. Au Québec, c’est le cas des orthophonistes anglophones, qui joignent l’entourage des oto-rhino-laryngologistes[17].

Du côté francophone, l’émergence de l’orthophonie-audiologie est liée à celle de la physiatrie. Les représentants de cette jeune spécialité médicale entendent aménager, à l’écart de la médecine classique, une pratique de réadaptation des malades souffrant d’incapacité motrice. Ils promeuvent une approche globale qui réunit, sous leur férule, plusieurs disciplines auxiliaires dont la physiothérapie, la fabrication d’orthèses et de prothèses, la « thérapie occupationnelle » (ergothérapie), l’orthophonie et le travail social[18].

D’abord développée en Angleterre et aux États-Unis, la rehabilitation vise à l’origine le traitement des amputés de guerre et connaît, après 1945, un essor réel quoique limité. L’un de ses rares apôtres canadiens est le docteur Gustave Gingras, ancien médecin militaire, qui méritera par son infatigable travail de promotion et de pédagogie une renommée internationale. Après la guerre, Gingras rassemble autour de lui une équipe de fidèles collaborateurs, tous médecins, avec qui il entend instituer la pratique de la réadaptation au Québec[19]. Soutenu par des groupes philanthropiques comme le Rotary Club, il fonde, en 1949, l’Institut de réhabilitation de Montréal, dont il fait le principal lieu de formation en physiatrie au Canada. On y retrouve, dès sa fondation, plusieurs physiothérapeutes, quelques thérapistes occupationnelles et une orthophoniste. Ces « paramédicales », toutes des femmes, travaillent dans des équipes interdisciplinaires aux structures plutôt lâches, mais toujours soumises à l’autorité du physiatre. Traitant des traumatismes multiples, elles finissent par accueillir une majorité croissante d’enfants atteints de la poliomyélite, tandis que les soins aux adultes sont prodigués en priorité aux « personnes susceptibles de retourner au travail[20]  ».

Engagé sur les rails d’une croissance prometteuse, l’Institut, s’il forme suffisamment de physiatres, voit pourtant son développement freiné par une pénurie des auxiliaires paramédicaux nécessaires à la réadaptation. Un intense travail de lobbying auprès de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal permet au docteur Gingras et à son équipe de mettre sur pied, en 1954, l’École de physiothérapie et de thérapie occupationnelle, qui rassemble ces deux disciplines en un diplôme conjoint. La nouvelle école est dirigée par Gingras et par quelques-uns de ses plus proches collaborateurs comme le docteur Maurice Mongeau ou le docteur Bernard Primeau, qui sont également médecins et, plausiblement, physiatres. Indissociable, à l’origine, de ses fondateurs, l’école partage les structures administratives de l’Institut, de même que ses locaux du Montreal Convalescent Hospital. Aux yeux des directeurs, l’École représente d’abord et avant tout la pépinière d’auxiliaires francophones réclamée par les physiatres québécois, dont le nombre croît à mesure que se consolide la nouvelle spécialité médicale. Deux ans plus tard, soit en 1956, les mêmes préoccupations inspirent l’ajout en son sein du premier service d’enseignement d’orthophonie et d’audiologie au Canada[21].

Un parrainage encombrant, 1956-1966

Bien que la réadaptation fasse une place essentielle aux traitements de physiothérapie et de thérapie occupationnelle, elle n’en exige pas moins le concours d’orthophonistes, surtout appelées à traiter des cas de blessures au palais. Or, bien que la discipline soit déjà vieille d’une quarantaine d’années aux États-Unis, il ne semble exister dans le Québec de 1950 aucune orthophoniste francophone qualifiée. Le seul département hospitalier francophone d’orthophonie, voué aux cas de fissures palatines et à « la rééducation des sourds », a été fondé à l’hôpital Sainte-Justine dans les années 1940 et ne compte qu’une seule thérapeute, Aline Delorme, autodidacte de surcroît. Après avoir profité de l’aide de la seule diplômée montréalaise, la pionnière anglophone Mary Cardoso, l’Institut de réhabilitation doit, en 1952, faire venir d’Europe une orthophoniste britannique dont il ne parvient à retenir les services que quelques mois[22].

L’Institut semble ainsi condamné à former lui-même ses orthophonistes, mais les candidates sont rares. En 1954, Gingras prend sous son aile la jeune Germaine Huot, une bénévole qui a bénéficié des enseignements d’Aline Delorme avant de lui succéder à Sainte-Justine. Il lui obtient une bourse pour étudier à la School of Speech Correction and Audiology de l’Université Northwestern (à Chicago) et, à son retour en 1956, lui offre la direction du service d’orthophonie de l’Institut[23].

Ce genre d’efforts n’assure évidemment pas la formation d’un nombre suffisant de spécialistes. De plus, ils ne sont pas toujours concluants : un autre protégé du docteur Gingras, Gustave Gauthier, boude l’Institut pour accepter le poste laissé vacant par Huot à Sainte-Justine. Pour remédier à la situation, Gingras entreprend dès 1955 des démarches auprès de la Faculté de médecine et du ministère des Affaires sociales, dans le but d’ajouter au sein de l’École, qui prendrait alors le nom d’« École de réhabilitation », une section consacrée à l’orthophonie-audiologie. De nombreux appuis et une campagne habilement menée lui apportent les fonds nécessaires, tandis que Germaine Huot hérite tout naturellement de la direction du nouveau service qui accueille ses premières étudiantes en 1956-1957. Huot accomplit un travail considérable dans la mise sur pied de la section, et sollicite le concours à titre de conseiller de l’éminent docteur Harold Westlake, orthophoniste américain qui fut son directeur à Northwestern, et dont la visite en 1957 est célébrée en grande pompe par Gingras[24].

Pilotée par Gingras et ses collègues médecins, la création de la nouvelle section ne représente aux yeux de ceux-ci qu’une étape dans l’établissement d’un programme global de réadaptation, qui prévoit aussi des cours à l’intention des prothésistes, des travailleurs sociaux et des officiers de placement. Pour ces médecins, il est en effet essentiel d’assurer la supervision par des physiatres de toutes les disciplines impliquées dans la réadaptation. Outre les besoins criants de personnel, cette volonté d’encadrement justifie à elle seule la création de la section, car, comme le rappelle Gingras, « l’orthophonie et audiologie est une profession para-médicale qui pourra très bien échapper à la médecine si une école ne s’ouvre pas prochainement dans les cadres de l’Université[25]  ».

Les projets d’élargissement de l’École se butent dans les années suivantes aux refus répétés de l’Université d’accueillir en son sein une discipline aussi manifestement technique que la fabrication d’orthèses et de prothèses[26]. Les velléités dirigistes des administrateurs-médecins à l’endroit du secteur paramédical, vu comme un bassin d’infirmières spécialisées, n’en caractérisent pas moins la direction de l’École jusqu’au milieu des années 1970.

La section d’orthophonie-audiologie, qui accueille une forte majorité de jeunes femmes, offre un diplôme de maîtrise ès arts (M.A.) décerné après un cours de deux ans et un internat de quatre mois, ouvert aux détenteurs de baccalauréat ès arts des collèges classiques. Que l’enseignement de l’orthophonie prenne place dans un programme de deuxième cycle correspond aux standards établis par les départements de speech therapy aux États-Unis. La formation offerte à l’École, cependant, reflète surtout l’idée que se font les physiatres de l’orthophonie : une technique auxiliaire aux horizons étroits, bornés par les limites de la médecine générale. Les enseignements, en effet, n’y sont que faiblement spécialisés : des rudiments épars de médecine générale, donnés par des médecins, représentent plus de 50 % des heures de cours, dont un bloc d’anatomie générale qui monopolise six heures par semaine pendant toute la première année. Plus de 250 heures de cours, soit le quart du programme et toute la psychologie de première année, sont suivies en commun avec les étudiantes des autres sections. Les contenus spécifiques à l’orthophonie, comme l’étude du bégaiement, n’occupent en fait que 26 % des heures de cours[27].

À cet égard, le contraste avec la maîtrise (en sciences appliquées, M.Sc.) de l’Université McGill, offerte après 1963, est frappant : en exigeant de ses candidates un baccalauréat dans une discipline liée au langage (linguistique, psychologie), McGill parvient à prodiguer un enseignement beaucoup plus spécialisé, alors que l’École de réhabilitation consacre la première année de son programme à des cours génériques ou d’introduction. Les cours de McGill adoptent de plus la formule des séminaires, comme il est d’usage aux États-Unis ou dans les autres programmes de maîtrise, tandis que l’enseignement de l’Université de Montréal prend une forme magistrale. Programme de deuxième cycle, la formation francophone fait en réalité moins figure de maîtrise que de baccalauréat avancé[28].

Minorisé face aux généralités médicales, le savoir spécifique à l’orthophonie n’est de plus appuyé que par un minimum de notions théoriques. L’apprentissage de l’orthophonie passe ainsi principalement par les stages : même en faisant abstraction de l’internat, ceux-ci occupent les deux tiers de la seconde année, soit près de 500 heures. Lieu d’apprentissage de premier ordre, le stage, intensif et détaché de toute formation théorique approfondie, consolide cependant le statut technique d’une pratique orthophonique transmise, sous la supervision des médecins hospitaliers, comme un surgeon technique de la physiatrie.

Il est également à noter que, dans un univers disciplinaire aussi peu spécialisé, la présence de l’audiologie, une sous-branche vouée aux problèmes d’audition, est à peu près nulle, le seul cours, donné en deuxième année, se perdant à travers d’autres disciplines connexes comme la pédiatrie ou la médecine dentaire[29].

On ne peut guère attribuer le caractère technique de ce programme à la seule situation matérielle de la section, par exemple à des manques de fonds qui interdiraient l’embauche d’enseignants spécialisés. En effet, non seulement le programme ne subit-il que peu de modifications dans les années qui suivent, mais les changements proposés par les médecins vont toujours dans le sens d’une plus grande technicité. On ajoute ainsi en 1957 un cours de lecture sur les lèvres ; il est éliminé en 1959 à la faveur d’une mini-réforme qui voit l’ajout d’un cours de nursing et la transformation du cours d’audiologie en un cours, plus technique, d’audiométrie clinique. À cette occasion, certains médecins de l’entourage de Gingras proposent même d’intégrer à l’audiologie une formation de base en électronique. Quant au cours d’anatomie, on suggère avec vigueur de le rendre plus pratique, voire « pragmatique[30]  ».

Ces quelques traits — faible spécialisation et caractère technique — préparent à un statut inférieur dans la hiérarchie médicale. Ils nous renseignent d’ailleurs peu sur l’état réel de l’orthophonie en tant que discipline nord-américaine, et reflètent surtout le point de vue des physiatres de l’École qui jugent normal l’état de subordination dévolu aux orthophonistes. Un certain paternalisme est de plus particulièrement patent dans l’embauche des professeurs spécialisés. D’entrée de jeu, on ferme la porte aux candidats masculins, jugeant que « ce serait faire fausse représentation que d’ouvrir cette profession aux hommes si elle n’est pas assez rémunératrice ». Les futures enseignantes, qui vont pourtant oeuvrer au niveau de la maîtrise, sont qualifiées de « techniciennes chargées de l’enseignement ». Si on pense un instant, pour éviter le terme « institutrice », à leur conférer le titre de professeur (« à condition de faire la distinction entre les professeurs des Facultés et les professeurs de l’École »), on retient finalement l’appellation « chargée d’enseignement », qui s’appliquera également aux représentants d’autres disciplines venus enseigner dans le programme[31].

Pareils préambules laissent entrevoir pour les enseignantes une situation pour le moins inconfortable, marquée par la précarité et le temps partiel. Huot, qui assume également des tâches cliniques à l’Institut, est la seule employée stable de la section qui dispose ainsi de moins d’enseignantes régulières que les autres sections de l’École à leurs débuts. Les enseignantes, souvent des cliniciennes de l’Institut, ne disposent d’à peu près aucun droit de parole au sein de l’École. Le comité pédagogique est monopolisé par des médecins et il faut attendre 1962 avant qu’y siègent les chefs de section, encore que les médecins restent très largement supérieurs en nombre (dix sièges sur treize)[32].

La majorité des cours, nombreux et donnés sous forme de conférences d’une heure chacune, est assurée par des chargés d’enseignement au statut instable. Payés à la leçon, ils ne donnent généralement qu’une petite portion du cours : il est d’usage qu’une matière soit enseignée par plusieurs professeurs différents au cours de l’année. Les étudiantes se plaignent d’ailleurs régulièrement du manque de coordination au sein des cours de médecine[33].

Gingras s’occupe toujours du recrutement des chargés d’enseignement. S’il envoie encore quelques candidates à Northwestern, il préfère souvent embaucher des médecins, même pour enseigner des matières, comme les perturbations vocales, très proches de l’orthophonie. Il retient par ailleurs les services d’un Frère de Saint-Viateur, congrégation ayant une grande expérience dans la rééducation des sourds-muets[34].

On a jusqu’ici beaucoup mis l’accent sur ce que n’est pas le programme d’orthophonie. À dessein : ce qui semble significatif dans cette histoire, c’est que, se référant au modèle professionnel auquel elles aspirent, plusieurs orthophonistes ressentent comme autant de contraintes inacceptables les limites imposées par la direction.

Après s’être lancée avec énergie dans la création de la section, Germaine Huot exprime ainsi rapidement sa déception et son désaccord devant les visées de ses supérieurs. Formée par la pionnière Aline Delorme, riche d’une expérience clinique antérieure à son embauche à l’Institut et diplômée d’une école américaine entièrement vouée aux troubles de la parole, Huot ne partage pas les conceptions de Gingras sur le rôle des orthophonistes et, partant, sur la nature de leur formation. Il faut ajouter à cela qu’au début des années 1960, les aspirations des orthophonistes hors des murs de l’école tendent à se préciser : des cliniciennes, anglophones et francophones, diplômées tant de l’École que d’universités américaines, se regroupent alors, organisent un congrès annuel et envisagent la création d’une corporation professionnelle. Les enseignantes et les étudiantes de l’École sont évidemment au courant de ces entreprises, auxquelles elles participent parfois.

En accord avec ses étudiantes, Huot conteste et, dès 1960, exige des réformes. Forte de l’avis du consultant Westlake, elle propose la création d’une clinique universitaire qui permettrait « de concilier... un enseignement théorique à la réalité clinique », dégageant celle-ci de la régulation médicale[35]. Elle demande des bourses de perfectionnement pour les finissantes et s’oppose à l’amalgame de l’orthophonie et de l’audiologie promu par Gingras. La réponse de ce dernier ne se fait pas attendre : Huot est renvoyée de l’Institut et, n’ayant plus accès aux patients nécessaires à son enseignement, quitte l’École en 1961, déplorant dans sa lettre de démission « le manque de collaboration de toutes les personnes intéressées à l’orthophonie et à l’audiologie ». Le départ brusque de la première diplômée francophone donne le ton aux tensions qui animeront la section pendant de longues années. Quant au docteur Westlake, dont on avait tant célébré la collaboration en 1957, la direction se passera dès lors de ses judicieux conseils[36].

En principe, et à la différence du programme conjoint de physiothérapie et de thérapie occupationnelle, le programme de maîtrise en orthophonie s’adresse, à tout le moins à partir de 1959, aux candidats masculins autant que féminins. Le docteur Gingras ne recrute cependant qu’auprès des collèges de filles et l’effectif de la section demeure essentiellement féminin, malgré quelques rares exceptions. Le recrutement est difficile : en dépit d’un objectif modeste de neuf candidates en 1956, la section n’accueille dans ses premières années que cinq ou six étudiantes par an, et n’atteint la dizaine de recrues qu’en 1963. Les résultats scolaires semblent globalement satisfaisants, quoique le succès demeure inégal selon les cohortes, certains groupes connaissant beaucoup d’échecs ou d’abandons ; en 1961, un seul diplôme est décerné[37].

Le faible achalandage de la section s’explique sans doute par l’ignorance généralisée du public quant à l’existence même de l’orthophonie : Gingras doit à l’occasion préciser à ses interlocuteurs que « cette profession est paramédicale… et diffère de la diction ». Le milieu hospitalier, stimulé par l’exemple de l’Institut de réhabilitation, commence néanmoins à s’intéresser au traitement de la parole, et l’ouverture de services, comme le nouveau département d’« audiométrie[sic]-orthophonie » de l’hôpital Maisonneuve, assure le placement des finissantes de l’École. En 1960, le responsable administratif de l’École affirme que toutes les diplômées sont placées et que : « I cannot see any speech therapist available here in Montreal[38]. » Plusieurs diplômées ne travaillent cependant que quelques années avant que le mariage mette un terme à leur vie active. Le roulement de personnel élevé qui en découle facilite le placement des finissantes, mais prive l’orthophonie de cliniciennes de carrière dont l’oeuvre bonifierait le statut de la profession[39].

Dans leur milieu de travail, et à l’exception notable du traitement de l’aphasie adulte, les orthophonistes formées à la section mettent surtout l’accent sur les troubles de parole (moteurs) plutôt que de langage : la mission de l’orthophonie, au dire de la direction, consiste à « équilibrer l’émission de la voix » et à « rectifier l’articulation faussée, insuffisante ou maladroite ». Cette prédilection n’est pas étrangère à l’intérêt des physiatres, la réadaptation s’adressant aux problèmes moteurs plutôt qu’aux méandres abstraits du langage. Cette cartographie du champ disciplinaire fait de l’orthophonie une province du domaine médical : les physiatres, peu versés dans la problématique du langage, supervisent avec moins de peine et plus d’intérêt le traitement des cas de divisions palatines ou d’ablation du larynx. La prépondérance des priorités médicales se fait encore plus manifeste à l’Institut, où se recrutent la majorité des chargées d’enseignement. Ces priorités débordent parfois l’univers médical, l’Institut offrant par exemple, en 1965, les services de ses orthophonistes-audiologistes au ministère des Transports pour évaluer la capacité de conduire des automobilistes sourds. De manière générale, cependant, l’activité orthophonique demeure hospitalière, et s’adresse de plus en plus aux enfants[40].

C’est pour mieux familiariser ses stagiaires avec la nouvelle clientèle enfantine que Germaine Huot organise, dès 1957, une tournée des écoles montréalaises « pour y faire l’étude et les dépistages des cas de bégaiement, surdité, etc. », une pratique qui se poursuivra jusqu’au début des années 1970. Les autres stages, comme les internats, prennent place dans les différents hôpitaux de Montréal dotés de services d’orthophonie : Sainte-Justine, Notre-Dame et l’Institut de réhabilitation, mais aussi le Royal Victoria ou le Montreal Children’s Hospital ; toutes les étudiantes de la section s’exercent, à un moment ou à un autre, dans un hôpital anglophone[41].

Sise à la Faculté de médecine mais dépendante de subventions gouvernementales, l’École n’a jamais roulé sur l’or. Sa situation budgétaire devient vraiment difficile après 1960, alors que les efforts de mise sur pied des trois sections ont épuisé les possibilités d’investissement. Le manque de fonds se double d’une grave pénurie de locaux ; en 1963-1964, la situation est d’autant plus morose que les demandes récurrentes de l’École en matière de logement se heurtent aux refus répétés de l’État provincial et de l’Université. Il faudra une sortie publique du docteur Gingras, assortie d’une menace de fermeture de l’École, pour que l’Université, à l’instigation du gouvernement, reloge l’École dans une ancienne usine désaffectée nichée au coin des rues Jean-Talon et Christophe-Colomb[42].

L’édifice est loin d’être idéal, mais le déménagement, achevé en 1964, permet un élargissement appréciable de la capacité d’accueil de l’École, dont bénéficie tout particulièrement la section d’orthophonie-audiologie. Les effectifs de celle-ci passent de cinq ou six étudiantes par cohortes à plus de dix ou quinze : après avoir décerné 31 diplômes de 1958 à 1964, la section en remet 76 entre 1965 et 1970. Elle augmente du coup son poids relatif au sein de l’École, en se comparant dès lors en nombre à la section de thérapie occupationnelle[43].

Cet accroissement des effectifs, associé au climat des années 1960, contribue à l’émergence parmi les étudiantes d’un esprit de corps dont on ne décèle pas la trace auparavant. Des actions concertées permettent d’exprimer des revendications, souvent similaires aux demandes formulées par les étudiantes des années 1950. Au début, la révolte demeure tranquille : on critique des professeurs à l’assiduité douteuse, on arrache le droit de ne pas porter la coiffe sur la photo de fin d’année, on participe aux grèves de l’AGEUM, sans prêter attention au docteur Gingras qui accuse les étudiants de causer « un tort considérable au renom de l’Université et de l’École[44]  ».

Bien vite, cependant, on exige l’amélioration des conditions d’études, tout particulièrement en ce qui concerne l’accès à la « bibliothèque ». La section d’orthophonie dispose en effet d’une modeste salle de lecture, ouverte en 1959 grâce à l’allocation d’un budget d’achat de livres. Les ressources demeurent très minces et les heures d’ouverture sont courtes ; l’accès aux revues est réservé aux enseignants et la direction juge inutile d’investir parce que « nos étudiants ne font pas de recherches approfondies ». En réponse aux demandes étudiantes, Gingras consent, en 1964, à accorder l’accès aux revues une heure par semaine (« jour à fixer »). À leur manière, les étudiantes bousculent ainsi à leur tour le maigre degré de spécialisation, d’« approfondissement », auquel les cantonne la direction. Leurs exigences rejoignent en ce sens les demandes formulées par Germaine Huot, peu d’années auparavant[45]. Elles ne s’en tiendront pas là.

Si le profil des étudiantes en orthophonie ressemble, comme on peut s’y attendre, à celui de leurs consoeurs de physiothérapie[46], il n’y a pas lieu de s’étonner de ces revendications, car les candidates de l’École de réhabilitation semblent déjà sensibles au modèle professionnel en vigueur. Décidées à oeuvrer en santé, elles ont choisi un programme paramédical avec l’intention expresse d’éviter ce qu’elles perçoivent comme l’état de servitude imposé aux infirmières[47]. Pour échapper à ce sort, elles aspirent à une formation fondamentale poussée et par ce fait distincte des tâches techniques, déplorant les heures passées à apprendre « tout ce qu’une technicienne devrait faire[48]  ». Ainsi motivées, elles apprécient peu la réticence des médecins à céder les connaissances théoriques qui assureraient leur autonomie : « ils avaient l’impression de donner une formation à des gens qui ne devaient pas en savoir autant qu’eux[49]  ».

Ces récriminations prennent forme et, le 29 novembre 1965, les étudiantes en orthophonie remettent aux autorités de l’École un document qui synthétise leurs revendications. Signées par « 19 des 21 étudiants de première année », les cinq pages de ce document expriment à satiété le désir d’un enseignement plus spécialisé, « adapté à nos besoins ». Passant au crible les différents cours du programme, les étudiantes exigent la suppression des cours d’anatomie et de médecine cellulaire, en plus de déplorer le caractère trop général de la plupart des enseignements, par exemple en pédiatrie (« les maladies étudiées ne nous concernent pas vraiment ») et en physiologie (« à quoi peut nous servir l’étude des muscles de la jambe ? »). On veut voir augmenter le temps consacré à l’orthophonie, pendant lequel « on n’a pas le temps d’approfondir suffisamment les notions qu’on nous donne[50]  ».

Par moments, la critique devient franchement acerbe à l’endroit des professeurs-médecins, dont on exige de « savoir ce qu’est l’orthophonie ». De manière générale, les étudiantes expriment une idée assez claire, et au diapason des tendances nord-américaines, de ce que devrait être à leurs yeux un programme de maîtrise : « [...] il ressort que nous perdons beaucoup de temps à parfaire notre culture générale [...] Nous considérons qu’au niveau de la maîtrise, la majeure partie de notre temps doit être consacrée à approfondir par des recherches personnelles les matières qui nous concernent particulièrement[51]. »

En plus de nous révéler avec acuité ce que n’est pas le programme de maîtrise en orthophonie, la contestation étudiante de 1965-1966 nous offre un aperçu des aspirations professionnelles de ces jeunes orthophonistes et du modèle auquel elles se réfèrent. Elle provoque également une redite des événements de 1960-1961. En effet, le successeur de Huot, l’orthophoniste E. J. Lennon, prend lui aussi le parti des étudiants. Pour le seconde fois en moins de cinq ans, étudiantes et professeurs d’orthophonie font ainsi cause commune contre la direction des physiatres.

L’Américain E. J. Lennon a été invité par Gingras à prendre la tête de la section d’orthophonie-audiologie en 1962. Détenteur d’un Ph.D. en orthophonie, chercheur émérite et ancien professeur de l’Université du Wisconsin, il partage avec Huot l’expérience nord-américaine d’une orthophonie spécialisée et axée sur la recherche et les savoirs théoriques. Choisi un peu à l’aveugle par Gingras, qui s’attend à le voir transférer son prestige de chercheur dans des activités administratives, Lennon fait venir à ses côtés John Dudley, un autre orthophoniste anglophone qui partage son point de vue et son expérience[52].

Très vite, les priorités des deux hommes diffèrent de celles de la direction. Constatant le fossé qui sépare la section de ses équivalents américains, Lennon propose, toujours avec diplomatie, de sérieux changements : il abolit la limite d’âge maximal à l’inscription (35 ans) imposée par la direction, presse Gingras d’accepter les finissants des nouveaux programmes scientifiques, introduit les premiers cours de linguistique ainsi qu’un travail inédit de recherche individuelle, en plus de donner une meilleure place aux cours spécialisés en orthophonie. Il transporte les campagnes de recrutement « dans les collèges de jeunes gens aussi bien que ceux de jeunes filles » et prend le parti des internes en demandant qu’on fasse le nécessaire pour augmenter leur salaire, préoccupation dont se désintéressent Gingras et ses adjoints qui renvoient la balle aux hôpitaux concernés[53].

À eux deux, Lennon et Dudley déploient aussi beaucoup d’énergie pour instituer des activités de recherche. Lennon souligne sans cesse l’avance de McGill et de certains hôpitaux en ce domaine, et propose la création d’un programme de Ph.D., ainsi que l’ajout de cours de recherche et de statistiques. Avec Dudley, il participe à des colloques, élabore un projet de recherche sur les problèmes respiratoires et présente un projet de compilation des histoires de cas au Québec. Ces tentatives, qui demeurent sans lendemain, ne soulèvent aucun intérêt notable auprès de la direction[54].

Soucieux d’instaurer un programme axé sur la spécialisation et la recherche, Lennon ne peut que se montrer attentif aux revendications étudiantes de 1965. Alors que les médecins se montrent on ne peut plus réservés devant ces demandes, il leur annonce que « j’ai étudié les opinions qu’ils [les étudiants] ont exprimées [...] et je les trouve bien conçues », jugeant que « ce rapport pourrait être un point de départ dans un programme pour améliorer la formation professionnelle[55]  ».

Comme les étudiantes, il critique à son tour la sous-spécialisation du programme, en particulier les « matières inutiles et superflues » qui encombrent les nombreuses heures d’anatomie : « Les élèves perdent du temps dans l’étude de l’appareil digestif [...]. Par contre, ils manquent [sic] une étude profonde des appareils phonatoires et auditifs[56]. »

Il considère également que les cours de physiologie s’embourbent dans « des matières trop élémentaires » et rappelle enfin qu’il avait proposé l’abandon de la médecine cellulaire dès son arrivée en 1962. Le bras de fer qui s’ensuit est fort révélateur : à Lennon qui plaide pour le retrait d’une anatomie « qui n’est pas adaptée » à sa spécialité, Gingras rétorque que, « quoique très général, le cours n’en est pas moins important pour tout étudiant dans le domaine paramédical », répétant sa profession de foi en une formation généraliste correspondant au champ de connaissances et aux besoins du médecin. En février 1966, Gingras annonce à la Faculté le remplacement imminent de Lennon qui, démotivé et soudainement accusé d’incompétence par les collaborateurs de Gingras, quitte en même temps que Dudley, quelques mois plus tard. Ce double départ coïncide par ailleurs avec d’autres démissions à la section d’ergothérapie, ce qui indique peut-être l’existence de tensions généralisées à l’ensemble de l’École[57].

On peut saisir la profondeur du gouffre entre les deux positions en s’attardant à l’image qu’a laissée Lennon chez les orthophonistes fidèles au docteur Gingras : en 1975, la nouvelle directrice Louise Coderre dépeint un savant lunatique, trop attaché à ses recherches et à ses théories pour répondre aux « besoins du milieu[58]  ». Inutile de préciser que le message de Lennon n’ébranle guère les physiatres, pour qui la recherche et les considérations théoriques représentent autant d’interférences étrangères aux racines pratiques et hospitalières desquelles ils estiment l’orthophonie tributaire. L’hiver suivant, Gingras défend vigoureusement, « par expérience », la pertinence d’un cours de menuiserie de 78 heures censé affiner la conscience de la motricité fine chez les étudiantes en ergothérapie[59].

La cinquième colonne, 1967-1976

Peut-être las d’être contredit par des directeurs formés hors de son champ d’influence, Gingras, qui vient d’accéder à la présidence du Collège des médecins, installe cette fois à la tête de la section un pur produit de l’Institut de réhabilitation, la clinicienne Louise Coderre. Diplômée de l’École qui prend à cette époque le nom d’École de réadaptation, Coderre dirige déjà le service d’orthophonie de l’Institut et enseigne l’aphasie à la section depuis le début des années 1960 : elle est ainsi parfaitement formée au travail de réadaptation tel que l’envisage Gingras. Praticienne jusqu’au bout des doigts, elle refuse tout d’abord l’offre de son patron de se consacrer à l’École ; il faudra que Gingras lui précise qu’il s’agit d’un ordre pour qu’elle accepte le poste[60].

Membre de la Société des orthophonistes et audiologistes de la Province de Québec (SOAPQ) créée en 1964, Coderre milite activement pour l’amélioration du statut socioprofessionnel des orthophonistes. Elle ne voit cependant pas de relation entre ce dernier et la nature de la formation universitaire ; elle ne remet pas non plus en cause le rôle de l’orthophoniste dans la pratique hospitalière. Contrairement à ses prédécesseurs, elle voit d’un mauvais oeil le désir de spécialisation de certains et ne cherche pas à restreindre le poids des disciplines médicales. Clinicienne et légaliste, elle se consacre surtout à assurer la conformité du programme aux exigences de la SOAPQ : lorsque, en 1966, Gingras et ses collaborateurs envisagent de transformer la maîtrise en baccalauréat (en raison de la minceur des conditions d’admission), Coderre s’oppose en invoquant les exigences de la SOAPQ qui exige un diplôme de maîtrise pour accorder le droit d’exercice, mais elle ne s’attarde en aucun moment à justifier le statut académique du diplôme[61].

Au même moment, l’État provincial s’apprête à prendre en charge l’intégralité des coûts de santé. Soucieux de contenir les dépenses en main-d’oeuvre, il remet lui aussi en cause les grades universitaires élevés des programmes paramédicaux : les tentatives de déplacer vers les cégeps la formation des thérapeutes du langage sont cependant mises en échec par la corporation, et la section demeure le seul lieu de formation francophone en orthophonie[62]. Outre cette réserve, d’ailleurs, l’intérêt de l’État s’avère tout à fait bénéfique pour la profession, et lui donne un nouvel élan. Des projets de loi fédéraux sur l’encadrement du bruit industriel et du commerce des prothèses auditives ouvrent ainsi, au début des années 1970, de nouvelles avenues à la pratique de l’audiologie. De manière générale, les politiques gouvernementales, en élargissant les prérogatives de cette institution qu’est devenue la santé, stimulent la médicalisation de l’ouïe et de la parole, et, partant, la demande sur le marché de l’emploi. On assiste ainsi, après 1971, à l’ouverture de postes dans les nouveaux CLSC pour l’élaboration de programmes de prévention en milieu communautaire, mais aussi scolaire[63].

L’État exerce aussi une pression à la spécialisation des disciplines. En 1967, le rapport Parent neutralise les orientations de l’École en exigeant de préciser rigoureusement les exigences d’admission aux programmes de maîtrise. Il disqualifie les diplômes d’études classiques et ne laisse le choix qu’entre deux types de préalables, soit les baccalauréats de domaines connexes, comme à McGill, ou la création d’un baccalauréat spécialisé. L’École choisit cette dernière option et le programme de maîtrise est préservé, ce qui place la section à mi-chemin entre les pays francophones d’Europe, où ne sont offertes que des formations de premier cycle, et les écoles anglo-saxonnes, qui n’offrent souvent qu’un diplôme de maîtrise. Décidée par la direction « par crainte d’un problème de recrutement », la création d’un baccalauréat aura pour effet imprévu d’émanciper la section de l’orbite de la physiatrie[64].

L’instauration en 1969 d’un nouveau baccalauréat de trois ans, en plus de la maîtrise qui demeure obligatoire, entraîne en effet la création d’un programme beaucoup plus spécialisé. L’enseignement s’éloigne considérablement de la médecine : les deux dernières années du baccalauréat sont bientôt consacrées à plus de 60 % à des cours d’orthophonie-audiologie inédits, sur les troubles vocaux ou la pédo-audiologie. Dominants, les cours disciplinaires quittent aussi la sphère de la technicité : très vite, les cours théoriques spécifiques à l’orthophonie-audiologie occupent plus de la moitié des crédits totaux, une proportion qui ne cessera d’augmenter[65].

La première année, qui fait un peu office d’année préparatoire, est aussi délestée de la médecine générale au profit d’une formation connexe en psychologie et en linguistique. Ces dernières disciplines ne font pas que remplir le trou laissé par la médecine : des cours inédits sur la sémantique, l’acquisition du langage ou la psychologie de la fonction symbolique marquent un virage vers l’étude du langage (plutôt que des troubles moteurs de la parole), territoire encore peu défriché au Québec et donc ouvert à l’établissement d’un nouveau socle d’autonomie professionnelle[66].

L’introduction du baccalauréat a aussi un fort impact sur le programme de maîtrise, dont il devient le préalable obligatoire. Toujours offert sous forme magistrale, l’enseignement de deuxième cycle n’a plus à tenir lieu de formation de base, et les cours non spécialisés deviennent vite marginaux. L’allongement de la formation permet d’alléger le programme qui passe, nonobstant les stages, de 1 100 à 900 heures ; plus significatif, la compression frappe surtout les cours de médecine, laissant toute la place aux cours spécialisés, ou à des cours complémentaires étrangers à la tutelle médicale comme, encore une fois, la psychologie ou la linguistique[67].

Le temps dévolu aux stages de maîtrise passe de 360 à 180 heures, baisse que le baccalauréat ne semble pas a priori résorber en n’y consacrant que cinq crédits. Il faut cependant nuancer cet apparent recul de l’enseignement pratique : un stage de plusieurs jours ne vaut souvent qu’un seul crédit, bien moins que ce que permet la pondération de l’Université. En fait, l’apprentissage clinique demeure omniprésent[68].

Cette dévaluation de la valeur officielle des stages représente en quelque sorte un tour de passe-passe administratif : elle permet de préserver la place des stages tout en effectuant un spectaculaire virage vers la théorie spécialisée. Il en résulte un programme lourd (100 crédits et plus dans un baccalauréat de trois ans), mais complet. La surabondance de savoir disciplinaire théorique, qui force à minimiser le poids réel des stages, offre un contraste éclatant avec la section voisine de physiothérapie, où la multiplication des stages, matériau administratif malléable et de faible coût, sert à gonfler le programme pour en justifier le statut universitaire[69].

Cette poussée de spécialisation s’exprime aussi par d’inédites subdivisions intradisciplinaires : l’audiologie se démarque pour la première fois comme discipline soeur mais distincte de l’orthophonie, avec cinq cours obligatoires spécifiques et des professeurs réguliers. L’orthophonie proprement dite conserve toutefois la part du lion : plus de vingt crédits contre treize et, peut-être surtout, une majorité de cours connexes, sur la linguistique ou le développement du langage, adressés en priorité aux orthophonistes[70].

Il est intéressant, pendant cette période, de voir Coderre s’opposer farouchement à ces changements, qui semblent presque s’opérer à son corps défendant. Même assurée de la survie du programme de maîtrise, elle va jusqu’à contester, en 1970 et dans les années qui suivent, l’existence même du nouveau baccalauréat, une position que ne partagent ni ses collègues ni les représentants de la corporation professionnelle[71]. « Homme de confiance » de Gingras, formée à l’ombre de l’Institut, sa méfiance viscérale envers la « sur-spécialisation » souhaitée par nombre de ses collègues animera les plus importants débats de la section jusqu’à la fin des années 1980.

La mise sur pied du programme de baccalauréat, nécessitée par l’expansion de la profession et rendue possible par la généralisation de la formation scientifique dans les nouveaux cégeps, entraîne l’augmentation rapide des effectifs de la section. De 1969 à 1972, le nombre de nouvelles inscrites passe à quinze, puis à vingt et bientôt à une trentaine chaque année. En comptant les étudiantes du programme de maîtrise, l’effectif total de la section dépasse rapidement la centaine. Les femmes demeurant alors fortement majoritaires, et même dans une proportion croissante après 1976[72].

Cette croissance rapide exerce une forte pression à l’institutionnalisation des pratiques de gouverne, auparavant tributaires de l’arbitraire des directeurs. Les règles doivent devenir fixes et transparentes. La pression provient parfois des étudiantes elles-mêmes : en 1975, celles-ci se mobilisent derrière une candidate à la maîtrise, refusée en raison de sa faible moyenne au baccalauréat, et exigent l’établissement par écrit des procédures d’admission et de promotion. Elles ont gain de cause et obtiennent de plus l’obligation pour la direction d’adresser des avertissements précoces aux étudiantes en risque d’échec, une norme encore scrupuleusement respectée aujourd’hui[73].

La croissance des effectifs, la normalisation de l’administration (qui favorise la division des tâches) et surtout la spécialisation des enseignements justifient la mise en place d’un corps professoral plus important, plus autonome et, surtout, plus stable. Imputant l’échec de l’Américain Lennon à son penchant pour la théorie et sa « méconnaissance des besoins du milieu », Coderre refuse d’engager des professeurs étrangers pour combler les besoins en personnel. Elle préfère plutôt engager d’anciennes diplômées devenues, comme elle, cliniciennes : la section commence dès lors à produire elle-même son personnel et une culture qui lui est propre. Cette orientation n’assure cependant pas à Coderre la préservation de l’enseignement généraliste traditionnel[74].

De 1968 à 1974, l’embauche de professeurs, ou plutôt la stabilisation de chargés d’enseignement, va bon train. Abstraction faite de Coderre elle-même, l’équipe régulière passe d’un seul poste à mi-temps à quatre postes à temps plein et quatre autres à temps partiel. Il s’agit le plus souvent de cliniciennes qui donnent depuis longtemps des conférences à la section ; certaines, comme Michèle Bergeron à l’Institut, continuent en parallèle à travailler en milieu hospitalier. Les engagements prennent la forme de contrats temporaires de un ou trois ans et sont souvent consentis en échange d’une promesse de perfectionnement, les enseignantes n’ayant la plupart du temps qu’une expérience clinique[75].

Cet afflux de cliniciens dans les structures de la section, où ils disposent d’un bureau et d’une certaine influence, permet l’établissement de nouveaux professeurs qui ne partagent pas les vues de Coderre ou de Gingras. En 1974-1975, pendant l’absence de Coderre qui bénéficie du premier congé de perfectionnement de l’histoire de la section, sa remplaçante par intérim, Louise Getty, approche trois jeunes audiologistes en voie de terminer leur doctorat dans des universités américaines, soit Michel Picard, Raymond Hébert et Raymond Hétu, qui introduira le premier la recherche subventionnée à la section. Lorsque Coderre, à son retour, reprend sa croisade pour l’abolition du baccalauréat, elle est mise au pas par l’assemblée des professeurs qui se prononce très clairement en faveur du programme[76].

Peut-être le maintien du docteur Gingras et de son équipe à la direction de l’École contribue-t-il à expliquer, malgré l’accroissement de son personnel, la persistance d’irritants qui séparent la section d’un état de maturité professionnelle, au sens où l’entendent plusieurs. Ainsi, l’enseignement dépend en bonne partie d’autres départements, entre autres médecine dentaire ou psychologie. L’arrivée d’enseignants très scolarisés permet cependant le rapatriement de matières spécialisées, comme le cours de physique acoustique, dispensé par un médecin et qui passe aux mains de la section grâce à l’arrivée de Raymond Hétu. Peu de temps après, l’important cours d’acquisition du langage, auparavant donné par le département de psychologie, passe également sous l’égide de la section. Ce transfert progressif de cours stratégiques est une facette importante de l’autonomisation du savoir disciplinaire[77].

Le véritable obstacle, cependant, au développement autonome de la section demeure la précarité des postes d’enseignement. Plus réguliers, mieux rémunérés qu’auparavant, les professeurs ne sont encore souvent que des « chargés d’enseignement », qui ne disposent ni du temps ni des ressources pour mener des activités de recherche, de promotion ou de développement[78]. Toujours dépendants de contrats qu’il faut renouveler régulièrement, il leur est de surcroît difficile de faire entendre leur voix ou de s’engager dans des activités contraires aux visées de la direction.

Le maintien de cette précarité est d’abord lié aux exigences de l’Université en matière de promotion. Issus du monde clinique, les enseignants-cliniciens n’appartiennent pas à l’univers scientifique de la recherche et des publications savantes ; ils ne répondent donc guère aux critères de rayonnement et de recherche avancés par l’Université. De plus, leur petit nombre rend difficile l’octroi de congés de perfectionnement : un programme de congés est mis au point à cet effet en 1973-1974, mais ne porte réellement ses fruits qu’au tournant de la décennie. De toutes manières, les autorités de la Faculté semblent peu empressées de traiter l’École à l’égal des autres départements de médecine : même pourvus de doctorats, Hétu, Hébert et Dudley se voient tous refuser l’agrégation. Des promotions ne sont en fait concédées qu’à Louise Coderre, qui ne détient qu’un M.A., et aux autres chefs de section de l’École, moins pour leur activité scientifique que pour leur travail de gestionnaire. La reconnaissance d’un statut de discipline académique à part entière, qui soumettrait les orthophonistes aux mêmes critères d’évaluation que les médecins, ne semble pas encore acquise[79].

Insuffisamment lotis, les enseignants réguliers de la section sont également peu nombreux et la section, surtout en ce qui concerne les exercices pratiques et les démonstrations, demeure, beaucoup plus que les autres sections, dépendante de chargés d’enseignement instables et payés à la leçon au taux de 7,50 $ de l’heure (10 $ après 1975). De plus, le désir d’engager une étudiante à mi-temps comme consultante de recherche est totalement ignoré par la Faculté. Ces contraintes représentent sans doute le principal frein à l’expansion et à la diversification des activités de la section[80].

À l’image de la section, l’École dans son ensemble éprouve du mal à profiter de l’accroissement de ses effectifs pour s’épanouir pleinement, en raison de moyens financiers qui suivent difficilement le rythme de la croissance. On manque de secrétaires devant la hausse des besoins administratifs, les bureaux pour les nouveaux professeurs se font rares, les concierges menacent de faire la grève et le budget destiné aux dépenses courantes ne couvre qu’imparfaitement les divers coûts de fonctionnement[81].

Bien que le budget demeure toujours un problème, la situation s’améliore toutefois avec le déménagement de l’École, en 1974, dans l’actuel pavillon de la Côte-Sainte-Catherine. Né du désir de la Faculté de réunir sur la montagne les départements paramédicaux en un centre médical unifié, le nouveau bâtiment, grand et muni d’équipement technique de pointe, est en effet aménagé en fonction des besoins spécifiques de ses locataires, ce qui permet l’ouverture de quatre nouveaux laboratoires, dont trois consacrés à l’audiologie[82].

L’explosion des effectifs de l’École rend problématique le placement des stagiaires dans un milieu clinique qui a du mal à accueillir plus d’une centaine d’étudiantes par année. Devant ces difficultés, les enseignants de la section proposent de mettre sur pied une clinique universitaire en audiologie, la discipline la plus touchée par la pénurie de lieux de stages. Contrairement à ce qui s’était passé en 1960, peut-être parce qu’il se présente moins comme une contestation et plus comme une solution pratique, le projet obtient l’aval du docteur Gingras. Un comité d’enseignants est formé, qui propose en 1975 d’établir une clinique en association avec l’hôpital Maisonneuve. Des rencontres ont lieu, mais Gingras intervient et détourne le projet de clinique vers son Institut. Cette tentative, contraire au souhait des enseignants, se révèle vite irréalisable et on doit abandonner l’idée en 1976. Les enseignants concernés recontactent Maisonneuve afin de remettre la pâte dentifrice dans le tube, mais de précieux mois ont été perdus et la clinique ne voit pas le jour[83].

Cet épisode illustre bien les enjeux et les aléas des luttes interprofessionnelles qui prennent place dans l’espace académique, et dont l’histoire de la section d’orthophonie-audiologie dans son ensemble offre un exemple frappant. Gingras prend sa retraite peu de temps après l’abandon du projet de clinique, mais son point de vue demeure représenté par Louise Coderre qui reste fermement aux commandes de la section, dont elle gère par ailleurs la croissance avec talent. Les divergences persistent donc entre des visions différentes de la profession, alors même que l’importance croissante des activités de recherche ouvre une nouvelle phase dans l’histoire des relations entre la pratique de l’orthophonie-audiologie et l’activité académique de l’École.

Conclusion

Aspirant à la souveraineté professionnelle, les orthophonistes de l’École de réadaptation cherchent à y instituer le savoir académique exclusif qui en est le corollaire et la condition. Elles contestent ainsi, dès 1960, le rôle auxiliaire auquel les prépare un programme, technicien et généraliste, défini par des médecins. Leurs revendications, récurrentes, concernent l’établissement d’un enseignement fondamental, spécialisé et émancipé du strict champ médical ; elles émanent tant des chargées d’enseignement que de leurs étudiantes, qui semblent se mouler d’emblée au projet disciplinaire.

Leurs efforts, la croissance de la section et l’action de l’État entraînent, en 1969, l’établissement d’un programme de baccalauréat laissant enfin place à un savoir théorique spécialisé. Les orthophonistes en place, dont l’expérience demeure essentiellement clinique, accueillent alors, dès 1974, les jeunes chercheurs, formés aux États-Unis, dont la présence doit garantir la nouvelle assise fondamentale du programme. Loin de se résorber, les tensions entre orthophonistes et médecins continuent, après 1976, de s’exprimer, la production du savoir disciplinaire demeurant au coeur des débats qui animent la section (aujourd’hui une École autonome) jusqu’au début des années 1990.

L’histoire des luttes interprofessionnelles à la section orthophonie-audiologie de l’École de réadaptation de l’Université de Montréal entre 1956 et 1976 illustre bien le rôle du savoir disciplinaire dans la construction d’une profession, et en quoi il constitue l’enjeu de luttes interprofessionnelles. Leur étude permet également de souligner l’évolution de l’environnement au sein duquel se déroulent ces conflits, en montrant en quoi l’intervention massive de l’État en matière de santé correspond, après 1967, à une redistribution des cartes du marché professionnel.