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L’impasse amérindienne est le fruit de la collaboration de Michel Lavoie, professeur associé au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke et de l’historien québécois Denis Vaugeois. Ils se sont penchés en détail sur trois importantes commissions d’enquête, tenues entre 1828 et 1858, qui ont été à l’origine de l’actuelle loi sur les Indiens dont découle la création des réserves telles qu’on les connaît aujourd’hui. Les auteurs ont abondamment annoté les rapports de Darling (1828), de Bagot (1844) et de Pennefather (1858), restituant des informations précises et pertinentes sur une période relativement mal connue. La préface, rédigée par Denis Vaugeois, évoque les alliances franco-indiennes conclues dès 1600 et va jusqu’au début du xixe siècle, quand ont lieu les premières commissions d’enquête, alors que Londres trouve que les Indiens coûtent décidément trop cher, eux qui sont pourtant dans une misère totale.
Dans son introduction à l’ouvrage, Michel Lavoie présente ces trois enquêtes sur les affaires indiennes, qui ont marqué de façon profonde la politique indienne après la formation de la Confédération en 1867. Les trois rapports s’accordent pour préconiser une politique de « civilisation » des Indiens, qui sont devenus des « Sauvages » dans les rapports Bagot et Pennefather (quelques remarques sur ce terme auraient d’ailleurs été bienvenues.) Les axes de cette politique sont la sédentarisation, l’initiation à l’agriculture, la christianisation et l’éducation. En dépit de l’impatience du gouvernement, qui souhaiterait réduire les coûts liés à l’administration des affaires indiennes, ces rapports insistent pour conserver la coutume de la distribution annuelle des « présents », que les Indiens considèrent comme une « dette sacrée », et pour ne pas supprimer le département des Affaires indiennes, indispensable selon eux à la protection des Autochtones.
Le rapport Darling indique que les biens des Indiens sont « quotidiennement pillés par leurs frères blancs » et rapporte, entre autres, les protestations des Indiens contre la circulation des spiritueux, interdite pourtant par les lois françaises et anglaises. Il précise qu’ils sont régulièrement victimes de colons sans scrupules.
Une quinzaine d’années plus tard, le rapport Bagot décrit une situation quasiment inchangée. Le gouverneur Bagot déplore qu’il n’y ait aucun moyen de protéger les Sauvages de l’entourage des Blancs. Même la christianisation est source de problèmes, en raison des affrontements entre les différentes Églises pour l’éducation. L’importance grandissante du métissage est soulignée ; les détails abondent sur l’évolution des habitudes quotidiennes et les caractéristiques des diverses tribus. Le gouverneur Bagot fait preuve d’un grand souci de précision en fournissant la liste des biens des Sauvages et une copie des recettes et des dépenses pour telle ou telle tribu. Il insère en outre, dans son propre rapport, des extraits d’autres rapports, ainsi que des échanges de correspondance. À plusieurs reprises, il n’hésite pas à déplorer les effets démoralisateurs et dévastateurs d’une civilisation partielle, qui a effacé la beauté et la noblesse originelles : « Il y a eu quelque vice dans la façon de les traiter ».
Le but premier du rapport demandé à Pennefather était, une fois encore, de réduire les dépenses liées au département des Affaires indiennes. Scrupuleusement, le commissaire fournit des renseignements sur les types d’habitat, le matériel agricole et les récoltes, la scolarisation et les programmes, de même que sur le placement, contre leur volonté, du produit de la vente de leurs terres. En toute objectivité, il écrit que certains frais leur sont imputés à tort et qu’il n’est pas tenu compte des indemnités et des intérêts qui leur sont dus, déclarant que c’est une injustice flagrante. À son tour, Pennefather accuse les colons de dépouiller totalement les Indiens ; les droits des Sauvages sont trop souvent méconnus et leurs réclamations sont bien fondées. Néanmoins, si les colons et les marchands trafiquants sont responsables d’un état de servitude et de dépendance, la misère de certains villages résulte de la négligence du gouvernement et du manque de contrôle des surintendants locaux. Quant à l’état des Indiens eux-mêmes, il constate que l’augmentation du métissage introduit une nouvelle hiérarchisation des races ; les langues autochtones tendent à disparaître, comme celle des Hurons de Lorette. Enfin, Pennefather prévoit que la vague grossissante de l’immigration va dépouiller les Indiens du peu qui leur reste, et il s’en inquiète.
Les trois rapports sont précis, fidèles et sans complaisance. Ils représentent une source précieuse d’information.
L’impasse amérindienne ? Le mot semble juste. Aux yeux des citoyens canadiens, la question autochtone au Canada paraît insoluble. Les quelques ententes qui ont eu lieu depuis la première loi sur les Indiens en 1867, puis la loi sur les Sauvages en 1876 et l’Acte relatif aux Sauvages en 1880 n’ont pas permis de modifier réellement les relations entre l’État et les Amérindiens. Si ces trois rapports avaient été davantage pris en compte, leur honnêteté, leurs recommandations et les critiques implicites ou explicites auraient peut-être permis d’aboutir à une loi sur les Indiens plus juste. Au fil du temps, les recommandations des commissaires et les suggestions des secrétaires d’État n’ont pas manqué, mais n’ont pas été mises en application car le gouvernement jugeait que d’autres affaires étaient plus pressantes.
Dans leur conclusion, Michel Lavoie et Denis Vaugeois évoquent d’autres rapports, comme le rapport Hawthorn-Tremblay au milieu des années 1960 et celui de la CRPA (Commission royale sur les peuples autochtones) de 1996 et leurs très nombreuses recommandations. Selon eux, les politiques d’assimilation ont fait un mal énorme. Ces rapports ont obtenu le soutien des responsables autochtones, mais la réaction du gouvernement fédéral a été au mieux l’indifférence, au pire l’hostilité. Il n’en reste pas moins que, selon les auteurs, les rapports des commissions préparent et modèlent l’opinion et la politique. C’est ainsi que le gouvernement a exprimé, en 1998, ses regrets pour sa gestion des affaires indiennes et sa responsabilité dans la situation actuelle des Autochtones, officialisés par des excuses en 2008.
L’impasse amérindienne démontre à quel point, pendant presque 200 ans, on a ignoré les commissions d’enquête, leurs remarques et leurs recommandations. L’évolution de la question amérindienne au Canada prouve cependant qu’elles n’ont pas été inutiles, comme le montre l’article 35 de la loi constitutionnelle de 1982 sur les droits des peuples autochtones du Canada : « Les droits existants, ancestraux ou issus des traités, des peuples autochtones du Canada, sont reconnus et respectés ». Ainsi, les dernières pages de cet ouvrage bien documenté semblent annoncer une possible sortie de l’impasse.
À la fin du livre, la chronologie, depuis la création par les Britanniques en 1755 du département des Affaires indiennes jusqu’au début de l’ère des traités numérotés en 1879, les notes relatives aux nations indiennes et l’index qui les suit enrichissent l’ouvrage de Michel Lavoie et Denis Vaugeois. L’originalité de leur travail réside dans le fait qu’ils accompagnent le lecteur au fil des pages en répondant à ses éventuelles interrogations grâce aux abondantes annotations qui émaillent le texte. Puis, dépassant le cadre des trois rapports qui forment le corps du livre, ils montrent que, contrairement aux apparences, ils ont largement influencé la politique indienne canadienne et continuent à le faire. C’est pour ces raisons que L’impasse amérindienne fera référence pour tous ceux qui s’intéressent aux relations entre le Canada et les peuples autochtones.