Abstracts
Résumé
L’analyse du répertoire diffusé à l’époque pionnière de la radio soulève un problème de définition des genres. L’éventail des musiques dites « intermédiaires » que proposent les diffuseurs met en évidence la porosité entre les musiques classique et populaire. Cette musique hybride devient un produit de consommation culturelle largement accessible, mais elle se situe dans un contexte où la radio est tributaire du discours esthétique étanche porté par l’intelligentsia, ces défenseurs de la « bonne musique ». L’origine de ce courant provient d’un puissant groupe de pression américain, le « Make America Musical ». Il a infiltré le discours porté par les élites québécoises qui ont utilisé, sans toutefois être conscientes de son origine, la même rhétorique : la valorisation d’une certaine musique classique au détriment de la musique populaire. Les directeurs radiophoniques ont dû tenir compte de l’impact médiatique que pouvaient susciter leurs choix musicaux. Comment en sont-ils arrivés à contourner ce discours ? En rendant poreuses les frontières musicales étanches défendues par ce mouvement américain entre les différents genres musicaux, la radio a réussi à créer un genre musical radiophonique typique. Cette stratégie offrant un dégradé subtil des genres musicaux a permis à la radio de se développer et de conquérir un large public, au nom de la « démocratisation de la culture ».
Abstract
An analysis of the musical repertoire broadcast in the early days of radio raises the question of how genres were defined. The range of so-called “intermediary” music played by the broadcasters highlights the porous boundary between classical and popular music. This hybrid genre became a widely accessible cultural commodity, but it existed in a context where radio supported an aesthetically watertight elite discourse that reflected the perspective of the defenders of “good music”. This current of thought originated with a powerful American lobby : Make America Musical (MAM). It unconsciously influenced the discourse of Quebec elites, who adopted the same rhetoric : the promotion of a certain form of classical music over popular music. Station managers had to consider the potential impact of their musical choices. How did they manage to sidestep this discourse ? By making porous the otherwise watertight boundaries between the musical genres defined by the American movement, radio stations managed to offer their own category of accessible music. This strategy created a subtle gradation of musical genres, allowing radio to develop and win over a wide audience in the name of a “democratic culture”.
Article body
L’institutionnalisation en Allemagne, puis en France, au début du xxe siècle, d’une nouvelle discipline des sciences humaines, la musicologie, a confiné ce nouveau territoire du savoir dans une définition relativement étroite de l’objet d’études (restreinte à la musique classique européenne) et à une méthodologie de recherche particulièrement centrée sur l’objet (par l’analyse des oeuvres et de leur esthétique). Cette délimitation de l’objet par les musicologues européens de la première moitié du xxe siècle explique le clivage qui s’en est suivi entre le regard posé sur la musique savante et celui sur la musique populaire, celle-ci ayant même été reléguée jusqu’au début des années 1980 à la frange des études scientifiques.
Cette catégorisation des genres, qui se voulait d’abord une démarche essentielle à l’approche scientifique, a rapidement conduit, jusqu’au début des années 1950, à des jugements de valeur véhiculés tant par les critiques musicaux que par les animateurs du milieu musical. Ceux-ci valorisaient la musique classique européenne (jugée noble, saine et bonne) au détriment de la musique populaire (considérée comme triviale, malsaine et mauvaise). Mais au début des années 1980, l’amorce des études multidisciplinaires en histoire culturelle a ébranlé cet édifice construit sur une approche antinomique du savant et du populaire[1]. Comme l’observe Micheline Cambron dans son introduction à cette présente édition de Globe : « La pratique de l’interdisciplinarité […] s’appuie sur le postulat de l’enchevêtrement des pratiques et des discours qui y sont attachés […] L’étanchéité prêtée aux corpus nationaux, les frontières entre les genres révèlent leur porosité[2] ».
Or, en étudiant le contenu de la diffusion musicale radiophonique au Québec entre 1922 et 1939[3], nous nous sommes rendu compte que ce phénomène de « porosité » des genres musicaux était déjà bien présent dans la pratique radiophonique de l’époque tout en étant contemporain d’un discours étanche entre le savant et le populaire. Comment alors rendre compte de ces deux éléments contradictoires (la pratique et le discours) dans une analyse du contenu des émissions musicales ? Quel rôle aura joué la radio dans la transformation des catégories musicales et dans les modalités d’écoute (et dans quel contexte) ? Le classement des données nominatives sur la musique, le théâtre et les causeries (compositeurs/auteurs et titres d’oeuvres, interprètes/comédiens, conférenciers et sujets de causerie) dans divers champs a soulevé plusieurs questions d’ordre méthodologique et esthétique, particulièrement en ce qui a trait à la musique, objet principal de cet article[4].
Porosité des pratiques
Le principal problème auquel nous avons été confrontée a été celui de définir les catégories sous lesquelles devait être classé cet immense répertoire[5]. Devions-nous dégager des définitions à partir des critères de l’époque ou selon nos critères actuels[6], et dans ce cas, où pouvions-nous situer la frontière entre le « classique » et le « populaire », expressions dont la définition est fort différente selon les perceptions de l’époque et celles d’aujourd’hui ? Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, des airs d’opéra, des rhapsodies de Brahms ou encore des pièces pour piano de Debussy étaient régulièrement entendus sous forme d’arrangement au cours d’émissions de musique de danse[7].
Ce travail de catégorisation nous a conduit à observer l’importante transformation (ou mutation) que la radio privée, pour des raisons de rentabilité, a fait subir au statut des oeuvres, au nom d’une démocratisation de la culture. Aux fins d’accessibilité, les directeurs de programmes ont eu tendance à élaguer ce qui leur semblait « non popularisable », c’est-à-dire tout art qui exigeait une écoute plus attentive (musique de chambre, oeuvres intégrales, oeuvres progressistes, de caractère plus moderne). Tout en se vantant de faire oeuvre éducative, ces directeurs ont en effet jugé que les auditions d’oeuvres musicales devaient se faire, de manière indissociable, dans un cadre de divertissement.
Pourtant, l’étude de ces quinze premières années de la radio a montré l’omniprésence de la musique classique sur les ondes. Celle-ci a servi de toile de fond à de nombreuses émissions parlées (théâtre, littérature, culte religieux, conférences, discours politiques) et elle a donné lieu à d’innombrables concerts de tout genre, depuis les émissions de variétés et de danse jusqu’au récital et à la musique symphonique. Mais de quelle musique classique s’agissait-il exactement ? Quel en était le répertoire ? Comment a-t-il été transformé pour répondre aux contraintes de temps fixées par les horaires et aux exigences de fidélisation d’un public invisible ? Et jusqu’à quel point la radio a-t-elle modifié la programmation et les modes d’écoute de la musique tels qu’ils avaient été établis dans les concerts en salle ?
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’observation du spécialiste de la radio, Pierre Pagé, tout en y apportant quelques nuances :
La visée éditoriale de la radio, en matière de musique, reposait sur une volonté jugée essentielle de rendre accessible [sic] au grand public les oeuvres majeures du répertoire international aussi bien que les créations d’auteurs québécois afin d’élargir les horizons culturels d’une population sans imposer des coûts sociaux élevés. La démocratisation de la culture, anticipant sur les décennies à venir, faisait consensus dans les milieux gouvernementaux et les institutions d’éducation[8].
Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’entend l’auteur par « l’accessibilité aux oeuvres majeures ». A-t-on diffusé une seule fois à la radio avant 1939 la Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach, le Requiem de Mozart, les derniers Quatuors de Beethoven, Pelléas et Mélisande de Debussy, Wozzeck de Berg, pour ne nommer que quelques-unes des oeuvres majeures du répertoire ? Qu’entend-il par « démocratiser la culture » ?
Certes, le public québécois a eu accès à un certain « grand » répertoire, grâce surtout aux réseaux américains CBS et NBC, qui diffusaient régulièrement des concerts d’oeuvres, mais qui en contrôlaient aussi la programmation et les orchestres dont ils étaient les impresarios, dirigés par Walter Damrosch et Arturo Toscanini, deux fervents défenseurs de la « bonne musique ». On y a également entendu certains orchestres canadiens, dont ceux de Toronto, de Montréal et de Québec.
Cependant, de manière beaucoup plus fréquente, cette musique était diffusée sous une tout autre forme que celle du concert traditionnel en salle. La radio a d’ailleurs joué un rôle fondamental dans la transformation d’un certain répertoire, une tendance initiée par les diffuseurs américains et qui a suscité de nombreuses critiques, particulièrement par Theodor W. Adorno, sur ces façons de faire qui altéraient l’intégrité et l’authenticité des oeuvres[9]. Comme le souligne Shawn Vancour :
Dans les années 1920 et 1930, les diffuseurs commerciaux modifiaient régulièrement l’instrumentation et la durée des oeuvres classiques en adaptant les mélodies pour des orchestres de jazz tout en choisissant de courts extraits facilement reconnaissables. Anticipant les propos que tiendra Adorno quelques années plus tard[10], les critiques musicaux jugèrent sévèrement ces adaptations qui menaçaient l’intégrité des oeuvres classiques en en altérant le sens et le jugement esthétique[11].
notre traduction
Rappelons que dans les années 1920 et avant l’arrivée des « jingles » (capsules musicales identifiant un produit commercial), il n’y avait pas de direction artistique centralisée pour la programmation radiophonique. Le commanditaire choisissait lui-même le contenu musical et les artistes en fonction du produit annoncé sur les ondes. Comme l’explique fort bien Timothy D. Taylor[12], pour vanter les mérites et la qualité du produit commercial, la préférence du contenu musical de l’émission allait au répertoire classique plutôt que populaire, car on attribuait à ce répertoire la référence au bon goût et au prestige. C’est ainsi qu’un certain répertoire classique fut transformé et popularisé pour répondre aux exigences des commanditaires, créant ainsi une sorte de magma sonore continu sur les ondes.
La radio a contribué à ce que ce répertoire cesse progressivement d’être une forme d’expression artistique pour devenir un produit de consommation culturelle largement populaire et accessible en encourageant les directeurs de petits orchestres et autres musiciens à produire des arrangements d’une musique normalement identifiée au répertoire classique et à en modifier la durée et le contenu par l’ajout de répétitions des airs, de coupures dans les développements et d’instrumentations jazzées[13]. On parla alors de ces musiques hybrides contaminées par la valeur marchande de la radio : la musique semi-classique et la musique légère, qu’Hélène Eck définit comme étant :
[…] le résultat obtenu par l’association de caractéristiques de compositions (un rythme marqué et des accords simples, une mélodie aisément reconnaissable, l’insertion d’éléments répétitifs, etc.) qui facilitent l’écoute et la mémorisation des morceaux. Le « pot-pourri » proposait aux auditeurs un enchaînement de musiques relevant traditionnellement de genres différents : opérettes, opéras comiques, chansons, morceaux de music-hall, musique de danse, etc. Ces « variétés » constituèrent un genre radiophonique à part entière[14].
Ainsi, tous les airs d’opéra du xixe siècle et leurs ouvertures ont été largement diffusés sous ces arrangements orchestraux, autant pour les émissions de « musique en dînant » que pour la « musique en dansant ». Nous y voyons là une tentative des dirigeants de CKAC, inspirée du courant américain, de présenter un contrepoids à la montée de la musique populaire américaine tant décriée par les uns et les autres.
Ce corpus musical ainsi transformé vient bousculer, jusqu’à un certain point, les pratiques musicales traditionnelles, mais, surtout, vient modifier la classification des genres établie par la musicologie au début du siècle. Devions-nous classer les genres selon nos catégories actuelles ou selon ces catégories de l’époque souvent inscrites dans la grille-horaire ? De plus, comment devions-nous identifier les concerts quand, dans plusieurs cas, on pouvait entendre, à l’intérieur d’un même programme, un éventail de musique, allant du plus classique au plus léger, et incluant des airs classiques popularisés[15], une autre stratégie d’origine américaine reprise par CKAC ? Shawn Vancour décrit ainsi ce procédé :
Les radiodiffuseurs ont également travaillé sur la manière de fusionner le répertoire classique et populaire dans une même programmation d’émissions de variétés d’une demi-heure ou d’une heure […] Le contenu classique était réduit à de brefs extraits judicieusement juxtaposés à un répertoire populaire. Ce procédé permettait aux commanditaires de minimiser le risque de s’aliéner un public peu enclin à écouter une oeuvre classique et qui aurait eu tendance à changer de poste radiophonique[16].
Ou encore, que faire du mot « populaire » qui était attribué, par les défenseurs de la « bonne ou belle musique[17] », autant à la noblesse de cette musique folklorique arrangée par des compositeurs de formation classique (dont Oscar O’Brien, Alfred Laliberté et Claude Champagne) selon des principes harmoniques et rythmiques « classiques » qu’à cette musique dite « légère » qui sonnait « classique », alors que cette musique que nous nommons populaire aujourd’hui était alors identifiée comme « jazz », « musique américaine » ou « chansonnette française » ? Largement diffusées à la radio par les disques produits par CBS (Columbia), celles-ci étaient toutes trois considérées comme « mauvaises » par les critiques et commentateurs parce qu’elles introduisaient une forme de modernité dans la structure, le timbre et l’expression.
Par ses politiques éditoriales et ses choix musicaux, la radio de l’entre-deux-guerres aura donc largement contribué à multiplier les genres, à créer une porosité entre le savant et le populaire et à introduire dans le paysage sonore une culture « classique » de masse[18], mais ce dans un contexte où cette culture était tributaire et ne pouvait faire fi du discours esthétique dominant porté par l’intelligentsia, ces défenseurs de la « bonne musique ».
Étanchéité du discours
Le second problème auquel nous avons été confrontée relève du discours esthétique de l’époque au Québec sur les questions de modernité ou, plus exactement, sur des oeuvres (savantes ou populaires) qui témoignaient davantage d’une démarche individuelle de création, plus originale, plus subjective, contrairement aux musiques qui véhiculaient des valeurs morales et nationales en utilisant un langage harmonique conventionnel. Lionel Groulx n’avait-il pas prononcé une conférence en février 1928 sur « Nos responsabilités intellectuelles[19] » au cours de laquelle il encourageait les intellectuels et les artistes à participer, par des oeuvres s’inspirant de l’histoire et de la tradition, à l’oeuvre nationale collective canadienne-française, tout en fustigeant l’attitude individualiste de certains artistes, comme un relent d’un romantisme menant à l’anarchie et à la décadence ? Les mêmes arguments nationalistes dominaient la diffusion de la musique populaire, expression réservée à l’époque au patrimoine folklorique, alors que le jazz et la musique américaine portaient en eux, selon les critiques, le fruit dangereux de l’américanisation et constituaient par conséquent une modernité et une menace à l’identité culturelle canadienne-française.
Analysant la situation à l’aune du discours nationaliste porté par les élites canadiennes-françaises et se servant uniquement de cette toile de fond pour expliquer la résistance à la modernité, plusieurs musicologues en sont venus à la conclusion que la création artistique québécoise avait souffert d’un certain retard en regard de la production européenne.
Cependant, renvoyer ainsi à l’idéologie nationaliste les dangers de la modernité en lien avec l’attitude individualiste et l’importation de la musique populaire américaine, c’est oublier que l’origine de ce discours étanche sur le clivage savant/populaire et moderne/classique provenait d’un puissant groupe de pression américain. Ce discours a infiltré celui porté par les élites québécoises, qui ont utilisé, sans toutefois être conscientes de son origine, la même rhétorique : la valorisation d’une certaine musique classique au détriment de la musique populaire.
Le mouvement américain « Make America Musical[20] »
À la même époque où les directeurs du poste CKAC développent leur programmation radiophonique, un groupe de pression américain issu de la « genteel generation » milite en faveur de la diffusion de la « good music ». C’est en étudiant l’origine de cette expression que nous avons pu saisir l’influence que ce puissant voisin a eue sur les choix musicaux des réalisateurs d’émissions radiophoniques et sur le discours des critiques musicaux québécois.
Tout en étayant ses craintes de l’américanisation, particulièrement en regard de la musique populaire dont la diffusion était déjà contestée par ce mouvement américain que nous présenterons dans les lignes qui suivent[21], l’élite canadienne-française adopte dans un même temps le discours dominant étatsunien, comme en font foi ces commentaires d’Édouard Montpetit et Henri Letondal, alors directeurs de l’émission L’Heure provinciale[22] : « Le niveau artistique des programmes s’est maintenu dans la bonne musique et le choix de ses directeurs s’est porté sur les oeuvres les plus propres à instruire la population tout en la récréant[23] ».
Stephen R. Greene[24] analyse le mouvement qui se porte à la défense de la bonne musique sous l’appellation « Make America Musical », lequel s’étend aux États-Unis entre 1918 et 1935. Il aura des répercussions jusqu’au Québec, dans la mesure où plusieurs des idées défendues par ces groupes de pression influenceront les positions esthétiques des directeurs de programmes et des représentants du milieu musical et culturel. Sans y faire directement allusion, Arthur Laurendeau défend les mêmes objectifs. Il écrit en 1934 :
La bonne musique [c’est nous qui soulignons] ne se défend pas toute seule et d’elle-même. Ce n’est pas une entité si distincte que cela de la mauvaise et à laquelle on adhère comme à la lumière du soleil. Il lui faut des défenseurs actifs et vigilants. Il lui faut des adeptes zélés et généreux qui ne se contentent pas d’en jouir paresseusement, mais qui sachent se porter à son secours et là où elle est menacée. […] La bonne musique exige de vous, de moi, que nous manifestions notre enthousiasme ou notre mépris : que nous prenions parti dans une bataille où elle joue peut-être sa vie[25].
Le « Make America Musical » est initié par la National Federation of Music Clubs, créée en 1898 à la suite du congrès annuel de la Music Teachers National Association tenu à New York en juin 1897[26]. Le même combat est aussi mené par le chef d’orchestre du New York Symphony Orchestra, Walter Damrosch (1862-1950), également directeur musical à la NBC où il animera de 1928 à 1942 la prestigieuse émission Music Appreciation Hour, diffusée dans le réseau scolaire (ainsi que sur les ondes de CKAC[27]) ; et cette idéologie sera défendue par l’importante revue mensuelle Musical America, fondée en 1898 par John C. Freund, qui diffusera largement la valeur de cette « good music » en l’intégrant aux activités commerciales du milieu musical. Cette revue a de nombreux correspondants à travers le monde ainsi qu’à Montréal[28]. À ces trois premiers responsables, nous pourrions ajouter le célèbre critique musical et commentateur des concerts de la New York Philharmonic Society diffusés par CBS, Deems Taylor (1885-1966), sur lequel s’appuie le critique Frédéric Pelletier du Devoir. Nous y reviendrons plus loin.
Comme l’explique Greene, ces « missionnaires », nés dans la seconde moitié du xixe siècle, baignent dans la culture victorienne. Ils défendent une définition de la culture pourtant largement remise en question après la Première Guerre, et ils la véhiculeront jusqu’au début de la Seconde Guerre :
Les changements culturels importants qui surviennent au tournant du xxe siècle entrent directement en conflit avec ces ardents défenseurs de la « bonne musique » et le rôle social qu’ils cherchent à défendre au milieu des années 1920 est complètement dépassé. Dans ce contexte de changement, leurs efforts demeureront inutiles[29].
notre traduction
Ces défenseurs de la « bonne musique » répudiaient le jazz et la musique populaire en émergence aux États-Unis après la Grande Guerre, un corpus jugé « mauvais », ainsi que plusieurs oeuvres modernes, car non représentatives des canons de référence. Ils visaient une démocratisation de l’art par une uniformisation des styles, niaient le caractère individuel et original d’une oeuvre, et prônaient la diffusion d’un répertoire accessible à toutes les classes sociales. Cette vision étroite d’un certain type de musique « universelle » excluant toute démarche plus individuelle a isolé les activistes et a démontré leur totale incompréhension quant à la relation de la musique à l’individu[30].
Partagée par l’industrie musicale, cette vision idéalisée de la bonne musique a conduit à la formulation de nombreux clichés. On en retrouve de multiples exemples dans la littérature musicale destinée à un large public et publiée avant la Seconde Guerre sous le titre général de Music Appreciation[31]. En voici quelques exemples : la musique pure est plus élevée que la musique à programme ; la musique de chambre est la plus noble des formes musicales ; la musique instrumentale est plus profonde que la musique vocale ; la valeur de l’opéra allemand surpasse celle de l’opéra italien. Cela sans oublier le classement au bas de l’échelle de la musique populaire et du jazz, ces mauvaises musiques dont l’écoute, selon ce discours, risque de « parasiter » les critères à la base de la compréhension de la bonne musique et de diminuer la capacité de l’auditeur à en détecter les qualités essentielles.
De son côté, le musicologue David Joel Metzer, qui a étudié les fondements de la modernité musicale à New York entre 1915 et 1929[32], nomme ce mur de résistance qu’affronte la jeune génération de créateurs la « genteel tradition », expression utilisée pour la première fois en 1911 par le philosophe américain George Santayana[33] et reprise en 1937 par l’écrivain de gauche Malcolm Cowley pour décrire l’affrontement générationnel des écrivains des années 1910-1930[34]. Associé à la culture victorienne, ce groupe a construit son système de pensée sur la croyance en des certitudes immuables et sur le caractère universel des préceptes philosophiques, moraux, religieux et esthétiques. Il rejette tout comportement qui déborde des cadres ainsi fixés. Il cherche à surmonter l’aspect trivial de la réalité par la conquête de la raison sur le sentiment, le raffinement dans l’éducation. Il exige de l’art, et de la musique en particulier, des qualités d’équilibre et de retenue qui lui permettent de transcender cette réalité et de contrôler les pulsions.
Pour eux, la musique, comme les autres activités culturelles, devait être isolée de la vie quotidienne pour atteindre un niveau idéal de la manifestation de la beauté, de la noblesse et de la moralité bien au-delà d’une expression intrinsèque de l’expérience humaine […] Walter Damrosch et son frère Franck, les meilleurs propagandistes de cette génération « de bon ton », ont défendu cette idée que la musique avait pour fonction d’élever l’auditeur au-dessus des banalités de la vie quotidienne[35].
notre traduction
Et, comme le conclut l’auteur, ces activistes étaient en quelque sorte des survivants ou des reliques d’un autre âge. On comprend alors que, pour les modernistes, cette toile de fond (cette culture victorienne), portée par la « genteel tradition » qui collait au xxe siècle, soit devenue une force d’inertie qui freinait toute création artistique personnelle et que, pour les diffuseurs radiophoniques, ce discours imposait une certaine censure et des limites importantes aux choix musicaux.
Discours étanche et pratique poreuse. Réception du mouvement « Make America Musical » au Québec et adaptation de la programmation radiophonique
C’est du côté de la critique qu’il faut maintenant se tourner pour analyser l’influence que ce mouvement américain a eue sur le discours musical québécois. Prenons un premier exemple : critique musical au journal Le Devoir durant plus de 27 ans, Frédéric Pelletier y a tenu, en plus de critiques ponctuelles reliées à des concerts, une chronique régulière substantielle publiée tous les samedis où il discutait abondamment, sur un ton moralisateur qui ne supportait guère la contestation, des choix musicaux (concerts en salle et émissions radiophoniques) acceptables à ses yeux.
Étonnamment, c’est vers New York, et non vers Paris[36], que le regard de Frédéric Pelletier se tourne pour présenter soit des modèles de conservatoire, soit des exemples de salles de concert, soit des initiatives de mécénat. C’est aussi à partir de textes de critiques américains qu’il introduit ses lecteurs à des réflexions sur la musique, souvent empreintes des clichés qui parsemaient, entre autres, les commentaires de Damrosch à l’émission Music Appreciation Hour. Pelletier a une grande admiration pour ce chef d’orchestre, et il en témoignera dans deux articles soulignant son 70e[37] et son 80e anniversaires[38] dans lesquels il souligne la valeur des commentaires radiophoniques du chef d’orchestre américain : « Cette forme d’enseignement n’a pu avoir que des résultats peut-être capables de contrebalancer l’influence néfaste de la mauvaise musique, elle aussi répandue à flots[39] ».
Il commente régulièrement les textes d’Olin Dowes du New York Times, ceux d’Henry T. Finck du New York Evening Post, ceux de Lawrence Gilman, qu’il classe « au premier rang des littérateurs de l’Amérique de langue anglaise » et dont les chroniques démontraient que « la sûreté [sic] de ses jugements n’avait d’égale que la prodigieuse exactitude de son information[40] », et ceux de Virgil Thompson (qui remplace Gilman à la suite de son décès) au New York Herald Tribune.
Il épouse le patriotisme de Deems Taylor[41], qui se porte à la défense des compositeurs américains, encore trop négligés dans la programmation des concerts. Pelletier reprend les mêmes arguments les 10 avril 1937 et 12 mars 1938 pour revendiquer la diffusion des compositeurs canadiens.
Pelletier feint d’ignorer la littérature musicologique française, préférant commenter les articles américains de David Ewen[42], et informe ses lecteurs des premières grandes synthèses historiques publiées en 1940 chez Norton par Paul Henry Lang (Music in Western Civilization), Curt Sachs (History of Musical Instruments) et Gustav Reese (Music in the Middle Ages). Pour justifier ces choix de lecture, il écrit :
Rien ne nous oblige, en temps normal, de toujours compter sur la France et de nous tenir satisfaits d’une telle remorque. Si nous tenons à conserver notre colonialisme intellectuel près de deux siècles après nous être débarrassés de notre colonialisme politique, il n’y a certes pas de quoi nous vanter, à plus forte raison, à l’heure ou les liens sont rompus […] Ne serait-il pas temps de penser que, si nous avons réellement une « mission providentielle » à remplir du côté de l’Amérique, il est temps de passer à l’action et que nous incluions notre développement artistique[43].
Plusieurs aspects du discours de Frédéric Pelletier s’apparentent aux idées véhiculées par la « genteel tradition », telle la différence qu’il établit entre « la musique populaire et la musique populacière[44] ». Pelletier n’est certes pas le seul critique montréalais de cette période. D’autres ont également été porteurs de ce courant esthétique américain[45], et il ne fait aucun doute que les directeurs radiophoniques ont dû tenir compte de l’impact médiatique que pouvaient susciter leurs choix musicaux. Comment en sont-ils arrivés à contourner ce discours ?
En rendant poreuses les frontières musicales étanches établies par ce mouvement américain entre les différents genres musicaux, soit par des émissions au contenu varié, soit par la manipulation du répertoire classique et populaire, la radio a réussi à créer un genre radiophonique typique qui formait une sorte de zone grise où il devenait difficile, voire impossible pour le critique, de distinguer le noble du trivial, le savant du populaire, le bon du mauvais, le sain du malsain. Cette stratégie, offrant un dégradé subtil des genres musicaux, a permis à la radio de se développer et de conquérir un large public, de « démocratiser la culture » tout en éliminant le caractère moral attribué à la musique par la « genteel tradition ».
L’analyse du discours esthétique auquel a été confrontée la radio à ses débuts nous a permis de mieux cerner le contexte de diffusion de la musique. Cette nouvelle configuration de propositions musicales offertes à la radio à cette époque pionnière a modifié considérablement la classification des genres telle qu’elle avait été établie par la musicologie au début du xxe siècle. Cette porosité entre les genres classique et populaire disparaît progressivement du champ radiophonique après la Seconde Guerre, alors qu’émergent des auditoires de plus en plus fragmentés qui conduiront le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC, créé en 1976) à proposer, en 1991, deux catégories affirmant davantage la spécificité des genres, comme nous l’avons évoqué au début de notre propos : la musique générale, soit le populaire (rock et de danse), le folklore-chansonnier, le jazz-populaire ; et la musique pour auditoire spécialisé, soit la musique traditionnelle, le folklore et le jazz authentique, et… la musique de concert, incluant la création contemporaine, c’est-à-dire :
[…] la musique « classique » incluant l’opéra, l’opérette et le théâtre lyrique y compris le grand opéra, l’opéra-comique, le drame lyrique, le théâtre lyrique narratif ; et toute musique qui englobe des normes de forme, de structure et de goût arrêtées par les artistes au cours des siècles, comme étant les plus propres à communiquer des concepts complexes de la manière la plus cohérente, y compris la musique de compositeurs contemporains qui emploient dans leur ensemble ou en partie des normes établies[46].
Ces catégories ont cependant été révisées en 2000. Le CRTC augmenta les catégories destinées à la musique populaire en y ajoutant le country, la musique acoustique et la « belle musique » (musique de détente), et renvoya du côté des musiques spécialisées le folklore, les musiques du monde, le jazz, le religieux non classique et… la musique de concert dite « classique », incluant l’opéra, l’opérette et les comédies musicales[47]. Toute allusion aux compositeurs contemporains et aux musiques de création, qu’elles soient contemporaines, actuelles, électroacoustiques ou multimédiatiques, a été rayée du texte. Ce retour à la porosité des genres explique, en partie du moins, que ces musiques de création aient pratiquement disparu de l’univers radiophonique au profit des « musiques intermédiaires ».
Appendices
Note biographique
Marie-Thérèse Lefebvre, Ph. D. Musicologie, professeure émérite (2010). Marie-Thérèse Lefebvre a été professeure à la Faculté de musique de l’Université de Montréal et responsable des recherches en musique canadienne de 1980 à 2010. Elle est l’auteure de plusieurs volumes, dont une Chronologie musicale du Québec (1535-2004) en codirection avec Jean-Pierre Pinson (Sillery, Éditions du Septentrion, 2009), et récipiendaire du prix Opus du Conseil québécois de la musique dans la catégorie « Livre de l’année » en 1997, 2005 et 2010, et « Article de l’année » en 2009 ; du Prix d’excellence en enseignement de l’Université de Montréal en 2006 ; et du prix Helmut-Kallmann en 2009 pour sa contribution à la recherche et à la documentation musicologiques canadiennes. Chercheuse au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), elle est membre de la Société des Dix.
Notes
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[1]
Guillaume Kosmicki, Musiques savantes, musiques populaires : une transmission ?, Conférence donnée pour la Cité de la Musique dans le cadre des « Leçons magistrales », le 28 novembre 2006, http://guillaume-kosmicki.org/pdf/musiquespopulaires&musiquessavantes.pdf (19 mars 2012). L’auteur présente un historique du clivage de ces catégories et conclut « qu’elles sont amenées dans un futur proche à être remplacées par un classement beaucoup plus fonctionnel des musiques » (p. 12).
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[2]
Micheline Cambron, « Introduction. L’indiscipline de la culture : objets et méthodes », dans ce numéro, p. 16.
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[3]
Cette réflexion est issue d’un projet plus large que nous avons dirigé entre 2007 et 2010 intitulé : La radio culturelle au Québec de 1922 à 193. : lieu de diffusion, d’émancipation et de sociabilité pluridisciplinaire. Grâce à l’appui du CRSH, plusieurs étudiants ont participé à la numérisation des grilles-horaires quotidiennes du journal La Presse et à l’entrée des données nominatives sur le logiciel Access. Nous remercions plus particulièrement Luc Bellemare, Mario Coutu, Solenn Hellégouarch, Johanne Lang, Lana Munger et Francis Saint-Arnaud. Nous avons publié une synthèse des résultats sous le titre : « Analyse de la programmation radiophonique sur les ondes québécoises entre 1922 et 193. : musique, théâtre, causeries », Les Cahiers des Dix, vol. 65, 2011, p. 179-225.
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[4]
Bien que la problématique que nous soulevons ici s’applique à l’ensemble de la diffusion radiophonique avant 1939, nous puisons nos exemples plus particulièrement dans la programmation du poste CKAC, publiée de manière détaillée dès sa création en 1922 au journal La Presse.
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[5]
L’un des assistants de recherche, Mario Coutu, a évoqué ce problème dans un courriel qu’il nous adressait le 21 mai 2008 : « J’ai entrepris de catégoriser les éléments musicaux du contenu des émissions, ce qui n’est finalement pas si simple. Mon dilemme est le suivant : doit-on prioriser l’objet lui-même (l’oeuvre), le contexte de sa présentation (catégorie d’émission), ou encore le contexte de sa réception (moment de détente et de divertissement) ? Par exemple, comment classer un mouvement de sonate de Beethoven présenté entre deux extraits d’opérettes ? Ou une chanson de Botrel après un extrait de Carmen ? Quel aspect du phénomène musical prioriser ? » À cette difficulté qu’évoque Mario Coutu, nous pourrions ajouter celle, presque insoluble, de tenter d’uniformiser, malgré des consignes précises, la classification des éléments effectuée par six assistants de formation et de culture musicale différentes.
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[6]
L’absence de mise en contexte sur le sens des expressions utilisées à l’époque et leur signification aujourd’hui peut conduire à de fausses interprétations. Ainsi, évoquer que « le musicologue et marchand de musique Raoul Vennat diffusait des émissions consacrées à la musique française contemporaine incluant Ravel, Poulenc et Satie », comme l’affirme Pierre Pagé dans Histoire de la radio au Québec, crée une distorsion importante de la réalité (Pierre Pagé, Histoire de la radio au Québec, Montréal, Fides, 2007, p. 315). Vennat n’était pas musicologue. Propriétaire d’un magasin de musique, il importait de la musique en feuilles de « musique française moderne » (le mot « contemporain » n’a jamais été utilisé dans la grille-horaire), c’est-à-dire de compositeurs « à la mode » dont les pièces brèves pouvaient être interprétées par des musiciens amateurs. Sur les 476 pièces diffusées à son émission entre février 1923 et mai 1924, seules deux pièces de Ravel et six pièces de Debussy furent entendues. Vennat ciblait surtout la musique vocale accessible de Fourdrain, Lagourgue, La Tombelle, Offenbach, Dalcroze, Chaminade, Thomé, Aubert, etc. (On est loin du caractère « innovant » que semble vouloir donner Pierre Pagé aux choix musicaux de Vennat.)
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[7]
Dans son analyse des programmes musicaux, Jacques Beauchamp proposait les catégories suivantes, soit un mélange entre des genres, des fonctions et des instrumentations : « opéra, symphonie, musique sacrée, musique classique, semi-classique, légère, variée, de danse, du bon vieux temps, et musique pour fanfare » (Jacques Beauchamp, Radio et civilisation au Canada français, thèse de doctorat, Université de Paris, 1948, p. 51).
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[8]
Pierre Pagé, Histoire de la radio au Québec, op. cit., p. 314. Tout au long de son étude, l’auteur insiste sur cette idée de démocratisation de la culture.
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[9]
Fuyant le régime nazi, Theodor W. Adorno (1903-1969) séjourna aux États-Unis entre 1938 et 1948 à l’invitation du sociologue Paul Lazarsfeld, directeur du Princeton Radio Research Project, qui visait à enquêter sur les modalités d’écoute des auditeurs américains et à transmettre les données à l’industrie commerciale radiophonique. Adorno fut responsable de la section musicale. Compte tenu de sa formation antérieure (il avait étudié en Allemagne auprès des compositeurs avant-gardistes Schoenberg, Berg et Webern), et compte tenu qu’il avait été témoin des conséquences de la politique culturelle du régime nazi, il porta un jugement sévère sur la manipulation du grand répertoire qui a contribué à la transformation des auditeurs en « consommateurs culturels ». Il parlait alors de musique semi-classique et ajouta le concept de musique légère pour identifier un répertoire populaire qui empruntait à l’écriture classique certains éléments. Cette catégorie a disparu au début des années 1950. (Theodor W. Adorno, Current of Music. Éléments pour une théorie de la radio, Presses de l’Université Laval, 2010 ; Voir aussi : Introduction à la sociologie de la musique : 12 conférences théoriques, Genève, Contrechamps, 2009.)
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[10]
Theodor W. Adorno, « Analytical Study of the NBC Music Appreciation Hour. Unpublished manuscript, 1938-1940 », The Musical Quaterly, vol. 78, no 2, 1994, p. 325-377. Adorno s’en prend, entre autres, à la manière par laquelle Damrosch introduisait ses auditeurs à la « grande musique », soit par de brefs renseignements biographiques et l’énumération des principales oeuvres d’un compositeur, et par des exemples musicaux choisis uniquement pour mémoriser les mélodies principales, en ignorant toute explication sur l’oeuvre elle-même. Cette façon de procéder conduisait, selon Adorno, à un véritable culte de personnalités et à une désinformation totale des oeuvres.
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[11]
Traduction libre de : « Commercial broadcasters of the 1920s and 1930s regularly altered the instrumentation and length of classical compositions for radio airplay, adapting melodies for jazz orchestras and featuring truncated selections that focused on short, easily recognizable themes. Anticipating Adorno’s later, more celebrated critiques of these practices, critics charged that radio adaptation posed direct threats to the integrity of classical works, altering their meaning and presenting serious impediments to music appreciation. » (Shawn Vancour, « Popularizing the classics : radio’s role in the American music appreciation movement, 1922–1934 », Media Culture Society, vol. 31, no 2, 1er mars 2009, p. 298, www.mcs.sagepub.com (25 juin 2011).)
-
[12]
Timothy D. Taylor, « Music and advertising in early radio », ECHO : a music-centered journal, vol. 5, no 2, 2003, p. 11-15. www.echo.ucla.edu (3 juillet 2011).
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[13]
Un répertoire qui sera classé à l’enseigne de « musique légère », un genre de musique qui s’est développé en Angleterre à la fin du xixe siècle afin de rendre accessible au plus grand nombre le répertoire classique. Voir : http://wikipedia.org/wiki/light_music (9 décembre 2010).
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[14]
Hélène Eck, « La radiodiffusion dans l’entre-deux-guerres : l’invention d’une culture médiatique singulière », Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli, François Vallotton (dir.), Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques, 1860-1940, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 239-240.
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[15]
Un bon exemple de ce type de musique d’ambiance est celle qui était jouée par l’orchestre de Mantovani ou celle de Jean Deslauriers à l’émission Sérénade pour cordes diffusée à Radio-Canada de 1937 à 1957, ou encore, plus récemment, celle d’André Rieu.
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[16]
Traduction libre de : « Broadcasters also attempted to integrate classical and popular music into the structure of single half-hour or hour-long variety programs […] Classical content of these programs was restricted to brief excerpts, cut with judicious amounts of popular music. […] While preserving classical music’s place on program schedules, varying these selections with “lighter” popular “breathers” helped sponsors minimize the risk of alienating taste publics who might find these works difficult or otherwise unappealing and switch to another station » (Shawn Vancour, « Popularizing the classics : radio’s role in the American music appreciation movement, 1922–1934 », op. cit., p. 294).
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[17]
Expression qui représentait, selon Léo-Pol Morin, le goût musical de la classe bourgeoise : « On est toujours assuré avec J.J. Gagnier que la part faite à la “bonne musique” pour parler bourgeois, sera large » (Léo-Pol Morin, « La musique à McGill », La Patrie, 19 janvier 1929, p. 52).
-
[18]
Sur le concept de « culture de masse », voir l’étude de Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli, François Valloton (dir.), Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques, 1860-1940, Paris, Presses universitaires de France, 2006.On peut cependant se demander si ce phénomène est unique au territoire nord-américain. Qu’en est-il de la diffusion radiophonique en France durant la même période ? La récente publication de Christophe Bennet, La musique à la radio dans les années trente, Paris, L’Harmattan, 2010, débute par ce sous-titre : « Une difficile classification des programmes ».Cette coexistence et ce mélange des genres qu’il observe à l’intérieur d’une même émission mettent en lumière « des phénomènes d’acculturation musicale en lien étroit avec des pratiques radiophoniques » (p. 82). Dans une analyse exhaustive de deux stations radiophoniques (p. 22-30 et 148-149), Radio-Paris (radio publique) et Radio-Cité (radio privée), l’auteur dénombre pas moins de 34 catégories sous lesquelles il classe la musique savante (baroque, symphonique, lyrique, musique de chambre, récital), la musique intermédiaire (musique symphonique légère ou de genre, l’opérette et ses dérivés, comédie musicale, musique de film, opérette classique, opérette-revue, opérettes étrangères), la musique de divertissement (chanson et variétés, dancing), et les musiques diverses (militaires, traditionnelles, régionalistes). Le corpus d’oeuvres diffusées à ces deux stations s’apparente à celui que nous avons répertorié au cours de notre recherche. Un autre élément qui ressort de l’analyse de Bennet est l’importance de l’influence américaine sur la diffusion française. Observant le fonctionnement de la radio privée, il écrit : « Les stations privées privilégient des programmes plus légers et couplent leurs émissions avec des animateurs qui deviennent eux-mêmes des vedettes […] Ces conceptions nouvelles sont fortement inspirées de ce que produit la radio nord-américaine depuis plus de dix ans. En juin 1938, les dirigeants de Radio-Cité font d’ailleurs le voyage en Amérique pour prendre connaissances [sic] des recettes déjà expérimentées par les radios états-uniennes » (p. 124).
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[19]
Lionel Groulx, Nos responsabilités intellectuelles, Secrétariat général de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française, tract no 6, 1928.
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[20]
Johanne Lang, « Inventaire et analyse de l’émission radiophonique culturelle “L’Heure provinciale” à CKAC 1929-1939 », mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2011. L’auteure consacre plusieurs pages à ce mouvement américain. Sa réflexion sur les origines de l’expression « bonne musique » s’inspire en grande partie du séminaire pluridisciplinaire sur la radio culturelle québécoise que nous avons dirigé à l’hiver 2009.
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[21]
Stephen R. Greene rapporte que lors d’une réunion du Conseil national de la National Federation of Music Clubs tenue à New York à la fin novembre 1930, une série de résolutions ont été adoptées, dont celle d’interdire le jazz. La Fédération s’élève aussi contre toute tentative de « jazzer » les oeuvres classiques, notamment à la radio, et contre toute forme médiocre d’arrangements mal adaptés pour certains instruments, une façon de faire que la radio affectionnait tout particulièrement (Stephen R. Greene, « Visions of a “Musical America” in the radio », thèse de doctorat, University of Pittsburg, 2008, p. 247).
-
[22]
Première émission subventionnée par le gouvernement québécois, L’Heure provinciale a été diffusée à CKAC de 1929 à 1939.
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[23]
Édouard Montpetit et Henri Letondal, « Rapport des directeurs de l’Heure provinciale », Rapport annuel du ministère des Terres et Forêts, 1930-1931, Québec, 1930, p. 222.
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[24]
Stephen R. Greene, Visions of a “Musical America” in the radio, op. cit.
-
[25]
Arthur Laurendeau, « La radio », L’Action nationale, 1934 p. 133-134.
-
[26]
http://www.nfmc-usic.org/About%20NFMC/Traditions/nfmchistoryarticle.htm (25 novembre 2010).
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[27]
Frédéric Pelletier fera régulièrement allusion aux propos de Damrosch dans ses chroniques musicales au journal Le Devoir.
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[28]
Parmi ces correspondants, mentionnons Alfred Laliberté, Frédéric Pelletier, Charles-O. Lamontagne.
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[29]
Traduction libre de : « [A] major cultural shift occurred somewhere around the turn of the twentieth century that conflicted with some of the goals of the most ardent of these good music activists. The social role they attempted to assume in the middle-1920s had faded away with this cultural shift, and because of this, their efforts were inappropriate for the age in which they lived, and it was inevitable they would fail. » (Stephen R. Greene, Visions of a “Musical America” in the radio, op. cit. p. 25).
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[30]
Idem, p. 28.
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[31]
Une des premières publications paraît en 1898 sous la plume d’un critique musical de New York, W.J. Henderson, What is Good Music ? Suggestions to persons desiring to cultivate a taste in the musical art, réédité annuellement jusqu’en 1935.
-
[32]
David Joel Metzer, « The ascendancy of musical modernism in New York City, 1915-1929 », thèse de doctorat, Yale University, 1993.
-
[33]
Douglas L. Wilson (dir.), The Genteel Tradition : Nine Essays by George Santayana, Cambridge, Harvard University Press, 1967, p. 38-64.
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[34]
Malcolm Cowley, After the genteel tradition : American writers, 1910-1930, New York, Malcolm Cowley editor, 1937.
-
[35]
Traduction libre de : « Music, like other cultural activities, was separated from daily life and elevated to an idealistic realm in which it was regarded as primarily a manifestation of beauty, nobility and morality rather than as an intrinsic expression of human experience. […] Walter Damrosch who along with his brother Frank was a leading propagator of the genteel tradition, extolled the ability of music to elevate the listener above the banality of daily life. » (David Joel Metzer « The ascendancy of musical modernism in New York City, 1915-1929 », op. cit., p. 59.)
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[36]
Selon la thèse de Gérard Bouchard élaborée dans Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, la culture savante était davantage tournée vers la France alors que la culture populaire s’appuyait sur les États-Unis. (Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, Montréal, Boréal, 2000). Or Frédéric Pelletier, qui appartenait à cette élite lettrée, puise la plupart de ses références dans le milieu musical américain. D’autres exemples semblables que nous avons répertoriés au cours de nos recherches nous invitent à nuancer le propos de l’historien.
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[37]
Frédéric Pelletier, « La vie musicale », Le Devoir, 13 février 1932, p. 6.
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[38]
Frédéric Pelletier, « La vie musicale », Le Devoir, 7 février 1942, p. 6.
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[39]
Ibidem.
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[40]
Frédéric Pelletier, « La vie musicale », Le Devoir, 23 septembre 1939, p. 6.
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[41]
Critique au New York World, puis éditeur du Musical America, Deems Taylor a été consultant du réseau CBS et commentateur radiophonique des concerts de la New York Philharmonic Society de 1936 à 1943.
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[42]
Frédéric Pelletier, « La vie musicale », Le Devoir, 6 mars 1937, p. 6.
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[43]
Frédéric Pelletier, « La vie musicale », Le Devoir, 15 novembre 1941, p. 6.
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[44]
Frédéric Pelletier, « La vie musicale », Le Devoir, 10 avril 1926, p. 6.
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[45]
L’analyse des chroniques musicales francophones et anglophones montréalaises de la première moitié du xxe siècle est en cours. Elle nous permettra de mesurer l’influence du discours américain au regard de celui de la France sur l’art savant au Québec.
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[46]
« Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes », http://www.crtc.gc.ca/fra/ archive/1991/PB91-19.HTM (2 avril 2012).
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[47]
Ibidem.