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Les recherches dans le domaine de l’éducation, qu’elles visent le développement d’habiletés ou de compétences chez les élèves, la documentation des représentations ou des pratiques d’enseignement des divers intervenants dans le milieu scolaire, ou tout autre objet d’étude lié à la transformation des pratiques dans ce domaine, constituent des poutres d’acier pour établir des ponts entre le milieu scientifique et celui de pratique. En effet, pour les chercheurs, ces études sont des moments privilégiés pour vérifier leurs hypothèses sur le terrain ; pour les intervenants du milieu scolaire, elles représentent des occasions de mise à jour en lien avec de récentes connaissances scientifiques portant sur leurs pratiques d’enseignement ou d’intervention. En revanche, les choix méthodologiques, soit les manières dont les recherches sont opérationnalisées, constituent des piliers de ce pont. Ils déterminent la solidité du pont entre les milieux, en d’autres termes la qualité des connaissances produites pour le milieu scientifique, ainsi que l’ampleur et la durabilité des retombées de ces recherches pour le milieu scolaire. Le choix d’une recherche collaborative nous semble constituer l’un de ces piliers. Dans la présente chronique, nous partageons les réflexions découlant d’une expérience que nous avons vécue dans le cadre d’une recherche collaborative subventionnée par le FRQSC Actions concertées. Cette étude visait à améliorer le vocabulaire chez la population plurilingue du 2e cycle du primaire en développant leur conscience morphologique. Sa réalisation impliquait la collaboration entre une équipe de chercheuses de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université McGill ainsi que six enseignantes et une orthopédagogue d’une école du Centre de services scolaire Marie-Victorin.

Bref aperçu du projet de recherche mené en milieu scolaire

La conscience morphologique réfère à la capacité à analyser la structure des mots à l’échelle des plus petites unités de sens, c’est-à-dire être capable de comprendre que dans le mot « inévitable » il y a des unités de sens plus petites qui sont le préfixe « in-», la racine « évite » et le suffixe « able ». Sachant que les lecteurs dont le français n’est pas la langue maternelle ont un vocabulaire moins riche que leurs pairs natifs et que la relation entre la conscience morphologique et la connaissance du vocabulaire était plus forte chez les premiers (Fejzo, 2021), le développement de leur conscience morphologique s’avère être une piste prometteuse à explorer. Or, le milieu scolaire se heurte à deux enjeux importants pour relever ce défi : des besoins urgents de développement professionnel des enseignants en lien avec la conscience morphologique et le manque de dispositifs didactiques visant le développement de cette dernière. En effet, la documentation des pratiques d’enseignement du vocabulaire au Québec (Anctil, 2015 ; Anctil et al., 2018) permet de savoir que les enseignants se disent peu outillés pour réaliser des activités morphologiques. Les besoins de formation en lien avec le vocabulaire sont encore plus criants chez les enseignants en milieu plurilingue qui se sentent dépourvus devant les inégalités lexicales de leurs élèves. C’est à partir des données de recherche et de ces constats que l’équipe de recherche a choisi de mener une recherche collaborative.

La recherche collaborative – espace d’articulation de l’expertise scientifique et de l’expertise du terrain

Lors de la conception du projet par l’équipe de recherche, la recherche collaborative est apparue comme le choix méthodologique par excellence pour atteindre ses objectifs. En effet, ce type de recherche crée un espace d’articulation de l’expertise scientifique des chercheurs et de l’expertise pratique des enseignants (Desgagné et al., 2001). La mise en dialogue de ces deux expertises était indispensable pour le projet, car elle permettrait aux chercheuses d’élaborer un dispositif didactique pour lequel elles maitrisaient les connaissances issues de la recherche en intégrant la connaissance des enseignantes relative aux besoins réels des élèves plurilingues de leur classe et de leur expertise d’enseignement auprès de cette population. Cette mise en dialogue qui sous-tendait l’élaboration du dispositif s’avérait d’autant plus nécessaire que la mise à l’essai du dispositif serait réalisée par les enseignantes. Or, l’opérationnalisation d’une recherche collaborative étant tributaire de plusieurs facteurs, nous présentons ci-dessous comment le dialogue entre les deux milieux a été mis en place dans le cadre de ce projet.

Au début du projet, pour situer l’espace des échanges entre les deux milieux, une entrevue semi-dirigée a été réalisée avec les participantes du projet. L’analyse des verbatims nous a permis de comprendre les besoins réels de formation des enseignantes qui participaient au projet et de construire en conséquence le contenu des moments d’échange. Ainsi, à partir de ces besoins, l’équipe de recherche a prévu d’organiser cinq journées de rencontre avec les enseignantes à raison d’une rencontre aux deux mois lors de la première année du projet. Chaque journée était composée de deux parties. La 1re partie était axée sur la formation où la chercheuse principale partageait son expertise scientifique en lien avec l’enseignement de la conscience morphologique et son intégration dans l’enseignement du vocabulaire. De plus, la chercheuse faisait vivre aux enseignantes quatre activités morphologiques extraites de la trousse Histoire de famille (Fejzo, 2016) afin de leur offrir des modèles d’activités morphologiques. Lors de la 2e partie de la journée, celle de l’élaboration, les enseignantes partaient des activités modèles pour les modifier à la lumière de leur expertise sur le terrain et les adapter à leur milieu plurilingue. Puis, les enseignantes présentaient les quatre activités morphologiques modifiées. L’équipe de recherche notait tous les ajustements nécessaires pour en tenir compte lors de la production du matériel pédagogique du projet. À la fin des journées de formation-élaboration, les enseignantes ont retenu, ajusté ou élaboré vingt activités axées sur la conscience morphologique susceptibles de développer le vocabulaire de leurs élèves. Pour faciliter leur implantation dans la planification hebdomadaire et annuelle des enseignantes, ces activités durent environ une période et sont échelonnées sur une année.

Outre la mise en place de formations sur mesure pour améliorer les pratiques enseignantes, en l’occurrence en lien avec l’enseignement du vocabulaire, une condition qui favorise l’implantation de pratiques innovantes dans les classes est la production du matériel pédagogique afférent. En effet, lors des rencontres, les enseignantes ont exprimé leur besoin d’avoir le matériel pédagogique élaboré en format papier et numérique afin de les soutenir dans la réalisation des activités dans leur classe. À juste titre, la production de ce matériel impliquait la plastification de plusieurs documents afin d’assurer une certaine pérennité, l’achat de certains objets pour la réalisation des activités (ex. : autocollants), la création de documents numériques et interactifs, la production d’affiches et d’aide-mémoire pour les élèves, la production d’un calendrier de suivi des activités, etc. Une telle production nécessite beaucoup de temps, d’énergie et un budget important qui s’ajouteraient à l’investissement déjà important des enseignantes. Consciente de ces enjeux, l’équipe de recherche a veillé à produire une trousse comprenant l’ensemble du matériel pédagogique du dispositif qui a été offerte au début de l’année scolaire à chaque enseignante. Si l’offre des journées de formation, l’implication des enseignantes dans l’élaboration d’un nouveau dispositif et l’offre du matériel pédagogique constituent des conditions gagnantes de l’implantation d’une nouvelle piste didactique dans le cadre d’une recherche collaborative, d’autres moyens doivent être mis en place pour soutenir les enseignantes lors de la mise à l’essai de ce dispositif. Il en sera question dans une prochaine chronique.

Conclusion

Dans cette chronique nous partageons l’expérience vécue lors de la réalisation d’une recherche collaborative menée avec les enseignantes du 2e cycle du primaire d’une école située en milieu plurilingue et défavorisé. Notre expérience nous a convaincues des bénéfices mutuels des échanges entre les milieux scientifique et scolaire. D’un côté, les enseignantes ont bénéficié de moments de formations adaptées à leurs besoins de développement professionnel, notamment en lien avec l’enseignement de la conscience morphologique et du vocabulaire en milieu plurilingue. De l’autre, les chercheuses ont pu mieux arrimer le contenu du dispositif didactique à la réalité de ce milieu scolaire.

Quant aux conditions gagnantes pour établir le pont entre les milieux scientifique et scolaire, nous retenons la nécessité de formation des enseignants en lien avec la nouvelle pratique d’enseignement, la nécessité d’évaluer les besoins des enseignants afin de concevoir des formations adaptées à ces besoins, la prise en charge par les chercheurs de la production du matériel pédagogique nécessaire à la mise à l’essai du dispositif, ainsi que la reconnaissance de l’apport important des enseignants en matière de connaissances des besoins de leurs élèves et de leur expertise en enseignement. Finalement, il faut souligner que le projet ne pourrait pas se réaliser sans l’ouverture, la générosité en partage d’expérience et le désir de développement professionnel des enseignantes et de l’orthopédagogue de cette école.