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Une « bonne mort », un deuil serein, cela existe, mais la recherche en parle bien peu[1]. En fait, ce sont les trajectoires difficiles et les embuches sous-jacentes qui font surtout l’objet des études, avec raison d’ailleurs puisque l’objectif relève souvent de la volonté d’offrir aux personnes endeuillées un accompagnement qui réponde à leurs besoins.

C’est autour des enjeux liés à la confrontation à la mort et au deuil que le présent numéro de Frontières se construit, selon des approches qui mettent à contribution plusieurs champs disciplinaires, notamment la psychologie, la sociologie, l’anthropologie culturelle, les études sur les médias et le cinéma. Les articles ont été sélectionnés parmi ceux reçus par la rédaction afin d’explorer quelques-unes des trajectoires du mourir qui peuvent rendre un deuil plus lourd à porter : quand la mort frappe autour de soi lorsqu’on est encore un enfant ou alors qu’on se sent déraciné de son pays natal, ou lorsqu’elle survient par suicide. Le choix que fait une personne de demander l’assistance médicale à mourir peut aussi, dans certains cas, susciter des problématiques encore mal connues, les lois sur l’aide médicale à mourir étant relativement récentes. Pour aborder les trajectoires et les embuches présentées, certains des textes intègrent à la discussion des considérations sur l’influence des films, des séries télévisées et des réseaux sociaux en ligne. En clôture du numéro, deux articles décrivent des façons de rendre plus humaine et plus digne la confrontation à la mort dans le contexte hospitalier. L’un d’eux nous rappelle qu’il est possible, et même bénéfique, de continuer de rire et de chanter même lorsque l’échéance connue et annoncée est la mort; l’autre insiste sur le respect de la dépouille après que la mort ait fait son oeuvre.

Trajectoires difficiles ou pathologies?

Le problème qui suscite des débats sans cesse renouvelés consiste à distinguer, dans le respect du vécu des personnes endeuillées, les trajectoires qui relèvent d’un processus normal et celles qui constituent une pathologie. Pour améliorer l’intervention clinique, il est nécessaire de repérer des indicateurs pour détecter rapidement ces trajectoires chez les adultes (Djelantik et al., 2017) et chez les enfants (Melhem et al., 2013). Le deuil et les complications qu’il peut susciter font l’objet d’un nombre important d’études théoriques et de recherches empiriques qui, au fil des ans, continuent d’être rapportées dans des recensions d’écrits et des méta-analyses (voir, parmi les plus récentes : Eisma et Stroebe, 2020; Djelantik et al., 2020; Kakarala et al., 2020; Johannsen et al., 2019). Diverses catégories de deuil ont ainsi été répertoriées. Dans ce numéro, l’article d’Hélène Romano sur le deuil chez l’enfant et celui d’Imen Ben-Cheikh et ses collègues quant au deuil en contexte de migration soulignent les insuffisances de ces tentatives de catégorisation.

Les critères proposés dans les classifications internationales ne font pas l’unanimité (Comtesse et al., 2020; Simon et al., 2020), notamment en ce qui concerne le deuil chez l’enfant (Boelen, Spuij et Lenferink, 2019). La version 11 de la Classification internationale des maladies (Organisation mondiale de la Santé, 2018), qui prendra effet le 1er janvier 2022, propose des critères pour identifier le « deuil prolongé[2] » (Prolonged Grief Disorder[3]). Quant à la version 5, en français, du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (American Psychiatric Association, 2015), elle fournit, à la section portant sur les « Affections proposées pour des études supplémentaires » (p. 1018-1019), des critères pour identifier le « deuil complexe persistant » (Persistent Complex Bereavement Disorder). La discussion se poursuit avec la publication, au printemps 2020, d’un projet de modification de ces critères. L’appellation révisée deviendrait Prolonged Grief Disorder, comme dans la CIM-11, et désignerait un diagnostic reconnu selon le DSM-5[4].

Les appellations utilisées pour désigner les deuils qui nécessitent un accompagnement ou une intervention de la part des professionnels du soin – par exemple deuils compliqué, problématique, inhibé, non reconnu, traumatique, post-traumatique ou pathologique – se recoupent. Les critères permettant de les distinguer ou de les comparer aux catégories de deuil que mentionnent les classifications internationales ne sont pas toujours clairement définis (Bruno et al., 2019). Pourtant, dès 2016, Maciejewski et ses collègues prenaient ouvertement position à cet égard en déclarant, dans le titre[5] même de leur article, que la notion de deuil compliqué ne correspondait pas au diagnostic de « deuil complexe persistant » selon le DSM-5. Malgré les mises en garde, les deux notions continuent d’être utilisées sans que les distinctions utiles soient fournies[6]. Le problème s’aggrave lorsque les appellations qui figurent en anglais dans le DSM-5 ou dans la CIM-11 sont traduites dans une autre langue[7]. Ces écueils liés à la catégorisation des deuils sont peu connus des cliniciennes et cliniciens, comme le montre une enquête menée au Canada auprès de 66 professionnels oeuvrant auprès de personnes endeuillées. Thompson et ses collègues (2017) ont constaté l’absence de consensus tant au sujet de la définition du deuil compliqué (complicated grief) que des caractéristiques qui permettent de le repérer et d’en tenir compte dans l’offre de services.

Approches méthodologiques

Les trajectoires du mourir et du deuil décrites dans ce numéro posent un défi à la mise en sens. Pour avoir accès au sens de l’expérience vécue, les démarches de recherche présentées dans les articles adoptent une méthodologie qualitative ou encore se fondent sur une revue de la littérature. Des vignettes cliniques ou des extraits d’entrevue sont intégrés à presque tous les textes et c’est alors à partir d’une narration que s’établit le rapport au sens. Le récit est aussi présent dans l’article de Marie-Pier Landry et de ses collègues, qui fait référence à l’approche expérientielle du Focusing de Gendlin et au courant thérapeutique qui en dérive. Les citations sont tirées du journal de bord des clowns thérapeutiques. Elles montrent comment ces derniers se sont mis à l’écoute de l’expérience ressentie pour encourager des personnes en fin de vie à raconter des moments de leur histoire qui, pour elles, étaient chargés de sens. Raconter, c’est aussi la posture des agentes et agents de chambre mortuaire, qui ont décrit à Long Pham Quang des interactions avec leurs tutrices et tuteurs pendant leur stage de formation professionnelle en milieu hospitalier. Ces moments, chargés d’émotion, les ont toutes et tous aidés à construire du sens autour du travail qu’ils accomplissent et dont bénéficient les proches des défunts et leur famille.

Le recours aux approches narratives pour avoir accès au sens du vécu rejoint les travaux sur le deuil qui s’inspirent des modèles d’analyse axés sur la reconstruction du sens (meaning-oriented model). Ces modèles, d’orientation constructiviste, se sont développés depuis le début des années 2000 dans la foulée des travaux de Neimeyer (2019, 2017, 2001), de Park (2017) et de leurs collègues Gillies et Neimeyer (2006). La validation des fondements théoriques et des méthodes employées continue de susciter un nombre impressionnant de recherches cliniques (Lifshitz etal., 2020; Yang et Lee, 2020; Neimeyer, 2018). Dans cette perspective, le deuil est considéré à la fois comme un évènement naturel et une expérience humaine socialement et culturellement construite. La personne endeuillée peut, à travers des activités narratives, trouver un sens à la perte irrémédiable d’un être cher, reconstruire la cohérence de sa propre histoire de vie et renégocier les liens et les pratiques qui vont continuer de l’unir au disparu émotionnellement, symboliquement et socialement. Le rapport au sens ne se limite pas à une interprétation personnelle de la perte; il se nourrit de communications et il est imbriqué dans l’environnement social.

Même lorsque les études s’inscrivent dans une perspective qui reconnait que les significations sont socialement partagées, la prise en compte de l’environnement social et culturel des personnes endeuillées demeure parcellaire et bien souvent insuffisante. Valentine (2019) déplore que les recherches qui s’inspirent de ces modèles adoptent encore, sans recul critique, une perspective qui s’écarte peu des courants sociaux dominants et des cultures occidentales. Elle ne relève que trois recherches, publiées en 2017 et 2018, qui ont été menées en faisant preuve de sensibilité à l’égard d’un contexte social marginal (des endeuillés consommateurs de drogues dures) ou d’un milieu culturel autre que le milieu occidental (des endeuillés originaires d’Europe centrale et du Japon). Imen Ben-Cheikh et ses collègues, dans ce numéro, observent un phénomène semblable. L’article de Léopold Maurice Jumbo permet d’apprécier l’ampleur du fossé à combler pour en arriver à un partage du sens entre des perspectives culturelles qui s’expriment pourtant à travers les mêmes plateformes numériques.

Les travaux sur le rapport au sens intéressent plusieurs champs disciplinaires et ne se limitent pas aux problématiques liées au mourir et au deuil. Les revues de littérature présentées dans les articles de ce numéro adoptent une perspective interdisciplinaire, notamment pour aborder la représentation du suicide dans les séries télévisées et les films. Catherine Grabherr se réfère à la littérature sur le traitement médiatique du suicide. Christophe Gauld et Charles-Edouard Notredame font appel aux études sur le cinéma et la communication.

Les articles de ce numéro de Frontières

Être confronté à la mort d’un être aimé pendant l’enfance constitue une épreuve pénible dans la trajectoire d’une vie. L’article d’Hélène Romano explore le vécu du deuil chez l’enfant, en alternant les discussions théoriques et les exemples cliniques. Elle décrit les complications du deuil qui peuvent se manifester chez l’enfant en les regroupant sous quatre appellations : deuil différé, deuil inhibé, deuil chronique et deuil anticipé. Elle exprime des réticences à l’égard des critères du « deuil complexe persistant » selon le DSM-5[8] qui, écrit-elle, « ne font pas pour autant l’unanimité, car les facteurs religieux, culturels et la spécificité du processus de deuil chez l’enfant ne sont pas suffisamment pris en compte ». Elle rappelle que le processus de deuil « n’est pas en soi pathologique ». Lorsqu’une prise en charge s’avère nécessaire, elle suggère de l’adapter aux temps du deuil. Cette stratégie permet de porter attention à ce que vit l’enfant, par exemple au moment où la mort d’un proche lui est annoncée, pendant les premiers jours du deuil jusqu’aux obsèques ou à d’autres moments charnières qui jalonnent les semaines, les mois et les années. Elle mentionne l’importance d’alterner les « rythmes temporels » en proposant des périodes de forte présence et des moments où le soutien est plus espacé. Enfin, l’autrice recommande de réserver des temps à l’enfant, d’autres à la fratrie et aux adultes de référence, en plus des temps communs avec l’enfant et les adultes. L’objectif, souligne-t-elle, est de faire en sorte que le lien qui se crée entre les enfants endeuillés et les adultes qui les entourent soit « un lien de vie, un lien vers la vie, un lien pour la vie ».

Hélène Romano déplore dans son article que les facteurs religieux et culturels ne soient pas suffisamment pris en compte au moment d’établir s’il s’agit d’un « deuil complexe persistant » selon le DSM-5. L’article d’Imen Ben-Cheikh, Lilyane Rachédi et Cécile Rousseau insiste précisément sur le rôle que jouent ces facteurs, notamment lorsque le deuil est vécu en contexte d’immigration. Selon les autrices, « il serait intéressant de considérer une position où, au-delà de la perspective transculturelle, certaines complications du deuil pourraient être comprises comme des versions de deuil normal ». Sans entrer dans le débat à savoir s’il existe une normalité du deuil (Bruno et al., 2019), on peut rapprocher cette position de celle que prend Hélène Romano lorsqu’elle mentionne que les réactions de souffrance que provoque le décès d’un proche ne sont pas, en tant que telles, pathologiques. Les trois autrices, pour leur part, montrent comment « la culture et la religion peuvent rendre parfois complexe la distinction entre un deuil normal, un deuil compliqué, un état dépressif ou un état de stress post-traumatique en contexte interculturel ». Pour ce faire, elles analysent un cas clinique, tout en proposant un éclairage complémentaire grâce à des éléments tirés d’une recherche bibliographique sur le deuil en contexte d’acculturation et dans des groupes culturels non occidentaux (Afrique du Sud, Rwanda, Japon, Chine, Népal, Asie du Sud). Les croyances relatives à la « mauvaise mort », à l’état spirituel des défunts dans l’au-delà, aux conséquences d’un écart par rapport aux conduites de deuil prescrites par la collectivité ou de l’omission des rites funéraires peuvent avoir un impact majeur pour ces personnes endeuillées. L’article met en évidence non seulement les interrelations entre les influences culturelles dans le vécu du deuil, mais aussi les liens avec l’histoire de vie et les circonstances du décès.

La part culturelle du deuil varie selon les lieux et les époques. Avec l’article de Léopold Maurice Jumbo, des observations et des témoignages contemporains permettent d’accéder au vécu du deuil au Cameroun, dans un contexte culturel qui est à la fois riche en pratiques de deuil traditionnelles et ouvert aux technologies numériques de communication. L’article montre comment des endeuillés camerounais utilisent les réseaux sociaux en ligne pour trouver du soutien après le décès d’un être cher. Grâce aux outils numériques, les personnes endeuillées peuvent continuer d’exprimer leur affection à leurs morts et faire appel à leur intercession. Dans ce contexte, les conduites de deuil prennent des formes inédites où s’expriment à la fois ce qu’il y a d’éminemment personnel dans la recherche d’une consolation suite à la perte d’un être cher et ce que dictent la tradition et les conventions sociales. L’article montre « comment la technologie en vient à cohabiter avec la tradition ». Lorsqu’elle se sert des médias informatisés, la personne endeuillée s’exprime à sa façon, tout en puisant dans des référents symboliques et des schémas de pensée et d’action ancrés dans sa culture d’appartenance. Les balises héritées de la tradition continuent d’être utilisées pour honorer la mémoire des défunts ou maintenir les échanges avec eux. Avec les supports numériques, la communication se déplace dans un espace virtuel et s’affranchit des lieux et des objets auparavant réservés aux rites funéraires et indispensables à leur réalisation. L’article donne la parole à des personnes endeuillées qui veulent « maintenir le disparu au sein de la quotidienneté sociale » et qui se réjouissent de pouvoir le faire grâce à la tablette ou au smartphone qui leur donne accès au compte Facebook de leurs défunts et à des mémoriels en ligne. Leurs témoignages donnent à voir comment les personnes endeuillées investissent les réseaux sociaux en ligne pour créer un espace où l’intime peut s’exprimer mais qui, loin de les isoler dans leur souffrance, demeure ouvert et accessible à celles et ceux avec qui ils partagent une communauté d’appartenance, qu’elle soit liée au pays, à la culture, ou simplement au fait d’avoir vécu un deuil dans des conditions semblables et de vouloir s’entraider[9].

Vivre la perte d’un proche par suicide est une situation où la mise en sens de la mort parait, à toutes fins pratiques, une tâche impossible. Deux des articles de ce numéro abordent la question du suicide. Dans les deux cas, l’analyse est centrée sur la présence de mises en scène du suicide dans des films et des séries télévisées qui sont très regardées, notamment par les jeunes. Catherine Grabherr propose une réflexion sur le processus de deuil à partir du récit d’Hannah Baker dans la série 13 Reasons Why. La première saison de la série a donné lieu à une controverse dans les médias, le risque de « contagion » suicidaire étant jugé inacceptable par certains. L’article apporte un éclairage différent en invoquant plutôt une mise en sens de la mort. Selon l’autrice, « la série nous montre comment la vérité d’Hannah peut également devenir celle des autres dans une entreprise de co-construction de sens dans un processus de deuil collectif, puisque chaque personnage confronte ses propres enjeux personnels en lien avec sa propre relation à la défunte. » Les treize épisodes de la première saison de la série permettent en effet de suivre non seulement le tragique processus qui mène Hannah au suicide mais, en parallèle, d’observer les conséquences de son geste pour ses parents et ses amis. L’autrice analyse le récit d’Hannah en tant que cheminement vers « la vérité de soi » et examine comment cette vérité de soi « a pu façonner le processus de deuil des autres personnages de la série ». L’article présente aussi un tour d’horizon de la recherche sur le traitement médiatique du suicide et introduit les notions d’effet Werther (risque d’imitation d’un personnage suicidaire) et d’effet Papageno (effet protecteur).

Ce double effet des représentations du suicide à l’écran est repris et discuté plus en détail dans l’article de Christophe Gauld et Charles-Edouard Notredame. Les auteurs appuient leur analyse sur une bibliographie scientifique couvrant trois domaines : la contagion suicidaire, les études en communication et les études sur le cinéma. Ils n’insistent pas sur les difficultés que pose la mise en sens du suicide pour les survivantes et survivants. Ils montrent plutôt comment le jeu de la narration et de la réalisation crée un espace virtuel d’immersion où le spectateur oscille entre l’identification aux personnages et la distanciation à l’égard de ce monde fictif de divertissement. L’article expose les dangers de la contagion suicidaire (effet Werther) pour les auditoires vulnérables et examine les conditions requises pour que la représentation d’un suicide à l’écran joue plutôt un rôle préventif (effet Papageno), par exemple lorsque les conséquences dévastatrices du suicide sur les proches sont montrées. Il existe des critères permettant de repérer les scènes qui véhiculent une forte charge émotive et identificatoire. Le fait de les connaitre « permettrait d’offrir une meilleure prévention pour les populations à risque et de concevoir un environnement cinématographique et une pédagogie préventive à l’égard du suicide ». À cet effet, les auteurs ont créé et publié en 2019 un outil d’analyse du risque de contagion suicidaire lié à l’identification à un personnage suicidaire dans un film ou dans une série. Sans préconiser l’exercice d’un « contrôle sur l’art cinématographique », ils plaident pour la prudence à l’égard des catégories d’auditoires qui sont à risque et pour une plus large diffusion de l’information sur le suicide.

La demande d’aide médicale à mourir est une autre situation de fin de vie qui peut rendre plus difficile la quête de sens face à la mort d’un proche et susciter des embuches pour les survivants et survivantes. Dans son article, Deborah Ummel passe en revue les trop rares études[10] qui ont été publiées au sujet de l’accompagnement de fin de vie et du processus de deuil à la suite du décès d’un proche qui a choisi de demander l’aide médicale à mourir (AMM). Selon l’autrice, il y a lieu « de se questionner quant à la possibilité que la pratique de l’AMM crée de nouveaux contextes de fin de vie, dans lesquels l’accompagnement de fin de vie et le processus de deuil peuvent se penser autrement ». Elle propose des pistes de réflexion pour aborder ces nouveaux contextes qui, dit-elle, amènent une « transformation de notre rapport à la mort ». Elle insiste sur l’importance de la signification de la mort assistée dans le processus de deuil. « Le sens accordé à l’acte nous apparait souvent prépondérant par rapport à l’acte en lui-même ». Elle signale que « le fait d’attribuer une signification positive et de percevoir la mort assistée comme une fin heureuse pourrait effectivement contribuer à faciliter le processus de deuil ». Même s’ils étaient d’accord avec la décision de la personne en fin de vie, les proches peuvent vivre un conflit interne. Dans son expérience clinique, l’autrice dit avoir rencontré des proches endeuillés pour lesquels la demande d’AMM de la personne en fin de vie constituait « une menace, voire même une trahison ». Les trajectoires du deuil dans ces situations sont encore mal connues et l’autrice suggère aux intervenantes et aux intervenants de les aborder avec la plus grande attention, en prenant en compte leurs présupposés et croyances au sujet de la mort assistée et la signification qu’elle revêt pour eux.

Avec leur article sur le jeu clownesque, Marie-Pier Landry, Florence Vinit, Mehdi Azri et Julie-Anne LeBlanc nous transportent au chevet des personnes en fin de vie et de leurs proches en milieu institutionnel. Parmi les trois autrices, il y en a deux qui sont elles-mêmes des clowns thérapeutiques. Après un rappel de la littérature concernant l’apport de l’art clownesque en milieu de soins, l’article décrit le travail de l’artiste clown. « Personnage transitoire dans l’institution hospitalière, le clown est lui-même un être de passage : il partage cette caractéristique et cette vulnérabilité avec tous les êtres vivants, mais encore davantage avec les “êtres de seuil” que sont les personnes en fin de vie. » Le texte se fonde sur des données obtenues lors d’un projet pilote d’un an en milieu de soins palliatifs pour adultes, au Québec. Il montre « ce qui se raconte et se transmet », avec des chansons et des rires, lorsque les artistes clowns se présentent dans la chambre d’une personne en fin de vie pour vivre un moment de jeu et d’humour avec elle et avec ses proches. L’article s’intéresse particulièrement à la « transmission pouvant accompagner le travail du deuil pour toute personne ayant partagé ces moments ». Les trois vignettes cliniques sont tirées du journal de bord des clowns. L’histoire de ces rencontres est introduite sous des titres évocateurs, qui contrastent avec le vocabulaire plus neutre que l’on trouve généralement dans les articles savants sur la mort et le deuil : « de l’humour à la joie d’exister »; «  une poésie vivante »; « une traversée par l’imaginaire ». Ce sont là des mots qui rappellent, fort à propos, ce que la confrontation à la mort risque de nous faire oublier : le pouvoir vivifiant de l’imaginaire et de la poésie.

Le dernier article de ce numéro nous ouvre les portes d’un lieu où l’imaginaire et la poésie ont peu de place, mais qui revêt une importance majeure dans le traitement hospitalier de la mort : la chambre mortuaire. L’article de Long Pham Quang porte sur le métier d’agent de chambre mortuaire en France. L’auteur plaide pour une valorisation de ce métier et insiste sur l’importance symbolique des soins mortuaires. « Le soin mortuaire s’adresse à la personne décédée, mais il touche aussi sa famille et les proches endeuillés. » La transmission des savoirs sur les soins mortuaires se fait non seulement par l’enseignement académique du métier, mais aussi grâce aux pratiques transmises aux novices sur le terrain par les agentes et agents expérimentés. C’est lors de l’interaction avec sa tutrice ou son tuteur que le ou la stagiaire peut découvrir toute la portée symbolique des gestes qu’il pose sur un cadavre en vue de sa présentation aux personnes endeuillées. Cette interaction est documentée dans l’article à partir de témoignages de quatre stagiaires, recueillis lors d’entrevues menées dans le cadre d’une étude plus vaste. Dans les situations décrites, loin de se limiter à la connaissance de techniques (habillage d’un cadavre, méchage nasal, soin mortuaire de bébés), l’apprentissage porte sur le respect, la dignité et la gestion des émotions. Le soin mortuaire demeure encore une activité considérée comme ingrate. Dans leur entourage, ces professionnels vivent « une mise à distance, car le contact avec les morts trouble et stigmatise ». Les témoignages présentés montrent jusqu’à quel point celles et ceux qui prennent soin de nos morts se préoccupent aussi des vivants − les proches et la famille.

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Les trajectoires décrites dans ce numéro et les embuches repérées contribuent à une meilleure compréhension du mourir et du deuil, mais le tableau n’est pas complet. Les difficultés peuvent prendre d’autres formes; le vécu d’une personne endeuillée ne se prête pas à toutes les comparaisons. Les situations nouvelles, comme l’aide médicale à mourir et la pandémie de la COVID-19, sont rapidement soupçonnées de susciter des complications du deuil. Ces contextes rendent encore plus urgente la tâche qui consiste à identifier ce qui relève de la pathologie et à adopter une nomenclature qui s’appuie sur des critères connus de tous. Il y a déjà des travaux qui signalent la possibilité que le « deuil complexe persistant » selon le DSM-5 ainsi que le « deuil compliqué » deviennent des problèmes majeurs de santé publique dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 (Bonnaud Chalom, 2020; Eisma, Boelen et Lenferink, 2020; Gesi et al., 2020; Goveas et Shear, 2020; Kokou-Kpolou, Fernandez-Alcantara et Cénat, 2020; Mortazavi et al., 2020; Veyrié, 2020). D’autres commentaires, comme celui de Clavandier, insistent sur l’importance de « mettre à l’épreuve l’idée communément admise et répandue dans les médias durant cette période, que les personnes endeuillées font face, dès à présent, à des deuils “pathologiques”, “impossibles” ou “traumatiques” » (2020, p. 243). La recherche sur les thèmes liés au confinement et à la pandémie dépasse les frontières nationales[11]. Parmi ces études, celles qui porteront sur le mourir viendront éclairer une situation exceptionnelle, tout en permettant de dégager des constats pertinents pour les personnes et les familles qui vivent un deuil dans des conditions difficiles comme celles abordées dans le présent numéro.