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Mieux on maitrise un sujet, plus il devient difficile de l’enseigner.

Mazur (2014), Peer Interaction

Plutôt que de soumettre une idée iconoclaste à la fois, Bouzidi et Jaillet (2007) en lancent deux à la volée. Premièrement, ils proposent que la laborieuse et si délicate tâche d’évaluation des apprentissages puisse être relevée par… les étudiants eux-mêmes. Ils s’évalueraient les uns les autres grâce à une grille critériée et un corrigé fournis par l’enseignant. Deuxièmement, Bouzidi et Jaillet recommandent que ce processus d’évaluation se fasse à distance et par le biais du numérique. Grâce à cette approche, les étudiants gagneraient en matière de niveaux cognitifs mobilisés lors de l’apprentissage (Anderson et Krathwohl, 2001), en nombre de répétitions des concepts et en autonomie (Bostock, 2006) à condition que le processus soit anonymisé (Bostock, 2000). Et alors ? Est-ce que l’image d’enseignants suant et se torturant les méninges afin d’attribuer les notes de fin de semestre appartiendrait au passé ?

Une expérience de Bouzidi et Jaillet (2007) tente d’y répondre. Après avoir numérisé les copies d’un examen d’architecture, les chercheurs les ont soumises aux étudiants (en leur donnant les informations utiles à la correction) et aux enseignants. Résultat : les évaluations rendues par les pairs ne diffèrent pas significativement de celles des enseignants. Conclusion : à une époque où d’aucuns parlent d’engorgement des forces de travail, il est faisable de repenser l’évaluation. À cette fin, il vaut la peine de s’intéresser à la correction par les pairs, d’en repérer les limites et les vertus.

Définition et exemples

Exemples. Puisque l’idée de la correction par les pairs invite à pratiquer un enseignement inversé, débutons par les exemples. Imaginons soixante étudiants ayant pour tâche de définir trois notions particulièrement subtiles d’un cours. Grâce à la correction par les pairs, l’enseignant rend possible non seulement une double correction des cent-huitante paragraphes en un temps record, mais aussi la répétition et l’approfondissement de la matière. Pour ce faire, il lui suffit de demander à chacun de donner un retour à deux autres étudiants. Second exemple : chaque année, la réussite d’un cours exige la rédaction d’un long travail dont la qualité diffère fortement d’un étudiant à l’autre. Grâce à la correction par les pairs, l’enseignant offre un point d’étape à tous ses étudiants. Deux semaines avant le rendu final, chacun exprime des critiques volontairement sévères et constructives à un ou plusieurs camarades. Ces retours sembleront d’autant plus précieux que le délai avant le rendu final est serré.

Définition. La correction par les pairs est une activité offrant à chaque étudiant un éclairage critique sur son travail et l’opportunité de lire et commenter les travaux d’autres camarades. Les finalités de cette activité peuvent se décliner à loisir : apporter un retour, inviter à prendre du recul sur la matière, faire mesurer des attentes disciplinaires, multiplier les perspectives, etc.

Les bienfaits de la correction par les pairs

Apprentissage actif. Utiliser un corrigé pour commenter le travail d’autrui consolide davantage la mémorisation et la compréhension que de lire un corrigé ou que d’écouter la correction de l’équipe enseignante (Mazur, 2014).

Désengorgement des forces de travail. Une pieuse orthodoxie aimerait que l’enseignant corrige tous les travaux de tous ses étudiants. Ce n’est pas raisonnable. Les données empiriques montrent qu’en réalité, les enseignants visent des conditions propices pour apprendre : clés de solutions, corrigés, exemples de bons travaux et autres ressources permettant l’autocorrection par l’étudiant (Chbat, 2005). Le temps ainsi libéré est avantageusement utilisé pour enseigner ou pour créer des ressources. La correction par les pairs peut ainsi participer non pas à faire moins, mais à faire mieux.

Triple recul (sur les attentes, sur soi et sur la matière). Grâce à la consultation des critères d’évaluation de l’enseignant, l’étudiant peut mesurer l’écart entre sa production et les attentes. De plus, en étant confronté aux travaux de ses pairs, il peut éviter le recours à des critères internes pour s’autoévaluer. Des indices extérieurs sont toujours nécessaires à une prise de conscience réaliste de son propre niveau, ce que permet la correction d’un pair. En effet, le travail d’un autre fournit des indicateurs objectifs au lecteur. En mesurant la distance entre la qualité de son devoir et celle d’autres devoirs, il remettra plus facilement en question ses propres performances (Brown et al., 2014). Enfin, certains travaux académiques peuvent se résoudre sans compréhension de la matière, simplement en appliquant une procédure. Calculer une accélération à partir d’une vitesse revient à résoudre une dérivée et aucunement à comprendre les concepts impliqués. Évaluer la réponse d’un camarade et lui donner un retour précis aide davantage à repérer les concepts sous-jacents (Mazur, 2014) et à exercer un raisonnement analytique.

Création de perspectives. Chaque regard porté sur le monde est singulier. Quand un élève traite un sujet, il le fait selon ses normes et son histoire. Poser ses yeux sur le travail d’un pair, c’est rencontrer « une altérité qui ouvre l’au-delà », pour reprendre la belle formule de Levinas (1982), ce qui permet de découvrir des erreurs qu’on n’a pas faites ou une manière originale d’aborder le problème.

Richesse et précision. Les étudiants proposent plus de commentaires, plus de remarques et de conseils d’amélioration que les enseignants. L’absence de distance hiérarchique entre les étudiants y participe. Ils doivent davantage justifier chaque critique en soignant les arguments ou les explications. Cette exigence de précision est hautement instructive (Brown et al., 2014). De plus, les meilleures explications pour celui qui ne comprend pas viennent souvent d’un autre étudiant plutôt que de l’enseignant (Mazur, 2014), car les enseignants tendent à sauter des étapes de raisonnement qui leur semblent évidentes.

L’engagement. Les feedback positifs (ou négatifs s’ils proposent des pistes de résolution) sont de formidables motivateurs. Au contraire, l’absence d’informations permettant à l’étudiant de se situer diminue l’engagement, la motivation et le sentiment d’efficacité personnelle (Galand et Vanlede, 2004).

Diminution de l’illusion de savoir. Les étudiants sont souvent victimes d’une illusion de maitrise (Kruger et Dunning, 1999). Ils confondent le fait de connaitre un texte et celui d’en maitriser le contenu (Brown et al., 2014). Le remède est simple : expliquer par écrit une notion ambiguë à quelqu’un d’autre est la garantie de l’avoir assimilée. Se conçoit mieux ce qui a été clairement énoncé.

Corollaire : de l’autre côté du miroir

De ces bienfaits pour l’étudiant découlent nécessairement des bienfaits pour les enseignants. Les commentaires que les étudiants s’écrivent donnent mieux à voir leurs difficultés que les réponses elles-mêmes. L’enseignant peut ainsi mieux repérer les difficultés des étudiants. De plus, dans les très grandes classes, l’atelier de correction par les pairs permet de fournir des corrigés individualisés et précis à chaque étudiant, alors que l’équipe enseignante n’en aurait simplement pas la possibilité. Ensuite, quand l’étudiant utilise la grille d’évaluation des enseignants pour corriger un travail, il assimile les barèmes et comprend mieux les attentes et la méthode avec laquelle il sera évalué. Cette méthode participe à la création d’une ambiance coopérative dans le groupe classe.

Conclusion

« La plupart des éléments que nous avons passés en revue suggèrent que l’exposition à la rétroaction corrective peut faciliter le processus d’acquisition » (Coşereanu, 2009, p.48). Les conditions pour réussir cette implémentation pédagogique ne sont ni nombreuses ni compliquées. Premièrement, il faut garantir l’anonymat des correcteurs auprès des étudiants, mais pas auprès de l’enseignant qui conserve la possibilité d’évaluer, au besoin, la qualité des retours. Deuxièmement, il faut fournir aux correcteurs une grille critériée et les réponses correctes. Enfin, il est nécessaire, et c’est le plus difficile, d’obtenir l’adhésion des étudiants (Mazur, 2014)… mais ceci est autre sujet.