Article body

Dans le cadre d’une recherche-action[1] visant à améliorer l’expérience socioscolaire des élèves nouvellement arrivés en classe d’accueil à Montréal et qui sont en situation de grand retard scolaire (SGRS), une expérience de collaboration avec une école du Centre de services scolaire de Montréal a notamment été réalisée. Les élèves en SGRS « accusent trois ans de retard ou plus par rapport à la norme québécoise » (Ministère de l’Éducation du Québec, 1998, p.10) : ce sont des élèves qui peuvent avoir eu une scolarisation interrompue (Potvin, Audet et Bilodeau, 2013) et/ou avoir vécu des expériences traumatisantes dans le pays d’origine (Ministère de l’Éducation du Québec, 2002). Ils sont susceptibles d’avoir des compétences langagières diverses dans une ou plusieurs langues (Armand et al., 2005), et peuvent éprouver des difficultés linguistiques ou d’apprentissage (Armand et al., 2014). Les élèves en SGRS, en plus d’apprendre le français, langue de scolarisation, doivent, de façon accélérée, développer leurs compétences en littératie, effectuer des apprentissages dans diverses disciplines et trouver de nouveaux repères culturels dans un système scolaire et social qui leur est inconnu. À noter que ce ne sont pas tous les élèves de classe d’accueil qui sont en SGRS.

À partir d’une collecte de données réalisée lors de la première phase de la recherche-action, un portrait de la réalité des élèves en SGRS à l’école a d’abord été brossé. Par la suite, cet état des lieux a été présenté à un comité de concertation composé de différentes personnes de l’équipe-école (direction, enseignants de différentes matières, agente d’intégration) et a mené à des pistes d’action de la part d’enseignants pour soutenir ces élèves. Parmi celles-ci, un projet de théâtre de lumière noire (black light) avait pour objectif d’inclure les élèves en SGRS dans l’ensemble du processus de création artistique tout en valorisant le développement du français oral et de leur identité. Le point culminant du projet était la présentation de la pièce de théâtre devant public (des élèves du régulier, sur Teams dans un autre local, les mesures sanitaires liées à la COVID-19 ne nous permettant pas de réunir les deux groupes). Une capsule vidéo a été réalisée afin de rendre compte de ce projet[2].

Les retombées du projet pour les élèves et les membres de l’équipe-école

D’emblée, le projet de théâtre de lumière noire a généré un sentiment de réussite chez les élèves de classe d’accueil. Il semble aussi avoir favorisé le sentiment d’appartenance des élèves ainsi que leur motivation scolaire, comme l’indique un élève : « ça nous apporte de l’espoir, ça nous apporte de la force et encore de continuer encore […], c’est comme une famille […] parce si l’autre a des problèmes, on peut l’aider ». Les élèves se sont engagés pleinement et activement dans ce projet, comme le montrent les propos du stagiaire en art dramatique, Yanouk Paquette-Labonté, qui a contribué à sa mise en oeuvre : « C’est des gens curieux, c’est des gens qui ont envie d’essayer des choses […], ils se lancent à fond la tête, la tête bien haute sans savoir où ils s’en vont […], ils se mobilisent ». Ici, la captation vidéo a constitué un facteur de motivation, suscitant un fort sentiment de fierté chez les élèves.

Chez les élèves de la deuxième secondaire du régulier qui ont assisté à la représentation théâtrale, des retombées positives ont aussi été observées. Tout en favorisant le dialogue et en créant des liens entre les élèves, la rencontre après spectacle aura permis d’être davantage conscients de l’autre et de s’identifier à lui : « on peut se mettre un peu à votre place […] ça me donne l’impression qu’on n’est pas si différents…vous êtes comme moi ». En jumelant ainsi les élèves, le dialogue et la rencontre avec l’autre deviennent possibles et cela contribue, un pas à la fois, à l’inclusion des élèves de l’accueil dans l’école et dans la société d’accueil.

Pour les membres de l’équipe-école, ce projet de théâtre de lumière noire aura permis de réfléchir à la réalité des élèves nouvellement arrivés. Il a aussi contribué à faire connaître les classes d’accueil, et, plus particulièrement, à mettre en lumière les enjeux liés à l’intégration des élèves en SGRS ainsi que les nombreux défis, tant sur le plan linguistique que scolaire, que ces élèves ont à relever. Pour l’enseignante en art dramatique et son stagiaire, une telle collaboration aura mis en exergue les besoins de ces élèves et démontré à quel point l’art dramatique joue un rôle clé dans leur inclusion. De plus, l’enseignante est en mesure d’établir des liens étroits entre les compétences ministérielles des programmes de formation utilisés en classe d’accueil, en classe de français au régulier et en classe d’art dramatique. En somme, la collaboration réalisée dans le cadre de ce projet a créé des espaces de réflexion et d’échanges entre les membres de l’équipe-école et hors les murs, notamment lors du dernier colloque du Groupe de recherche sur l’enseignement du théâtre (GRET, 2021), où la capsule vidéo du projet a été diffusée.

Les conditions gagnantes pour la mise en oeuvre de ce projet

Certains éléments spécifiques ont fait en sorte que la collaboration entre les milieux universitaire et scolaire dans le cadre de ce projet s’est avérée gagnante. D’abord, la place importante accordée aux échanges riches, constructifs et empreints d’ouverture entre les membres de l’équipe-école et l’équipe de recherche a constitué un atout pour le projet. Ainsi, les expertises et visions différentes et complémentaires des différentes personnes impliquées ont véritablement pu être mises de l’avant et ont contribué à créer un climat de confiance où les propositions de chacun étaient discutées et prises en compte. De plus, le calendrier des rencontres était flexible et déterminé avec l’ensemble des acteurs, et les communications de suivi, tant du côté des membres de l’équipe-école que de l’équipe de recherche, étaient claires et efficaces.

En outre, les membres de l’équipe-école et l’équipe de recherche ont collaboré dans l’objectif commun d’améliorer l’expérience socioscolaire des élèves en SGRS en classe d’accueil en prenant en considération le contexte spécifique de l’école et son projet éducatif. Cette connaissance des enjeux liés au milieu a permis de mettre de l’avant un moyen concret de répondre aux besoins de ces élèves. Enfin, la proposition artistique, autant par le biais du théâtre de lumière noire que par la captation vidéo, a suscité de l’enthousiasme puisqu’elle a su stimuler l’intérêt des élèves et de l’ensemble des collaborateurs.

Tout compte fait, cette collaboration entre le milieu universitaire et scolaire représente une formule gagnante, enrichissant les connaissances scientifiques sur l’intégration des élèves nouvellement arrivés en SGRS tout en apportant son lot de répercussions positives au sein de l’école. Au bout du compte, ce sont l’ensemble des personnes impliquées dans ce projet qui ont bénéficié de ce partenariat.