Abstracts
Résumé
Les pratiques enseignantes (PE) restent encore relativement peu étudiées dans la recherche sur l’enseignement supérieur (ES), surtout en ce qui concerne l’observation des pratiques. Cet article se propose de fournir un cadre de référence pour la conception d’un modèle théorique des PE en classe dans l’ES. Ce travail permettra d’explorer ultérieurement le rôle des PE dans la réussite des étudiants. Une analyse narrative a été menée sur deux modèles des PE de l’enseignement obligatoire, ayant de solides fondements théoriques et empiriques, afin de les transposer au contexte de l’ES. Les résultats ont permis d’identifier quatre catégories clefs des pratiques.
Mots-clés :
- Enseignement supérieur,
- pratiques enseignantes,
- enseignant,
- réussite
Abstract
Teaching practices are still relatively unexplored in higher education research, especially when it comes to observing practices. This study provides a framework for the development of a theoretical model of teaching practices into HE classroom. It will enable future research to explore the concrete role of teaching practices in student success. A narrative analysis was conducted of two models of teaching practice from compulsory education, with strong theoretical and empirical foundations, in order to transfer them to the HE context. The results identified four key categories of practice.
Keywords:
- Higher education,
- teaching practices,
- teacher,
- success
Article body
Introduction et problématique
L’enseignement supérieur (ES) poursuit son expansion dans l’ensemble des pays de l’OCDE, notamment en réponse à de nouvelles demandes économiques et sociales (Gale & Parker, 2014). Les taux d’échec et d’abandon, avec les conséquences financières, organisationnelles et psychologiques qui y sont associées, restent néanmoins trop élevés dans de nombreux systèmes éducatifs (De Clercq & Perret, 2020).
En raison de cet essor et des difficultés rencontrées par les étudiants à l’entrée dans l’ES (Trautwein et Bosse, 2017), la question du soutien à la réussite étudiante représente plus que jamais une problématique d’actualité. Un certain nombre de facteurs ainsi que le poids qu’ils exercent sur la réussite dans l’ES ont été examinés par les chercheurs en psychologie de l’éducation. Les recherches ne manquent pas pour démontrer les corrélations entre le passé scolaire de l’individu, la motivation, l’engagement et la réussite universitaire (Dupont et al., 2015 ; Schneider & Preckel, 2017). Malgré ces travaux, il reste difficile d’agir efficacement sur le processus de réussite des étudiants pour infléchir les taux d’échec et d’abandon élevés. En outre, selon De Clercq (2017), les variables afférentes à l’étudiant rendent compte de moins de la moitié de la variance de la réussite. Les caractéristiques des étudiants ne semblent dès lors pas les seuls facteurs en jeu et une autre piste de compréhension pourrait alors venir de facteurs externes tels que le contexte d’enseignement.
Plusieurs chercheurs ont soulevé la question de l’impact du contexte d’enseignement sur le processus de réussite (Berthaud et al., 2018 ; Duguet et al., 2016 ;) et ont fait valoir qu’il est nécessaire de mieux prendre en compte les variables y afférant (Quinlan, 2019 ; Trautwein & Bosse, 2017). Schneider et Preckel (2017) identifient les pratiques des enseignants comme étant l’un des prédicteurs les plus importants de la réussite universitaire. Pourtant, malgré l’importance théorique de ce facteur, peu d’études empiriques ont porté sur les pratiques des enseignants de l’ES ainsi que sur leurs effets sur la réussite de l’étudiant à l’université (Dupont et al., 2015 ; Schneider & Preckel, 2017). La question des pratiques enseignantes dans l’ES reste encore relativement intangible, surtout en ce qui concerne l’observation des pratiques en classe.
Actuellement, l’intégration de la question pédagogique aux réflexions sur la réussite a en réalité été réalisée au moyen de l’analyse des effets de différentes méthodes d’enseignement, comme l’apprentissage par problèmes ou l’apprentissage coopératif (pour une revue, voir De Clercq et al., 2022). Cependant, la catégorisation par dispositif reste assez globale et ne permet pas d’identifier des recommandations pédagogiques précises en matière de comportement de l’enseignant en classe (Rey, 2017). En effet, ces recherches ne nous éclairent pas sur les pratiques d’enseignement spécifiques qui contribuent aux apprentissages des étudiants.
Récemment, quelques études dans l’ES ont tenté de répondre à cette question en analysant les pratiques enseignantes en séance par observation. McCance et ses collègues (2020) soulignent les avantages d’utiliser un protocole d’observation pour détecter les différences de pratiques pédagogiques au sein d’un petit groupe de comparaison de cours d’une même discipline. Les résultats de Duguet (2015) montrent que certaines dimensions des pratiques observées, notamment celles liées aux interactions et à l’organisation, sont davantage que d’autres liées aux résultats des étudiants aux examens. De plus, une étude récente (Katamba Muamba et al., 2023) dévoile de premiers résultats prometteurs concernant la validité et la fiabilité d’une grille d’observation des dimensions de l’enseignement dans l’ES en contexte congolais. Ces travaux fournissent des pistes méthodologiques intéressantes pour étudier avec plus d’attention ce champ de recherche sous-développé.
Malgré les avancées progressives dans l’analyse des pratiques d’enseignement dans l’ES, les différentes approches présentées souffrent toutes d’une même limite : elles ne se fondent pas sur un modèle théorique justifiant le regroupement de diverses pratiques au sein de certaines catégories, intégrant différentes catégories de pratiques enseignantes et articulant l’enseignement et l’apprentissage de façon à générer des hypothèses précises (Hora, 2015). Bien sûr, il existe, dans la littérature sur l’ES, quelques questionnaires se basant sur un cadre conceptuel prédéfini (par exemple : Entwistle et al., 2002 ; Schaeper & Weiß, 2016). Ces questionnaires mesurent les perceptions de certains aspects de l’environnement d’enseignement et d’apprentissage dans l’ES. Néanmoins, la notion globale d’« environnement d’enseignement et d’apprentissage perçu » couvre une grande diversité d’aspects liés aux expériences des étudiants, par exemple la conception et l’organisation des cours, de l’enseignement et de l’évaluation et les relations avec les étudiants (Entwistle et al., 2002). Ces cadres conceptuels abordent un ensemble étendu et varié de concepts, mais ne ciblent pas précisément l’action de l’enseignant et ne sont pas très adaptés pour élaborer un instrument précis des pratiques enseignantes dans l’ES.
En revanche, ce travail de modélisation des pratiques enseignantes en classe a déjà été entrepris de façon systématique dans le contexte de l’enseignement obligatoire (EO). Plusieurs modèles multidimensionnels des pratiques ont été proposés tels que le Dynamic Model of Educational Effectiveness (DME, Creemers & Kyriakides, 2006) ou le International System of Teacher Observation and Feedback (ISTOF, Teddlie et al., 2006). Toutefois, deux cadres théoriques modélisant les pratiques enseignantes en classe se distinguent de par (1) la solidité de leurs fondements théoriques, (2) leur cohérence avec les théories de l’apprentissage, (3) la qualité des études empiriques dont ils ont fait l’objet et (4) leur complémentarité. Il s’agit du Classroom Assessment Scoring System (CLASS ; Hamre & Pianta, 2007) et du modèle Three Basic Dimensions (TBD ; Klieme et al., 2001). Les effets des pratiques des enseignants sur la scolarité des élèves ont ainsi été largement étudiés (par exemple : McKellar et al., 2020 ; Praetorius & Charalambous, 2018) et les résultats indiquent que les pratiques des enseignants en classe constituent un prédicteur important de la réussite (Allen et al., 2013 ; Lipowsky et al., 2009).
En conclusion, étudier le rôle des pratiques des enseignants sur le processus de réussite étudiante semble être une approche complémentaire prometteuse aux approches centrées sur l’étudiant et qui permettrait une meilleure compréhension de cette problématique. Cependant, au vu des limites des approches actuelles, il reste difficile d’appréhender concrètement les différentes dimensions des pratiques enseignantes au moyen d’un modèle théorique convaincant et solide. L’objectif principal de cet article est donc de fournir un cadre de référence pour la conception d’un modèle conceptuel des pratiques enseignantes en classe de l’ES en explorant la possibilité d’adapter les deux modèles précités, le CLASS et le TBD, au contexte de l’ES.
Pour ce faire, nous commencerons par définir le concept de « pratiques enseignantes en classe » et décrire les deux modèles des pratiques enseignantes en classe issus de l’EO. Ensuite, nous présenterons une analyse approfondie des deux modèles que nous mettrons en dialogue afin d’en faire émerger un cadre de référence des pratiques enseignantes en classe pour l’ES qui sera adapté selon les particularités de ce niveau d’enseignement. Nous conclurons cet article en discutant sur les catégories émergentes, leur opérationnalisation dans l’ES et les perspectives d’application sur le terrain.
Cadre théorique
Clarification des termes se référant aux pratiques d’un enseignant
Dans la littérature, plusieurs termes sont utilisés pour définir les pratiques des enseignants : pratiques enseignantes, pratiques d’enseignement, pratiques pédagogiques, etc. De plus, les définitions pour un même terme varient d’un auteur à un autre, engendrant un certain flou conceptuel. Devant ces imprécisions, nous nous appuyons sur le travail de Bezeau (2018) qui a réalisé un recensement des termes et des définitions employés dans la littérature pour clarifier les termes liés à la pratique de l’enseignant. Il distingue clairement deux types de pratiques : les pratiques en classe et les pratiques hors classe.
Dans le contexte de l’ES, les pratiques enseignantes en classe concernent tout ce que fait l’enseignant en interaction avec les étudiants en temps réel, lors des séances de cours. Par exemple : poser des questions de réflexion, illustrer ses propos avec des exemples, répondre aux questions de compréhension, etc. La notion de classe doit se comprendre dans son sens large et englobe différents contextes tels que les amphithéâtres, les classes de travaux dirigés, les laboratoires et le travail en classes virtuelles. L’élément central est ici celui des comportements d’interaction avec les étudiants en temps réel.
Les pratiques enseignantes hors classe concernent tout ce qui est organisé par l’enseignant en dehors des séances, en asynchrone : envoyer une rétroaction par courriel, répondre à des questions sur un forum, préparer une séance de cours, concevoir une évaluation, etc.
L’étude des pratiques enseignantes est donc un champ de recherche très étendu, notamment dans le contexte de l’ES, où les pratiques enseignantes hors classe sont nombreuses, dépassant le champ de réflexion de cet article théorique qui cible uniquement les pratiques enseignantes en classe. Cette décision délibérée de circonscrire le cadre de référence aux pratiques enseignantes en classe est prise par analogie aux études sur l’EO et en cohérence avec les travaux qui montrent la contribution des interactions enseignant-apprenant à l’apprentissage (Holzberger et al., 2019 ; Kyriakides et al., 2013 ; Muijs et al., 2014).
En nous appuyant sur les propos de différents auteurs, issus tant de l’EO que supérieur (Duguet, 2015 ; Lefeuvre, 2005 ; Lenoir, 2009 ; Marcel, 2009), nous définissons les pratiques enseignantes en classe dans l’ES comme : « L’ensemble des actions mises en oeuvre par l’enseignant (consciemment ou non) en interaction synchrone avec les étudiants, soit l’ensemble des comportements observables manifestés par l’enseignant durant le cours, en présence (physique ou virtuelle) des étudiants ». Il s’agit donc d’étudier l’ensemble des comportements observables des enseignants en présence des étudiants lors de temps institutionnellement alloués à des activités d’apprentissage, que ceux-ci soient ou non guidés par une intention pédagogique.
Notre approche par les pratiques enseignantes en classe se distingue également des approches par dispositifs ou méthodes pédagogiques. En effet, les pratiques enseignantes en classe relèvent de comportements précis et spécifiques et non de combinaisons de comportements, d’outils, de supports tels qu’observés dans le cadre d’un dispositif ou d’une méthode d’enseignement (ex. : classe inversée, approche par problème).
Description des deux modélisations des pratiques enseignantes en classe dans l’EO
Comme mentionné dans l’introduction, nous avons fait le choix de sélectionner deux modèles comme objets de cette étude : le CLASS (Hamre & Pianta, 2007) et le TBD (Klieme et al., 2001). Ces deux modèles sont considérablement développés dans la littérature et mobilisés à de nombreuses reprises par d’autres équipes de chercheurs. En conséquence, nous nous appuyons sur ces deux modèles de l’EO comme base théorique pour identifier les catégories clefs des pratiques enseignantes en classe dans l’ES.
Procédure d’identification et de sélection des articles
Afin de décrire avec précision les deux modèles, nous avons commencé par identifier les articles théoriques sources de chaque modèle. Nous avons ensuite effectué une recherche systématique des références citant les articles sources qui ont été retenus au moyen de plusieurs bases de données scientifiques (CAIRN, Scopus, etc.) et du moteur de recherche Google Scholar afin d’améliorer l’exhaustivité de la recherche. Toujours au moyen de ces bases de données, nous avons identifié les études empiriques validant le modèle et/ou testant les effets des pratiques sur l’apprentissage et la réussite des élèves. Ce travail a été réalisé en utilisant les mots-clefs suivants et leurs homologues en anglais : évaluation par observation, interaction pédagogique, résultats scolaires, observation en classe, qualité de l’enseignement. Nous avons exclu les articles n’utilisant pas l’un des deux modèles comme instrument de mesure des pratiques.
Développement du modèle CLASS
Le modèle CLASS (Hamre & Pianta, 2007) est un cadre théorique concernant la qualité des interactions en classe entre enseignant et élèves susceptibles de contribuer positivement au développement scolaire ou social des élèves. Les auteurs ont développé ce modèle en combinant observations de terrain et ancrage théorique (Praetorius & Charalambous, 2018). Ils proposent une modélisation (et une mesure) fidèle et valide des pratiques enseignantes en classe en conservant les dimensions motivationnelle, organisationnelle et pédagogique (Cosnefroy et al., 2016).
D’une part, cette conceptualisation est une synthèse de différents courants de recherche issus de la psychologie du développement, de l’éducation, de la didactique et de la pédagogie. D’autre part, les chercheurs ont utilisé l’observation (Hamre & Pianta, 2007 ; Mashburn et al., 2008) et ont réalisé des analyses exploratoires (Hafen et al., 2015 ; McKellar et al., 2020) afin de faire émerger de façon inductive les pratiques enseignantes observables en classe.
Au moyen de l’analyse théorique et des observations, les auteurs qui ont développé le modèle CLASS ont conçu une structure des pratiques enseignantes en classe organisée selon trois grands domaines eux-mêmes subdivisés en plusieurs dimensions (Hamre et al., 2007) décrites en figure 1. Ce modèle a permis la construction d’un instrument d’observation standardisé et systématique des interactions en classe, dont il existe plusieurs versions : the Classroom Assessment Scoring System (CLASS, Pianta et al., 2008b), pour l’enseignement maternel et primaire, et the Classroom Assessment Scoring System-Secondary (CLASS-S, Pianta et al., 2012), pour l’enseignement secondaire. Ces modèles ont démontré la qualité de leurs mesures en proposant des instruments de mesure fidèles et valides (Hamre et al., 2007). De plus, l’ensemble des recherches produites en lien avec ce modèle tend à montrer le caractère généralisable des dimensions identifiées et leur grande transférabilité sur différents niveaux d’enseignement, tout en suggérant la prise en compte des contextes culturels et éducatifs pour l’applicabilité transculturelle de l’instrument (Hafen et al., 2015 ; Virtanen et al., 2018).
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Le premier domaine, le soutien émotionnel, regroupe les pratiques enseignantes qui sont censées avoir un effet sur les compétences sociales et émotionnelles des apprenants. Ces dimensions s’appuient sur deux fondements théoriques de la littérature : la théorie de l’attachement (Bowlby, 1969) et la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2004). Une pratique efficace en classe, selon ce domaine, se caractérise par des efforts manifestés par l’enseignant pour soutenir le fonctionnement social et émotionnel des apprenants en classe, à travers une facilitation positive des interactions entre l’enseignant et les apprenants. Les trois dimensions du soutien émotionnel sont le climat positif, la sensibilité de l’enseignant et la prise en compte de la perspective des apprenants.
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Le deuxième domaine, l’organisation de la classe, correspond à la gestion, à l’échelle de la classe, des comportements, du temps et de l’attention en classe. Ce domaine s’appuie sur la recherche sur les compétences autorégulatrices des enfants (Paris & Paris, 2003 ; Tobin & Graziano, 2006). Il rassemble les pratiques des enseignants qui sont censées avoir un effet sur les capacités des apprenants à réguler leur comportement et leur attention en classe, c’est-à-dire leur engagement comportemental, dans le but de bénéficier au maximum des opportunités d’apprentissage. L’organisation de la classe se compose de trois dimensions : la gestion des comportements, la productivité et le climat négatif.
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Le troisième domaine, le soutien à l’apprentissage, est la façon de mettre en oeuvre le contenu du programme et les activités d’apprentissage pour soutenir le développement des compétences cognitives et disciplinaires. Ce domaine regroupe les pratiques des enseignants qui sont censées avoir un effet sur la cognition et l’apprentissage des apprenants. La recherche sur le développement cognitif et langagier des enfants a fourni les fondements théoriques de ce domaine (p. ex., Taylor et al., 2003 ; Vygotsky, 1934). Cinq dimensions composent le soutien à l’apprentissage : la compréhension du contenu, la qualité des rétroactions, l’analyse et la recherche, le dialogue pédagogique et les modalités d’apprentissage.
Ces trois domaines sont susceptibles de contribuer positivement au développement scolaire et social des élèves. C’est notamment ce que montrent Allen et ses collègues (2013) en menant une étude d’observation auprès d’un échantillon de 643 élèves inscrits dans 37 classes de l’enseignement secondaire. Leurs analyses multiniveaux indiquent que les trois domaines sont associés à des niveaux plus élevés de réussite des élèves à un test standardisé (Allen et al., 2013). D’autres recherches employant des modélisations linéaires hiérarchiques à deux niveaux sur des données issues de protocoles d’observation standardisés ont montré l’effet des pratiques sur d’autres facteurs d’apprentissage. Ainsi, le soutien émotionnel influencerait positivement l’engagement des élèves (McKellar et al., 2020 ; Rimm-Kaufman et al., 2015), leur performance (Pianta et al., 2008a) et le développement de leurs compétences sociales (Mashburn et al., 2008). De même, l’organisation de la classe aurait un impact positif sur l’engagement comportemental observé et l’engagement cognitif, émotionnel et social rapporté par les élèves (Rimm-Kaufman et al., 2015). Le soutien à l’apprentissage aurait quant à lui plutôt un effet direct sur l’apprentissage en profondeur et le transfert des apprentissages (Allen et al., 2013).
Bien que les dimensions décrites ci-dessus aient été validées empiriquement, elles ne sont toutefois pas exhaustives ; d’autres dimensions pourraient être ajoutées dans chaque domaine (Pianta & Hamre, 2009). D’ailleurs, en fonction du contexte dans lequel il est employé, le CLASS nécessite une adaptation et une nouvelle validation. Il existe notamment six versions du CLASS en fonction de la période ou de l’époque de développement des enfants. Les différences entre ces versions correspondent à l’ajustement aux besoins développementaux des enfants.
De façon cohérente avec cette idée, notre projet ne consiste pas à utiliser directement le modèle CLASS pour mesurer les pratiques enseignantes de l’ES, mais à s’en inspirer pour concevoir un modèle des pratiques enseignantes en classe directement conçu pour l’ES.
Développement du modèle « Three Basic Dimensions »
Le modèle Three Basic Dimensions (TBD, Klieme et al., 2001) est, comme le modèle CLASS, un cadre théorique relatif à la qualité de l’enseignement. Ce cadre théorique est couramment utilisé dans des études empiriques au sein des pays germanophones (Klieme, 2016).
À l’origine, le TBD a été élaboré au moyen de travaux exploratoires de terrain (Praetorius & Charalambous, 2018) dans le contexte de l’étude vidéo TIMSS (Third International Mathematics and Science Study) de 1995 (Klieme et al., 2001). Cette étude comparait les méthodes d’enseignement des mathématiques en secondaire de trois pays. Les analyses ont fait ressortir des similitudes évidentes entre les pays ayant permis de dégager un premier modèle descriptif des pratiques enseignantes (Stigler et al., 1999). Cependant, les dimensions du modèle ainsi conçu ne couvraient que certains aspects de la réalité de l’enseignement. Sur base de ces premières données, les auteurs ont transformé ce premier modèle descriptif en un modèle théorique à plusieurs niveaux, en enrichissant le modèle des concepts emprunté à la littérature scientifique et en démontrant sa validité et sa fidélité au moyen d’analyses empiriques (Klieme & Thußbas, 2001). Les auteurs du modèle CLASS et du TBD ont donc développé leur modèle en combinant une approche théorique et une approche empirique utilisant l’observation de terrain.
Ainsi, les fondements théoriques de ce cadre sont en partie communs avec ceux du modèle CLASS. Ils se basent, par exemple, sur les recherches concernant les enseignants efficaces (Brophy, 2000), la qualité de l’enseignement et le climat de classe (Fraser, 1994), et la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2004). Cependant, le TBD convoque également d’autres ancrages théoriques tels que des recherches sur les conceptions constructivistes de l’apprentissage (Mayer, 2004), sur l’enseignement des mathématiques (Hiebert & Grouws, 2007), ou encore sur l’apprentissage des élèves (Pintrich et al., 1993).
Par ailleurs, le TBD distingue trois dimensions des pratiques enseignantes en classe qui forment les aspects fondamentaux d’un environnement de formation propice à l’apprentissage, à l’engagement et au bien-être de l’apprenant. Ces trois dimensions partagent des similitudes avec les trois domaines du modèle CLASS. Cependant, contrairement au modèle CLASS qui est lié à un instrument de mesure unique, il existe plusieurs systèmes de mesure associés au TBD. En conséquence, chaque dimension peut s’opérationnaliser de plusieurs façons selon différentes perspectives (celle de l’observateur, de l’élève ou de l’enseignant). Le travail de Praetorius et al. (2018) a permis d’ordonner ces différents travaux en regroupant et en associant les mesures des différentes perspectives selon la définition de chaque dimension (Figure 2).
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La gestion de la classe fait référence à une approche proactive et préventive des comportements des apprenants dans le but d’optimiser le temps d’apprentissage. Les caractéristiques qui constituent la gestion de classe sont l’absence de perturbations et de problèmes de discipline, l’utilisation efficace du temps, la surveillance ainsi que des règles et des routines claires.
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L’activation cognitive correspond à la sélection et à la mise en oeuvre de tâches en classe qui favorisent la stimulation des activités cognitives chez les apprenants, axées sur la compréhension du contenu de l’enseignement. Les caractéristiques de cette dimension sont des tâches et des questions stimulantes, le soutien de la métacognition, la compréhension transmissive de l’apprentissage (indicateur négatif), l’apprentissage discursif et co-constructif, l’exploration et l’activation des connaissances préalables, l’enseignement génético-socratique et l’exploration des modes de pensée des apprenants.
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Le soutien aux apprenants comprend à la fois des aspects de structuration, c’est-à-dire la capacité de l’enseignant à rendre les exigences d’une situation d’apprentissage gérables pour les apprenants, et des aspects de qualité de la relation apprenant-enseignant en matière de soutien émotionnel et motivationnel. Plus précisément, ces aspects comprennent le soutien à la différenciation et à l’adaptation, le rythme de l’enseignement, une approche constructive des erreurs, une rétroaction factuelle et constructive, l’intérêt et la pertinence, la pression sur les performances et la concurrence (indicateur négatif), l’option de choix individuel et le soutien à l’expérience des relations sociales sur le plan des relations entre l’enseignant et l’apprenant et entre apprenants.
À l’appui de ce modèle, Lipowsky et ses collègues (2009) ont réalisé une étude quasi expérimentale sur 913 élèves de l’enseignement secondaire, pour examiner l’impact des trois dimensions des pratiques enseignantes sur le développement de la compréhension du théorème de Pythagore par les élèves. L’observation des pratiques de 39 enseignants en classe montre que l’activation cognitive et la gestion de la classe par l’enseignant influencent positivement le développement cognitif des élèves et leurs performances sous contrôle de leurs caractéristiques individuelles (Lipowsky et al., 2009). D’autres résultats indiquent que le soutien aux apprenants a un impact sur le développement émotionnel et motivationnel (Baumert et al., 2010 ; Praetorius et al., 2018). Le développement cognitif influence à son tour la réussite des élèves, tandis que le développement émotionnel et motivationnel a un effet sur la persévérance de ces derniers. Plusieurs analyses multiniveaux menées sur de larges échantillons (plus de 600 élèves) ont montré que les trois dimensions avaient un effet significatif sur l’intérêt des élèves pour une matière (Dorfner et al., 2018 ; Fauth et al., 2014 ; Kleickmann et al., 2020).
Plusieurs auteurs ont également attesté de la qualité psychométrique de ce modèle (Fauth et al., 2014 ; Kunter & Voss, 2013). Bien que les analyses de départ portent exclusivement sur l’enseignement des mathématiques, Fauth et al. (2014) ont montré la possibilité de généraliser le modèle à d’autres matières et à d’autres niveaux d’études. Seule la dimension de l’activation cognitive dépendrait du contenu. D’autres chercheurs affirment cependant qu’un modèle à quatre facteurs ajoutant la notion de soutien cognitif en tant que dimension distincte serait plus valide qu’un modèle en trois facteurs (Kleickmann et al., 2020). Ces auteurs soutiennent qu’un modèle à quatre facteurs permettrait de mettre en place des hypothèses différentielles : le soutien cognitif prédirait l’apprentissage des élèves et le soutien aux apprenants prédirait leur motivation. Le soutien cognitif rassemblerait alors l’ensemble des comportements de l’enseignant visant à diminuer les exigences cognitives et la complexité de l’environnement d’apprentissage, afin que les apprenants aient la possibilité de maitriser les nouveaux apprentissages.
Comparaison et synthèse des modèles
Nous identifierons maintenant les catégories clefs des pratiques enseignantes dans l’ES et proposer un cadre de référence pour la conception d’un modèle théorique des pratiques enseignantes en classe dans l’ES.
Méthode d’analyse
En nous appuyant sur la description du CLASS et du TBD présentée dans le cadre théorique, nous avons analysé les similitudes et les divergences entre ces deux modélisations. Nous avons parcouru les dimensions et sous-dimensions du CLASS et du TBD pour en faire ressortir les concordances et les différences. Nous avons ensuite résumé l’information dans un tableau analytique à partir duquel nous avons pu extraire quatre catégories de pratiques enseignantes se rapportant à quatre objectifs pédagogiques transversaux. Une fois les quatre catégories identifiées, nous avons procédé à leur adaptation à l’ES.
Afin d’éviter toute équivoque, nous utiliserons dans la suite de l’article les termes « catégorie » et « sous-catégorie » pour désigner les composants de notre cadre de référence. Au contraire, nous emploierons les termes « dimension » et « sous-dimension » lorsque nous ferons référence aux composants de modèles et recherches issus de la littérature tels que le modèle TBD et le modèle CLASS.
Distinction des quatre catégories de pratiques enseignantes issues des modèles de l’EO
Selon Dorfner et al. (2018), l’approche allemande TBD partage plusieurs similitudes avec l’approche américaine CLASS-S. La réflexion menée sur les modèles de l’EO nous permettrait donc de développer des catégories communes aux deux cadres théoriques. L’analyse des similitudes et des divergences entre les deux modèles de l’EO nous amène à les transformer pour en faire une structure commune croisant leurs dimensions et sous-dimensions. Le tableau 1 propose une comparaison des dimensions et sous-dimensions du CLASS et du TBD. Les dimensions et sous-dimensions sur la même ligne présentent des similitudes.
Ce tableau nous permet de distinguer quatre objectifs transversaux de l’enseignant : maintenir la motivation et l’engagement de l’étudiant, favoriser la qualité du climat de classe, s’assurer de la compréhension de la matière et faire réfléchir sur la matière enseignée.
Adaptation des quatre catégories au contexte de l’ES
Les contextes de l’ES et de l’enseignement secondaire partagent plusieurs similitudes, mais également des différences notables. Ainsi, le passage du secondaire au supérieur entraine des changements dans la vie des étudiants et surtout, sur le plan de l’apprentissage du métier d’étudiant (Coulon, 2017). À la différence de l’enseignement secondaire, l’ES est souvent dépeint comme un contexte d’apprentissage avec une plus forte pression à la réussite, une relation plus anonyme avec les enseignants, une forte autonomie laissée dans la gestion de ses apprentissages, une part importante du travail à domicile ainsi qu’un rythme et une complexité des cours plus importante (pour une revue, voir Trautwein et Bosse, 2017). De plus, au contraire de l’enseignement secondaire, l’inscription et la présence ne sont pas obligatoires, l’enseignant est donc face à des étudiants qui ont choisi leur formation. Une autre différence importante apparait dans le processus d’évaluation qui s’éloigne souvent d’une évaluation continue pour se caractériser par une évaluation unique en fin de semestre.
Cependant, les deux contextes comportent également de fortes similitudes, principalement quant aux objectifs fondamentaux d’enseignement. Ainsi, l’enseignement secondaire et l’ES sont marqués par des périodes durant lesquelles l’enseignant enseigne à un public d’apprenants. L’enseignant aurait alors comme objectif global de faire apprendre les étudiants et de leur fournir les moyens pour atteindre un niveau suffisant de maitrise de la matière. En ce sens, il poursuivrait idéalement, dans l’EO ainsi que dans l’ES, les quatre objectifs transversaux mis en exergue à la suite de l’analyse des modèles de l’EO : maintenir la motivation et l’engagement de l’étudiant, favoriser la qualité du climat de classe, s’assurer de la compréhension de l’ensemble des étudiants et faire réfléchir sur la matière enseignée. Ces quatre objectifs ressortent aussi des cadres conceptuels de l’environnement d’enseignement et d’apprentissage dans l’ES des approches de Schaeper et Weiß (2016) et de Entwistle et ses collègues (2002).
Le cadre de référence (Figure 3) se divise donc en quatre catégories regroupant chacune des pratiques qui répondent à un même objectif d’enseignement. Les quatre catégories sont : la gestion de la classe, le soutien socioaffectif, la structuration de l’apprentissage et l’activation cognitive.
Description des quatre catégories
Chacune des catégories sera reliée le plus exactement possible aux concepts issus des deux modèles théoriques de l’EO et les types de pratiques qui les caractérisent dans l’ES seront détaillées.
Gestion de la classe
La première catégorie de notre cadre de référence est la gestion de la classe. Elle se dégage de la combinaison de la dimension organisation de la classe du CLASS et de la dimension gestion de la classe du TBD. En effet, elles font toutes deux référence à l’organisation et à la gestion du temps, de l’attention et du comportement des apprenants, qui représentent des caractéristiques essentielles, selon la recherche en éducation, dans la création d’un contexte d’apprentissage efficient. Autrement dit, l’enseignant doit identifier et renforcer les comportements souhaitables des apprenants, prévenir les comportements indésirables et assurer une utilisation productive du temps. Une gestion de classe de qualité permet d’instaurer les conditions nécessaires et préalables pour que l’enseignement et l’apprentissage puissent se réaliser (Korpershoek et al., 2016). Les effets attendus sont : moins de comportements oppositionnels, plus de temps consacré aux tâches d’apprentissage (Seidel & Shavelson, 2007), des niveaux plus élevés d’engagement et de motivation dans l’apprentissage (Rakoczy et al., 2007) et, conséquemment, des apprenants qui apprennent plus (Seidel & Shavelson, 2007).
Selon les modèles de l’EO, la gestion de la discipline prend beaucoup d’importance dans la gestion de classe. C’est sans doute moins le cas dans l’ES où le défi premier de l’enseignant serait moins de réguler les perturbations de cours et davantage de s’assurer de la motivation de l’étudiant à assister au cours et de sa concentration lors du cours.
Cette différence pourrait s’expliquer par l’obligation de présence : très importante dans l’EO et plus libre dans l’ES. Une piste d’explication peut également résider dans le contexte d’apprentissage différent ; souvent en amphithéâtre et en grands groupes pour l’ES et en classe de petits groupes pour l’EO. Il est probable que, dans l’ES, la gestion de la discipline et des comportements se traduit plus souvent par des stratégies visant à favoriser la participation et l’attention des étudiants plutôt que des comportements de réajustement des comportements perturbateurs. Dans ce sens, Entwistle et ses collègues (2002) indiquent que l’un des aspects importants de l’environnement d’apprentissage est le fait de susciter l’intérêt. Schaeper et Weiß (2016) considèrent la motivation comme un facteur d’opérationnalisation de la qualité des environnements d’apprentissage.
À la lecture des travaux de l’EO et du contexte de l’ES, cette catégorie regrouperait finalement les pratiques enseignantes qui maximisent l’efficience du temps d’apprentissage en classe, la motivation et l’engagement des étudiants dans les activités d’apprentissage.
Soutien socioaffectif
La deuxième catégorie de notre cadre de référence est le soutien socioaffectif. Elle émerge d’une combinaison de la dimension soutien émotionnel du CLASS et de la dimension soutien aux apprenants du TBD.
Plus précisément, la dimension soutien émotionnel du CLASS se focalise sur les pratiques soutenant les compétences sociales et émotionnelles des apprenants en classe. Ces éléments coïncident avec plusieurs sous-dimensions du soutien aux apprenants du TBD, telles que l’approche constructive de l’erreur (uniquement pour les indicateurs en lien avec la non-stigmatisation des erreurs) ou la qualité de la relation enseignant-élèves. Ces deux dimensions rassemblent des pratiques primordiales pour garantir un climat d’apprentissage positif et soutenant. Elles s’appuient sur plusieurs cadres théoriques. L’un d’eux est la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 2004), qui s’applique dans tous les contextes scolaires, même dans le niveau supérieur (Sheldon & Krieger, 2007).
Schaeper et Weiß (2016) identifient par ailleurs le soutien comme l’une des dimensions fondamentales de la qualité des environnements d’apprentissage dans la salle de classe dans l’ES. Cette dimension se mesure, par exemple, en prenant en compte la relation entre l’enseignant et les étudiants. De même, Entwistle et ses collègues (2002) mettent de l’avant l’importance d’un climat de soutien dans les unités d’enseignement. Cette dimension se caractérise entre autres par la prise en compte de l’opinion des étudiants.
Dans l’ES, cette catégorie regrouperait donc les pratiques enseignantes qui favorisent la qualité du climat de classe, du bien-être et des interactions entre l’enseignant et ses étudiants d’un point de vue émotionnel, affectif, social et relationnel.
Structuration de l’apprentissage
La troisième catégorie de notre cadre de référence est la structuration de l’apprentissage. Cette catégorie correspond précisément à la dimension soutien cognitif du TBD et partiellement à la dimension soutien à l’apprentissage du CLASS. Le fondement théorique de ces dimensions provient principalement de la recherche sur le développement cognitif.
Selon le CLASS, l’une des composantes du soutien à l’apprentissage est la mise en oeuvre par l’enseignant d’un soutien efficace pour accompagner les apprenants dans leurs apprentissages et leur développement cognitif et scolaire. De façon similaire, le TBD décrit le soutien cognitif comme étant la réduction de la complexité, en structurant le contenu et en favorisant la clarté. Dans les deux cas, il est donc question de l’aide procurée par l’enseignant à un apprenant pour l’amener à dépasser les difficultés de réalisation d’une tâche, par exemple en morcelant l’activité en petites tâches adaptées au niveau, autrement dit, en utilisant l’étayage. Plusieurs sous-dimensions de CLASS et du TBD font appel, pour une partie des indicateurs, à cette notion d’étayage : le « soutien à la différenciation et à l’adaptation », le « rythme de l’enseignement », le « dialogue pédagogique », la « sensibilité de l’enseignant » et la « compréhension du contenu ».
Au regard du contexte de l’ES, plusieurs auteurs soulignent l’importance de la structure des cours (Entwistle et al., 2002 ; Schaeper et Weiß, 2016). Ce facteur se rapporte « au degré de clarté, d’organisation, de transparence, de stabilité et de sécurité des possibilités d’apprentissage » (Schaeper & Weiß, p.271). Comme dans les dimensions soutien cognitif et soutien à l’apprentissage, la structure concerne le fait de rendre l’apprentissage possible par un certain nombre de paramètres tels que la clarté du contenu, des objectifs de cours, de l’évaluation et des éléments fondamentaux de la matière enseignée.
La catégorie structuration de l’apprentissage regrouperait donc les pratiques enseignantes qui visent à ajuster la complexité des activités d’apprentissage pour faciliter et soutenir la compréhension des notions et concepts abordés.
Activation cognitive
La quatrième catégorie de notre cadre de référence est l’activation cognitive et se rapporte à la dimension activation cognitive du TBD et en partie à la dimension soutien à l’apprentissage du CLASS.
L’activation cognitive du TBD et le soutien à l’apprentissage du CLASS soutiennent la nécessité de stimuler les apprenants à s’engager activement dans le contenu du cours, de les impliquer dans des processus de réflexion d’ordre supérieur et de les inciter à construire leurs connaissances tout en étant conscients de leur propre processus de pensée.
Dans la littérature, le concept de l’activation cognitive est largement influencé par les travaux de Piaget sur le constructivisme cognitif et de Vygotsky sur le socioconstructivisme. Verstrepen (2021) a donc caractérisé ce concept à la lumière de ces théories : « les enseignants favorisent l’activation cognitive lorsqu’ils accompagnent leurs élèves dans la réalisation de tâches complexes qui s’appuient sur leurs connaissances préalables dans le but de les faire évoluer » (p. 13). Elle ajoute qu’« en suscitant des pratiques discursives et argumentatives au sujet du contenu d’apprentissage en classe, les enseignants stimulent les élèves à s’engager activement dans la construction de connaissances élaborées » (Verstrepen, 2021, p. 13). Ces concepts se rapprochent également des travaux portant sur le développement de l’esprit critique (Phan, 2009) et sur les approches d’apprentissage (Vermunt et Vermetten, 2004). Phan (2009) soutient l’importance du développement d’un apprentissage réflexif, critique et en profondeur dans l’ES. Sur cette base, nous pourrions définir l’activation cognitive comme l’ensemble des activités qui stimulent les étudiants à s’engager activement dans le contenu du cours, renforcent et incitent la profondeur de réflexion de l’étudiant, sa prise de recul et sa réflexion critique face à l’apprentissage. Il s’agirait donc de voir dans quelle mesure les pratiques enseignantes en classe incitent l’étudiant à se poser des questions, à s’engager cognitivement dans le cours, à réfléchir sur la matière, à poser un regard critique sur cette dernière et à la mettre en lien avec d’autres cours ou d’autres connaissances. Dans cette même idée, il pourrait s’agir des pratiques enseignantes en classe qui placent l’étudiant dans une situation de conflit sociocognitif et lui donnent les clefs pour transférer ses apprentissages.
Finalement, alors que la catégorie structuration de l’apprentissage s’assure de la bonne compréhension des notions abordées au cours, la catégorie activation cognitive regrouperait les pratiques enseignantes qui stimulent les étudiants à s’engager cognitivement, à renforcer la profondeur de leur réflexion, leur prise de recul et leur réflexion critique face à l’apprentissage. Il ne s’agira donc plus ici de compréhension des concepts, mais de réflexion d’ordre supérieur et d’analyse profonde des notions abordées. Ainsi, si la structuration de l’apprentissage est destinée à faire comprendre, l’activation cognitive vise alors à faire réfléchir l’étudiant. Notons évidemment que ces deux catégories sont liées et interdépendantes, mais que l’activation cognitive vise une compréhension critique et une implication plus participative, alors que la structuration de l’apprentissage vise surtout à soutenir et guider la compréhension des contenus de cours.
Cette catégorie occupe une place plus importante dans notre modélisation que dans les modèles adaptés à l’EO compte tenu des missions de l’ES.
Discussion conclusive
Depuis de nombreuses années, les chercheurs en sciences de l’éducation ont étudié les facteurs individuels associés à la réussite des étudiants. Cependant, très peu de recherches se sont intéressées à l’observation des pratiques enseignantes dans l’ES et peu d’outils d’observation des pratiques enseignantes en classe basés sur un modèle théorique existent pour ce contexte. L’objectif principal de cette étude était donc de fournir un cadre de référence pour la conception d’un modèle conceptuel des pratiques enseignantes en classe de l’ES.
Quatre catégories des pratiques enseignantes en classe dans l’ES
Les résultats de l’analyse menée sur les modèles des pratiques enseignantes développés dans le contexte de l’EO, le CLASS et le TBD, nous ont permis d’identifier quatre catégories qui semblent pertinentes pour concevoir un cadre de référence des pratiques enseignantes en classe dans l’ES. Au regard des recouvrements et spécificités des modèles CLASS et TBD, nous émettons l’hypothèse que les pratiques enseignantes en classe observables dans l’ES peuvent être utilement organisées selon au moins quatre catégories distinctes : la gestion de la classe, le soutien socioaffectif, la structuration de l’apprentissage et l’activation cognitive.
Partant de modèles ancrés dans des théories de l’apprentissage et validés par des études empiriques incluant des observations des pratiques enseignantes, les résultats de notre analyse permettent d’avancer dans l’élaboration d’un cadre conceptuel pour la description et l’analyse des pratiques enseignantes dans l’ES, cadre qui fait actuellement défaut dans la littérature scientifique. Ce cadre de référence demeure assez général et pourrait donc être décliné en instruments d’observation plus spécifiques selon les contextes visés dans l’ES (niveau d’enseignement, filière, type de cours, etc.).
Le cadre de référence proposé se compose de quatre catégories alors que la majorité des études sur le CLASS et le TBD valident une structure à trois facteurs. Ce choix se justifie par l’importante place que prend le développement de la réflexion et de l’esprit critique dans les missions de l’ES (Phan, 2009). Ainsi, l’enseignant n’est pas uniquement amené à se focaliser sur la compréhension et la rétention de la matière (structuration de l’apprentissage), mais également sur la capacité de l’étudiant à s’emparer de cette matière pour réaliser une réflexion profonde, critique et autorégulée de cette dernière (activation cognitive). Néanmoins, il sera nécessaire de tester et valider empiriquement la structure de ce cadre conceptuel. Une validation empirique devra examiner rigoureusement dans quelle mesure une structure à quatre facteurs établissant une distinction entre autres les catégories structuration de l’apprentissage et activation cognitive offre un meilleur ajustement aux données qu’une structure à trois facteurs regroupant ces deux catégories en une seule et quelle est la validité prédictive de chaque catégorie.
Limites et nouvelles perspectives de recherche
Cette étude se heurte à certaines limites. Premièrement, malgré notre volonté de répondre aux critiques des études actuelles en nous appuyant sur des modèles qui se basent sur les théories de l’apprentissage, nous n’avons pas pu prendre en compte l’ensemble des modèles théoriques des pratiques de l’EO. Néanmoins, les deux modèles convoqués présentent les qualités nécessaires et suffisantes pour apporter un ancrage théorique solide et pertinent à notre cadre de référence.
Deuxièmement, ce cadre de référence n’a pas encore été testé ni validé empiriquement. Pour la validation empirique, il serait intéressant de construire un modèle plus détaillé présentant des sous-catégories et un ensemble d’indicateurs qui permettraient une observation fine des pratiques. Par conséquent, une première perspective de recherche serait la conception et la validation d’un instrument de mesure conçu à partir de ce cadre de référence.
Un tel instrument pourrait ensuite servir à analyser plus finement le rôle des pratiques enseignantes en classe dans l’apprentissage et l’engagement des étudiants. À noter qu’il faudrait tenir compte de la répartition de la charge de travail en classe et hors classe étant donné que notre cadre de référence ne prend en considération que les pratiques en classe. Les résultats de telles recherches permettront de faire des recommandations d’ordre pédagogique. À terme, ces connaissances pourraient permettre de concevoir des programmes de développement professionnel ou des formations ciblées à destination des professeurs de l’ES pour les aider à améliorer certaines pratiques, sans nécessairement devoir transformer l’entièreté de leurs dispositifs.
Appendices
Note
-
[1]
Ce travail a été soutenu par le F.R.S.-FNRS
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