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Introduction et problématique

Dans le cadre de projets de recherches collaboratives, il peut être souhaitable d’établir un portrait initial de « la situation actuelle qui doit être améliorée, modifiée ou corrigée » (Collerette et al., 2021, p. 23) avant d’entamer les étapes subséquentes. Ainsi, ce portrait sert d’assise, s’avère utile pour légitimer la collaboration et propulse, dans certains cas, le projet vers une démarche transformatrice (Gillet et Tremblay, 2017). Les personnes chercheuses sont donc parfois amenées à collecter des données auprès des élèves des personnes enseignantes prenant part au projet de recherche collaborative, à les analyser, à les interpréter et à les présenter de façon nuancée et rigoureuse tout en préservant la relation établie avec ces dernières (Aurousseau et al., 2020 ; Lévesque, 2017). Des collectes de données à différents moments de la démarche collaborative permettent d’évaluer les effets chez les élèves des changements de pratique apportés par les personnes enseignantes et renforcent leur démarche de développement professionnel, notamment en pérennisant certaines nouvelles pratiques (Egert et al., 2018 ; Galand et Janosz, 2020).

Dans une recherche collaborative en cours (FRQSC, 2020-2024/MEI, 2020-2022) portant sur les gestes professionnels susceptibles de favoriser des apprentissages durables chez les élèves de l’éducation préscolaire et du primaire, les membres de l’équipe interprofessionnelle ont été rencontrés afin d’identifier leurs principaux besoins. Cette équipe est composée de seize personnes enseignantes d’une même école, des deux membres de l’équipe de direction ainsi que de trois personnes conseillères pédagogiques. Parmi les besoins soulevés, la nécessité d’obtenir des données sur la perception de leurs élèves à propos de l’environnement de classe a émergé et a fait consensus chez le personnel de l’école prenant part au projet. Ce besoin était justifié en grande partie par le fait qu’il enseigne et travaille dans une nouvelle école située en contexte économique, social et culturel défavorisé et qu’il perçoit des enjeux liés aux habiletés sociales ainsi qu’à l’engagement des élèves. Ce besoin énoncé par les personnes enseignantes requiert, comme le soulignent Wang et al. (2014), de s’intéresser aux climats de la classe et à son environnement. À l’instar de Janosz et al. (2007), Baudoin et Galand (2018) estiment que des données précises sur la perception des élèves de leur propre classe permettent de faire des choix pédagogiques et didactiques plus éclairés pour soutenir la réussite sociale et scolaire de ceux-ci.

Une collecte de données a donc eu lieu dès le premier mois de la recherche collaborative auprès de l’ensemble des élèves des douze enseignantes titulaires participantes, et ce, avant la mise en place du dispositif de formation et d’accompagnement. Considérant l’importance d’avoir des données préliminaires tant pour établir un portrait de la situation (Collerette et al., 2021) que pour sélectionner des objectifs de développement professionnel (Kennedy, 2019) et pour en constater les effets chez les élèves (Galand et Janosz, 2020), les résultats des analyses ont été présentés à l’équipe interprofessionnelle durant les premiers mois de la recherche. Ainsi, les membres de l’équipe de recherche, composée de trois chercheuses universitaires (deux professeures et une doctorante) et de trois personnes conseillères pédagogiques jouant le rôle de chercheurs des milieux de pratique, ont collaboré afin que la présentation des résultats soit signifiante et utile pour l’équipe interprofessionnelle. Dans le cadre du projet, une présentation personnalisée et individuelle des résultats de chaque groupe-classe a été réalisée avec les enseignantes titulaires et une présentation globale de l’ensemble des données a été effectuée auprès de l’ensemble de l’équipe interprofessionnelle.

Cet article répond à l’objectif spécifique suivant : décrire la perception de l’environnement sociopédagogique d’élèves de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire dont les enseignantes participent à une recherche collaborative.

Cadre conceptuel

Pour répondre à l’objectif spécifique de cet article, le cadre conceptuel de l’environnement sociopédagogique est présenté dans la prochaine section et les six climats évalués dans le cadre de ce projet sont décrits.

L’environnement sociopédagogique, comme défini par Carpentier et al. (2022a), se rattache à la mission de l’école québécoise visant notamment à favoriser et à soutenir le développement cognitif, social, sociocognitif, comportemental et affectif de l’ensemble des élèves (Gouvernement du Québec, 2020). Ainsi, le développement de ces cinq dimensions est, dans les contextes de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire, lié à l’activité quotidienne de la classe et s’ancre dans des contextes réels et variés de la pratique enseignante (Carpentier et al., 2021).

Il importe de préciser que ce concept est inspiré du modèle théorique de Janosz et al. pour le contexte des écoles primaires (2007) et secondaires (1998). Ce modèle porte plus largement sur l’environnement socioéducatif et définit l’environnement scolaire, à l’échelle de l’école, selon trois composantes : le climat scolaire, les pratiques éducatives et les problèmes scolaires et sociaux. Le concept d’environnement sociopédagogique les reprend en partie, mais se centre plus spécifiquement sur les climats. Il intègre aussi certaines pratiques pédagogiques plus enclines à agir sur la dimension affective de l’environnement de classe qui s’avèrent indispensables à la réussite sociale et scolaire (Baudoin et Galand, 2018). Aux cinq climats originaux du modèle de Janosz (2007), un sixième, le climat évaluatif, a été ajouté (voir figure 1) dans le présent projet vu la place centrale de l’évaluation en classe primaire et l’influence du rapport à l’évaluation qu’entretient la personne enseignante sur le rapport que développent ses élèves (Pasquini, 2021).

Figure 1

Les six climats de l’environnement sociopédagogique

Les six climats de l’environnement sociopédagogique

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  1. Le climat relationnel renvoie aux relations socioaffectives entre les élèves. La qualité de celui-ci s’appuie notamment sur des relations interpersonnelles amicales et respectueuses entre pairs puisque les relations positives mènent à valoriser l’expérience scolaire (Beaumont, 2018).

  2. Le climat pédagogique vise la réussite scolaire des élèves et s’articule autour de la qualité de la relation enseignant-élève, de la confiance de la personne enseignante envers leur réussite et de la mise en oeuvre de pratiques pédagogiques variées servant à les motiver et à les engager (Bouffard et al., 2005).

  3. Le climat de sécurité se rapporte aux sentiments d’assurance et de confiance des élèves. Il inclut la sécurité affective, physique et matérielle (Berkowitz et al., 2016). Baudoin et Galand (2018) précisent que le climat pédagogique et l’instauration de routines et de règles de vie claires agissent sur l’engagement des élèves et permettent d’éviter les pertes de temps pouvant mener à des interactions et à des gestes inappropriés.

  4. Le climat de justice est fortement lié au climat de sécurité, puisqu’il se rapporte à la légitimité et à l’équité des règles, comme à leur application judicieuse. Ainsi, les règles et les conséquences doivent être appliquées de manière rigoureuse et cohérente (Baudoin et Galand, 2018).

  5. Le climat évaluatif, qui a été ajouté pour appréhender l’environnement sociopédagogique des classes, renvoie au rapport qu’entretiennent les élèves à l’évaluation et à l’erreur (Pasquini, 2021). Ce rapport est influencé par le vécu scolaire de l’élève ainsi que par le rapport à l’évaluation qu’entretiennent les personnes qui l’entourent, notamment sa famille et le personnel scolaire (Prokofieva et al., 2017).

  6. Le climat d’appartenance se situe au coeur des autres composantes de l’environnement sociopédagogique puisqu’il est fortement influencé par celles-ci. Son développement est donc optimal lorsque les cinq autres climats sont positifs (Janosz, 2007). Si un bon climat d’appartenance s’observe globalement par un sentiment de fierté de l’élève à faire partie de la classe, il renvoie plus précisément à l’harmonisation des besoins et des désirs de l’élève à ceux des membres de son groupe, reflétant l’adaptation positive au milieu (St-Amand et al., 2017).

Méthodologie

La présente recherche collaborative s’inscrit en continuité des travaux de Desgagné (1998) qui indique que ce type de recherche vise la coconstruction, avec les personnes praticiennes, d’un ou de plusieurs savoirs associés à une pratique professionnelle. Dans ce type de recherche, les personnes du milieu de la pratique s’engagent dans une démarche de recherche avec les personnes du milieu universitaire puisqu’elles ont d’amples connaissances de la pratique et des situations pédagogiques (Morissette, 2013). La collaboration est ainsi nécessaire et une relation de confiance doit être développée et maintenue tout au long du projet (Aurousseau et al., 2020 ; Lenoir, 2012 ; Morissette, 2013).

Participants

Afin de décrire la perception de l’environnement sociopédagogique des élèves de l’éducation préscolaire et du primaire, les données ont été collectées auprès de 185 élèves. Ces derniers étaient âgés de 5 à 12 ans et issus d’un total de 12 classes : une de l’éducation préscolaire (n = 16), six du 1er cycle (n = 96), une du 2e cycle (n = 15) ainsi que quatre du 3e cycle (n = 58) d’une même école primaire. De cet échantillon, 73 sont des filles, 108 sont des garçons et 4 préféraient ne pas répondre.

Instrument de mesure, collecte et analyse de données

La collecte de données a eu lieu à l’automne 2021. Le Questionnaire sur l’environnement sociopédagogique au primaire (QESPP, Carpentier et al., 2022b) ainsi qu’une échelle sur le climat évaluatif (Guimard et al., 2015) ont été employés avec deux méthodes de passation distinctes selon le niveau scolaire des élèves. Alors que les élèves du 2e et du 3e cycle ont répondu simultanément aux questions lues à voix haute avec des échelles de Likert à quatre niveaux, les élèves de l’éducation préscolaire et du premier cycle ont répondu en sous-groupe de deux à quatre élèves. De plus, afin d’éviter les biais dichotomiques, les choix de réponses ont été segmentés selon le modèle de Harter (1983) qui consiste à fragmenter la réponse en deux temps. Après la lecture à voix haute d’un item, les élèves ont d’abord été invités à se positionner entre deux camps (le cercle du oui et le carré du non), puis à déterminer l’intensité de leur réponse dans un deuxième temps (grand carré, petit cercle). Des tablettes électroniques ont été utilisées pour tous les élèves afin de faciliter l’accessibilité (Filiatrault-Veilleux et al., 2016).

Avec une durée de passation de 12 à 15 minutes, le questionnaire transmis aux élèves comptait 25 items avec une structure à six facteurs liés aux six climats de l’environnement sociopédagogique : 1) climat relationnel (3 items, ω = 0,71), 2) climat pédagogique (6 items, ω = 0,71), 3) climat de sécurité (3 items, ω = 0,74), 4) climat de justice (5 items, ω = 0,81), 5) climat évaluatif (5 items, ω = 0,78) et 6) climat d’appartenance (3 items, ω = 0,78). Les coefficients oméga (ω) de McDonald étant tous supérieurs à 0,71, les dimensions présentent une bonne consistance interne (Béland et al., 2017).

Dans le but de documenter la perception des élèves de l’éducation préscolaire et du primaire quant à leur environnement sociopédagogique, des analyses descriptives sur les six climats ont été réalisées. Des analyses comparatives ont également été effectuées afin de déceler d’éventuelles différences selon leur genre ainsi que leur niveau scolaire. Pour vérifier si des différences significatives existaient entre les groupes, dans le cas des analyses comparatives inférentielles, des tests non paramétriques à deux échantillons indépendants (Mann-Withney) ont été réalisés à partir des données. Ces tests non paramétriques ont été privilégiés puisque, selon le graphe de répartition (Kolmogorov-Smirnov et Shapiro-Wilk), les données n’étaient pas normalement distribuées et les variances des groupes étaient inégales (test de Levene). Pour les analyses comparatives, le barème de significativité de Fisher et l’ampleur des tailles d’effet de Cohen (1988) ont été utilisés. Ainsi, un êta carré partiel (ηp2) avoisinant 0,01 est un effet de petite taille, un résultat atteignant 0,06 indique un effet de taille moyenne et un effet de 0,14 correspond à un effet de grande taille. L’ensemble des analyses a été effectué avec le logiciel d’analyse quantitative SPSS, version 27.

Résultats

Cette section présente les résultats descriptifs des six climats composant l’environnement sociopédagogique et les résultats des analyses comparatives selon le genre et le niveau scolaire des élèves.

D’abord, les résultats issus des analyses quantitatives permettent d’identifier la perception qu’ont les élèves de l’environnement sociopédagogique de leur classe. À cet égard, le Tableau 1 illustre plus précisément la répartition des élèves concernant chacun des climats.

Tableau 1

Moyenne (), médiane (Med) et écart-type (σ) des élèves (n=185) selon les climats de l’environnement sociopédagogique

Moyenne (x̄), médiane (Med) et écart-type (σ) des élèves (n=185) selon les climats de l’environnement sociopédagogique

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Les analyses soulèvent une tendance de réponses positives pour les climats relationnel, pédagogique, de justice et d’appartenance. En effet, la moyenne des réponses fournies pour ces quatre climats se situe entre un score de 1 et 2. La tendance centrale des médianes des climats pédagogique ( x̄ =1,29 ; Med=1,17) et d’appartenance ( x̄=1,46 ; Med=1,33) s’approche de la cote 1 et révèle une perception très positive des élèves. La médiane du climat de justice se trouve à mi-chemin entre les cotes 1 et 2 et celle du climat relationnel se situe sur la cote 2, démontrant une perception positive des élèves à l’égard de ces climats. Les climats évaluatif (x̄ =2,38 ; Med=2,40) et de sécurité (x̄=2,76 ; Med=3,00) ressortent de façon plus négative. À ce propos, le climat de sécurité, qui renvoie notamment à la peur de se faire voler, de se faire ridiculiser ou de se faire faire mal physiquement, est celui qui est perçu comme étant le plus négatif par les élèves participants. Des analyses comparatives (tableau 2) ont ensuite été réalisées afin de vérifier si des différences significatives existaient selon le genre des élèves.

Tableau 2

Analyse comparative selon le genre des élèves

Analyse comparative selon le genre des élèves

*p < 0,05

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Lorsque l’on compare la perception des élèves au regard des différents climats qui composent l’environnement sociopédagogique selon leur genre, les climats pédagogique, de sécurité et d’appartenance présentent des résultats significatifs (valeur p < ,05), permettant de rejeter l’hypothèse nulle selon laquelle les rangs seraient équivalents. Les rangs moyens indiquent que les filles ont une perception plus positive que les garçons des climats pédagogique et d’appartenance alors que leur perception est plus négative pour ce qui est du climat de sécurité. Selon les balises de Cohen (1988), les résultats qui concernent le climat pédagogique ont une grande taille d’effet (np2 de 0,17) alors que les résultats des climats de sécurité et d’appartenance ont une taille d’effet moyenne (np2 de 0,08). Cela dit, il apparaît intéressant d’analyser les mêmes données selon le niveau scolaire des élèves (éducation préscolaire et premier cycle vs deuxième et troisième cycle) afin de vérifier s’il existe également des différences significatives selon cette variable.

Tableau 3

Analyse comparative selon le niveau scolaire des élèves

Analyse comparative selon le niveau scolaire des élèves

*p < , 05

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En se concentrant maintenant sur les différences possibles selon le niveau scolaire des élèves, les données présentées au Tableau 3 montrent une différence significative pour les climats relationnel (p = ,028) et de justice (p < ,001). Les rangs moyens indiquent que les élèves du préscolaire et du premier cycle perçoivent le climat relationnel de façon plus positive (rang moyen = 86,15) alors qu’ils perçoivent le climat de justice de façon plus négative (rang moyen = 105,34). Toujours selon les barèmes proposés par Cohen (1988), les résultats du climat relationnel ont une petite taille d’effet (np2 de 0,02) alors que les résultats du climat de justice ont une taille d’effet moyenne (np2 de 0,09).

Discussion

Dans le cadre de la présente recherche collaborative, une première collecte de données selon les besoins nommés par les personnes enseignantes participantes a servi à cibler des objets de formation et d’accompagnement pour les trois années du projet. De telles collectes auront lieu chaque année pour documenter et réguler la démarche de développement professionnel. Les 185 élèves interrogés proviennent d’une même école et représentent 38 % des élèves de cette dernière. Les données collectées permettent donc de brosser un portrait des groupes des douze enseignantes titulaires qui contribuent à la recherche. Les résultats révèlent que deux climats sont perçus plus négativement par les élèves : le climat évaluatif ainsi que le climat de sécurité. La présente discussion compare d’abord des résultats obtenus lors des analyses présentés dans cet article à ceux obtenus précédemment avec les mêmes outils de collecte de données. Elle aborde ensuite plus spécifiquement les résultats des climats évaluatif et de sécurité.

Comparaison des six climats

Une comparaison des résultats obtenus dans le cadre de la présente collecte de données avec ceux obtenus lors de la validation des échelles (n = 1 002) est d’abord proposée (Carpentier et al., 2022a ; Guimard et al., 2015). Il est important de souligner que la validation du QESPP (Carpentier et al., 2022b) s’est faite récemment, en contexte de pandémie, et dans des milieux similaires à la présente recherche. La Figure 2 montre que les moyennes obtenues aux échelles sur les climats relationnel, d’appartenance, de justice et pédagogique correspondent aux moyennes obtenues lors de la validation des échelles. En revanche, la comparaison permet de constater que la perception des climats évaluatif et de sécurité est plus négative, voire vraiment plus négative en qui a trait au climat de sécurité, pour les élèves de cette recherche. La perception négative des élèves du climat évaluatif et du climat de sécurité de leur classe ressort donc particulièrement et mérite que l’on s’y attarde.

Figure 2

Comparaison des moyennes () entre la présente recherche collaborative et la validation du questionnaire

Comparaison des moyennes (x̄) entre la présente recherche collaborative et la validation du questionnaire

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Climat évaluatif

Concernant le climat évaluatif, certaines recherches l’ayant abordé soulignent que la constitution d’une culture de classe autour de l’évaluation nécessite un dialogue et une réflexion sur le rapport à l’évaluation de la personne enseignante et des élèves (Pasquini, 2021). Issaieva et al. (2011) ont dégagé des profils de rapport à l’évaluation et attestent que, dans la grande majorité des cas, les élèves ne partagent pas la vision de l’évaluation de leur enseignant ou enseignante. Ces différences peuvent provoquer du stress et de la peur chez les personnes apprenantes et peuvent même affecter leur sentiment de bienêtre dans la classe (Meylan et al., 2015 ; Prokofieva et al., 2017). Les travaux de Houchot et al. (2013) attestent quant à eux que les exigences liées à l’évaluation arrivent de plus en plus tôt et que les personnes enseignantes ainsi que les parents sont de plus en plus préoccupés par les résultats scolaires des élèves. À ce sujet, les résultats présentés dans cet article montrent que les élèves du préscolaire et du premier cycle ont une perception aussi négative du climat évaluatif de leur classe que les élèves du deuxième et du troisième cycle.

Climat de sécurité

En ce qui a trait au climat de sécurité, la Figure 2 permet de constater une différence marquée entre les données collectées dans la présente recherche et celles collectées lors de la validation. Un rapport du groupe de recherche SÉVEQ (Beaumont et al., 2018) qui concerne plus de 6300 élèves de la quatrième à la sixième année du primaire soulève que 16,1 % d’entre eux se font insulter verbalement et que 7,4 % se font bousculer intentionnellement. Les données collectées dans ce projet dépassent largement ces seuils. En effet, dans le cas présent, 61 % des élèves perçoivent le climat de sécurité de leur classe comme négatif ou très négatif. Rappelons que le climat de sécurité renvoie à la peur de se faire voler, de se faire intimider et de se faire faire mal physiquement. Bowen et Desbiens (2011) estiment que la perception du climat de sécurité dépend de l’influence des facteurs liés à l’élève ainsi que de ses environnements scolaire, social et familial. Dans le cadre d’une recension intégrative des écrits portant sur les effets de ces différents facteurs sur le climat de sécurité, Berkowitz et al. (2016) concluent que les interventions pratiquées par le personnel scolaire influencent grandement l’apparition, le maintien et la disparition des comportements d’agression. À l’instar de Beaumont et al. (2018), Pitre (2019) constate que la pratique d’intervention préventive dans les écoles québécoises diminue actuellement alors que les enjeux liés au climat de sécurité sont encore présents. À cet effet, Khoury-Kassabri (2009) rapporte que 70 % des élèves estiment que les personnes enseignantes, lorsqu’elles sont témoins d’événements agressifs entre des élèves, punissent les deux sans tenter de comprendre l’élément déclencheur de la situation.

De plus, la différence significative ressortie lors des analyses comparatives sur la perception des filles et des garçons trouve aussi écho dans certains écrits récents (Carpentier et al., 2022a). Au secondaire, les filles affirment être victimes plus fréquemment d’agressions verbales alors que les garçons déclarent être davantage victimes d’agressions physiques. Lorsque l’on aborde les différences de genre quant à la perception du climat de sécurité, une tendance lourde selon laquelle les garçons subissent davantage de mauvais traitements par le personnel éducatif que les filles est constatée (Lee, 2015 ; Longobardi et al., 2015 ; Theoklitou et al., 2012). Dans ce même ordre d’idée, les élèves victimes et auteurs d’intimidation sont les plus à risque de subir de mauvais traitement de la part du personnel scolaire suivis des élèves intimidateurs et des élèves victimes. Dans le cadre de la présente recherche, il n’y avait aucune différence selon les niveaux scolaires et les élèves de l’éducation préscolaire et du premier cycle du primaire percevaient un climat de sécurité aussi négatif que les élèves du deuxième et du troisième cycle du primaire.

Conclusion

Les données collectées sur la perception de l’environnement sociopédagogique de douze classes d’une même école primaire montrent des enjeux importants liés au climat évaluatif ainsi qu’au climat de sécurité. Cette première collecte, au tout début du projet, a permis à l’équipe interprofessionnelle mobilisée dans le cadre de cette recherche collaborative de faire rapidement des choix pour tenter d’influencer positivement ces deux climats. Des collectes de données subséquentes, à l’aide des mêmes questionnaires, durant la deuxième et la troisième année du projet, permettront de mesurer les effets des changements mis en place. Présenter de telles données à une nouvelle équipe de recherche nécessite des réflexions préalables afin de maintenir un engagement et des relations positives entre les personnes du milieu de la pratique et les personnes du milieu de la recherche. Plusieurs réflexions, notamment sur la temporalité, les modalités de formation, la posture d’accompagnement et les connaissances pratiques et théoriques, ont été nécessaires pour guider la manière dont les données allaient être présentées aux personnes participantes afin de maintenir le lien de confiance. Ces réflexions doivent être au coeur de la démarche des personnes chercheuses s’engageant dans une recherche collaborative et feront l’objet d’un prochain article.