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Depuis une dizaine d’années, la communauté francophone des géographes travaillant dans le domaine fluvial tend à se renouveler et à s’élargir. Cette évolution est constatée autant au Québec qu’en Belgique ou encore en France. Au Québec, plusieurs universités ont accueilli ces dernières années des spécialistes travaillant dans ce cadre thématique. Un colloque centré sur les « Approches et méthodes en géomorphologie fluviale : pratiques et étude de cas » a ainsi eu lieu en mai 2007 à Trois-Rivières dans le cadre du rassemblement de l’ACFAS, accueillant pas moins de 50 chercheurs et offrant 21 communications. La communauté des hydro-géomorphologues rassemblée en France au sein de la commission « hydrosystèmes » du Comité National de Géographie est également active.
Les géographes francophones ont aussi élargi leur sphère thématique, abordant des questions hydrologiques, de plus en plus en phase avec les problèmes environnementaux, notamment les risques ou la gestion de la ressource en eau, et des questions hydrauliques, se penchant entre autres sur les facteurs régissant les écoulements ou le transport solide dans les cours d’eau. L’approche privilégiée dans plusieurs projets repose sur la mesure des processus in situ, qu’il s’agisse de la turbulence ou du transport de la charge de fond. L’analyse des structures spatiales est aussi en plein essor dans le cadre disciplinaire, qu’il s’agisse des questions régionales (hydrologie régionalisée, typologie des cours d’eau), des tronçons fluviaux ou des habitats plus localisés nécessaires à la faune et la flore. Dans ce contexte, le recours à l’imagerie est aussi un phénomène récent qui émerge pour répondre à des questions scientifiques se posant à différentes échelles spatiales. Les interactions entre géomorphologie fluviale et écologie sont également très fortes, concernant notamment l’habitat piscicole ou la dynamique de la végétation aquatique ou riveraine. Si l’étude des dynamiques holocènes est l’un des champs thématiques qui a longtemps été privilégié par la communauté francophone, celle-ci a aussi ouvert des chantiers à des échelles de temps plus courtes. L’analyse des effets des pressions humaines contemporaines sur les systèmes fluviaux fait aujourd’hui l’objet de nombreux travaux. Les démarches sont de plus en plus axées sur les questions que se posent les gestionnaires. À l’échelle nationale ou régionale, on a comme objectif de caractériser la variabilité géographique, notamment pour asseoir les politiques de planification et d’actions publiques pour la gestion des écosystèmes aquatiques ou des risques. À l’échelle plus locale, on tente d’apporter aux gestionnaires des éléments de connaissance concernant les changements structuraux ou les dynamiques actuelles des cours d’eau. Les prises de décision à cette échelle intègrent aujourd’hui le temps long et replacent le cours d’eau étudié dans son bassin versant, renforçant de fait les questionnements géographiques. Les géographes francophones semblent aussi s’exprimer sur des terrains de plus en plus éloignés de leurs bases traditionnelles, qu’il s’agisse de la Belgique, de la France métropolitaine ou du Québec, des travaux étant en cours aux États-Unis, en Italie, en Bolivie, au Brésil, en Indonésie, en Afrique du Sud, en Corse, en Slovaquie, au Vietnam, en Chine ou encore en Grèce.
Afin de rendre compte de cette dynamique, un appel à contribution a été lancé en 2005 auprès de la communauté pour organiser un numéro collectif de Géographie physique et Quaternaire. Les réactions ont été si positives que deux numéros ont finalement été programmés. Ce premier numéro rassemble six contributions. Assani, Lajoie, Vadnais, Benseghir et Bureau illustrent l’approche hydrologique soulignée précédemment. Ils abordent en effet une question d’hydrologie régionalisée au Québec. Ils souhaitent mieux comprendre la variabilité des débits moyens annuels entre 1970 et aujourd’hui et relier celle-ci à certains indices climatiques globaux. Leur démarche s’inscrit dans les approches interdisciplinaires conduites à l’échelle du globe pour comprendre les effets potentiels du changement climatique, mieux intégrer la complexité à l’échelle régionale et en anticiper les évolutions. Tilston et Biron introduisent ensuite une question hydraulique, celle de la structure tridimensionnelle des écoulements à l’échelle d’une boucle de méandre afin de mieux comprendre le lien qui existe entre celle-ci, la contrainte de cisaillement et l’érosion des berges. Des tests métrologiques ont ainsi été conduits pour quantifier la turbulence et calculer les contraintes de cisaillement. Le vélocimètre acoustique Doppler (ADV) se révèle efficace pour identifier les zones où s’exercent les contraintes de cisaillement les plus fortes qui correspondent aux zones de recul de berges. La troisième contribution rédigée par Houbrechts, Hallot, Gob, Mols, Defechereux et Petit aborde un autre champ thématique, celui du transport solide de plusieurs rivières des Ardennes belges. Ils proposent ainsi une synthèse régionale des conditions de transport (fréquence des débits seuils, durée du charriage, volumes annuels moyens transportés) appuyée par des suivis répétés de particules marquées et de profils en travers et par l’utilisation de pièges à sédiments. Leurs travaux mettent en lumière les facteurs qui influencent le charriage et identifient clairement les rivières déficitaires en charge de fond.
Les trois communications qui suivent, celle de Rollet, Piégay et Citterio sur le Doubs, celle de Petit sur l’Allier et celle de Bondue, Boyer, Lamothe, Roy et Ghaleb sur la Yamachiche soulignent l’intérêt renouvelé de la communauté francophone pour l’étude des changements fluviaux à l’échelle des dernières décennies. Si les effets morphologiques et biologiques des extractions de granulats ont déjà été finement étudiés sur de nombreux lits mineurs, les ajustements enregistrés par les entités du lit majeur sont moins connus. Tel est l’objet du travail conduit sur le Doubs à l’aval de Dole qui a fait l’objet d’une intense activité extractive dans les années 1970. Les auteurs montrent ainsi l’effet consécutif de l’enfoncement de la ligne d’eau sur les zones aquatiques périfluviales, soulignant les limites de l’approche rétrospective et les conditions rigoureuses que nécessite l’utilisation de données historiques. Trois tronçons fluviaux ont été étudiés comparativement sur l’Allier à partir de photographies aériennes. Cette approche conduit ainsi à mettre en lumière les modifications enregistrées par la mosaïque végétale au cours des cinquante dernières années à la suite d’une mutation des pratiques agricoles et pastorales. Cette évolution explique en grande partie les changements fluviaux, notamment la rétraction du lit observé par l’auteur. En revanche, ces changements n’affectent pas l’érosion des berges dont la variabilité contemporaine s’explique avant tout par la périodicité des crues. L’étude conduite sur le delta de la Yamachiche, un affluent du Saint-Laurent confluent dans le lac Saint-Pierre, s’inscrit également dans cette perspective contemporaine. En s’appuyant sur une variété de sources à la fois historiques, topographiques et sédimentaires, les auteurs retracent l’évolution du delta, notamment sa progression spatiale et son engraissement par sédimentation, et identifient les facteurs la contrôlant : variation du niveau du lac, activité érosive des vagues, modification de l’occupation des sols. Ici encore, cette démarche rétrospective vise à comprendre la sensibilité de ces systèmes deltaïques aux changements afin de mieux anticiper les ajustements morphologiques à prévoir à la suite d’une modification du niveau d’eau du lac Saint-Pierre que suggèrent les scénario prédictifs du changement climatique.