Abstracts
Résumé
D’un point de vue géologique, les marais intertidaux (schorres supérieurs) constituent une formation sédimentaire originale. Ceux du Saint-Laurent estuarien sont constitués de trois faciès superposés généralement mis en place au-dessus d’un substrat limono-argileux (dépôt pélitique de la Mer de Goldthwait) taillé en surface d’érosion. Selon le secteur, le dépôt à la base du schorre supérieur possède les caractéristiques des slikkes vaseuses ou sableuses, ou bien des bas estrans sableux et graveleux. La deuxième unité (la plus importante en épaisseur), constituée de vase (limon sableux) et de débris de plantes en place, correspond à un faciès de schorre inférieur. Plus organique, la troisième unité, en surface, est caractéristique d’un faciès de schorre supérieur. Les schorres du Saint-Laurent estuarien sont des formations sédimentaires relativement récentes. Si le substrat limono-argileux date du début de l’Holocène (12,5-10 ka), la mise en place des trois unités constituant le schorre supérieur a eu lieu seulement au cours du dernier millénaire. Dans les deux principaux sites étudiés (Montmagny et Sainte-Anne-de-Beaupré), l’unité 1 a été mise en place entre 400 et 900 BP environ, l’unité 2, entre 130 et 400 BP, alors que l’unité 3, en général encore en accrétion verticale, a, pour l’essentiel, été édifiée au cours du dernier siècle. Bien que le taux moyen d’accrétion verticale à long terme varie d’un site à l’autre, il est à peu près partout légèrement inférieur à celui de la plupart des schorres dans le monde pour la même période. Dans 68,5 % des cas, il se situe entre 1 et 2 mm/an, dans 21 % des cas, entre 2 et 3 mm/an, et dans 10,5 % des cas, au-dessus de 3 mm/an. Menacés à la fois par l’érosion et les empiétements, les schorres du Saint-Laurent estuarien, en raison de leur faible superficie ainsi que de leur valeur écologique et économique, méritent d’être mieux connus, protégés et mis en valeur.
Abstract
From a geological point of view, intertidal marshes (high marshes) are an original sedimentary formation. Those in the St. Lawrence estuary are made of three superposed facies generally overlying a silty-clayey substrate (a pelitic deposit of the postglacial Goldthwait Sea), cut into an erosion surface. Depending on the area, the basal deposit of high marshes has the characteristics of a mud tidal flat or a lower sandy and gravelly strand. The second unit (the most important in thickness), made of laminated mud (sandy silt) and remains of plants in growing position, is a low marsh facies deposit. More organic, the third unit, at the surface, is a high marsh facies deposit. The St. Lawrence intertidal marshes are relatively recent sedimentary deposits. Although the clay substrate is an early Holocene deposit (12.5-10 ka), the three units of the high marsh were emplaced only during the last millennium. In the two main marshes studied (Montmagny and Sainte-Anne-de-Beaupré), unit 1 was formed between 400 and 900 BP, unit 2, between 130 and 400 BP and unit 3, which is generally still in vertical accretion process, was mainly deposited during the last century. Even though the long term mean vertical accretion rate of the surface varies from place to place, it is almost everywhere slightly lower than in most intertidal marshes of the World for the same period. In 68,5% of sites, it is between 1 and 2 mm/yr, in 21%, between 2 and 3 mm/yr and in 10,5%, over 3 mm/yr. Threatened by both erosion and land recovery, the St. Lawrence estuary tidal marshes, because of the small surface area that they cover, and also of their ecological and economic value, need to be better studied and protected, as well as adequately enhanced.
Article body
Introduction
Malgré leur importance écologique et économique, les schorres du Saint-Laurent estuarien n’ont pour la plupart reçu que peu d’attention des chercheurs en dehors de certains aspects biologiques (flore et faune). Leur étendue restreinte (Gauthier et al., 1980 ; Environnement Canada, 1991) et la perspective d’une élévation du niveau marin relatif au cours des prochaines décennies susceptible d’accélérer leur érosion et leur dégradation (Dionne, 1986, 2000 ; Dionne et Bouchard, 2000), incitent à mieux connaître ces milieux naturels fragiles, en particulier leurs aspects morpho-sédimentologiques, et à retracer les grandes lignes de leur formation et de leur évolution (Dionne, 1984b, 1993).
La présente contribution fournit des données sur l’âge et le taux moyen d’accrétion verticale à long terme de deux d’entre eux parmi les plus vastes et les mieux connus dans le secteur amont du moyen estuaire du Saint-Laurent. Ce secteur est caractérisé par des schorres à scirpe américain (Scirpus americanus) qui sont fréquentés par les oies, en particulier la grande oie des neiges (Chen caerulescens atlantica). Il correspond à la zone du « bouchon vaseux »[1], où la turbidité est la plus élevée (Silverberg et Sundby, 1979 ; d’Anglejan, 1981) ; cela devrait normalement se traduire par un taux de sédimentation élevé et une expansion latérale rapide des schorres (Hamel, 1963). Ce n’est malheureusement pas le cas (Dionne, 1984a, 2002a). La plupart d’entre eux accusent un déficit sédimentaire qui se traduit par un recul important du schorre supérieur et un abaissement vertical de la surface du schorre inférieur. La présence d’une micro-falaise de 75 à 200 cm de hauteur entaillant la partie externe du schorre supérieur, notamment à Sainte-Anne-de-Beaupré (SAB) et à Montmagny (MON), a permis non seulement l’examen des trois faciès superposés composant cette unité, mais aussi la récolte de matériaux organiques et anthropiques qui ont fourni des dates au 14C à partir desquelles le taux d’accrétion verticale moyen à long terme de la surface a pu être estimé. Sont aussi présentées dans cet exposé les données disponibles pour d’autres schorres des rives sud et nord des estuaires moyen et maritime du Saint-Laurent.
Terminologie
D’après la plupart des auteurs (Chapman, 1960, 1977 ; Evans, 1965 ; Reineck, 1972, 1978 ; Frey et Basan, 1978 ; Reineck et Singh, 1980 ; Allen et Pye, 1992), le marais intertidal (tidal marsh) correspond à la zone couverte de végétation sujette aux inondations périodiques de la marée. Il s’agit d’un tapis végétal continu et relativement dense, bien que parfois caractérisé par des mares, des chenaux de marée ou des espaces dénudés (Verger, 1968 ; Dionne, 1972 ; Paskoff, 1998).
En Europe, les vocables « schorre »[2] et « slikke » sont utilisés, surtout en Hollande, en Allemagne, au Danemark, en Belgique et en France (Verger, 1956, 1995 ; De Langhe, 1978 ; Bonnot-Courtois et Levasseur, 2001). Dans ce dernier pays, les termes « herbu » ou « pré-salés », d’usage courant en Bretagne et dans le bassin d’Arcachon, ainsi que le terme « vasière », sont des équivalents de « schorre » et de « slikke » (Verger, 1995). En anglais (Angleterre, Canada et États-Unis), on parle plutôt de salt marsh ou de tidal marsh. On y distingue habituellement deux niveaux caractérisés par des tapis végétaux continus et relativement denses de compositions très contrastées. Sur le low marsh de la côte est américaine (Frey et Basan, 1978) et la côte atlantique canadienne (Ganong, 1903), par exemple, ne pousse qu’une espèce, la spartine alterniflore (Spartina alterniflora), alors que sur le high marsh, la couverture végétale est variée, comprenant au moins une dizaine d’espèces, dont la spartine étalée (Spartina patens). Il en est de même en Angleterre, où la plupart des marais intertidaux sont caractérisés par deux niveaux à tapis végétaux fort différents.
Par contre, en Hollande et dans d’autres pays de la mer du Nord, la plupart des marais intertidaux possèdent un seul niveau (Lefeuvre, 2000, p. 148), soit le plus élevé (high marsh), de sorte que le schorre a été défini comme une zone submergée uniquement lors des marées de vive-eau (Massart, 1908).
Lorsque l’on emploie chez nous la terminologie flamande, fortement recommandée en français (Verger, 1956, p. 146 ; Goeldner-Gianella, 1999, p. 75), on fait face à un problème, car la partie inférieure du marais intertidal, qui devrait normalement s’appeler « schorre inférieur », ne répond pas à la définition originelle du schorre basée sur le critère de la submersion par les seules marées de vive-eau. Il s’agit pourtant d’une zone possédant un tapis végétal continu, relativement dense et haut (50 à 150 cm), notamment dans les marais à scirpe américain (Scirpus americanus) du secteur amont du moyen estuaire du Saint-Laurent (fig. 1) et dans les marais à spartine alterniflore (Spartina alterniflora) de l’estuaire maritime (fig. 2).
À la suite de plusieurs auteurs francophones (entre autres Francis-Boeuf, 1942 ; Guilcher 1954 ; Guilcher et Berthois, 1957 ; Verger, 1956, 1968), nous avons utilisé en français, et même en anglais (Dionne, 1968a, 1968b, 1972, 1986), les vocables flamands « schorre » et « slikke » pour les marais intertidaux au Québec. Ces deux termes apparaissent d’ailleurs dans l’Encyclopedia of Beaches and Coastal Environments (Schwartz, 1982) et dans le Glossary of Geology de l’American Geological Institute (Bates et Jackson, 1987). En conséquence, nous parlons de schorre inférieur (low marsh) et de schorre supérieur (high marsh) puisqu’il existe bien, un peu partout, deux niveaux distincts bien définis dans la zone intertidale couverte par un tapis végétal continu.
Selon nous et la majorité des auteurs anglo-saxons, le critère essentiel d’un marais intertidal est le couvert végétal (Chapman, 1960 ; Teal et Teal, 1969 ; Adam, 1990) et non le temps de recouvrement par la marée ; ce dernier critère est important, mais secondaire ; il permet seulement de différencier divers niveaux caractérisés par un tapis végétal composé d’espèces différentes. Selon Dijkema (1998) : « Coastal salt marshes may be defined as areas vegetated by herbs, grasses, and low shrubs, bordering saline water bodies ». Il n’est pas question de temps de recouvrement par la marée.
Se basant sur la définition originelle du vocable « schorre » (Massart, 1908), c’est-à-dire une zone à tapis végétal dense ennoyée seulement lors des marées de vive-eau, Jacquet (1949) a introduit la notion de « haute slikke » pour la zone intertidale de l’herbu de la baie de Mont-Saint-Michel ; celle-ci correspond au schorre inférieur du Québec et d’ailleurs en Amérique du Nord ainsi que de certains pays européens. Cette initiative a donné lieu à beaucoup de confusion par la suite et a incité des auteurs québécois à refuser l’utilisation des vocables « schorre inférieur » et « schorre supérieur » (Gauthier, 1978 ; Bertrand, 1984 ; Couillard et Grondin, 1986 ; ARGUS, 1994 ; Buteau et al., 1994) puisque, selon le critère de la submersion, le « schorre » devrait correspondre uniquement à la partie supérieure du marais intertidal inondé lors des marées de vive eau et des tempêtes.
De son côté, Verger (1956, 1968, 1995) n’a pas tranché le débat ; il s’est plutôt rallié à Jacquet et à Massart tout en soutenant que le schorre était l’équivalent de l’herbu, c’est-à-dire de l’ensemble de la zone couverte par un tapis végétal continu et relativement dense. Or, dans la baie du Mont-Saint-Michel, il existe bien deux, voire trois niveaux parfois séparés par une micro-falaise nette (fig. 3), de sorte que des auteurs français ont aussi utilisé les expressions « schorre supérieur », « schorre moyen » et « schorre inférieur » pour les identifier (Rivière, 1936 ; LeRhun et al., 1989 ; Goeldner-Gianella, 2000 ; Lefeuvre, 2000 ; Bonnot et Levasseur, 2001). Pour Brunet et al. (1992), l’herbu est une « étendue dotée de végétation halophile dans un marais littoral, notamment la spartine (Spartina Townsendii); se dit en néerlandais schorre ». En Europe, la Spartina townsendii est l’équivalent de la Spartina alterniflora chez nous et sur la côte est du Canada et des États-Unis, l’espèce prédominante et généralement exclusive du schorre inférieur (low marsh).
Dans les marais intertidaux de la Hollande et de l’Allemagne, et même en France, le vocable « haute slikke » s’applique à une zone étroite, en contrebas de la micro-falaise du schorre, qui est partiellement couverte par des espèces pionnières : Salicornia europea, Spartina anglica ou towndsendii et Sueda maritima (fig. 4). En anglais, cette zone est appelée pioneer zone ou pioneer marsh (Erchinger, 1985 ; Bouchard et al., 1998 ; Dijkema, 1998 ; van Rijn, 1998 ; Lefeuvre et al., 2000). Lefeuvre (2000) a utilisé l’expression « zone pionnière » à la place de haute slikke et a reconnu l’existence de trois niveaux dans le schorre : inférieur, moyen et supérieur, ce qui correspond à la réalité chez nous pour les schorres naturels les plus étendus. Ces trois niveaux existent aussi sur les rives de la baie de Fundy (van Proosdij et al., 1999).
Dans une publication récente, Bonnot-Courtois et Levasseur (2001) distinguent quatre zones dans les pré-salés de la baie du Mont Saint-Michel : 1) le haut schorre, dominé par Elymus pungens et Festuca rubra v. littoralis ; 2) le moyen schorre à tapis végétal composé principalement d’Atriplex portulacoides et de Puccinellia maritima dans les zones broutées par les moutons ; 3) le bas schorre à Pucinellia maritima, Aster tripolium et Sueda maritima ; et 4) la haute slikke à tapis végétal ouvert, clairsemé, comprenant des Salicornia europea et des Spartina anglica. Le haut schorre est submergé lors des marées de vive eau de coefficient 120, le moyen schorre, par des marées de vive eau de coefficient 100 et le bas schorre, par des marées moyennes de coefficient 70-75, alors que la haute slikke correspond au niveau des marées moyennes de morte-eau, de coefficient 45. La même zonation et la même terminologie ont été utilisées par Bertrand et al. (2003) pour le schorre de la Ria Formosa, dans le sud du Portugal.
Bref, si au Québec on utilise les vocables « schorre » et « slikke », on est fondé, en raison de leur existence dans la langue française depuis plusieurs siècles (De Langhe, 1978), de parler de « schorre inférieur » et de « schorre supérieur » pour désigner les deux niveaux du marais intertidal possédant une couverture végétale continue relativement dense. Les vocables « marais supérieur » et « marais inférieur » utilisés par certains (Bertrand, 1984 ; ARGUS, 1994) ainsi que « bas marais », « moyen marais » et « haut marais » (Lefeuvre, 2000) sont une simple traduction de high, middle et low marsh. La haute slikke de Gauthier (1978) à L’Isle-Verte, qui correspond à un schorre inférieur à Spartina alterniflora, ne possède pas les caractéristiques de la haute slikke en Hollande (van Straaten, 1961), en Allemagne et en France, en dehors du critère du temps de submersion. Or, ce dernier critère ne saurait passer avant celui du couvert végétal, critère fondamental d’un marais littoral reconnu par tous les spécialistes.
Par ailleurs, en dehors du secteur amont du moyen estuaire du Saint-Laurent, la zone adjacente au schorre ou à l’herbu ne peut être appelée « slikke », car il s’agit d’une surface d’érosion taillée dans l’argile de la Mer de Goldthwait, surface voilée seulement par quelques centimètres de sable, de vase et de petits cailloux (Bélanger, 1993) qui ne possède aucune des caractéristiques des véritables slikkes des littoraux de la mer du Nord. En général, dans les schorres à spartine alterniflore de l’estuaire maritime (Isle-Verte, Trois-Pistoles, Bic, Rimouski, par exemple), l’épaisseur des sédiments intertidaux recouvrant la plate-forme d’érosion dans le substrat argileux excède rarement 10 cm dans la partie interne du schorre inférieur alors qu’elle est de 2 à 3 cm seulement dans la partie externe (Dionne, 1999). On peut donc difficilement qualifier cette zone de « haute slikke ».
Signalons en conclusion que, dans la zonation du rivage qu’ils ont retenue, les auteurs de la planche de l’Atlas environnemental du Saint-Laurent intitulée Des berges douces aux littoraux escarpés : les formes et la dynamique des rives du Saint-Laurent (Environnement Canada, 1992) préconisent l’utilisation des vocables suivants pour la zone intertidale dans les secteurs à marais littoraux : schorre supérieur, schorre inférieur, haute slikke et slikke.
Aspects généraux
Étendue
Le principal secteur du Saint-Laurent estuarien caractérisé par des marais intertidaux s’étend de Québec à Rimouski, sur la rive sud, et de Québec à Manicouagan, sur la rive nord, sur une distance respective d’environ 300 et 500 km (fig. 5). En se basant sur la salinité des eaux de l’estuaire, ce vaste territoire peut être subdivisé en deux. Le secteur d’eau douce et saumâtre en amont de Saint-Jean-Port-Joli comprend trois vastes complexes dans lesquels le schorre inférieur est dominé par le scirpe américain (Scirpus americanus) : celui de Cap-Tourmente et du chenal nord de l’île d’Orléans totalise 1 681 ha ou 17 km2 ; celui de l’archipel de Montmagny est d’une superficie de 1 125 ha ou 11 km2 ; et celui de Montmagny–Cap-Saint-Ignace, le plus petit, a une superficie d’environ 450 ha seulement (Gauthier et al., 1980). En raison de la salinité plus élevée dans la partie aval de ce secteur, le couvert végétal du schorre inférieur comprend à la fois du scirpe américain et de la spartine alterniflore.
Dans le secteur d’eau salée (>12 ‰), les principaux marais intertidaux de la rive sud sont ceux de La Pocatière–Rivière-Ouelle, de Kamouraska, d’Andréville, de Rivière-du-Loup, de Cacouna–Isle-Verte, de Trois-Pistoles, du Bic et de Rimouski, couvrant une superficie d’environ 1 845 ha ou 18 km2. En aval de Rimouski, les petits marais intertidaux de Pointe-au-Père, de baie de Mitis et des Capucins couvrent une superficie fort modeste : une centaine d’hectares au total.
Sur la rive nord, dans le secteur du moyen estuaire, les marais intertidaux occupent une faible superficie à Petite-Rivière, Baie-Saint-Paul et Saint-Joseph-de-la-Rive (Les Éboulements), avec environ 190 ha. Les plus vastes sont situés dans l’estuaire maritime, en aval de l’embouchure du Saguenay : Longue-Rive, Portneuf-sur-Mer, baie des Îlets à Jérémie et Pointe-aux-Outardes. Ils totalisent une superficie d’environ 1 100 ha ou 11 km2. Dans le secteur d’eau salée, le schorre inférieur est dominé par une seule espèce : Spartina alterniflora, mais à Petite-Rivière, on trouve à la fois de la spartine alterniflore et du scirpe américain.
Au total, la superficie des marais intertidaux entre Québec et Baie-Comeau, sur la rive nord, et entre Québec et Matane, sur la rive sud, est d’environ 8 900 ha ou 89 km2 (Gauthier et al., 1980). C’est peu, et beaucoup moins que dans les Maritimes (Scott et al., 1988), d’où la nécessité de mieux connaître ces milieux fragiles et de les protéger en raison de leur grande valeur écologique et économique (Reed et Moisan, 1971 ; Clark, 1974 ; Glooschenko et al., 1988 ; Allen et Pye, 1992).
Contexte géomorphologique
Les marais intertidaux du Saint-Laurent estuariens sont développés essentiellement dans des zones calmes ou protégées, la plupart du temps dans le fond de rentrants à pente faible (anse aux Canards, anse de Bellechasse, anse Verte), ou aux endroits où la batture est particulièrement large : Montmagny, La Pocatière, Kamouraska, Isle-Verte.
Dans les secteurs du moyen estuaire et de l’estuaire maritime, 85 à 90 % des marais intertidaux sont édifiés sur un substrat limono-argileux correspondant à une surface d’érosion taillée dans l’argile de la Mer de Goldthwait datée à plus de 10 000 BP, comme dans l’anse de Bellechasse, Montmagny, La Pocatière, Kamouraska, Rivière-du-Loup, Cacouna–Isle-Verte et Rimouski sur la rive sud, et à Longue-Rive et baie des Îlets à Jérémie, sur la rive nord. Ces surfaces, qui forment le substrat des marais intertidaux, ont été taillées lors de bas niveaux marins relatifs au cours de l’Holocène (Dionne, 1988, 2001a) et, dans la plupart des sites, elles sont encore en érosion. À de rares endroits, comme à Cap-Tourmente, le substrat n’est pas constitué par de l’argile de la Mer de Goldthwait, mais par des alluvions sablo-limoneuses relativement sèches et compactes d’âge inconnu, mais postérieures à 10 ka, et peut-être de l’Holocène moyen. Sur la Côte de Beaupré (Dionne, 2000), le schorre inférieur et, par endroits, le schorre supérieur, sont édifiés sur une surface rocheuse (plate-forme d’érosion), constituant un des éléments de la ligne de rivage Micmac (Dionne, 2002b). On trouve des lambeaux rocheux semblables entre l’île aux Grues et l’île aux Oies, à l’Islet-sur-Mer, à Saint-Jean-Port-Joli et à quelques autres endroits sur la rive sud.
Zonation de la batture
La zone intertidale où se sont développés les marais intertidaux comprend généralement trois sous-zones reconnues depuis longtemps (Prat, 1933) qui ont, par la suite, fait l’objet de précisions par différents auteurs (Dionne, 1972, 1986, 1990, 2000 ; Gauthier, 1978, 1982 ; Bertrand, 1984 ; Garneau, 1984 ; Environnement Canada, 1991, 1992). Dans le secteur aval de l’estuaire, c’est-à-dire là où l’eau est salée (>12 ‰), la zonation suivante prédomine (fig. 6). De la limite des basses mers vers la rive émergée, on observe une première zone dénudée, souvent caillouteuse, qui sert de support aux algues brunes (Fucus sp. et Ascophyllum sp.). Essentiellement limono-argileux, le substrat est, ici et là, recouvert de minces placages sableux, graveleux ou vaseux colonisés par des zostères (Zostera marina). Cette zone à pente faible, généralement la plus étendue de la batture, s’étend entre la limite des basses mers et le niveau moyen de la mer (zéro géodésique) ; elle représente souvent 40 à 60 % de la zone intertidale. Bien qu’elle corresponde à la zone occupée par la slikke dans la plupart des cas répertoriés sur les rives de l’estuaire (hormis dans le secteur du « bouchon vaseux »), elle est mieux définie par les vocables « bas estran » et « batture » que par celui de « slikke », car sa surface argileuse ne comporte à peu près aucun dépôt de vase.
Entre le niveau moyen de la mer et le niveau des hautes mers moyennes s’étend le schorre inférieur (low marsh), colonisé par une seule espèce (Spartina alterniflora) qui forme généralement un tapis continu relativement dense, mais où les tiges sont de hauteur faible à moyenne (10-30 cm). En raison de l’érosion glacielle, le tapis végétal est souvent déchiré et parsemé de mares ou marelles (Dionne, 1972). En général, cette zone a une très faible pente (0,01 %).
Au-dessus, du niveau des hautes mers moyennes jusqu’au niveau des plus hautes mers de vive-eau et de tempête, s’étend le schorre supérieur (high marsh). Il est de largeur variable selon les sites, mais souvent relativement étroit (<100 m) sur la rive sud en raison des empiétements ; sa surface, en pente faible, est colonisée par une grande variété d’espèces, dont la spartine étalée (Spartina patens), la salicorne (Salicornia europea), le scirpe maritime (Scirpus maritimus), le plantain maritime (Plantago maritima), le troscart maritime (Triglochin maritima), la glauce maritime (Glaux maritima), des carex, l’ansérine maritime (Sueda maritima) et plusieurs autres espèces selon la largeur et la hauteur du schorre supérieur (Gauthier, 1978 ; Garneau, 1984).
Dans l’estuaire maritime, les deux parties du schorre sont parfois séparées par une micro-falaise de 20 à 50 cm de hauteur, mais il arrive souvent que la transition entre les deux schorres se fasse par une rampe inclinée de quelques mètres de largeur. Dans quelques localités de la rive sud où les schorres naturels sont bien développés, comme à L’Isle-Verte, on peut distinguer une zone intermédiaire (le schorre moyen) entre le schorre inférieur et le schorre supérieur (Dionne, 1972 ; Gauthier, 1978 ; Bertrand, 1984 ; Garneau, 1984). C’est généralement la zone la plus affectée par l’activité glacielle (Dionne, 1972, 1989).
Dans le secteur amont du moyen estuaire, là où l’eau est légèrement saumâtre (salinité de 1 à 3 ‰) ou douce, la zonation de la batture est la suivante (fig. 7) (Lacoursière et Grandtner, 1971 ; Gauthier, 1972 ; Dionne, 1987 ; Dionne et Garneau, 2000 ; Dionne, 2002c).
De la limite des plus basses mers jusqu’au niveau moyen de la mer s’étend la vasière ou la slikke, une zone dénudée, vaseuse en surface, mais dont le substrat est généralement limono-argileux. À Montmagny, à l’archipel de Montmagny et à Cap-Tourmente, cette zone mesure entre 500 et 1 500 m de largeur.
Du niveau moyen de la mer jusqu’au niveau moyen des hautes mers ordinaires, s’étend le schorre inférieur, dominé par le scirpe américain (Scirpus americanus) et quelques autres espèces, dont des sagittaires (Sagittaria rigida, S. cuneata, S. latifolia), la zizanie (Zizania aquatica) et le scirpe vigoureux (Scirpus validus), qui forment des îlots verts foncés. En été, le couvert végétal est dense dans l’ensemble du schorre inférieur alors qu’il disparaît presque complètement à l’automne (octobre), pour réapparaître progressivement vers la mi-mai et atteindre une hauteur moyenne de 50 à 100 cm en juillet-août. À Montmagny, cependant, le tapis végétal à scirpes courts (10-15 cm) subsiste à l’année longue sur le replat à la limite externe du schorre inférieur.
Le schorre supérieur est situé entre le niveau des hautes mers ordinaires et le niveau maximal des marées de vive-eau et des tempêtes. À l’instar du schorre supérieur dans le secteur de l’estuaire maritime, le couvert végétal est diversifié et comprend plusieurs espèces (Gauthier, 1972), dont Scirpus fluviatilis, S. validus, Juncus balticus, Spartina pectinata, Sium suave, Deschampsia coespitosa, Butonus umbellatum et, dans la partie arrière humide, Phragmites communis, Typha latifolia et parfois Equisitum littoralis. À Montmagny, au printemps (mai-juin), un iris jaune et le populage des marais (Caltha palustris) égaient le tapis végétal permanent.
Dans la plupart des sites du moyen estuaire, le schorre supérieur est séparé du schorre inférieur par une micro-falaise de 50 à 200 cm de hauteur ; c’est le cas notamment à Sainte-Anne-de-Beaupré, à Cap-Tourmente, à Montmagny, aux Îles aux Grues et aux Oies et à Saint-Joseph-de-la-Rive (Dionne, 1986 ; Troude, 1986 ; Quilliam et Allard, 1989 ; Dionne, 2000 ; Dionne et Bouchard, 2000).
Caractéristiques des schorres supérieurs, âge et taux d’accrétion verticale
La présence d’une micro-falaise entaillant le schorre supérieur dans plusieurs sites du Saint-Laurent estuarien a permis de connaître leur composition. En général, on observe trois faciès sédimentaires superposés correspondant aux trois zones intertidales décrites plus haut (fig. 8). À la base (unité 1), un dépôt de limon sableux ou argileux, gris pâle, de type laminé, souvent déformé (petits plis, involutions), dépourvu de débris végétaux en place et contenant peu de débris organiques transportés, correspond à un faciès de slikke ; dans l’estuaire maritime, ce faciès est souvent absent ou est remplacé par une mince couche (5-10 cm) de sable et gravier et parfois par des dallages de cailloux (Bélanger, 1993 ; Dionne, 1999). Ce dépôt intertidal repose sur un substrat argileux (argile de la Mer de Goldthwait). L’unité 1 est surmontée par un dépôt vaseux (limon-sable fin), laminé, contenant des débris de plantes en place (racines, rhizomes et tiges de scirpe américain ou de spartine alterniflore selon le secteur). Cette unité (unité 2) correspond à un faciès de schorre inférieur. En surface (unité 3), on observe une couche relativement compacte, composée en grande partie de débris végétaux en place infiltrés de vase, qui correspond à un faciès de schorre supérieur. Bien que l’épaisseur de ces trois unités varie d’un site à l’autre, l’unité 2 est généralement la plus épaisse.
Le schorre supérieur à Sainte-Anne-de-Beaupré
À Sainte-Anne-de-Beaupré (SAB), sur une distance d’environ 4 km, le schorre supérieur est entaillé par une micro-falaise de 75 à 200 cm de hauteur (Dionne, 2000), ce qui permet d’analyser en détail les dépôts dont il est constitué. À la base (unité 1), est exposée une couche de limon sableux gris pâle de 10 à 20 cm d’épaisseur, relativement compacte, souvent déformée, dépourvue de débris végétaux en place mais contenant parfois, en faible quantité, des débris ligneux transportés et quelques cailloux (fig. 9). Nous ignorons l’épaisseur maximale de ce dépôt qui, par endroits, excède 35-40 cm. Il s’agit d’un dépôt de slikke identique au faciès sédimentaire actuel de la partie inférieure de la batture. Dans le secteur central, sur environ 2 km de longueur, ce dépôt fin repose directement sur une plate-forme rocheuse (fig. 10). Dans ce cas, l’épaisseur de l’unité 1 n’excède pas 20 cm. Au-dessus de cette unité, prend place le dépôt principal constitué de vase (limon sableux de type laminé), contenant des débris de plantes en place, d’une épaisseur comprise entre 60 et 100 cm. On y observe fréquemment des déformations ainsi que des structures sédimentaires glacielles (Dionne, 1998b), des galets et des blocs glaciels, ainsi que des inclusions diverses de débris organiques dont des morceaux de bois flottés et des coquillages (pélécypodes et gastéropodes d’eau douce). Cette deuxième unité correspond à un faciès de schorre inférieur à scirpe américain. En surface, la troisième unité, de 30 à 50 cm d’épaisseur, est constituée en grande partie de débris végétaux infiltrés de vase et correspond à un faciès de schorre supérieur. On y observe souvent des cailloux, dont des petits blocs (35-40 cm), et parfois des débris anthropiques.
Micro-falaise du schorre supérieur à Sainte-Anne-de-Beaupré et à Montmagny montrant les trois unités sédimentaires superposées constituant le schorre supérieur : a. faciès de slikke ; b. faciès de schorre inférieur ; et c. faciès de schorre supérieur. (3.11.94 et 30.10.98)
High marsh micro-cliff at Sainte-Anne-de-Beaupré and Montmagny showing the three sedimentary superposed units forming the high marsh: a. mud flat facies; b. low marsh facies; and c. high marsh facies. (94.11.3 and 98.10.30)
À SAB, la surface du schorre supérieur continue de s’accroître verticalement grâce aux apports des marées hautes de vive-eau en raison de la forte turbidité de l’eau dans ce secteur. De même, les apports de vase en hiver sont retenus dans le couvert de glace, qui fond en grande partie sur place et contribue alors à l’accrétion verticale de la surface. Ainsi, bien que le schorre supérieur à SAB recule latéralement à un taux moyen de 100 cm/an (Dionne, 2000), sa surface continue de s’accroître verticalement.
Âge des unités
L’unité 1 (faciès de slikke) à la base de la séquence sédimentaire du schorre supérieur, exposée dans la micro-falaise à SAB, a un âge au 14C compris entre 460 ± 70 BP (UL-976) et 840 ± 70 BP (UL-1432) avec une médiane (n-14) de 600 ± 50 BP (UL-1493) (tabl. I). L’unité 2 (faciès de schorre inférieur et unité centrale et principale du schorre supérieur) a un âge compris entre 150 ± 50 BP (Beta-59785) et 440 ± 70 BP (UL-1451) avec une médiane (n-19) de 270 ± 80 BP (UL-1137). Quant à l’unité 3 (faciès de schorre supérieur), son âge va de 130 ± 60 BP (UL-993) à aujourd’hui puisque sa surface est encore en accrétion verticale, donc moderne.
Taux d’accrétion verticale
Le taux moyen d’accrétion verticale du schorre supérieur à SAB a été calculé à partir des dates au 14C des unités composant le schorre, mais principalement sur l’unité 2 correspondant au faciès de schorre inférieur. Compte tenu du fait qu’on ne connaît pas l’épaisseur réelle de cette unité en dehors du secteur où le dépôt à faciès de slikke repose sur la plate-forme rocheuse, il est difficile de calculer un taux d’accrétion verticale pour cette unité. L’estimation faite ne tient pas compte du degré de compaction des trois unités. Cette dernière est très faible dans l’unité 3, en grande partie composée de racines et de tiges de plantes infiltrées de vase ; elle est supérieure dans l’unité 2, très majoritairement minérale, mais sans être très importante. L’unité 1, à la base, est la plus compacte des trois. En conséquence, les taux d’accrétion verticale calculés à partir des dates au 14C par rapport à la profondeur des échantillons sont sans doute légèrement plus faibles que les taux réels.
Pour la partie supérieure de l’unité 1, dont l’épaisseur visible est de 10 à 20 cm à la base de la micro-falaise, les 14 dates au 14C obtenues sur des morceaux de bois flottés sont comprises entre 460 et 840 BP, ce qui donne une durée de 380 ans pour la mise en place de 20 cm de vase. Le taux moyen d’accrétion verticale aurait donc été de 0,5 mm par année. Toutefois, en tenant compte de la compaction — c’est l’unité la plus compacte — le taux réel d’accrétion verticale aurait été légèrement supérieur mais n’aurait pas excédé de 1 mm/an.
L’unité 2, à faciès de schorre inférieur, constitue l’unité principale de la séquence verticale du schorre supérieur ; elle a été datée de 130 à 440 BP (21 dates au 14C). La différence d’âge entre le maximum et le minimum étant de 310 ans, on obtient un âge moyen de 258 et une médiane de 270 BP. Dans les secteurs où l’on a récolté des matériaux datables (bois et coquillages), cette unité a une épaisseur comprise entre 90 et 110 cm. Si on considère que cette unité a requis 310 ans pour se mettre en place, on obtient un taux moyen d’accrétion verticale de 2,9 à 3,5 mm/an.
L’épaisseur de l’unité 3 étant de 40 à 50 cm et sa mise en place s’étalant entre 130 BP et aujourd’hui, le taux moyen d’accrétion verticale pour cette unité serait de 2,0 à 2,5 mm/an.
Bref, le taux d’accrétion verticale semble avoir varié légèrement selon les unités, comme cela se produit de nos jours. Le taux moyen d’édification du schorre supérieur (unités 2 et 3) à SAB aurait donc été d’environ 3 mm/an. Ce taux est comparable à celui obtenu avec les trois dates au 14C sur trois morceaux de bois récoltés à 200 cm de profondeur (2,38, 2,44 et 2,8 mm/an).
Le schorre supérieur à Montmagny
Situé dans le secteur du bouchon vaseux, le schorre supérieur de Montmagny est constitué des mêmes unités que celui de SAB. À cet endroit, la hauteur de la micro-falaise du schorre supérieur varie de 40 à 175 cm. Dans le secteur à l’est de la rivière du Sud, là où la micro-falaise mesure entre 100 et 180 cm de hauteur, le schorre supérieur (fig. 11) comprend trois unités sédimentaires. À la base, l’unité 1 est un dépôt de limon sableux (vase) gris pâle à moyen, laminé, relativement compact, souvent déformé (Dionne, 1998b), dépourvu de débris de plantes en place mais contenant une faible quantité de débris organiques transportés ainsi que de rares cailloux, du moins, dans les 10 à 30 cm exposés au pied de la micro-falaise. Ce dépôt possède les caractéristiques de la slikke que l’on trouve actuellement dans la zone entre le niveau moyen de la mer et celui des basses mers de vive-eau, c’est-à-dire entre zéro et 2,8 m hydrographique. On y trouve parfois de rares morceaux de bois ou des coquillages d’eau douce : gastéropodes (Fossaria modicella) et pélécypodes (Ellipsio complanata, E. dilitata, Lampsilis radiata). Le contact avec l’unité sus-jacente est progressif, mais généralement net.
Au-dessus de l’unité 1, on observe un dépôt vaseux (limon sableux) gris moyen, laminé, contenant beaucoup de débris de plantes en place (principalement du scirpe américain), de rares cailloux glaciels et quelques mollusques d’eau douce. Son épaisseur varie de 70 à 100 cm. L’unité 2 est un faciès typique de schorre inférieur semblable à celui de la batture actuelle dans la zone située entre le niveau moyen de la mer (2,8 m, équivalent au zéro géodésique) et le niveau moyen des hautes mers ordinaires, correspondant au pied de la micro-falaise, qu’atteint la marée environ deux heures avant la pleine mer.
La partie sommitale du schorre supérieur est formée d’une troisième unité, de 40 à 50 cm d’épaisseur, composée de débris de plantes en place (racines, tiges, rhizomes) formant un chevelu dense infiltré de vase, et parfois, de sable et de petits graviers ; le tout est de couleur foncée lorsque humide. C’est un faciès de schorre supérieur typique. Souvent, le contact entre les unités 2 et 3 est net et souligné par la présence de divers débris organiques transportés, dont des morceaux de bois et des objets anthropiques. Plus résistante à l’érosion, cette couche forme des encorbellements qui se fragmentent en radeaux de plusieurs décimètres à plus d’un mètre (fig. 12) et qui parsèment le pied de la micro-falaise avant d’être érodés sur place ou, plus souvent, évacués par les glaces et les courants de marée. Contrairement à ce qui se passe à SAB, la surface du schorre supérieur à MON, du moins dans le secteur à l’est de la rivière du Sud, reçoit actuellement très peu d’apports sédimentaires, sinon des débris organiques formant des laisses de marée importantes à la limite des plus hautes mers de vive-eau (˜6 m hydrographique), et ne s’accroît à peu près plus verticalement. L’érosion latérale prédomine nettement, avec un recul moyen de la micro-falaise de 170 cm par an (Dionne et Bouchard, 2000).
Âge des unités
Plus d’une trentaine de dates au 14C (tabl. II) ont été obtenues sur des débris organiques (surtout du bois) et des coquillages, ce qui donne un aperçu général de l’âge des trois unités lithostratigraphiques exposées dans la micro-falaise du schorre supérieur.
L’unité 1, basale, a un âge compris entre 460 ± 50 BP (TO-9241) et 950 ± 60 BP (UL-1513) avec une médiane (n-8) de 670 ± 60 BP (Beta-28371) sur des coquillages (petits gastéropodes d’eau douce) et de 540 ± 70 BP (UL-966) sur un fragment de bois. Durant la mise en place de l’unité 1, la base du schorre supérieur actuel faisait partie de la zone actuellement occupée par la slikke, soit le niveau compris entre celui des basses mers et le niveau moyen de la mer. Ce dépôt ancien se trouve maintenant à environ 100-125 cm au-dessus du niveau moyen actuel de la slikke.
L’âge de l’unité 2 va de 140 ± 50 BP (Beta-52642) à 370 ± 70 BP (Beta-52641), pour un âge médian (n-10) de 210 ± 50 BP (UL-322) et un âge moyen d’environ 220 BP. La mise en place de l’unité 2 s’est donc étendue sur une période de 230 ans environ. Ce dépôt intertidal à faciès de schorre inférieur se trouve maintenant entre 100 et 125 cm au-dessus du niveau moyen du schorre inférieur actuel. De même que pour la slikke, la différence de niveau entre le schorre inférieur actuel et l’unité correspondante dans la micro-falaise du schorre supérieur peut être liée, d’une part, à l’émersion des terres à un taux moyen annuel d’environ 5 mm/an et, d’autre part, à l’érosion verticale de la surface de la batture et à l’érosion latérale du schorre supérieur.
Sur les onze dates au 14C relatives à l’unité 3, deux ont donné un âge moderne. Les autres âges obtenus vont de 10 ± 60 BP (UL-2148) à 110 ± 60 BP (Beta-24655) avec une médiane (n-9) de 40 ± 50 BP (Beta-32322). L’unité 3 a donc commencé à être mise en place il y a un siècle et demi, la hauteur de l’ancien schorre inférieur étant suffisante, à cette époque, pour permettre l’édification du schorre supérieur. Actuellement, dans le secteur est, à Montmagny, la surface du schorre supérieur semble ne plus s’accroître verticalement, alors que la micro-falaise recule à un taux moyen annuel de 160 cm (Dionne et Bouchard, 2000).
En se basant sur les dates au 14C des unités 2 et 3, l’âge médian (n-18) du schorre supérieur à MON serait d’environ 300 ± 80 BP (UL-985), âge comparable à celui du schorre supérieur à SAB.
Âge du schorre inférieur et de la slikke actuelle
Des tranchées pratiquées dans la zone du schorre inférieur actuel et dans celle de la slikke ont permis de récolter des débris ligneux (bois et plantes) qui ont pu être datés au 14C (fig. 13-14). Les quatre dates obtenues pour le schorre inférieur (tabl. III) sont comprises entre 580 ± 50 BP (UQ-715) et 840 ± 50 BP (UQ-716). Un âge de 750 ± 120 BP (UQ-976) a été obtenu sur des débris de plantes (scirpe) à la base du schorre inférieur actuel. Par ailleurs, un morceau de bois (branche) récolté à la base de la slikke, à 65 cm de profondeur, au contact avec le substrat argileux, a donné un âge 14C de 990 ± 60 BP (UQ-978), alors qu’un autre à 35 cm a été daté à 400 ± 50 BP (Beta-31396) (Dionne, 1998a).
Taux d’accrétion verticale
Le taux d’accrétion verticale de l’unité 1 à faciès de slikke, à la base de la micro-falaise du schorre supérieur, peut difficilement être estimé puisqu’on ne connaît pas l’épaisseur de cette unité au-dessus du substrat argileux.
L’unité 2 à faciès de schorre inférieur dans la micro-falaise du schorre supérieur a un âge radiocarbone compris entre 140 et 370 BP. Sa mise en place a donc duré 230 ans environ. L’épaisseur de cette unité étant de 70 à 100 cm, on obtient un taux moyen d’accrétion verticale de 3,0 à 4,3 mm par an. Si on calcule le taux d’accrétion verticale de l’unité 2, à partir de l’âge radiocarbone et de la profondeur des éléments datés, on obtient un taux moyen de 2,2 mm/an.
L’unité 3 à faciès de schorre supérieur ayant une épaisseur de 40 à 50 cm et un âge maximal de 110 BP, le taux d’accrétion verticale serait alors de 2,5 à 3,1 mm/an. À Montmagny, le taux moyen d’accrétion verticale de la surface du schorre aurait donc été de 2,5 à 3,0 mm/an.
À partir des dates au 14C disponibles, on peut difficilement évaluer le taux moyen à long terme d’accrétion verticale de la slikke et du schorre inférieur actuel, car la surface de la batture est en érosion depuis au moins deux décennies. De plus, affectée chaque année par l’affouillement glaciel, cette zone est fortement perturbée (Dionne, 1971). Néanmoins, si on se base sur les données recueillies au début de la décennie de 1980, le taux moyen d’accrétion verticale du schorre inférieur et de la slikke aurait été respectivement de 1,26 mm et de 0,77 mm/an seulement. Ces taux sont donc inférieurs à ceux calculés à partir des unités sédimentaires exposées dans la micro-falaise et confirment l’abaissement par érosion verticale de la surface de la batture au cours des dernières décennies.
Le schorre supérieur à Rivière-du-Loup
À Rivière-du-Loup, le schorre supérieur situé à l’ouest de la rivière, le plus vaste du Bas-Saint-Laurent après celui de L’Isle-Verte, est en érosion depuis plus de deux décennies. Durant les années 1980, la micro-falaise a reculé à un taux moyen annuel de 50 cm à 3 m (Dionne, 1986 ; Denis, 1987) et l’érosion s’est poursuivie par la suite. Une micro-falaise de 75 à 175 cm caractérise l’ensemble du secteur. Mesurant entre 500 et 1 000 m de largeur, la batture comprend quatre zones (Dionne, 1990, 2002d). De la limite des basses mers vers l’intérieur, on trouve successivement un bas estran vaseux (slikke) dénudé à blocs glaciels épars colonisés par des Fucus sp. ; c’est la zone la plus large. Suit une zone vaseuse étroite à îlots de spartine alterniflore (haute slikke), puis une zone vaseuse caillouteuse de 50 à 150 m de largeur, couverte d’un tapis de spartine alterniflore relativement dense et continu (schorre inférieur), comprise entre le niveau moyen de la mer (2,65 m) et le pied de la micro-falaise du schorre supérieur en voie d’érosion ; submergée seulement lors des marées de vive-eau, la surface de ce dernier correspond à la quatrième zone. En raison de l’érosion sévère qui sévit depuis plus de 20 ans, la largeur du schorre supérieur a diminué considérablement. Dans le secteur sud-ouest, en bordure de l’autoroute, la largeur actuelle du schorre supérieur a été réduite, par endroits, à 5-10 m, alors que dans le grand pédoncule, l’ancien schorre supérieur, jadis émergé mais aujourd’hui affecté par l’érosion latérale, mesure encore quelques centaines de mètres de largeur.
Le substrat de la batture est argileux (argile de la Mer de Goldthwait datée de >10 ka); dans les zones du schorre inférieur et de la slikke, l’épaisseur de la vase au-dessus du substrat argileux atteint entre 10 et 30 cm, alors que la vase fraîche excède rarement 30 à 40 cm en période estivale.
Une coupe verticale dans le secteur sud-ouest (fig. 15) montre, à la base de la micro-falaise (unité 1), le substrat argileux qui correspond à une surface d’érosion datée de 6,6 à 7 ka, c’est-à-dire l’âge du bas niveau marin de l’Holocène moyen (Dionne, 1990, 2002d). Au-dessus, l’unité 2, d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, est un dépôt intertidal vaseux (limon-argileux), laminé, contenant des myes en position de vie (Mya arenaria) datées à 5700 ± 90 BP (Beta-25788) et 5680 ± 90 BP (UL-180). Cette mince unité est un résidu du dépôt transgressif mis en place lors de la transgression laurentienne (Dionne, 1988, 2001a). L’unité 3, de 80-90 cm d’épaisseur, constitue l’unité principale du schorre supérieur. Elle est composée essentiellement de vase laminée et contient des débris de plantes relativement abondants, principalement des tiges et racines de spartine (Spartina alterniflora), et de rares fragments de bois, dont l’un a donné un âge au 14C de 290 ± 90 BP (UQ-808). Il s’agit d’un faciès de schorre inférieur semblable à celui de la batture actuelle, en contrebas du schorre supérieur. À la partie sommitale de la micro-falaise, on observe une quatrième unité formant une couche compacte de 35-40 cm d’épaisseur composée d’abondants débris de plantes infiltrées de limon. Par endroits, le contact entre les unités 3 et 4 est souligné par la présence de matériel ligneux transporté (laisse de marée). Bien que l’unité 4, un faciès typique de schorre supérieur, n’ait pas été datée, sa mise en place a vraisemblablement eu lieu au cours du dernier siècle.
La figure 16 illustre une coupe verticale généralisée pour la partie nord du pédoncule. L’unité 1 (substrat argileux) n’est pas visible au pied de la micro-falaise qui mesure 180 cm de hauteur. Au-dessus, l’unité 2 est constituée d’une séquence sablo-graveleuse et de débris organiques abondants, de 45 cm à plus d’un mètre d’épaisseur, datés de 6,2 à 7,1 ka. Ce dépôt complexe a été mis en place dans un chenal creusé dans le substrat argileux lors du bas niveau marin qui a précédé la transgression de l’Holocène moyen (Dionne, 1990, 2002d). L’unité 3, de 35 à 60 cm d’épaisseur, est exposée à la base de la micro-falaise. Elle est constituée de limon gris et de sable très fin laminé et contient parfois des coquillages en place (Macoma balthica et Mya arenaria), qui ont été datés de 710 ± 60 BP (Beta-31627), 720 ± 75 BP (Beta-24669) et 920 ± 110 BP (Beta-31078). Ce dépôt correspond à un faciès de slikke. Il existe donc une discontinuité chronologique importante entre les unités 2 et 3. Quoi qu’il en soit, l’unité 3 constituant la base du schorre supérieur correspond à la zone de la slikke actuelle retrouvée en dessous du niveau moyen de la mer (2,65 m). La partie principale de la falaise (unité 4) est constituée d’un dépôt de vase (limon sableux) stratifiée en lits minces, d’une épaisseur comprise entre 100 et 120 cm, contenant d’abondants débris de plantes (racines, tiges, etc.), des bouts de bois et, dans la partie supérieure, divers débris anthropiques. Deux fragments de bois, dont une branche de sapin (Abies balsamea), ont donné des âges au 14C respectifs de 280 ± 80 BP (UL-332) et 290 ± 60 BP (UL-161).
Au sommet de la micro-falaise, on trouve une couche (unité 5) d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, de couleur brunâtre, contenant davantage de débris de plantes en place que l’unité 4. Cette couche correspond à un faciès de schorre supérieur. À l’extrémité septentrionale de la péninsule, en raison de l’érosion qui a fait reculer le schorre supérieur, l’unité 5 est constituée du chevelu racinaire d’une colonie de phragmites (Phragmites communis), espèce d’eau douce qui croît généralement dans la partie arrière humide du schorre supérieur, c’est-à-dire dans la partie qui n’est plus, ou très rarement, atteinte par les marées de vive-eau exceptionnelles associées à des tempêtes. Ceci témoigne d’un recul important du schorre supérieur, la micro-falaise étant maintenant taillée dans l’ancien schorre supérieur.
Âge des unités
Comme cela a déjà été mentionné, le substrat de la batture et du schorre à Rivière-du-Loup est constitué d’argile mise en place dans la Mer de Goldthwait il y a plus de 10 000 BP. Toutefois, le schorre supérieur repose rarement directement sur l’argile. Le substrat argileux sous le schorre supérieur correspond à une surface d’érosion datée à 6,6-6,7 ka qui est recouverte d’un dépôt intertidal daté à 5,6-5,7 ka dans le secteur sud-ouest, alors que dans la partie septentrionale, au nord-est, les coupes levées ont révélé l’existence d’un chenal remblayé, creusé dans la surface argileuse et contenant d’abondants débris organiques datés de 6,2 à 7,1 ka BP (n-8) (Dionne, 1990, 2002d). Le dépôt intertidal à faciès de slikke à la base de la micro-falaise du schorre inférieur a été daté de 720 ± 75 BP à 920 ± 100 BP sur des coquillages en position de vie, alors que l’unité intertidale correspondant au schorre inférieur a été datée à 280 ± 60 BP (tabl. IV). Il existe donc un intervalle important (>5000 ans) entre les unités 2 et 3 des coupes et les unités 3 et 4 (400 à 600 ans) de la coupe située à l’extrémité septentrionale du pédoncule. Quant à l’unité de surface à faciès de schorre supérieur, elle a été édifiée entre environ 120 BP et aujourd’hui.
En résumé, la partie superficielle du schorre supérieur a été édifiée au cours du siècle dernier, alors que l’unité sous-jacente correspondant au schorre inférieur a été mise en place entre 300 et 120 BP environ.
Taux d’accrétion verticale
Si on utilise la date de 710 ± 70 BP (Beta-31627) pour dater la surface de la slikke à la base du schorre supérieur et que l’on considère l’épaisseur maximale des sédiments intertidaux situés au-dessus (140 cm), on obtient un taux moyen d’accrétion verticale de 2 mm/an. Par contre, si on se base plutôt sur les quatre dates au 14C de l’unité 3 et sur la profondeur des échantillons datés, le taux moyen d’accrétion verticale aurait été de 3,5 mm/an.
Le schorre supérieur à Rivière-des-Caps
Un fossé de drainage creusé dans le schorre supérieur et dans l’ancien schorre nous a permis, en 1989, de récolter du matériel permettant de dater la base et l’unité intertidale correspondant au schorre inférieur à Rivière-des-Caps, localité située entre Le Portage et Andréville (69o 39' 20" O, 47o 43' 45" N). La figure 17 illustre les unités observées à la marge externe du schorre supérieur où l’on a construit un aboiteau, il y a plusieurs dizaines d’années, pour récupérer cet espace à des fins agricoles.
Nature et âge des unités
À la base (unité 1), vers 100 cm de profondeur, on trouve le substrat argileux avec un dallage de cailloux, comme dans le secteur sud-ouest à Rivière-du-Loup. L’argile marine est surmontée d’une couche de 20 cm de limon argileux et sableux laminé (unité 2) contenant des macomes balthiques (Macoma balthica), de petites myes (Mya arenaria) et quelques petits gastéropodes. Ce dépôt correspond à un faciès de slikke. Une date au 14C de 720 ± 70 BP (Beta-32060) a été obtenue sur des Macoma balthica. De 60 cm d’épaisseur, l’unité 3 au-dessus est composée de limon sableux stratifié en lits minces donnant une apparence laminée au dépôt. Elle contient des débris de plantes en place dont l’abondance augmente vers le haut et correspond à un faciès de schorre inférieur. Deux bouts de bois respectivement vers 70 et 30 cm de profondeur ont donné des âges respectifs de 300 ± 70 BP (UL-678) et de 190 ± 50 BP (Beta-32032). En surface, la quatrième unité, d’une vingtaine de centimètre d’épaisseur, plus organique et non datée, correspond à un faciès de schorre supérieur.
À Rivière-des-Caps, l’âge du schorre basé sur l’unité 3 correspondant à un faciès de schorre inférieur est donc semblable à celui du schorre de Rivière-du-Loup, situé à une quinzaine de kilomètres au nord-est.
Taux d’accrétion verticale
Le faciès de slikke ayant été daté à 720 ± 70 BP (Beta-32060), comme à Rivière-du-Loup, et l’épaisseur totale des sédiments intertidaux (faciès de schorre inférieur et supérieur) étant de 80 cm, le taux moyen d’accrétion verticale à long terme est estimé à 1,11 mm/an.
Le taux d’accrétion du dépôt à faciès de schorre inférieur peut être estimé à partir de deux dates. Celle de 300 ± 70 BP (UL-678) a été obtenue sur un morceau de bois trouvé à 70 cm de profondeur, c’est-à-dire à 10 cm au-dessus du dépôt à faciès de slikke daté à 720 BP. La différence d’âge est donc de 420 ans, ce qui donne un taux moyen d’accrétion verticale de 0,2 mm/an pour le début du schorre inférieur. La deuxième date au 14C de 190 ± 50 BP (Beta-32062) a été obtenue sur des débris végétaux à 30 cm de profondeur. L’espacement entre les deux est de 40 cm et la différence d’âge, de 110 ans, ce qui donne un taux moyen d’accrétion verticale de 3,6 mm/an. Ainsi, le faible taux moyen d’accrétion verticale au début de la formation de l’unité 3 (faciès de schorre inférieur), aurait augmenté progressivement par la suite. Quoi qu’il en soit, l’édification du schorre comprenant les trois faciès a vraisemblablement pris plus de 700 ans, à un taux moyen de 1,11 mm/an.
Autres schorres supérieurs
Une quinzaine d’autres schorres sur les rives nord et sud du Saint-Laurent estuarien ont fait l’objet de diverses recherches. Le tableau IV indique les dates au 14C obtenues. Il est difficile, cependant, d’estimer l’âge réel de la plupart d’entre eux faute d’informations suffisantes sur la stratigraphie et compte tenu du petit nombre de dates au 14C disponibles. Nous présentons néanmoins ces données afin de fournir un aperçu général.
Schorres de la rive sud
Anse de Bellechasse
Dans l’anse de Bellechasse (70o 46' 30" 0, 46o 54' 10" N), les résidus d’un schorre ancien environ situé au niveau moyen de la mer (2,9 m) ont été signalés récemment (Dionne, 2001b). Les dates au 14C obtenues sur des troncs d’arbres et des débris ligneux vont de 210 ± 60 BP (UL-2021) à 780 ± 90 BP (UL-1842), avec une médiane de 540 ± 90 BP (UL-2010).
À cet endroit, ne subsistent, au pied de la falaise morte, au front de la terrasse de 10 m, que quelques lambeaux de schorre supérieur pour lesquels on ne dispose d’aucune date au 14C, alors que le schorre inférieur à scirpe américain occupe toute la zone sise au-dessus du niveau moyen de la mer (Dionne, 1997).
Si les débris ligneux datés appartiennent bien à un ancien schorre supérieur, l’âge médian de ce dernier serait d’environ 500 ans. Cet âge correspond à celui d’autres schorres du Saint-Laurent estuarien, mais diffère de ceux de Sainte-Anne-de-Beaupré, de Montmagny, de Rivière-du-Loup et de Rivière-des-Caps. En raison du caractère relictuel du schorre, les données disponibles ne permettent pas d’évaluer le taux moyen d’accrétion verticale dans l’anse de Bellechasse.
Île aux Grues–Île aux Oies
Les îles aux Grues et aux Oies, dans l’archipel de Montmagny (70o 31' 10" O, 47o 05' 25" N), sont reliées par un large pédoncule correspondant à un schorre supérieur arrivé à maturité et en voie d’érosion du côté sud, où la micro-falaise excède parfois 2 m de hauteur. La seule date au 14C disponible, 790 ± 50 BP (Beta-58208), provient d’un fragment de bois récolté à 110 cm de profondeur dans l’unité correspondant à un faciès de schorre inférieur. Cette date est semblable à celles obtenues sur d’anciens schorres, notamment à La Pocatière et à Kamouraska. En se basant sur cette unique datation, le taux moyen d’accrétion verticale aurait été de 1,4 mm/an.
La Pocatière
À La Pocatière, la vaste basse terrasse, au sud de l’autoroute et à l’est de la ville (70o 02' O, 47o 23' N), est en réalité un ancien schorre constitué d’un dépôt intertidal à faciès de schorre inférieur de 1,5 à 2 m d’épaisseur reposant sur un dépôt vaseux de slikke. Les trois dates au 14C obtenues sur du bois et des coquillages concernent la moitié inférieure de l’unité à faciès de schorre inférieur : 730 ± 60 BP (Beta-45273), 830 ± 70 BP (Beta-44574) et 860 ± 50 BP (UL-290). Rappelons, en passant, que le secteur concerné est, de nos jours, situé au-dessus du niveau des hautes mers de vive-eau. Il s’agit bien d’un schorre plus ancien que celui situé du côté nord de l’autoroute 20. Compte tenu de l’âge des échantillons et de leur profondeur par rapport à la surface, le taux moyen d’accrétion verticale à La Pocatière aurait été d’environ 1,4 mm/an.
Rivière-Ouelle
À Rivière-Ouelle, la basse terrasse située du côté nord de l’autoroute et du côté gauche de la rivière (70o 02' O, 47o 25' N) correspond aussi à un ancien schorre supérieur endigué il y a quelques dizaines d’années. Plusieurs morceaux de bois ont été récoltés dans des fossés de drainage exposant des sédiments intertidaux à faciès de schorre inférieur. Les quatre dates au 14C obtenues, 140 ± 80 BP (UL-443), 270 ± 50 BP (Beta-24668), 270 ± 60 BP (UL-444) et 310 ± 50 BP (Beta-24667), indiquent que l’âge de ce schorre est semblable à celui de SAB, MON, Rivière-du-Loup et Rivière-des-Caps. Le taux moyen d’accrétion verticale à cet endroit aurait été de 2,7 mm/an.
Baie de Kamouraska
Six dates au 14C renseignent sur l’âge du vaste schorre de la baie de Kamouraska, notamment celui du secteur ouest (69o 55' O, 47o 31' 30" N) et celui de Saint-Germain (69o 47' 05" O, 47o 36' 20" N). Trois d’entre elles, obtenues sur du bois et des coquillages proviennent de la partie émergée sise derrière l’aboiteau : 690 ± 60 BP (UL-282), 780 ± 70 BP (QU-1381) et 840 ± 60 BP (UL-281) ; elles datent la base du schorre supérieur. Une quatrième date au 14C, 570 ± 70 BP (QU-1380) indique l’âge de la base du schorre du côté nord de l’aboiteau (tabl. IV), alors que deux autres dates concernent le faciès de schorre inférieur entre 50 et 70 cm de profondeur : 420 ± 80 BP (UQ-472) et 490 ± 80 BP (UQ-486) (Dubé, 1982). L’âge du bas estran (couche de sable, gravier et cailloux) entre le substrat argileux et l’unité correspondant au schorre inférieur obtenu sur des coquillages est de 1100 ± 115 BP (GX-8961) dans le secteur près du dernier aboiteau, alors que dans la partie arrière de l’ancien schorre près de la Nationale 132, cette couche a donné un âge au 14C de 1775 ± 145 BP (GX-9104) (Champagne et al., 1983).
La première série de dates est comparable à celles obtenues pour l’ancien schorre à La Pocatière et à l’Île-aux-Grues, alors que les dates de 400 à 500 BP rappellent celles obtenues sur le schorre à Cap-Tourmente.
Selon Champagne et al. (1983), le taux moyen d’accrétion verticale pour l’édification du schorre supérieur serait compris entre 1,6 et 2,2 mm/an. En prenant en considération les six dates au 14C disponibles, le taux moyen d’accrétion verticale du schorre serait de 1,6 mm. Par contre, si on se base sur les deux dates concernant la couche sablo-graveleuse à la base du schorre, le taux s’abaisse à 1,3 mm/an. Ce taux est donc voisin de celui mesuré dans certains secteurs du schorre inférieur actuel (Dubé, 1982 ; Sérodes et Dubé, 1983).
L’étude par la méthode du plomb (210Pb) et des assemblages macro-fossiles, de carottes de 90 cm de long prélevées dans le schorre supérieur, dans le secteur ouest de la baie de Kamouraska (Hatvaney, 2002, p. 265), a permis de calculer un taux moyen d’accrétion verticale de 2,3 mm/an. Ce taux est comparable à la valeur maximale suggérée par Champagne et al. (1983). Quoiqu’il en soit, nous retenons la valeur de 1,6 mm/an pour le taux moyen à long terme d’accrétion verticale de la surface du schorre à Kamouraska.
Andréville-est
À Andréville-est, dans le secteur de la rivière Fouquette, (69o 42' 25" O, 47o 42' N), trois dates au 14C permettent de connaître l’âge approximatif du schorre supérieur à cet endroit. Un fragment de bois dans un dépôt vaseux à la base (faciès de slikke) a donné un âge de 670 ± 60 BP (UL-304) alors qu’un autre fragment de bois et un tronc d’arbre dans l’unité correspondant à un faciès de schorre inférieur ont donné des âges respectifs de 160 ± 60 BP (Beta-45272) et 330 ± 60 BP (UL-305). L’âge du dépôt intertidal à faciès de schorre inférieur est comparable à celui des schorres supérieurs à SAB, MON, Rivière-du-Loup et Rivière-des-Caps, ces deux dernières localités étant situées respectivement à 20 et 15 km en aval.
Le taux moyen d’accrétion calculé avec les quelques données disponibles aurait été de 1,35 mm/an pour le schorre principal, mais il serait beaucoup plus élevé dans celui du petit estuaire de la rivière Fouquette (5,6 mm/an) en raison du contexte topographique et de l’interaction des crues et de la marée.
Cacouna–Isle-Verte
On dispose d’une seule date au 14C sur un fragment de bois pour le schorre supérieur à Cacouna (69o 29' 30" O, 47o 56' 40" N). Le fragment, exhumé à la base du schorre, au-dessus du substrat argileux, a donné un âge au radiocarbone de 230 ± 50 BP (Beta-32059). D’après cette donnée, le taux moyen d’accrétion verticale aurait été de 4,3 mm/an. Compte tenu de l’activité glacielle dans les schorres du Saint-Laurent (Dionne, 1972, 1989), il est possible que le morceau de bois daté soit plus jeune que le début de la mise en place de l’unité à faciès de schorre inférieur. Si tel est le cas, le taux de 4,3 mm/an ne serait pas valable. À L’Isle-Verte (69o 20' O, 48o 01' N), les deux dates au 14C disponibles (Bertrand, 1984), l’une sur un fragment de bois, 840 ± 50 BP (Beta-580), l’autre sur des coquillages, 660 ± 60 BP (UQ-604), ne nous renseignent que sur la base du schorre supérieur, et non sur la mise en place des faciès de schorre inférieur et supérieur. En se basant sur ces deux dates au 14C, le taux moyen d’accrétion verticale aurait été de 1,7 mm/an.
De son côté, Garneau (1997) a estimé, grâce à l’analyse de trois carottes provenant d’un ancien schorre, à L’Isle-Verte, des taux moyens d’accrétion verticale de 0,59, 0.92 et 1,4 mm/an alors que, dans une publication subséquente (Garneau, 1998, p. 49), elle indique un taux moyen annuel de 1,2 mm/an.
Rimouski
Deux dates au 14C, 340 ± 60 BP (Beta-28294) et 400 ± 60 BP (Beta-31399), obtenues sur des fragments de bois, ont permis de dater la partie externe du schorre supérieur (fig. 18) dans l’anse à l’ouest de la rivière Rimouski (68o 33' O, 48o 27' 45" N). La plus vieille date provient d’un fragment de bois au contact avec le substrat argileux, l’autre d’un fragment à 40 cm au-dessus de l’argile. D’après ces données préliminaires, le taux d’accrétion verticale aurait été de 1,5 à 1,7 mm/an.
Schorre de la rive nord
Cap-Tourmente
À notre connaissance, on ne dispose que de trois dates au 14C pour le schorre supérieur à Cap-Tourmente (70o 47' 10" O, 47o 04' N). Délimité par une micro-falaise de 100 à 200 cm de hauteur, le schorre supérieur recule, à cet endroit, à un taux moyen annuel de 2 m depuis plus de trois décennies (Troude, 1986 ; Troude et Sérodes, 1985, 1990). La partie présentement en érosion correspond à un schorre mature inondé uniquement lors des plus grandes marées de vive-eau (>6 m). En coupe verticale, on observe les trois unités ou faciès décrits plus haut pour le schorre supérieur à Sainte-Anne-de-Beaupré (SAB), localité située à une dizaine de kilomètres au sud-ouest.
Deux dates au 14C ont été obtenues : l’une, de 420 ± 60 BP (UL-157), sur un fragment de bois prélevé à 35 cm de profondeur, à proximité de la micro-falaise, l’autre, de 400 ± 80 BP (UQ-473), sur des débris de plantes trouvés à 115 cm de profondeur, à environ 300 m du rebord de la micro-falaise. Cette dernière indique l’âge approximatif de la base de l’unité intertidale correspondant à un faciès de schorre inférieur contenant beaucoup de débris de plantes en place. Le substrat minéral du schorre en contact avec l’unité intertidale a été daté à 1350 ± 100 BP (Troude, 1986, p. 97)[3]. Il s’avère difficile de concilier les deux premières dates au 14C de 400 BP, car l’une concerne la partie supérieure d’une séquence d’une centaine de centimètres et l’autre, plus jeune, la partie inférieure. Il est fréquent que les débris de plantes en place donnent un âge au radiocarbone plus jeune que les fragments de bois sans que l’on sache pourquoi. Si c’est le cas ici, la date de 400 ± 80 BP serait trop jeune, ce qui paraît vraisemblable, car le matériel daté a été récolté à 20 cm au-dessus du morceau de bois daté à 1350 ± 100 BP. En se basant sur la date de 420 ± 60 BP, le taux moyen d’accrétion verticale serait de 0,83 mm/an, alors que si on se base sur la date de 400 ± 80 BP, ce taux augmente à 2,8 mm/an. Comme l’ensemble du dépôt intertidal à faciès de schorre mesure 135 cm d’épaisseur et que le substrat au contact de ce dépôt a été daté à 1350 ± 100 BP, on obtient un taux moyen d’accrétion verticale d’environ un millimètre par année ; ce taux est voisin de celui calculé avec la date de 420 ± 60 BP. Quoi qu’il en soit, nous estimons entre 1 et 1,5 mm/an le taux moyen à long terme d’accrétion verticale du schorre supérieur à Cap-Tourmente. Bien qu’il s’accumule actuellement, en été, plusieurs centimètres de vase dans la zone du schorre inférieur, Sérodes et Troude (1984) et Troude et Sérodes (1985) estiment que la surface ne s’accroît pas verticalement, car le bilan sédimentaire annuel est nul. Le recul rapide (>2 m/an) de la micro-falaise du schorre supérieur indique plutôt qu’il est déficitaire.
Anse aux Canards
Situé en face du schorre de Cap-Tourmente, celui de l’anse aux Canards, à l’extrémité nord-est de l’île d’Orléans (70o 50" O, 47o 01' 05" N), s’étend au front d’une petite anse insérée entre des crêtes rocheuses et comblée par des dépôts intertidaux constituant la terrasse Mitis (Dionne, 2002b). Allard (1981) a distingué deux niveaux : l’un à 6 m et l’autre à environ 8 m. Ce dernier correspond vraisemblablement à la Transgression laurentienne identifiée au même niveau à Cap-Tourmente et datée autour 5000 BP (Troude, 1986, p. 97 ; Dionne, inédit : 4150 ± 120 BP ; TO-8313). Le schorre s’étend dans la moitié supérieure de la zone intertidale, entre le niveau moyen de la mer et celui des marées hautes de vive-eau, sur une largeur d’environ 450 ou 540 m si on y inclut la zone des laisses de marées et la saulaie. Bien qu’Allard (1981) n’utilise pas les vocables « schorre inférieur » et « schorre supérieur », il parle de la partie supérieure du schorre et de la limite inférieure du schorre. Cette zone est séparée de la haute slikke par une micro-falaise de quelques dizaines de centimètres ; c’est une zone vaseuse avec un couvert végétal dominé par le scirpe américain (Scirpus americanus) de moindre densité que dans la zone du schorre. Cette zone serait un ancien schorre à scirpe en dégradation plutôt qu’en aggradation ; le problème est de savoir si on doit l’inclure dans le schorre inférieur ou dans la slikke, aire normalement dépourvue de couvert végétal. Le texte ne permet pas de trancher. Quoi qu’il en soit, la basse slikke, située plus bas, est, elle, vaseuse et entièrement dénudée.
La coupe offerte a été levée sur la rive droite de la rivière du Moulin, à l’extrémité ouest de l’anse aux Canards. L’unité 1, à 170 cm de profondeur, est une argile glacio-marine pierreuse et fossilifère datée à 11 200 ± 160 BP (QU-1027). D’environ 50 cm d’épaisseur, l’unité 2, au-dessus, est un matériel sableux et graveleux compact, stratifié avec des lits de limon (silt) et quelques morceaux de bois, dont l’un a été daté à 1220 ± 80 BP (QU-1190). À notre avis, cette unité correspond à un milieu alluvial peu profond, probablement infratidal. Entre 90 et 130 cm de profondeur, l’unité 3 est composée de limon argileux et sableux avec des inclusions de tourbe et de débris organiques datés de 790 ± 90 BP (QU-1012) à 1500 ± 100 BP (QU-1013) et est interprétée comme un dépôt intertidal à faciès de slikke. Cette unité serait donc équivalente à celle retrouvée à la base des schorres supérieurs à SAB et à MON. Au-dessus, l’unité 4, d’environ 90 cm d’épaisseur, est composée de limon sableux sans structure précise, mais avec des passées de débris organiques disséminées dans la moitié inférieure et des débris de plantes en place dans la moitié supérieure de l’unité. La transition entre les unités 3 et 4 est nette, mais bioturbée. L’unité 4 correspond à un faciès de slikke passant graduellement à un faciès de schorre inférieur, puis supérieur. Cette unité intertidale n’est malheureusement pas datée. Elle est évidemment plus jeune que 790 ± 90 BP, âge au 14C le plus récent obtenu sur l’unité 3.
En conséquence, si l’on considère l’ensemble de la séquence verticale intertidale de 90 cm d’épaisseur et la date la plus jeune, on obtient un taux moyen d’accrétion verticale de 1,14 mm/an. De son côté, Allard (1981, p. 139), qui a opté pour une date médiane plus vieille (1070 ± 210 BP, QU-1014) a proposé un taux moyen annuel d’accrétion verticale de 0,8 mm/an. Par ailleurs, si la coupe de la rive droite de la rivière du Moulin est bien représentative de l’épaisseur de l’unité sédimentaire de l’ensemble de l’anse et qu’on prend pour base la date de 790 BP et un taux moyen d’accrétion verticale de 1,14 mm/an, on obtient un âge de 500 à 700 BP pour le faciès de slikke (unité 3), de 100 à 500 ans pour le faciès de schorre inférieur (unité 4) et de 100 ans à aujourd’hui pour le faciès de schorre supérieur en surface. En admettant que la slikke a commencé, il y a environ 700 ans, l’âge moyen de l’ensemble de la séquence intertidale à faciès de schorre inférieur serait d’environ 350 ans. L’âge obtenu à partir de cette estimation est donc comparable à ceux des schorres à SAB, MON et Cap-Tourmente (tabl. I, II et IV).
Baie-Saint-Paul
La superficie couverte par le schorre à Baie-Saint-Paul (70o 29' 30" O, 47o 26' N) n’est pas très grande. Dans le secteur à l’ouest du quai, on trouve une étroite bande de schorre inférieur à spartine alterniflore, en grande partie en érosion, qui aboutit à une plage sableuse coiffée d’un cordon littoral isolant un ancien schorre ou un schorre à maturité dont une faible étendue est encore occasionnellement submergée lors des plus hauts niveaux des marées de vive eau (Bonenfant, 1993).
Une seule date au 14C concerne l’ancien schorre supérieur situé derrière la flèche sableuse. Des débris de plantes en place à la base du schorre, à une profondeur de 75 cm ont donné un âge de 1160 ± 70 BP (Beta-27664). L’accrétion verticale au taux moyen de 0,65 mm/an a donc été faible à cet endroit et s’explique en partie par la moindre turbidité des eaux à ce niveau de l’estuaire et probablement aussi par un degré plus élevé de compaction.
Par contre, le secteur au front du cordon littoral sableux, occupé par un schorre moyen à inférieur et comprenant un dépôt intertidal de seulement 50-60 cm d’épaisseur au-dessus du substrat argileux, a pu être daté grâce à deux fragments de bois (branches); l’un à 30-35 cm de profondeur, a donné un âge au 14C de 160 ± 60 BP (Beta-24665); l’autre, à 50-55 cm de profondeur, un âge de 220 ± 70 BP (Beta-24664). En se basant sur ces deux dates, le taux moyen d’accrétion verticale pour ce secteur plus récent du schorre aurait été de 1,8 à 2,5 mm/an. L’aspect des fragments de bois et leur âge portent à penser que ces matériaux étaient récents lors de leur mise en place. En conséquence, les dates au 14C disponibles permettent d’estimer qu’à long terme, le taux moyen d’accrétion verticale de l’ancien schorre à Baie-Saint-Paul a été inférieur à 1 mm/an alors que celui du schorre plus récent aurait été d’environ 2 mm/an.
Saint-Joseph-de-la-Rive
À Saint-Joseph-de-la-Rive, (70o 22' 45"O, 47o 26' 50"N), en face de l’île aux Coudres et à une dizaine de kilomètres en aval de Baie-Saint-Paul, il existe un vaste marais (schorre) du côté amont de la langue du glissement de terrain de 1663 au bout de laquelle est construit le quai. Environ 80 % du marais est occupé par un schorre supérieur en voie d’érosion depuis au moins une vingtaine d’années, à un taux moyen annuel de 120 cm (Quilliam, 1987 ; Quilliam et Allard, 1989). Du côté aval de la langue de glissement, il existe également une bande étroite de schorre, elle aussi en voie d’érosion, mais à un taux moyen annuel moindre (67 cm).
La micro-falaise qui caractérise le schorre de part et d’autre de la loupe de glissement a permis de connaître la nature des dépôts composant le schorre. Du côté amont, la coupe type décrite (Quilliam, 1987, p. 91 ; Quilliam et Allard, 1989, p. 370), montre quatre unités. Au-dessus du substrat argileux (argile glacio-marine), il y a une couche de 50 cm de diamicton argileux et organique attribuée au glissement de terrain de 1663. Cette unité est surmontée de 100 cm de limon et sable fin stratifié en lits minces qui contient des débris de plantes en place. Interprétée comme un faciès de schorre inférieur, cette unité est elle-même recouverte de 120 cm de vase intertidale et de débris de plantes qu’on estime être un faciès de schorre supérieur.
Trois dates au 14C ont été obtenues sur des fragments de bois dans le diamicton et quatre autres dans la loupe de glissement à proximité du quai. Ces dates vont de 200 ± 60 BP (UL-183) à 850 ± 70 BP (UL-187), avec une médiane (n-7) à 510 ± 50 BP (UL-211).
Trois dates, dont deux sur des débris organiques, 620 ± 60 BP (UL-208) et 1820 ± 100 BP (UL-200), et une sur débris coquilliers, 990 ± 120 BP (UL-219), proviennent de l’unité à faciès de schorre inférieur située au-dessus du diamicton ; une autre date, 420 ± 70 BP (UL-210), obtenue sur des débris organiques récoltés à 80-90 cm de profondeur, provient de l’unité à faciès de schorre supérieur.
Malheureusement, ces diverses dates peuvent difficilement être utilisées pour estimer l’âge du schorre et calculer le taux d’accrétion verticale si on accepte que le diamicton a été mis en place lors du glissement de terrain, il y a 340 ans environ, conclusion à laquelle les auteurs sont arrivés.
Selon ce scénario, l’édification du schorre en amont de la loupe du glissement de terrain est postérieur à cet événement. Comme il y a, d’après la coupe type, 230 cm de sédiments intertidaux de schorre inférieur et supérieur, le taux moyen d’accrétion verticale depuis le glissement de terrain serait d’environ 6,7 mm/an. Par contre, l’exhaussement de la surface de l’unité à faciès de schorre supérieur aurait été de seulement 2 mm/an. Si tel est le cas, le taux moyen d’accrétion verticale de l’unité à faciès de schorre inférieur aurait donc excédé 7 mm/an.
Quant au petit schorre situé en aval de la loupe de glissement, l’épaisseur des sédiments intertidaux au-dessus de l’argile n’y est que de 100 cm. Des débris organiques trouvés à 75 et à 101 cm de profondeur ont donné des âges au 14C de 540 ± 80 BP (UL-213) et 890 ± 60 BP (UL-185) respectivement. Ces deux dates ont permis de calculer des taux moyens d’accrétion verticale respectifs de 1,2 et 1,4 mm/an. Ces taux sont comparables à ceux de Baie-Saint-Paul, de Cap-Tourmente et de l’anse aux Canards.
Les schorres de part et d’autre de la langue de fluage se distinguent donc par leur âge et le taux d’accrétion verticale. Celui du côté amont est plus jeune et sa surface s’est exhaussée plus rapidement en raison du contexte topographique particulier créé par la loupe de glissement de terrain ; en effet, cette dernière a donné naissance à une anse, milieu plus propice à la sédimentation que le rivage rectiligne du secteur aval. Toutefois, le taux d’accrétion verticale de la surface a diminué sensiblement lorsque la surface du schorre n’a plus été submergée que lors des marées de vive eau passant, de 6,7 à 2 mm/an.
Baie des Îlets à Jérémie
La baie des Îlets à Jérémie (69o 46' O, 48o 54' N) est située à l’ouest du grand glissement de terrain de Betsiamites qui a eu lieu en 1663 (Bernatchez, 2003). C’est le seul schorre de la haute Côte Nord pour lequel nous possédons des dates au 14C. Les trois autres schorres de grande superficie, localisés à Longue-Rive (69o 11' 30" O, 48o 34' 35" N), à Portneuf-sur-Mer (69o 05' 50" O, 48o 37' 30" N) et à Pointe-aux-Outardes (68o 26' 30" O, 49o 03' 30" N), n’ont pas fait l’objet d’études géomorphologiques et ne sont pas encore datés.
Le schorre de la baie des Îlets à Jérémie occupe un rentrant délimité, à l’est, par la vaste loupe de glissement de terrain de Betsiamites et semble bien s’être formé après cet événement. Une coupe dans le secteur est de la partie externe du schorre en voie d’érosion a permis d’observer les unités suivantes (fig. 19).
À la base (unité 1), vers 80 cm de profondeur, le substrat est formé par de l’argile marine stratifiée mais déformée. Cette unité est surmontée de 30 cm de vase argileuse grise contenant des débris organiques et des myes (Mya arenaria). Le faciès de ce dépôt correspond à la slikke. Des individus complets en position de vie récoltés à la surface de cette unité ont donné un âge au 14C de 290 ± 60 BP (UL-1964), alors qu’un bout de bois a été daté à 300 ± 50 BP (UL-2004). L’unité 2 est recouverte par 50 cm de sédiments vaseux contenant beaucoup de débris de plantes en place (racines, tiges) et correspond à un faciès de schorre inférieur. Curieusement, les débris de plantes récoltés au milieu de l’unité ont donné un âge BP moderne. Le dépôt intertidal est coiffé d’un banc de sable récent mis en place au sommet de la micro-falaise par les vagues de tempête. Les dates au 14C obtenues sur des myes et du bois à la surface de l’unité 2 confirment que le schorre s’est formé à la suite du grand glissement de terrain de Betsiamites de 1663. Le schorre inférieur à spartines ayant une épaisseur de 50 cm, on obtient un taux moyen à long terme d’accrétion verticale de 1,7 mm/an ; ce taux est beaucoup plus faible que celui du schorre de Saint-Joseph-de-la-Rive, dont le contexte topographique est similaire, mais qui est situé dans un secteur où la turbidité est beaucoup plus élevée qu’à la hauteur de la baie des Îlets à Jérémie, sur la Haute Côte-Nord.
Baie Sainte-Marguerite
Le petit schorre de la baie Sainte-Marguerite (69o 57' O, 48o 15' 45" N), sur la rive gauche du Saguenay, a pu être daté à 210 ± 80 BP (Beta-47391) grâce à un fragment de bois (branche) prélevé à 40 cm de profondeur. En se basant sur cette unique date au radiocarbone et sur l’épaisseur des sédiments intertidaux sus-jacent, on obtient un taux moyen d’accrétion verticale de 1,9 mm/an (Bonenfant, 1991, 1993, p. 103). Ce taux modeste est donc semblable à ceux de plusieurs schorres du Saint-Laurent estuarien.
Discussion
Les schorres supérieurs du Saint-Laurent estuarien sont des formations sédimentaires relativement jeunes qui ont été mises en place au cours du dernier millénaire. Plus d’une centaine (120) de dates au 14C sur des morceaux de bois, des débris organiques, des résidus de plantes (rhizomes, racines, tiges) en place ainsi que des coquillages ont permis de dater 19 de ces schorres : onze sur la rive sud et huit sur la rive nord (tabl. V et VI).
Les schorres à MON et à SAB, ayant fait l’objet d’une étude plus poussée, sont les mieux datés et sans doute ceux pour lesquels le taux moyen d’accrétion verticale à long terme est le plus précis. Néanmoins, dans d’autres sites moins riches en données, l’âge et le taux d’accrétion verticale ont pu être estimés avec un degré de confiance satisfaisant.
Comme il s’agit, pour la très grande majorité, de dates au 14C sur des débris organiques (bois et coquillages) transportés, l’âge obtenu est évidemment approximatif. Le taux moyen d’accrétion verticale à long terme étant basé sur les âges au radiocarbone et la compaction n’ayant pas été prise en considération, les taux estimés sont, eux aussi, forcément approximatifs. Quoi qu’il en soit, les données obtenues jusqu’à maintenant renseignent utilement sur la période de formation du schorre supérieur dans différents sites ainsi que sur le taux moyen d’accrétion verticale à long terme.
Vingt-neuf dates au 14C ont servi à dater le schorre supérieur à MON et à estimer le taux moyen à long terme d’accrétion verticale. L’âge médian (n-8) de l’unité de base (faciès de slikke) est de 540 ± 70 BP (UL-966) sur un fragment de bois et de 670 ± 60 BP (Beta-28371) sur des coquillages (Ellipsio complanata). L’âge médian (n-10) de l’unité 2 à faciès de schorre inférieur est de 210 ± 50 BP (UL-322), alors que l’âge médian (n-11) de l’unité 3 à faciès de schorre supérieur est de 30 ± 100 BP (UL-1184). À MON, le taux moyen d’accrétion verticale à long terme pour l’édification du schorre supérieur a été de 2,8 mm/an. À SAB, autre schorre supérieur situé dans la zone de turbidité maximale, 35 dates au 14C ont permis de dater les unités 1 et 2. Le dépôt à faciès de slikke à la base du schorre supérieur a un âge compris entre 460 ± 50 BP (TO-9241) et 840 ± 70 BP (UL-1432) et un âge médian (n-14) de 600 ± 60 BP (UL-1493), alors que l’unité principale à faciès de schorre inférieur a un âge médian (n-21) de 270 ± 70 BP (UL-975). Le taux moyen d’accrétion verticale à long terme a été estimé à 3 mm/an.
La comparaison des âges au radiocarbone des deux schorres (MON et SAB) permet de constater qu’ils ont été édifiés à la même époque et que leur taux moyen de croissance a été semblable. D’un âge au radiocarbone comparable, les schorres à Rivière-du-Loup et à Rivière-Ouelle ont, eux aussi, connu un taux moyen d’accrétion verticale comparable à ceux de MON et de SAB, soit 2,7 mm/an.
Basé sur une seule date au 14C, le taux d’accrétion verticale du schorre à Cacouna paraît douteux. À notre avis, le morceau de bois daté, récolté à la base du schorre supérieur (unité au contact avec le substrat argileux), est trop jeune. Ce morceau de bois a dû être mis en place dans une cuvette glacielle qui a été comblée par la suite. À L’Isle-Verte, localité voisine mais site topographique similaire, le taux d’accrétion verticale à long terme est inférieur à 2 mm/an. En l’absence de cours d’eau à proximité du schorre à Cacouna, on s’explique mal pourquoi le taux moyen d’accrétion verticale du schorre serait, à cet endroit, deux fois et demie supérieur à celui de L’Isle-Verte, où une rivière relativement importante, chargée de suspensions lors des pluies abondantes, débouche sur la batture.
Le taux élevé (6,7 mm/an) d’accrétion verticale du schorre en amont du quai de Saint-Joseph-de-la-Rive (Les Éboulements) est plus du double de ceux de SAB et de MON, et cinq fois plus élevé que celui de Cap-Tourmente. Un tel taux est étonnant pour ce site car, bien que localisé à la limite aval de la zone de forte turbidité de l’estuaire, il n’est pas particulièrement favorisé par la sédimentation fine, comme l’indiquent les taux moyens d’accrétion verticale des sites de Baie-Saint-Paul (<2 mm/an) et du schorre situé du côté est de la loupe de glissement de terrain, à Saint-Joseph-de-la-Rive (1,7 mm/an). L’édification rapide de certaines unités du schorre supérieur aux Éboulements est probablement en grande partie attribuable au contexte topographique créé par la loupe de glissement de terrain et le remaniement des sédiments impliqués dans le glissement de 1663 (Quilliam et Allard, 1989).
Treize (68,5 %) des 19 schorres supérieurs datés ont enregistré un taux moyen d’accrétion verticale de à 1 à 2 mm/an, quatre (21 %), un taux moyen de 2 à 3 mm/an, et deux (10,5 %), un taux supérieur à 3 mm/an. Les taux d’accrétion verticale des schorres du Saint-Laurent sont-ils exceptionnels ou ressemblent-ils à ceux d’autres régions dans le monde ? À cet effet, nous avons fait un relevé de la littérature pertinente qui permet de faire certaines comparaisons, sans toutefois autoriser des conclusions fermes en raison de la variabilité des paramètres impliqués.
Taux moyens d’accrétion verticale des schorres ailleurs dans le monde
Les tableaux VII et VIII (présentés en annexe) donnent un aperçu sommaire des taux d’accrétion verticale de divers schorres dans le monde. Ces taux ont été calculés par différentes méthodes, pour différentes zones du schorre et des périodes de durées variées, de très courtes à très longues. Bien qu’il soit difficile de comparer ces données sans spécifier les caractéristiques de chaque site et les méthodes utilisées pour dater et mesurer le taux d’accrétion verticale, l’exercice mérite d’être fait. Les données contenues dans les tableaux synthèses sont tirées d’articles et d’ouvrages spécialisés lus ou consultés au cours des trois dernières décennies.
Canada
Il existe peu de données sur l’âge et les taux d’accrétion verticale des schorres au Canada. Quelques marais de la baie de Fundy, en particulier ceux de la côte sud du Nouveau-Brunswick, ont été étudiés récemment. Les mesures, qui s’étendent sur quelques années seulement, indiquent des taux d’accrétion moyens à court terme relativement élevés, allant de 2 à 36 mm/an selon la zone du schorre, le schorre inférieur étant le plus favorisé avec 12 à 36 mm/an. Par contre, le taux moyen estimé selon différentes méthodes (pollens, 137Cs et 210Pb) pour la période de 1790-1963 est de seulement 1,47 mm/an (Chmura et al., 2001a). À long terme, les taux d’accrétion verticale pour différents schorres de la Baie de Fundy sont inférieurs à 3 mm/an (Jennings et al., 1993 ; Shaw et Ceman, 1999 ; Chmura et al., 2001b ; Chmura et Hung, 2004). Globalement, les taux moyens à long terme connus pour les schorres de la baie de Fundy diffèrent peu de ceux du Saint-Laurent estuarien.
Sur la côte du Pacifique, les quelques taux d’accrétion verticale à court et moyen termes des schorres du delta du Fraser, dans la région de Vancouver, sont d’environ 3 à 7 mm/an plus élevés que ceux de la plupart des schorres du Saint-Laurent estuarien (Kellerhals et Murray, 1969 ; Williams et Hamilton, 1995), bien qu’à très long terme (4,3 ka), le taux moyen calculé s’abaisse à 0,42 mm/an (Kellerhals et Murray, 1969). À Port-Albani, sur l’île de Vancouver, le taux moyen d’accrétion du schorre serait de 0,5 à 2,5 mm/an (Clague et Bobrowsky, 1994), une valeur comparable à celles obtenues pour la plupart des schorres du Saint-Laurent.
États-Unis
Aux Etats-Unis, de nombreux marais intertidaux ont été étudiés sous divers aspects, y compris le taux d’accrétion verticale (tabl. VII). Ceux de la côte Atlantique (les plus nombreux et les mieux connus), ont un taux moyen d’accrétion verticale autour de 5-6 mm/an, alors que ceux de la côte sud (golfe du Mexique) s’accroissent de 10-12 mm/an environ. Quant à la côte du Pacifique, peu de marais y ont été étudiés du point de vue des taux de sédimentation. À Newport Bay (Californie), Stevenson et Emery (1958) ont calculé un taux moyen d’accrétion verticale d’environ 10 mm/an. Selon Mudie et Byrne (1980), le taux moyen d’accrétion verticale de certains schorres californiens aurait été de 5 mm/an au xixe siècle et de seulement 1 mm/an au xxe siècle. Des mesures récentes sur une période de deux ans pour deux sites indiquent un taux moyen annuel de 0,91 à 1,37 mm (Culberson et al., 2004). À San Diego, la surface du schorre se serait accrue au taux moyen de 10 mm/an entre 1950 et 1980, alors que ce taux n’avait pas excédé 1 mm/an au cours des quatre derniers siècles (Mudie et Byrne, 1980 ; Cahoon et al., 1996).
Dans les états de l’Orégon et de Washington, les rares schorres ayant fait l’objet de mesures à court terme ont connu, depuis 1963, un taux moyen d’accrétion verticale de 2,4 à 4,8 mm/an (Thom, 1992). À plus long terme (1,2 ka), le taux moyen d’accrétion verticale du marais du Snohomish Delta aurait été de 2 mm/an.
En somme, si les schorres de la côte américaine du golfe du Mexique et quelques autres de la Californie et de la côte Atlantique s’accroissent rapidement, plusieurs sur la côte est, notamment ceux de la Nouvelle-Angleterre, ont un taux moyen d’accrétion verticale à moyen et à long terme de 1 à 2,5 mm/an, comparable à celui des schorres du Saint-Laurent estuarien.
Europe
Mer du Nord : Allemagne-Hollande-Danemark
Les schorres de la mer des Wadden (Hollande et Allemagne) ont, en général, des taux d’accrétion verticale relativement élevés, en moyenne autour de 8-10 mm/an (tabl. VIII). Mais au Danemark, région plus éloignée des grands estuaires turbides comme ceux de l’Elbe et du Weser, les taux d’accrétion verticale des schorres de la péninsule de Skallingen sont plus faibles et comparables à ceux de la plupart des schorres du Saint-Laurent estuarien (Bartholdy et Madsen, 1985 ; Nielsen et Nielsen, 2002), alors que dans d’autres sites, les taux moyens sont semblables à ceux de schorres de la Hollande et de l’Allemagne (Jakobsen et al., 1955 ; Christiansen, 1982).
Espagne-France-Portugal-Italie
Les quelques données disponibles pour les schorres européens des côtes de l’Atlantique et de la Méditerranée indiquent des taux variables. Si les marais du delta de l’Ebro (Espagne) ont un taux moyen d’accrétion verticale à court terme de 8 à 13 mm/an (Ibañez et al., 1995), ceux de l’estuairede Sado (Portugal) ont connu un taux moyen de 2,5 mm/an entre 1978 et 1989 (Soares et Moreira, 1992), alors qu’il était plus élevé (4 à 6 mm/an) durant le dernier siècle (Freitas et al., 1999). À long terme, le taux d’accrétion verticale de la surface du schorre supérieur de la Ria Formosa, dans le sud du Portugal, aurait été de 0,9 à 2 mm/an (Neumeier et Ciavola, 2004).
En France, dans des marais du delta du Rhône, Hensel et al. (1999) ont mesuré un taux d’accrétion verticale de 1,1 à 1,2 mm/an durant une période de 4 ans (1992-1996), alors qu’en Bretagne, dans la baie du Mont-Saint-Michel, et en Normandie, dans la péninsule du Cotentin, les taux d’accrétion varient respectivement de 0 à 25 mm/an, de 0 à 20 mm/an et de 4 à 7,7 mm/an (Guilcher et Berthois, 1957 ; Larsonneur, 1989 ; Jigorel, 1996 ; Bonnot-Courtois et Levasseur, 2001, 2002 ; Haslett et al., 2003).
En Italie, le seul schorre étudié (baie d’Augusta, en Sicile) a connu un taux moyen d’accrétion verticale de seulement 0,7 mm/an entre 1880 et 1945, alors que de 1945 à 1995, ce taux a été de 3,8 mm/an.
Royaume-Uni
Les marais intertidaux des régions du Royaume-Uni et de l’Irlande ont fait l’objet de nombreuses études au cours du xxe siècle. Le taux d’accrétion verticale de la surface des schorres a été mesuré ou estimé dans la plupart d’entre eux. À l’instar des autres régions dans le monde, les taux varient beaucoup selon les sites, la période couverte et les méthodes d’évaluation. À court terme, les taux récents mesurés sont généralement supérieurs à ceux à moyen et à long terme. Dans l’estuaire de la Severn par exemple, le taux moyen d’accrétion verticale entre 1945 et 1990 a été de 4,4 mm/an, alors que le taux à long terme (100 ans) n’a été que de 0,7 mm/an (Allen, 1991). Le tableau VIII fournit les taux d’accrétion verticale pour plusieurs localités des côtes de la Grande-Bretagne. Partout, le taux moyen d’accrétion verticale est relativement élevé : en général entre 4 et 10 mm/an. Dans la région du Wash, cependant, le taux d’accrétion à très court terme, mesuré après de nombreux empiétements (digues pour récupération de terres agricoles), est beaucoup plus élevé qu’ailleurs, variant de 14 à 29 mm/an, en moyenne (Pye, 1995). Les taux mesurés entre 1935 et 1947 à Scolt Head Island, dans le Norfolk, (Steers, 1948), ont été, en moyenne, de 6,36 et 2,38 mm/an pour les schorres du Lower et du Upper Hut marshes respectivement. Durant la période de 1935-1957, ce taux a été de seulement 1 mm/an dans le Missel et le Low Hut marshes. Les nombreux schorres de la région située au voisinage de l’embouchure de l’estuaire de la Tamise ont fait l’objet de plusieurs études détaillées. Pour la période de 1963 à 1995, les taux moyens d’accrétion verticale varient de 1 à 7 mm/an (Van der Wal et Pye, 2004). Un taux de 4 à 5 mm/an a été mesuré dans le schorre de Solent, dans le sud de l’Angleterre (Cundy et Croudace, 1996).
Au pays de Galles, le taux d’accrétion verticale des schorres de l’estuaire de la Dee est très élevé (18 mm/an) (Marker, 1967 ; Hutchinson et Prandle, 1994), mais il est faible à modéré sur la côte sud : environ 5 mm/an (Richards, 1934 ; Dalby, 1985).
En Écosse, Marshall (1962) mentionne des taux moyens et à très court terme de 15 mm/an pour des schorres de la rive nord du Solway Firth, alors que Dalby (1985) a calculé un taux moyen d’accrétion verticale de 3,5 à 5 mm/an pour un marais à Puccinellia maritima aux îles Shetlands. Ce taux est semblable à celui des quelques schorres étudiés en Irlande par Duffy et Devoy (1999) et Wheeler et al. (1999). Dans le cadre de ces deux dernières études, le taux moyen à court terme calculé est de 5,5 mm/an ; toutefois, à long terme, il se situe, autour de 1 mm/an seulement
Eurasie-Océanie
Les rares données disponibles pour les marais intertidaux de la Chine proviennent de la région du Yang-Tse ; elles indiquent que les taux d’accrétion verticale du schorre y sont les plus élevés au monde, allant de 16 à 230 mm/an, avec une moyenne annuelle de 95 mm et une médiane de 70 mm selon Chung-Hsin (1985), alors que Yang (1999) parle de 50 à 500 mm/an. Bien que plus faible, le taux moyen à court terme mesuré dans un schorre de Nouvelle-Zélande est de 15 mm/an (Bascand, 1970).
En Russie, Kaplin (1995) indique un taux moyen d’accrétion verticale de 3 à 4 mm/an pour des schorres de la mer d’Okhosk (baies de Penzina et de Gizigina) et de 10 à 12 mm/an pour des schorres du golfe d’Onega (mer Blanche).
Bref, compte tenu des conditions qui ont prévalu et qui prévalent présentement dans le Saint-Laurent estuarien, les taux d’accrétion à moyen et à long terme des schorres supérieurs sont comparables à ceux de nombreux sites américains, canadiens et européens. Les écarts entre les taux minima et maxima sont toutefois moins grands que dans plusieurs régions du monde en raison de la faible turbidité des eaux côtières du Saint-Laurent estuarien en dehors de la zone du bouchon vaseux.
Conclusion
La présente contribution réunit les données disponibles sur les schorres supérieurs du Saint-Laurent estuarien, permettant d’estimer leur âge et le taux moyen d’accrétion verticale de leur surface. Comme il s’agit d’un essai basé sur des datations au 14C, les âges et les taux d’accrétion verticale indiqués sont approximatifs et n’ont pas la précision de ceux d’études détaillées basées sur d’autres méthodes ou encore sur la datation de débris végétaux en place. La nature essentiellement ou fortement minérale des unités 1 et 2 n’a permis d’effectuer de datations que sur des matériaux (bois, débris organiques et coquillages) transportés et non en place. De plus, les dates au radiocarbone sont celles fournies par les divers laboratoires et n’ont pas été ramenées à l’an 2005. La différence est donc de 50 ans environ.
Les schorres supérieurs des rives du Saint-Laurent estuarien sont des formations sédimentaires jeunes. Ils ont été édifiés au cours du dernier millénaire, en majorité sur un substrat limono-argileux correspondant à une surface d’érosion de l’Holocène moyen taillée dans les dépôts pélitiques de la Mer de Goldthwait qui ont été mis en place il y a plus de 10 000 BP. L’unité de base, constituée d’un dépôt vaseux à faciès de slikke, a été mise en place dans la première partie du dernier millénaire. L’unité 2, correspondant à un faciès de schorre inférieur, a, dans la plupart des cas, un âge compris entre 150 et 400 BP pour les schorres naturels, alors les schorres endigués sont, en moyenne, de 300 à 400 ans plus vieux. L’unité de surface à faciès de schorre supérieur a été édifiée, pour l’essentiel, entre 150 BP et aujourd’hui.
Les taux moyens d’accrétion verticale estimés sont, pour la plupart des sites, relativement faibles. Sur les 19 sites documentés, 13 (68,5 %) ont connu un taux moyen d’accrétion verticale de 1 à 2 mm/an, 4 autres (21 %), un taux de 2 à 3 mm/an, et 2 sites (10,5 %), un taux moyen supérieur à 3 mm/an. Le plus haut taux connu (6,7 mm/an) est celui du schorre du secteur ouest à Saint-Joseph-de-la-Rive qui s’est formé après le grand glissement de terrain de 1663. Calculé à partir d’une seule date au 14C sur un morceau de bois, le taux de 4,3 mm/an de Cacouna demeure douteux, étant trop élevé par rapport à ceux provenant de sites voisins similaires.
La majorité des schorres des rives du moyen estuaire du Saint-Laurent sont actuellement en phase d’érosion ; d’autres sont en équilibre précaire. Très peu progressent latéralement et verticalement. Certains schorres de la rive sud et de la côte de Beaupré ont fait l’objet de récupération à des fins diverses, ce qui a réduit la superficie de cet écosystème déjà peu étendu chez nous. Les études sur la morpho-sédimentologie et la dynamique de ces schorres sont encore trop peu nombreuses (d’Anglejan, 1990 ; Drapeau, 1992) et doivent être développées pour qu’on comprenne mieux le fonctionnement de ces milieux humides dont la valeur écologique doit être préservée.
Appendices
Annexe
Annexe
Taux d’accrétion verticale des schorres en Amérique du Nord, en Europe et en Asie
Remerciements
La présente contribution résulte de travaux effectués au cours des quatre dernières décennies et s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche à long terme sur l’évolution des rives du Saint-Laurent, en grande partie subventionné par le Conseil national de recherche en génie et en sciences naturelles (CRSNG). Plusieurs étudiants du département de Géographie de l’Université Laval et d’autres départements ont contribué à certains travaux de terrain. Une grande partie des datations au 14C ont été réalisées au Laboratoire de datation au 14C du Centre d’études nordiques. Les illustrations ont été préparées par mesdames Andrée Gauthier et Karine Tessier, alors que l’édition du manuscrit a été faite par madame Pierrette Morissette. Les remarques et suggestions faites par madame Chantal Bonnot-Courtois ainsi que par la rédaction de GpQ ont permis d’améliorer la version finale. Madame Chantal Bonnot-Courtois et monsieur Jean-Claude Lefeuvre nous ont aimablement fourni des documents sur la baie du Mont Saint-Michel inédits ou difficiles d’accès chez nous. À tous et chacun, nos remerciements très sincères.
Notes
-
[*]
Adresse actuelle : 2761, rue de Valcourt, Sainte-Foy, Québec, Québec G1W 1V9
-
[1]
Expression introduite par Glangeaud (1938).
-
[2]
Le vocable « schorre » apparaît dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1780).
-
[3]
Date établie au laboratoire de l’Université du Québec à Montréal dont nous ignorons malheureusement le numéro, nos efforts pour l’obtenir ayant été infructueux.
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List of figures
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High marsh micro-cliff at Sainte-Anne-de-Beaupré and Montmagny showing the three sedimentary superposed units forming the high marsh: a. mud flat facies; b. low marsh facies; and c. high marsh facies. (94.11.3 and 98.10.30)