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Le deuil est une situation « banale », universelle, pouvant concerner chacun à tout instant de son développement individuel et interpersonnel, tout au long de son existence. Un peu plus d’un siècle après la publication de Deuil et Mélancolie (Freud, 2005), l’impact du deuil sur la santé des proches du défunt a été largement établi (Stroebe et al., 2007) et étendu à des manifestations psychiques et/ou somatiques variées, parfois sévères et durables, notamment lorsqu’il existe un état de deuil compliqué ou persistant.

La prévalence des maladies auto-immunes (MAI) est en augmentation constante dans le monde (Sebbag et al., 2019). L’une des plus fréquentes, le lupus systémique (LS), touche essentiellement des femmes jeunes qui développent des auto-anticorps dirigés contre des constituants du noyau cellulaire. La cause du LS est supposée multifactorielle, faisant intervenir des facteurs génétiques et environnementaux, dont certains (hormones, UV, médicaments…) sont plutôt considérés comme des facteurs favorisants. Depuis peu, nous savons que la dérégulation immunitaire dont témoigne la détection d’auto-anticorps précède de plusieurs mois, voire années, les premiers signes cliniques du LS. Du fait de son caractère chronique et de son pronostic relativement favorable, le LS est un modèle pour la recherche étiopathogénique de maladie immunologique complexe.

Plusieurs études récentes ont pointé la présence plus importante de traumatismes psychiques antérieurs à la survenue de la maladie chez les personnes développant un LS (Roberts et al., 2018, 2017). Ces données ont également été confirmées pour d’autres MAI par des travaux épidémiologiques robustes, et font écho aux travaux chez l’animal qui suggèrent d’une part l’importance des facteurs psychosociaux dans la genèse d’une dysfonction immunitaire (Snyder-Mackler et al., 2016) et d’autre part le rôle de modifications épigénétiques survenant durant les phases précoces du développement et susceptibles de se manifester à l’âge adulte en contexte de stress (Surace et Hedrich, 2019).

Dans une première partie, nous présentons et discutons les résultats de travaux de recherche qualitative menés auprès de patients souffrant de MAI (LS essentiellement), notamment ceux des investigations réalisées dans un dispositif de double écoute. Dans une seconde partie, nous proposons une revue de la littérature scientifique interdisciplinaire organisée selon les critères de causalité de Hill (1965). Enfin, dans la dernière partie, nous discutons, sous l’angle du modèle biopsychosocial, les implications possibles de notre travail en termes de perspectives de recherche et de prise en charge des patients souffrant de MAI, mais également d’autres pathologies dysimmunitaires telles que le cancer.

Analyse de travaux de recherche qualitative et hypothèses

Études, patients et méthodes

Les principales caractéristiques des 3 études sont présentées dans le tableau 1. Il s’agit de cohortes indépendantes[1] et dont les différentes approches sont complémentaires concernant les modalités de collecte : items de questionnaires ouverts (Psy-LUP, INSIDE) ou au contraire spécifiques au deuil (Lupus Mourning Survey-LMS), collecte en ligne (LMS), par un psychologue (Psy-LUP) ou au cours d’un entretien dans un dispositif de double écoute en présence d’un binôme médecin/psychologue (INSIDE). Pour la LMS, en dehors des caractéristiques de son LS et du deuil ciblé (c’est-à-dire considéré par les patients comme le plus significatif et de survenue antérieure au LS[2]), le questionnaire comprenait les 17 items[3] de l’Inventory of Complicated Grief - Revised (ICG-R) dans sa version française (K’Delant, 2010), dont les réponses en 5 points s’échelonnent de « presque jamais » à « toujours ». Un diagnostic de deuil compliqué ou trouble du deuil persistant (TDP) était retenu si au moins trois des quatre symptômes relatifs à la détresse de séparation (Critère‐A) et six des onze symptômes relatifs à la détresse traumatique (Critère‐B) obtenaient une réponse « souvent » ou « toujours », et que ces symptômes étaient présents depuis au moins six mois (Critère‐C), associés à la présence d’un critère de dysfonctionnement (Critère‐D; ici, la pathologie auto-immune). Il comprenait aussi un item du Texas Revised Inventory of Grief (TRIG) pour qualifier la relation au défunt avec un score de 1 à 5[4].

Tableau 1

Caractéristiques des 3 cohortes étudiées[5]

Caractéristiques des 3 cohortes étudiées5

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Résultats

Au sein de la cohorte PSY-LUP, les résultats disponibles de 90 patients pour le Brief Illness Perception Questionnaire (B-IPQ) ont été analysés. À la question « veuillez énumérer par ordre d’importance les trois raisons qui ont, à votre avis, provoqué votre maladie », les trois quarts des patients ont rapporté au moins une « cause » à la survenue du LS. Pour 79 % d’entre eux, nous retrouvions le « stress » dans au moins une des 3 raisons évoquées, le plus souvent (69 %) en première position; 10 % indiquaient un ou plusieurs deuils (de personne) comme cause de leur LS, avec par ailleurs d’autres mentions récurrentes correspondant à des situations de type « changement » ou « séparation ».

Au sein de la cohorte Lupus Mourning Survey, 90 des 100 questionnaires ont été finalement analysés (après exclusion des deuils postérieurs à la survenue du LS). Les répondants étaient principalement des femmes (98 %), âgées en médiane de 43 ans, avec un score ICG-R moyen de 16.35 (±14), mais seulement 9 % remplissaient les critères complets de trouble du deuil persistant (TDP). Il n’y avait pas de différences de caractéristiques entre les patientes avec ou sans TDP, mais on observait une corrélation significative entre les scores élevés et 3 facteurs :

1) la brutalité du décès (rapportée pour 68 %);

2) l’importance de la relation avec le défunt qualifiée de très proche (items cotés à 1 ou à 2/5 du TRIG pour 72 %)[6];

3) le lien fait par le patient entre ce deuil et la survenue du LS, lien fait par un tiers des participants. D’autres deuils étaient signalés avant la survenue du LS (59 %) et le deuil ciblé survenait rarement (16 %) dans les 2 ans précédant le LS, mais en médiane 7 ans (3-15) avant son diagnostic.

La temporalité du deuil significatif, avant la survenue du LS, est représentée dans la figure 1a[7], et mise en perspective avec la temporalité rapportée dans la littérature de la détection de différents auto-anticorps du LS avant la survenue des signes cliniques de la maladie (figure 1b).

Figure 1

A) Présence d’un deuil significatif avant (en années) le diagnostic clinique de lupus (flèche rouge) pour les patients (cohorte LMS) ayant perdu une personne avec laquelle la relation était très importante (1 ou 2 sur 5) en pointillé ou moins importante (3 à 5 sur 5 sur l’item du TRIG) en trait plein;

B) Détection des auto-anticorps avant (en année) le diagnostic de lupus (flèche rouge) à partir de la publication de Heinlen et al. (2010).

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Enfin, au sein de la cohorte INSIDE, les patients présentaient des maladies auto-immunes systémiques variées (dont LS) ou l’association de plusieurs pathologies auto-immunes d’organe. Il s’agissait de patients consécutifs, rencontrés pour la première fois dans la moitié des cas, ayant accepté une consultation avec un binôme interniste/psychologue. Nous identifiions les éléments d’un deuil pathologique chez 43 (86 %) patients, dont 10 (20 %) relataient des hallucinations persistantes isolées du défunt, principalement visuelles et/ou auditives. À propos de ce deuil que nous qualifierons d’essentiel, la plupart des patients n’avaient pas pu assister à l’enterrement, ni se recueillir ultérieurement sur la tombe du défunt; nous notions une réelle difficulté à se souvenir de la date (l’année) du décès chez des patients qui, par ailleurs, n’avaient aucune difficulté à dater précisément d’autres événements les concernant ou concernant d’autres proches; enfin, l’évocation spécifique de leur relation avec le défunt était un des rares moments de l’investigation où les affects étaient démonstratifs, au sein d’un discours souvent assez opératoire. L’anamnèse retrouvait parfois des épisodes antérieurs de dépression, mais beaucoup plus souvent, des épisodes hypomaniaques, voire maniaques[8]. Bien que soient identifiés des traits névrotiques (des lignées hystérique et/ou obsessionnelle), il s’agissait de patients présentant tous des états limites. En plus de ce deuil essentiel, qui survenait le plus souvent dans la décennie précédant la survenue de la MAI, nous identifiions presque constamment un deuil qualifié, lui, d’actuel (46/50), survenant dans les semaines ou mois précédant les premiers symptômes cliniques de la MAI. Le deuil essentiel concernait toujours une personne, le plus souvent l’un des grands-parents, une nourrice, le père (jamais la mère) ou un autre personnage familier généralement de la première enfance[9], et il s’agissait le plus souvent d’une perte d’objet réelle, plus rarement seulement fantasmée. Le deuil actuel n’était pas toujours un deuil de personne, mais souvent d’ordre symbolique (divorce, expatriation), et un lien entre ce dernier deuil et le défunt du deuil essentiel était souvent établi sans difficulté par le patient lors de l’investigation. Il pouvait s’agir, dans certains cas moins évidents, de moments « heureux » de changement (naissance ou mariage), où l’absence du défunt faisait élément de rappel du deuil essentiel (« l’absent sur la photo ») et, dans la plupart des cas, la situation même du deuil actuel faisait rappel du deuil essentiel précédent, non élaboré. La recherche de traumatismes précoces auprès des patients[10] relevait des traumatismes survenant pendant la période anténatale (17/50) avec notamment des dépressions maternelles au cours de la grossesse dans des contextes de deuil/séparation.

Discussion

Nous montrons ici, dans 3 cohortes indépendantes de patients atteints de maladies auto-immunes, le lien possible entre deuil et auto-immunité. Selon la méthode utilisée pour questionner sur le deuil, ce lien est plus ou moins établi par les patients eux-mêmes. Ainsi, dans la cohorte Psy-LUP, seulement 10 % des patients ont évoqué spontanément le rôle d’un deuil dans le déclenchement de leur maladie, même si de nombreux patients ont signalé un stress ou un changement (sans précision). Dans l’enquête en ligne LMS, 9 % des patients répondaient aux critères stricts de l’ICG-R d’un deuil pathologique et un tiers identifiait un lien entre un deuil particulier (survenu en médiane 7 ans avant le début des symptômes) et la survenue de leur LS. En plus de ses limitations transculturelles déjà identifiées (Ben-Cheikh, Rachédi et Rousseau, 2020), le questionnaire ICG-R n’a pas été développé pour des patients présentant des somatisations (Do et al., 2010) et a été administré dans ce travail parfois très longtemps après le deuil en question[7]. Ces résultats montrent que la durée d’un deuil pathologique peut être très prolongée, mais la présence d’un deuil pathologique antérieur révolu au moment du questionnaire n’a pas pu être explorée chez les autres patients. Dans la cohorte INSIDE, avec un dispositif de double écoute interniste/psychologue, la grande majorité des patients présentait les éléments cliniques d’un deuil pathologique (Volkan, 1970).

Les résultats présentés convergent concernant le moment de la survenue clinique de la maladie auto-immune dans les suites d’une séquence de deuils particulière : celle d’un deuil actuel précédé d’un deuil essentiel. Les patients (des femmes en grande majorité) développent leurs premiers symptômes systématiquement dans les semaines ou mois après un deuil récent (ou deuil actuel) plus ou moins élaboré dont ils font facilement état. Que de tels événements banals de vie soient suivis d’un LS pourrait s’intégrer dans un modèle classique de causalité multiple (le stress ou le deuil actuel jouant un rôle de « goutte d’eau »). Pourtant, des éléments psychiques, biologiques et anamnestiques nous ont permis de ne pas nous contenter de ce deuil « écran », et de faire l’hypothèse sérieuse d’une causalité avec un deuil antérieur, occulté par la majorité des patientes, et que nous avons qualifié de deuil essentiel. Sur le plan psychique, nous avons pu identifier, chez un certain nombre de patientes, des phénomènes hallucinatoires (ou hallucinoses[11]) isolés (et hors de toute psychose) et concernant essentiellement le personnage familial/familier décédé des années auparavant[12]. Sur le plan biologique, les travaux récents nous ont appris que la majorité des patients développe une auto-immunité biologique (auto-anticorps) plusieurs années avant l’émergence clinique du LS (Arbuckle et al., 2003; Heinlen et al., 2010), et nous ont amené à étendre notre enquête étiologique non pas à quelques semaines ou mois, mais à plusieurs années avant les premières manifestations cliniques de la maladie auto-immune. C’est dans cette temporalité que les patients ont pointé leur deuil essentiel (figure 1). Enfin, sur le plan anamnestique, ce deuil était celui d’un personnage familial ou familier dont le lien avec le patient était qualifié d’unique ou de très important, de manière paradoxale (en apparence) avec le fait que ce décès n’avait pas, dans un premier temps, été mentionné spontanément lors des investigations à la recherche des événements passés traumatiques précédant le LS. L’évocation de ce deuil était ensuite suivie, chez les patients de la cohorte INSIDE, d’une remontée massive d’affects lorsque les patients étaient invités à parler plus en détail de leurs liens avec le défunt, révélant souvent des éléments forts d’identification à ce dernier. Pour ce deuil essentiel, nous constations, comme Freud dans son travail sur la mélancolie (2005), que « le patient sait qui il a perdu, mais pas ce qu’il a perdu ». Pour la plupart de nos patientes, la relation avec l’objet essentiel avait débuté dans les premiers mois de vie, et le fait qu’il ne s’agisse jamais de la mère et que nous puissions repérer, pour un grand nombre de patientes, un contexte traumatique précoce maternel pendant la période prénatale nous fait poser l’hypothèse d’un premier deuil ou d’un deuil originel qui initierait la séquence (ou répétition) deuil originel – deuil essentiel – deuil actuel – somatisation[13].

Interprétation causale selon Hill et apports interdisciplinaires

Pour mettre à l’épreuve l’hypothèse d’une causalité entre deuil (compliqué) et survenue d’une somatisation auto-immune (LS par exemple), nous nous appuierons sur une analyse des connaissances établies dans différentes disciplines : médecine, immunologie et neuro-immunologie, psychanalyse et psychosomatique, éthologie et anthropologie. La recherche bibliographique a été faite en français et en anglais[14]. Pour structurer cette partie du travail, nous utiliserons, dans le tableau 2, les « critères » proposés par Hill[15] (1965) comme guide à l’interprétation de la causalité.

Tableau 2

Les 9 critères de causalité de Hill

Les 9 critères de causalité de Hill

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Force (de l’association)

Bien qu’un effet de faible ampleur n’exclue pas la présence d’un lien de causalité, plus l’ampleur (la force) des effets est large, plus le lien de causalité est probable. Des données de cohortes importantes, américaines ou européennes, civiles ou militaires, avec des suivis parfois de plusieurs décennies, ont retrouvé une force d’association allant de x1.5 à x3 entre la survenue de traumatismes et/ou dépression et le développement ultérieur de maladies auto-immunes (dont le LS), même après ajustement pour de nombreux facteurs confondants environnementaux ou cliniques (tabagisme, index de masse corporelle, etc.), et même dans une cohorte de jumeaux pour s’affranchir du facteur génétique (Bookwalter et al., 2020; Feldman et al., 2019; Roberts et al., 2018, 2017; Song et al., 2018). Nous retiendrons donc ce critère de force de l’association, tout en reconnaissant que ces données ne concernent pas spécifiquement le deuil, mais les traumatismes au sens large.

Reproductibilité

Il s’agit ici de vérifier la constance (ou répétition) de l’association observée dans d’autres circonstances et/ou par d’autres observateurs, avec idéalement des méthodologies différentes. J. W. Paulley, psychosomaticien anglais ayant conduit des investigations (1979) auprès de patients souffrant de sclérose en plaques, de maladies inflammatoires intestinales ou de vascularites, met en avant le deuil non élaboré comme un facteur causal de ces maladies (1983). Dans les suites de l’étude INSIDE, nous avons pu identifier en consultation des deuils essentiels pathologiques chez plusieurs centaines de patients présentant des maladies auto-immunes variées. Ce critère de reproductibilité nécessite encore confirmation. Nous suspectons que le lien entre deuil et auto-immunité n’ait pas été étudié de façon plus approfondie jusqu’ici en raison du caractère « banal » du deuil (pour le soignant comme pour le patient), et du délai parfois long entre le deuil essentiel et la survenue des symptômes, comme les éléments traumatiques plus récents (ou deuil actuel) font facilement « écran » lors d’une anamnèse pourtant bien conduite.

Spécificité

Ce critère détermine si une cause produit un effet particulier dans une population particulière en l’absence d’autres explications, et si l’exposition est présente chez tous les malades (ou presque). Dans notre hypothèse, nous pouvons nous attacher à identifier :

1) si les endeuillés sont plus souvent sujets à la survenue de maladies auto-immunes; et/ou

2) si les patients souffrant de maladies auto-immunes ont eu plus souvent des deuils (pathologiques).

Les études disponibles sur les effets du deuil sont formelles concernant des pathologies fréquentes telles que les maladies cardiovasculaires ou les cancers (Jones et al., 2010; Stroebe et al., 2007; Kaprio et al., 1987), mais manquent de puissance pour les maladies auto-immunes, plus rares[16]. Le cancer pouvant être considéré comme une dysfonction immunitaire[17] en « négatif des maladies auto-immunes » (Kaminski et al., 2021), cette causalité entre deuil et cancer nous semble intéressante. Dans le cadre du cancer également, le travail pionnier de la psychanalyste américaine Elida Evans (1926), récemment redécouvert (Balenci, 2020), identifie des pertes objectales (deuils) significatives précédant la survenue du cancer chez l’ensemble des patients étudiés. Les psychosomaticiens de l’école de Paris (Jasmin et al., 1990) ont également montré un lien, chez des patients au diagnostic de cancer du sein (comparés à un groupe contrôle), entre des pertes d’objet anciennes et/ou récentes non élaborées et la survenue du cancer. Pour cette somatisation cancéreuse, le critère de spécificité nous semble rempli. Il reste à établir, dans le cadre d’autres pathologies dysimmunitaires, les maladies auto-immunes.

Temporalité

Ce critère considère que la cause (l’exposition) précède les conséquences (la maladie) et s’applique particulièrement aux pathologies à développement progressif. Nous pouvons nous référer aux travaux de cohortes déjà mentionnés et associant la survenue de traumatismes antérieurs à celle d’un LS par exemple (Feldman et al., 2019; Roberts et al., 2017). Des données sur un impact à long terme du deuil sont disponibles, mais sur de trop faibles effectifs pour des pathologies auto-immunes rares comme le LS, nous obligeant à nous contenter des approches rétrospectives. De façon intéressante, les délais observés entre la survenue d’anomalies biologiques (apparition d’auto-anticorps) et l’apparition des symptômes de LS (Heinlen et al., 2010; Arbuckle et al., 2003) sont tout à fait compatibles avec ceux des deuils essentiels identifiés par les patients des cohortes Lupus Mourning Study (figure 1a, 1b) et INSIDE, c’est-à-dire concordant avec la séquence deuil pathologique – auto-anticorps – symptômes cliniques de LS.

Relation dose-effet

Il s’agit d’évaluer si une plus large dose mène à un plus large effet, c’est-à-dire si la fréquence de la maladie augmente avec l’intensité d’exposition. Dans le cas du deuil essentiel précédant la survenue d’une maladie auto-immune, à la fois le caractère pathologique de ce deuil essentiel et son association à un deuil actuel (deuils multiples) peuvent rendre compte d’un certain effet « dose ». Mais, on peut aussi envisager les cas où un nouveau deuil (perte d’objet) chez un patient lupique en rémission précède soit une nouvelle poussée de la maladie[18], soit la survenue d’une autre maladie auto-immune, comme dans le cas rapporté par Paulley (1986) ou celui de la patiente de la vignette suivante.

Vignette

Mme G. a 47 ans. Elle présente un diabète de type 1 diagnostiqué à l’âge de 25 ans, bien contrôlé par insulinothérapie. Depuis quelques mois, elle présente une douleur de la langue avec aspect de glossite, secondaire à une carence en vitamine B12, conduisant au diagnostic de maladie de Biermer (gastrite atrophique auto-immune). Lors de l’investigation, en parlant de sa famille et de son alimentation (par association sur le sucre du diabète d’une part, et l’atteinte gastrique de sa seconde maladie auto-immune qui vient d’être diagnostiquée d’autre part), elle évoque l’année de ses 16 ans. Le premier janvier de cette année-là, sa grand-mère maternelle, qui la gardait souvent, meurt brutalement d’une crise cardiaque. Mme G. va faire une anorexie (« à Pâques, j’ai donné mes chocolats ») pendant quelques mois jusqu’à ce jour d’octobre où sa grand-mère paternelle lui fait des oreillettes (elle en goûte une, puis ne peut plus s’arrêter). Cette deuxième grand-mère est décédée il y a 10 ans, et l’interrogatoire permet de retrouver des éléments caractéristiques d’un deuil pathologique chez une patiente dont l’organisation psychique peut être qualifiée de limite[19], avec une oralité marquée et donc deux somatisations distinctes de nature auto-immune survenues dans les 10 ans suivant la perte de chacune de ses grands-mères.

Plausibilité biologique

Il s’agit ici d’être (idéalement) en mesure d’expliquer les mécanismes impliqués qui sous-tendent la causalité étudiée/proposée. Sans aborder ici le détail des données de l’immunologie moderne, nous soulignerons les travaux fondamentaux et translationnels liant :

1) le deuil et le système immunitaire, avec un premier travail chez l’homme en 1977, révélant une dysfonction immunitaire cellulaire (lymphocytaire) survenant immédiatement après et persistant jusqu’à plusieurs semaines après un deuil (Bartrop et al.), et depuis, un nombre considérable de travaux ayant confirmé des effets importants sur différents compartiments du système immunitaire (Knowles et al., 2019);

2) le stress de manière plus générale et les modifications de la réponse immunitaire humorale, révélant que, selon le type de stress, on observe une hypo ou une hyper-immunisation (Zhang et al., 2020), amenant à une perspective renouvelée qui considère comme indissociables les réponses des systèmes immunitaires et neurologiques au danger, y compris en termes de conditionnement d’une réponse immunitaire au niveau cérébral lors d’événements traumatiques conditionnant une réactivation ultérieure dans un contexte traumatique similaire (Koren et al., 2021; Tracey, 2010; Ader, 1998; Rogers et Fozdar, 1996);

3) des travaux récents sur l’épigénétique, suivant le concept de DOHAD (Developmental Origins of Health and Disease), qui pointent les éléments traumatiques précoces dans la genèse des maladies auto-immunes, notamment à la période foetale ou périnatale (Kim et al., 2022; Surace et Hedrich, 2019; Chen et al., 2016), incluant des aspects transgénérationnels (Weber-Stadlbauer et al., 2017).

Cohérence

Il s’agit de s’assurer de la cohérence de la causalité proposée avec les connaissances établies dans d’autres champs scientifiques ou d’autres populations. Nous notons une forte augmentation de la prévalence des maladies auto-immunes (Sebbag et al., 2019) et de la positivité des anticorps anti-nucléaires circulant (Dinse et al., 2020) dans des populations occidentales, ce qui n’est pas observé sur le continent africain (Shapira et al., 2010). En dehors de considérations génétiques, environnementales (exposition aux pathogènes infectieux) ou pratiques (accès aux tests diagnostiques), il nous semble pertinent de considérer le rôle potentiel de la place accordée aux rituels de deuil dans ces différents pays (Kokou-Kpolou et al., 2020). En effet, les travaux des anthropologues de terrain lors des épidémies (EBOLA et plus récemment COVID-19) ont montré l’augmentation des deuils pathologiques dans les communautés ou pays où ces rites ne pouvaient plus être réalisés, et inversement, les effets bénéfiques pour les endeuillés du maintien de rites funéraires, voire de néo-rites adaptés aux contraintes sanitaires (Kra et al., 2020). L’éthologie et, notamment, la thanatologie comparative (Flies et Wild Comparative Immunology Consortium, 2020) soulèvent aussi cette hypothèse d’un lien entre la qualité du travail du deuil et la survenue (ou non) d’une dysfonction immunitaire (ici dans le cas du cancer). Le paradoxe de Peto (Vincze et al., 2022; Callier, 2019), pour l’instant incomplètement élucidé, pointe la prévalence paradoxalement très faible de pathologies cancéreuses chez certains animaux parmi les plus massifs (baleines, éléphants), et ce, malgré une multicellularité « extrême » (un plus grand nombre de cellules exposant théoriquement à un plus grand risque de cancérisation). À côté d’éléments génétiques (pour les éléphants), ces espèces sont aussi celles qui ont les rites de deuil les plus élaborés (Reggente et al., 2018; Goldenberg et Wittemyer, 2020)[20]. Enfin, pour faire le lien avec les deuils « actuels » évoqués par les patients, la socio-immunologie a permis de mettre en évidence les effets de stress psychosociaux (ici chez des macaques dont on modifie le rang social) sur le système immunitaire avec le déclenchement de réponses inflammatoires semblables à celles observées dans certaines maladies auto-immunes (Snyder-Mackler et al., 2016).

Preuves expérimentales

Nous considérons ici, chez l’homme ou l’animal, les preuves expérimentales du lien entre exposition au risque et effet (pathologie), en privilégiant chez l’homme la recherche d’une réduction du risque (de la pathologie) obtenue par la suppression ou la réduction de l’exposition (la cause). Le rôle de deuils persistants dans le maintien d’une réponse auto-immune a été suggéré par un dispositif expérimental de rappel (film thématique) chez des patients diabétiques de type 1 (diabète auto-immun) (McClelland et al., 1991). À notre connaissance, en dehors d’un travail récent avec une intervention psychothérapeutique brève et en groupe montrant surtout des effets en termes de qualité de vie (Conceição et al., 2019), et un travail exploratoire sur un cas de LS avec deuil pathologique utilisant un dispositif exploitant les capacités des neurones miroirs (Rider, 2017), il n’y a pas de publication scientifique sur les effets somatiques (biologiques) à long terme d’une psychothérapie psychanalytique individuelle dans le cadre de maladies auto-immunes. Ce critère reste donc à investiguer (voir la section Limitations et perspectives).

Analogie

Il s’agit avec ce critère de s’appuyer sur un faisceau de preuves obtenues dans une situation clinique proche de celle étudiée. Il nous semble que cette « situation » est celle de la psychosomatique dans sa globalité, justifiant une étude élargie au sein d’un spectre clinique allant de la mélancolie à la psychose en passant par les désorganisations somatiques sérieuses médiées par une dysfonction immunitaire comme les maladies auto-immunes (Momen et al., 2020) ou le cancer (Balenci, 2020), y compris sur les hallucinations post-deuil identiques à celles retrouvées chez certains patients de l’étude INSIDE (Hayes et Leudar, 2016; Volkan, 1970) et parfois décrites sous d’autres terminologies[11]. Les valences psychiques et somatiques étaient déjà présentes dans le travail princeps de Freud sur la mélancolie, qui « se manifeste sous des formes cliniques diverses, dont la réduction à une unité ne semble pas assurée et dont certaines rappellent des affections plus somatiques que psychogènes » (2005, p. 43).

Limitations et perspectives

Les travaux de recherche qualitative présentés et l’analyse de causalité à partir de la littérature interdisciplinaire structurée selon les critères de Hill nous ont permis de formuler et d’étayer l’hypothèse d’une causalité entre la survenue d’une perte « essentielle » (avec deuil pathologique) et celle d’une dysfonction immunitaire avec somatisation (maladie auto-immune). Il convient maintenant de discuter les limitations de ce travail, et ses implications possibles pour les soins et la recherche.

Sur le plan méthodologique

La première critique de ce travail repose sur l’absence de comparaison entre une population malade et un groupe contrôle concernant la prévalence du deuil compliqué. Mais, cette approche, nécessaire dans un travail de recherche quantitative, ne l’est pas dans un travail de recherche qualitative, qui s’appuie sur l’analyse, sans a priori des investigations menées, et s’apparente au travail de Freud sur le deuil et la mélancolie (2005). La recherche qualitative rigoureuse et structurée, parce qu’elle explore l’expérience complexe du patient (le phénomène), est à même d’apporter des résultats que la recherche quantitative ignore (Sibeoni et al., 2020). Ainsi le risque accru de pathologies somatiques à la suite du décès d’un conjoint, observé dans de larges données de registre, a-t-il été interprété simplement comme résultant d’une moins bonne observance thérapeutique chez les veufs (Morin, 2019). Les psychosomaticiens, dans le cadre de travaux sur le cancer (Jasmin et al., 1990), ont fait cet effort de constituer un groupe contrôle. Ils identifiaient une prévalence significativement plus élevée de deuils pathologiques passés et/ou récents chez les patientes atteintes d’un cancer du sein que chez les femmes témoins. L’absence de suivi à moyen terme des « témoins sains » ne permet cependant pas d’exclure que certaines femmes aient pu ultérieurement développer un cancer[21]. Bien que les résultats soient significatifs, les deuils essentiels pathologiques sont difficiles à identifier cliniquement, particulièrement chez des patients alexithymiques, et il est possible que leur prévalence ait été sous-estimée dans cette étude non dédiée à cette thématique.

Ainsi, nous avons observé, avec les patients souffrant de pathologies auto-immunes (cohorte INSIDE) ou de pathologies cancéreuses[22], les éléments suivants permettant le repérage d’un deuil essentiel[23] :

1) ce deuil n’est pas mentionné initialement, alors que le patient est questionné sur tout événement de vie potentiellement traumatique survenu avant la somatisation;

2) une fois ce deuil mentionné, nous observons une confusion sur le plan de sa datation, avec des écarts de plusieurs années (parfois une décennie) plaçant souvent initialement le deuil après le début de la somatisation (et risquant ainsi de le disqualifier de l’enquête causale), chez des patients plutôt précis sur la datation d’autres événements (médicaux ou non);

3) une fois ce deuil resitué, le patient s’empresse de fournir des éléments rationnels pour banaliser la perte (« il était très âgé », « ça fait si longtemps », « je ne le voyais pas si souvent », « j’étais soulagé(e) qu’il parte, car il était malade », « c’est dans l’ordre des choses », etc.);

4) interrogé sur sa relation avec le défunt, le patient, jusque-là très opératoire dans son récit, présente une levée de la répression[24] des affects avec souvent l’impossibilité de continuer à parler ou des pleurs, le patient exprimant sa surprise et son incompréhension devant sa propre réaction;

5) le patient confirme l’importance et le caractère unique de sa relation au défunt (« c’était une seconde mère/père… »), y compris avec des éléments historiques dans la période infantile précoce (« c’est elle/lui qui m’a élevé(e) ») et des éléments d’identification très importants;

6) le patient, sans aller jusqu’à des éléments d’auto-accusation forts, mentionne (avec des éléments de justification) qu’il n’a pu assister à l’enterrement et/ou voir le corps du défunt et/ou même se rendre ultérieurement à sa tombe[25];

7) certains patients font alors état de la « présence » régulière ou dans certaines circonstances (lieux, dates d’anniversaire, moments difficiles) du défunt sous la forme d’hallucinoses localisées, visuelles le plus souvent, signalées comme réconfortantes.

Nous comprenons que ces deuils soient difficiles à identifier par des questionnaires, et puissent nécessiter une approche qualitative. Nous ajouterons à ces difficultés que, bien que dans la grande majorité des cas étudiés il s’agisse de deuils réels, dans certains cas, il pouvait s’agir uniquement de pertes d’objets psychiques (« pour moi, à partir de ce moment, c’est comme si elle était morte »). Freud avait déjà identifié cette difficulté dans son travail, mais, si dans la mélancolie l’endeuillé sait « qui il a perdu mais pas ce qu’il a perdu », concernant le deuil essentiel des patients développant des somatisations dysimmunitaires, l’endeuillé semble même ne pas vouloir savoir qui ou ce qu’il a vraiment perdu.

Une seconde critique méthodologique est celle inhérente au caractère non prospectif de nos travaux réalisés en partant des cas de somatisations déclarées et en étudiant le(s) facteur(s) antérieur(s) en cause de manière rétrospective. Cette difficulté a été soulignée par Bowlby (1963, 1961) dans son travail avec des enfants endeuillés sur le développement d’affections psychiatriques ultérieures, qui mettait en avant l’importance de travailler directement au moment du traumatisme. Chez l’adulte avec somatisation, cette possibilité nous paraît limitée car :

1) les délais entre les deuils essentiels et la somatisation clinique sont souvent longs (plusieurs années);

2) l’expression d’un deuil essentiel peut être de nature psychique ou psychiatrique, et non somatique, voire parfois évitée par la sublimation, par la relation à un nouvel objet essentiel de substitution ou par la psychothérapie.

Néanmoins, alors que l’impact sur la santé psychique et somatique du deuil est déjà largement établi au niveau collectif, la confirmation au niveau individuel de la séquence essentielle (deuil essentiel – désorganisation biologique – deuil actuel – somatisation clinique) nous semble un élément fondamental. Les travaux passés liant deuil et mélancolie (Freud, 2005), mélancolie et somatisation (Karamanou et al., 2016, Smadja, 2013), deuils et maladies auto-immunes (Paulley, 1983) ou cancers (Jasmin et al., 1990; Evans, 1926) nous confortent dans l’approfondissement de ce travail de recherche concernant la période précédant le deuil essentiel, c’est-à-dire celle remontant au deuil originel[26], en nous appuyant sur les données expérimentales chez l’animal en attendant de trouver les conditions de faisabilité d’éventuels dispositifs de recherche pertinents chez l’homme.

La troisième critique de ce travail porte sur la situation suivante. Bien que les différents types de pertes (effectives ou symboliques) fassent l’objet d’un traitement identique dans l’étude LMS, ils ont au contraire été évalués qualitativement dans l’étude INSIDE, permettant justement de différencier un deuil essentiel de deuil(s) actuel(s)[27]. Par ailleurs, le fait que ce travail d’investigation ne se soit pas focalisé sur certaines pertes (ex. perte du conjoint) a justement permis d’identifier, pour ces deuils essentiels, l’importance non pas d’un statut social particulier du défunt, mais de son statut narcissique particulier pour le patient (il s’agissait très souvent d’un des grands-parents). Enfin, le fait psychosomatique étant passé dans le récit commun, la possibilité que ceci puisse expliquer pour les patients la justification de leur somatisation par un deuil semble écartée par les données convergentes de nos trois études complémentaires[28].

Sur le plan épistémologique

La causalité entre deuil et somatisation est établie statistiquement au niveau du groupe (Stroebe et al., 2007), mais nous discutons ici non pas d’une causalité multiple (où le deuil pathologique serait considéré comme un des facteurs favorisant l’émergence ou une poussée de la MAI), mais d’un travail de double écoute mené au niveau individuel, de l’hypothèse d’une véritable causalité (ou plutôt d’une chaîne de causalités), hypothèse compatible avec les données de la biologie moderne[29]. Devant ce constat que la séquence identifiée (deuil essentiel – somatisation sévère) est presque universelle, il est légitime de s’interroger sur les raisons/les freins expliquant qu’elle ait pu être, à quelques exceptions près (Paulley, 1983), occultée jusqu’ici. Le premier frein est probablement lié aux « limites narcissiques » de l’observateur en psychosomatique (Marty, 1952). Le lien entre deuil et mélancolie est plutôt récent (Freud, 2005), et l’auto-analyse d’Abraham (1924, p. 80) concernant sa première lecture du travail de Freud illustre cette « résistance » attendue chez des observateurs tous concernés par le deuil. Dès 1961, Engel avait analysé ces freins dans un article au titre provocateur, « Is grief a disease? ». Le second frein, déjà mentionné, se trouve chez l’observé (le patient), qui occulte de façon non intentionnelle le caractère traumatique de certaines pertes anciennes, compliquant le repérage simple de ces deuils essentiels. Le troisième frein est collectif, socioculturel, avec un tabou concernant la mort qui influence la qualité même du travail de deuil rendu de plus en plus difficile par la disparition d’un « savoir faire le deuil » au travers des rites mortuaires, religieux ou non.

À partir de ces constats, au côté de la recherche quantitative, la recherche qualitative nous semble l’une des meilleures réponses pour déployer une recherche globale[30], c’est-à-dire bio-psycho-sociale (Escoda et al., 2022), et lutter contre les travers du réductionnisme moléculaire (Greene et Loscalzo, 2017). En plus de sa rigueur méthodologique et de sa reproductibilité, cette recherche nécessite une interdisciplinarité réelle qui est parfois la véritable limitation des recherches actuelles. Cette interdisciplinarité doit tenir compte des obstacles inhérents à l’étude conjointe de deux ordres différents, psychique et biologique, et il nous semble que les objets essentiels[31] sont à même de faire le pont, de servir d’opérateurs entre ces deux ordres. Du point de vue de la recherche, il nous paraît maintenant important :

1) de mieux qualifier ces objets essentiels, comme cela a été fait pour d’autres objets en rapport avec la séparation (Winnicott, 1953) ou le deuil pathologique (Volkan, 1972);

2) de réfléchir à une théorie de l’identité biologique (et de la subjectivité) qui puisse intégrer ces objets essentiels dont la perte détermine la survenue de pathologies dysimmunitaires et qui pourrait, si nous nous inspirons d’une part du travail de Belk (1988) et d’autre part des propositions des biologistes et des philosophes des sciences (Bordenstein et Theis, 2015; Pradeu, Jaeger et Vivier, 2013)[32], correspondre à une théorie du Soi étendu;

3) de poursuivre l’effort d’interdisciplinarité, sans négliger, y compris sur des aspects psychosociaux, les apports de l’éthologie[33].

Les implications dans le soin pourraient comprendre :

1) l’évaluation d’une approche psychothérapeutique ciblée sur le deuil pathologique telle que celle développée par Volkan (1971) (qui n’a pas été appliquée aux situations de somatisation);

2) l’évaluation des effets d’un repérage systématique des deuils essentiels au sein d’une approche psychothérapeutique habituelle;

3) pendant la pandémie de la COVID-19, la répression sociale de l’expression des deuils dans un contexte de surmortalité a favorisé un nombre massif de deuils pathologiques qui devrait malheureusement, sur une tendance déjà en augmentation permanente de l’incidence des MAI, se matérialiser par un pic d’incidence de MAI (une « autre épidémie ») dans les années suivant la pandémie, comme cela a été rapporté après d’autres événements traumatiques comme les attaques de 2001 du World Trade Center (Miller-Archie et al., 2020), et qui mériterait une réflexion dès à présent sur des interventions d’ampleur comme celles menées après le génocide du Rwanda (Parkes, 2002), sans oublier la prise en charge des enfants nés dans ces contextes traumatiques qui pourraient favoriser la survenue de deuils pathologiques à l’âge adulte (Vanderwerker et al., 2006).