Article body

Introduction

La situation des femmes en Côte d’Ivoire est marquée par leur sous-représentativité aux postes de responsabilité dans l’administration en général (Drame, 2015). Aujourd’hui, même si leur situation a évolué dans les discours politiques et les textes de loi, ces dernières rencontrent des attitudes négatives considérées comme des obstacles à leur volonté de progresser.

Le constat est le même en ce qui concerne la communauté éducative nationale. Par exemple, les femmes sont très peu représentées dans la profession de direction d’école primaire même si ces dernières années elles s’y intéressent de plus en plus. La représentativité des directrices est en légère hausse si l’on se base sur les statistiques de 2015-2016 à 2016-2017 fournies par le Ministère de l’Éducation Nationale. Au cours des deux dernières années, on est passé de 9 à 11 %, avec une concentration dans le district d’Abidjan (Ministère de l’Éducation Nationale, 2017).

Bien que cette augmentation du nombre de directrices soit appréciable, elle demeure encore insuffisante compte tenu des efforts consentis par le gouvernement et la lutte des groupes de femmes afin d’améliorer l’accès des femmes à ces postes stratégiques (Ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, 2014). Toutefois, des projections avaient été faites par le Ministère de l’Éducation en vue d’atteindre un quota de 30 % de femmes aux postes de direction des écoles, ce qui contribuerait à rapprocher le nombre de femmes d’une proportion avoisinant celle des hommes. Contrairement au cliché relayé dans la société qui ferait croire qu’elles ne sont pas toujours aptes à diriger efficacement les écoles (Harmand, 2013 ; Centeno, et al., 2013 ; Drame, 2015 ; Pira, 2018), les femmes semblent jouer efficacement le rôle de leader (Djédjé, 2007 ; Oxfam, 2008 ; Fortier, et Giasson, 2007 ; Eagly, 2007). Même si le leadership est encore socialement perçu comme étant masculin aujourd’hui, de plus en plus de femmes s’y intéressent et assument la direction des établissements d’enseignement.

Cet intérêt pourrait avoir son origine dans le fait que les femmes n’éprouvent pas de difficulté à bien s’illustrer dans le monde de la gestion contrairement aux stéréotypes de l’époque au sujet de leur inaptitude à la gestion. En outre, ce regain s’expliquerait possiblement au regard de leur compétence à diriger, dans la confiance et les responsabilités qui leur sont accordées. C’est d’ailleurs ce que des auteurs tels que Eagly et Carly (2003) avaient déjà révélé. Eagly (2007), quant à elle, a conclu dans son étude que les femmes auraient un avantage sur les hommes parce qu’elles adoptent plus que les hommes un style transformationnel. Les études de Centeno, Lapointe et Langlois (2013, p.1) ont à leur tour confirmé que l’éthique de la critique, l’éthique de la justice et l’éthique de la sollicitude sont observables tant chez les femmes que chez les hommes ; toutefois, la présence de la sensibilité éthique est plus marquée chez les femmes, ce qui confirme, de ce fait, l’existence d’une différence significative selon le genre.

Ces observations nous ont amenés à revoir les caractéristiques du leadership féminin et singulièrement, dans le cadre de la présente étude, à analyser la contribution des femmes dans la gestion des établissements scolaires en Côte d’Ivoire.

Dans cette perspective, l’étude cherche à savoir quelles sont les valeurs de gestion que les femmes d’écoles primaires privilégient. L’étude vise également à savoir si les valeurs des directrices enquêtées favorisent l’amélioration de l’apprentissage des élèves. En outre, les chercheurs se sont interrogés sur la façon dont elles dirigent leurs écoles.

L’intérêt de la présente étude nous conduit à nous poser les questions suivantes : quelles sont les pratiques des directrices qui mettent l’élève au centre de l’apprentissage ? Comment les directrices d’écoles primaires gèrent-elles leurs établissements dans la perspective de la réussite des élèves ?

Cadre théorique

Le leadership prôné dans sa dimension éthique

L’éthique est un concept qui n’est pas toujours facile à appréhender, d’autant plus qu’on assimile l’éthique à la morale, deux termes compris comme étymologiquement équivalents. « Il n’existe pas, affirme Mercier (2004, p.6), de définition consensuelle de l’éthique et le concept oscille, selon les auteurs, entre réflexion portant sur la notion de Bien et énoncé de règles normatives ».

Selon Aristote, l’éthique est un comportement vertueux que l’on acquiert par l’habitude, destinée à transformer la société. Sous cet angle, l’éthique est vue comme l’ensemble de valeurs qui peuvent être appliquées personnellement ou professionnellement, et qui sollicitent la morale dans la conduite humaine.

Relativement à l’éducation, Legendre (2005) estime que l’éthique a pour objet la défense et la protection des Sujets apprenants. C’est, selon lui, la volonté de mieux agir ; d’agir le mieux possible avec les gens qui nous entourent compte tenu de nos connaissances.

En définitive, nous partageons l’idée de Racine et al. (1991) qui considèrent l’éthique comme une réflexion sur les valeurs qui orientent et motivent nos actions. Cela dit, comment le leadership revêt-il une dimension éthique ?

Le discours des philosophes et théoriciens de l’administration de l’éducation, tels que Kolhberg (1981) et Gilligan (1982), a mis l’accent sur la dimension justice et sollicitude. Après avoir fait le constat de l’absence d’une dimension morale dans le management de l’administration de l’éducation, Starratt (1991) a prôné et défendu le concept du leadership comme un acte moral ou éthique.

De nos jours, le contexte a évolué, et la sollicitude n’est plus systématiquement attachée au genre. Il est vrai que Gilligan affirme que la nature des hommes les porte à accorder plus d’intérêt aux règles et aux lois qui permettent l’établissement d’une distance affective dans le rapport aux autres, tandis que les femmes sont plutôt, pour leur part, prédisposées à prendre soin de l’autre. Cependant, d’autres études ont, aujourd’hui, nuancé cette perception sexiste.

En 2011, une étude réalisée par Roy, Holmes et Chouinard met en lumière la présence des hommes dans l’histoire des soins ainsi que dans la pratique actuelle de la profession infirmière. En effet, Roy, Holmes, Chouinard (2011) considèrent par exemple que les soins infirmiers ne sont pas l’apanage des femmes et qu’il faut accorder de l’intérêt aux hommes soignants qui, entre autres, investissent la profession infirmière aujourd’hui, tout comme hier. Cette vision indique que l’éthique de la sollicitude entre dans l’aire d’action ou d’intervention aussi bien des femmes que des hommes. La pensée de ces auteurs s’inscrit également dans les préoccupations de Brugère (2008) et Tronto (1993), respectivement défenseurs de la sollicitude et d’une éthique du care, qui considèrent que « prendre soin » est une exigence sociale que les hommes et les femmes devraient assumer sans distinction.

L’importance de l’étude de Carol Gilligan a été de mettre à nu les effets de stéréotypes et d’ignorance à l’égard des femmes. Son travail a également le mérite de s’engager à répondre aux besoins concrets des personnes, de donner une voix aux personnes vulnérables, et d’appréhender la compréhension morale des situations particulières.

C’est dans cette optique que la présente étude s’intéresse aux directrices d’écoles, lesquelles ont tendance à mettre l’apprenant au centre de leur pratique managériale ; une pratique liée au paradigme de la sollicitude sous-tendue par la dimension éthique et qui met l’accent sur l’attention, l’amour et le respect des autres. Cette théorie prône la sollicitude et le soin : le souci de l’autre et de la vie. Gilligan fonde son analyse sur la différence qui existerait entre l’homme et la femme sur le plan moral, et conclut que les femmes seraient plus sensibles aux causes des personnes ayant besoin d’aide, ou de soutien. L’auteure explique que le raisonnement du care est une réflexion éthique portée sur la prise en charge, le plus souvent par les femmes, des personnes les plus vulnérables. Cette démarche amène à identifier chez les directrices des caractéristiques de gestion imprégnée de l’éthique de la sollicitude, qui met l’accent sur l’apprentissage et le rendement dans une perspective de réussite scolaire.

De ce point de vue, contribuer à l’amélioration de l’apprentissage des apprenants devient, pour le leader, un devoir qui puise tout son sens dans le modèle éthique développé par Gilligan (1982).

Moisset et ses collègues en 2018 ont relevé à ce sujet que le leadership exercé par la direction d’école est étroitement lié à la réussite des apprenants. La tâche revient au leader dans le contexte de l’école d’oeuvrer de la façon la plus éthique possible (Moisset et al., 2018). Moisset, et al. (ibid.) notaient bien à ce propos que le style de leadership exercé peut s’avérer déterminant pour la mission de l’école et la réussite scolaire, et que l’organisation du travail à l’école doit viser à rendre la plus accessible et plus agréable pour contribuer à une meilleure réussite de l’élève.

Bouker (2017), de son côté, insiste sur le style de leadership, notamment collaboratif qui serait en rapport avec le climat de l’école. L’auteur voit cette tendance comme étant très présente chez les femmes directrices d’école. Quant à Baudoux (1987), elle met de l’avant, dans son étude, le leadership pédagogique et la gestion participative du pouvoir des femmes leaders dans le contexte de l’éducation.

Burgevin (2012), pour sa part, relève le caractère socioaffectif et l’attitude attentionnée des femmes directrices d’écoles. Cette observation avait déjà été faite par certains auteurs tels que Gross et Trask (1976) et Shakeshaft (1986) pour qui le style des femmes directrices d’écoles est caractérisé par le soutien scolaire et individualisé offert aux élèves. Labelle et Jacquin (2018) ont également appuyé cette idée en focalisant leur attention sur l’orientation morale et éthique dont les femmes font preuve dans leur façon de gérer leurs établissements scolaires.

Dans la présente étude, l’intérêt est porté sur les femmes, car nous partons du postulat que toutes les femmes actualisent cette éthique même si les hommes peuvent en faire autant. Les lignes qui suivent donnent plus de profondeur et de clarté au cadre théorique susmentionné. La figure ci-dessous illustre la dimension éthique pour le soutien scolaire.

Figure 1

Cliché succinct de la dimension éthique du leadership ou théorie de la sollicitude (care) (Inspiré de Gilligan, 1982)

Cliché succinct de la dimension éthique du leadership ou théorie de la sollicitude (care) (Inspiré de Gilligan, 1982)

-> See the list of figures

Certaines recherches ont montré l’impact de l’action des chefs d’établissements sur la qualité du service produit par l’organisation qu’ils dirigent (Leithwood (2005 ; Endrizzi et Thibert, 2012 ; Brinia, 2012). Leithwood (2005), par exemple, soutient que le leadership constitue l’une des clés du succès des efforts des directions d’écoles pour améliorer la réussite scolaire des élèves. Par ailleurs, en 2019, une étude (Karanikola et al.) montre que le leadership peut jouer un rôle clé important dans la transformation des écoles et qu’il existe une corrélation positive entre les pratiques de leadership scolaire et son fonctionnement en tant qu’organisation apprenante.

Il est opportun ici de rappeler que l’objectif de l’étude est d’explorer les caractéristiques du leadership exercé par les directrices d’écoles interrogées. Dans cette optique, il convient, de manière spécifique, d’explorer les pratiques managériales de ces directrices et d’examiner leurs styles de leadership dans la perspective de la réussite des élèves. L’intention des auteurs de cette étude est aussi d’analyser le mode de fonctionnement managérial de ces femmes et de comprendre la nature et la signification de leurs actions, tendances et décisions. Bref, l’étude cherche à dévoiler les valeurs de gestion que les directrices d’écoles primaires privilégient et qui mettraient l’élève au centre des apprentissages. Pour ce faire, le paradigme de l’éthique de l’attention (de la sollicitude) (Gilligan, 1982) semble être approprié pour orienter la cueillette des données. Cela permet de comprendre la valeur éthique qui sous-tend les actions des directrices enquêtées. À cette fin, la démarche méthodologique utilisée est présentée dans les lignes qui suivent.

Méthodologie

Choix du site et des participants

L’étude s’est déroulée dans le District d’Abidjan parce qu’il est le district qui concentre le grand nombre d’écoles primaires, et c’est dans cette ville qu’exercent la majorité des directrices d’écoles primaires. Trois groupes scolaires y ont été visités. L’échantillon est constitué de 13 enseignants, de 2 conseillers pédagogiques (1 résident et 1 de secteur) de l’inspection et de 6 femmes (directrices) d’établissement d’enseignement primaire. La première catégorie d’échantillon est composée de directrices participantes dont l’âge varie entre 40 et 50 ans et ayant une expérience professionnelle d’au moins 10 ans. Ces critères de sélection ont été définis pour obtenir de riches informations lors de la collecte des données. Pour ce faire, l’échantillonnage en « boule de neige » a été utilisé. La première participante a été identifiée à dessein. La stratégie a consisté à choisir une première personne (directrice) pour l’échantillon à qui il a été demandé d’en suggérer une ou plusieurs autres qui, à sa connaissance, correspondent aux caractéristiques désignées. La personne référée par la première a été alors retenue dans l’échantillon et a suggéré à son tour une autre directrice, et ainsi de suite. Ce processus en chaîne s’est poursuivi jusqu’à concurrence du nombre voulu d’individus dans l’échantillon (Gaudreau, 2011). Quant aux enseignants et aux conseillers pédagogiques, ceux des trois groupes scolaires qui étaient volontaires et disponibles ont pris part à l’étude. Tous les participants ont été soumis à un entretien semi-directif.

Choix de l’outil

Une recherche documentaire a d’abord permis de collecter les données à partir d’une revue des travaux antérieurs ayant un lien avec le sujet traité. Ensuite, l’observation directe et l’entretien individuel approfondi ont été menés pour identifier et analyser les caractéristiques du leadership des directrices d’écoles enquêtées qui seraient en lien avec l’amélioration des résultats des élèves. Ces deux outils ont également servi de triangulation.

Les observations du terrain ont permis d’identifier les pratiques managériales et de leadership qui tiennent compte des différents besoins des élèves et apprenants dans toute leur diversité. Elles se sont déroulées en périodes de 10 à 15 minutes chacune, séparées d’au moins une quinzaine de minutes environ.

Le second type de collecte de données qualitatives a été réalisé à l’aide d’un guide d’entretien. Concrètement, les entrevues semi-directives ont permis de mettre en lumière les perceptions et opinions que les directrices interrogées ont de leur leadership.

Traitement et analyse des données

Le traitement des données collectées s’est fait manuellement après avoir recoupé et regroupé les informations par catégorie et items tenant compte des différences et similitudes. Cette option a été retenue parce qu’il y avait des données issues de l’observation et celles des entretiens et des documents exploités pendant l’enquête. De plus, les chercheurs ont estimé qu’en tant que témoins des pratiques observées chez les directrices, il était plus authentique de traduire eux-mêmes les émotions, les expressions et les opinions des enquêtées et d’en tirer les conclusions adéquates. Quant aux données recueillies par le biais des entrevues, elles ont été retranscrites mot à mot pour garder la teneur et le sens que les répondantes attribuent à leurs propos, perceptions et opinions. Les données traitées manuellement dans le cadre de cette étude ont fait l’objet d’une analyse de contenu (Huberman et Miles, 1991).

Résultats, interprétation et discussion

Une gestion axée sur autrui : L’élève au centre de l’action

Lorsqu’il s’agit de mettre en oeuvre les programmes dédiés et les nouvelles mesures émanant du Ministère de l’Éducation Nationale, les directrices font allégeance aux autorités ministérielles. On retrouve en effet chez ces dames une apparence du respect des règles et des procédures, bien que leurs attitudes soient guidées par une volonté de « protéger » leurs élèves, c’est du moins ce qui reste perceptible lorsqu’elles expriment leurs opinions profondes en lien avec leur travail. Les études de Baudoux (1987) relèvent que les directrices et les directeurs posent des actes de respect des autorités. Le respect des autorités n’est pas toujours sans reproche, réserve, et grief de la part des chefs d’établissement. C’est le cas de Milica.

Milica se souvient de la mesure prise en 2017 par le Ministère de l’Éducation Nationale de changer les horaires de cours en les ramenant à 8h le matin jusqu’à 12h pour reprendre à 13h30 et descendre à 16h30 le soir. Elle reconnaît que cela épuise les enfants qui étaient habitués à reprendre les classes à 14h le soir ». Selon elle, plusieurs de ses élèves arrivent en retard en classe à cause de la sieste qu’ils sont habitués à faire en mi-journée. Cependant, Milica confie :

Je dois venir avant les enseignants et les élèves pour faire appliquer cette nouvelle mesure… les collègues enseignants et les enfants me regardent, je ne dois pas faire autre chose que ce que l’autorité me demande… je dois donner l’exemple… Vous comprenez.

Bien que n’étant pas tout à fait favorable à cette mesure, c’est avec peine qu’elle se sent obligée de l’appliquer. Elle ressent la perturbation que les enfants auraient par ce changement brusque intervenu en pleine année scolaire. Cette nouvelle mesure prise par le Ministère était manifestement perçue comme un acte aussi bien inattendu que perturbant qui a suscité la compassion et la sympathie des directrices vis-à-vis des apprenants. En regard de tout ce qui précède, il semble que les femmes adoptent une politique « sociale » de la gestion de leurs écoles. Sous cet angle, il convient également de souligner la tendance des directrices de se préoccuper du bien-être de leurs collaborateurs et surtout de leurs élèves. En les observant, on constate que leurs pratiques managériales se trouvent être axées sur autrui. Les chercheurs ont pu se rendre compte que ces femmes dirigeantes sont plus sensibles au bien-être d’autrui, à l’évolution socioaffective des autres et sont très attentives à leurs besoins.

Elles sont plus attentionnées, attentives aux autres, aiment faire plaisir et sentir du monde autour d’elles ; leurs portes sont généralement ouvertes pour recevoir ceux qui les sollicitent comme l’ont attesté par ailleurs nos observations sur le terrain. Elles sont, la plupart du temps, disponibles pour répondre aux diverses sollicitations. En outre, elles se préoccupent du bien-être social et de la qualité du cadre professionnel des membres de leur groupe. Cela s’est démontré à travers leur engagement à créer les conditions adéquates de travail dans leurs établissements scolaires. De ce fait, on pourrait attribuer à ces directrices un style plus « écologique » de la gestion à l’égard de leurs collaborateurs.

Gestion axée sur l’activité éducative : Un soutien scolaire manifeste

La manière dont les directrices enquêtées décrivent leurs propres styles de gestion et l’observation effectuée par les chercheurs renvoient fondamentalement à différentes pratiques managériales. Par exemple, l’une des directrices avance qu’elle préfère consacrer plus de temps à la gestion des activités éducatives parce qu’elle s’y sent plus à l’aise. Par gestion des activités éducatives, il faut entendre l’ensemble des interventions d’une direction portant directement ou indirectement sur les activités d’aide à l’apprentissage des élèves, ce qui implique entre autres la gestion de l’enseignement, l’encadrement, la supervision et le développement professionnel du personnel enseignant et l’instauration d’un climat valorisant l’apprentissage des élèves (Brassard et al., 2004). La tendance des directrices interrogées à mettre plus l’accent sur l’encadrement et le suivi des élèves révèle d’une certaine manière qu’elles restent protectrices des personnes dont elles sont responsables, c’est du moins ce que les participantes ont majoritairement exprimé. Or, consacrer plus de temps à de telles tâches éducatives signifie en réalité accorder un fort intérêt au rôle pédagogique, donc à l’apprentissage. De fait, ces directrices ont le réel souci du rendement des élèves. Cette observation rejoint le point de vue de Baudoux (1987) lorsqu’elle affirme que les femmes sont apparemment plus préoccupées par des questions pédagogiques et l’implication de tous les acteurs de l’école.

Il convient de noter que les chercheurs ont observé durant l’enquête sur le terrain que ces directrices sont plus dévouées aux tâches à caractère pédagogique. Cette observation révèle une des caractéristiques propres aux femmes, à savoir les attitudes orientées vers la coopération, des habiletés à travailler en équipe et un sens des responsabilités très développé (Héon et al., 2008). En effet, les actes et connaissances d’un chef d’établissement ne suffisent pas à gérer les personnes impliquées dans la communauté scolaire. Les activités de ce dernier devraient l’amener à interagir avec d’autres dans des situations variées et autour de tâches spécifiques en rapport avec l’apprentissage des élèves. Le schéma ci-dessous est l’illustration de la relation d’aide et d’apprentissage des directrices dans l’accompagnement scolaire pour la réalisation de la réussite des élèves.

Figure 2

Schéma illustratif du soutien scolaire des directrices d’écoles primaires

Schéma illustratif du soutien scolaire des directrices d’écoles primaires

-> See the list of figures

Une gestion axée sur le travail collaboratif : Un climat positif d’apprentissage

Les femmes enquêtées parlaient beaucoup de la promotion et de la diffusion de plan de réussite de leurs apprenants. L’une d’elles, Lidia, se confie en disant : « pour moi c’est un souci permanent… car les résultats de mes élèves sont le paramètre que les gens considèrent pour me juger » ; on remarque ainsi une tendance chez les directrices à vouloir faire le maximum pour cette activité. Cette tendance vient corroborer l’idée de Moisset et al. (2018) qui évoquent la volonté ferme des directrices de contribuer à une meilleure réussite des apprenants.

La quasi-totalité des directrices interrogées a évoqué des notions similaires pour décrire leurs pratiques et styles, notamment le travail en équipe, l’écoute active, le soutien, la prise de décision en collaboration, etc. Le leadership pédagogique, selon Bouker (2017), offrirait plus d’avantages aux directions d’école oeuvrant dans un style collaboratif, en ce qu’il serait axé principalement sur l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage. Cela semble être un facteur important, voire déterminant qui favorise un climat positif au sein des écoles que ces femmes leaders dirigent.

Les directrices pensent constamment au bien-être social de leurs élèves. Livia se considère à la fois comme un leader pédagogique et une mère attentionnée, veillant à la sécurité, à la justice et à l’équité au sein de son établissement :

Personnellement, je crois fermement que consolider un contact ou une relation affective avec les enfants les aide plus que passer tout le temps au bureau assis… il faut avoir l’oeil sur eux, avoir l’oreille attentive à leurs préoccupations, surtout pour les plus vulnérables.

Cette espèce de relation directe avec l’élève apparaît comme l’élément significatif à relever chez les directrices, ce qui révèle d’une certaine manière que celles-ci sont très attentionnées et fortement bienveillantes envers les enfants, surtout les plus jeunes. D’ailleurs, le caractère socioaffectif de leur style a pu être observé à maintes reprises durant la période de l’enquête dans leurs écoles. C’est ce que semble indiquer Burgevin (2012, p. 258), dans son étude en ces termes : « une directrice d’école assumant une activité importante reste “disponible” pour les enfants… ».

La présente étude renseigne sur les rapports que les directrices entretiennent avec les élèves. À la question de savoir comment elle s’y prend, Rania répond de la façon suivante :

Mon instinct de mère me pousse à détecter et reconnaître les besoins spécifiques des élèves et pouvoir démontrer une capacité d’ouverture à la réalité et aux besoins des élèves… mais cela demande parfois du temps parce que chaque élève est un cas particulier lorsqu’il s’agit d’intervenir.

Cette intention de Rania montre qu’elle travaille davantage avec les élèves dans un souci de soutien scolaire.

À l’instar de ses collègues directrices, cette tendance remarquée chez Rania concerne principalement les activités liées aux interventions et au suivi à l’égard des membres de son équipe. La déclaration susmentionnée traduit l’observation faite chez les directrices qui y consacrent plus de temps que les directeurs comme le note St-Germain (2013) dans son étude. Les directrices ont tendance à favoriser l’autonomie et l’expression des centres d’intérêt chez leurs collaborateurs. Elles adoptent des comportements motivationnels, et elles encouragent les résultats dans le sens d’une vision commune de la gestion de l’école.

Par ailleurs, dans la présente étude, outre leur tendance à être plus proches des élèves, leur désir de soutenir les plus faibles d’entre eux et leur volonté d’aider ceux-ci à progresser, les directrices enquêtées semblent posséder des traits de personnalité qui s’apparentent à certaines caractéristiques qu’on retrouve dans le style transformationnel (Bass, 1985 ; Eagly, 2003). Selon Bass (1985), un leader est transformationnel lorsqu’il sait motiver, soutenir et inspirer ses collaborateurs. Le leadership transformationnel, selon Labelle et Jacquin (2018), « se définit par un soutien à la collaboration et à l’autonomisation des individus au sein d’un groupe pour effectuer des changements. Ces changements ou transformations prennent souvent appui sur des idéaux, ou sur des valeurs morales ou éthiques telles que la liberté, la justice et l’égalité ».

La dimension du soutien, intrinsèque au leadership transformationnel, comme l’affirmait Dimmock (2016), permet d’améliorer les apprentissages des élèves et d’assurer le perfectionnement professionnel du personnel enseignant. Cette idée est consolidée avec l’étude de Lamothe (2017) qui souligne que le leadership transformationnel favorise l’implication du corps enseignant, et garantit de ce fait l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage scolaire.

Les directrices gèrent leurs établissements sur fond d’échanges, favorisant ainsi l’interaction entre elles et les membres de leurs équipes. Plus concrètement, elles ont tendance à interagir fréquemment avec les personnes autour d’elles et aiment s’impliquer dans le travail tout en développant autour d’elles des mouvements qui appellent à l’inclusion. Cette réalité rejoint le constat posé par Fuller (2014) dans son étude sur le leadership éducationnel basé sur le genre. Dans l’étude de Fuller, les membres du personnel d’une école semblaient apprécier leur directrice, notamment en ce qui concerne son apparence, son langage corporel, ses interactions avec les enfants et les adultes en tant qu’individus et groupes ; une apparence « féminine », et des qualités personnelles et des compétences propices au leadership pédagogique. Ces caractéristiques seraient développées par une socialisation différente, plus humaine, et seraient liées à des conditions de vie dans lesquelles elles se trouveraient.

Une gestion axée sur le développement du personnel

On peut observer chez elles une manière d’inciter leurs collaborateurs à participer de manière active à leur propre développement professionnel. Cette observation montre d’une certaine manière que les directrices privilégieraient la qualité de vie au travail ainsi que la performance des employés.

En outre, l’observation montre que l’objectif à atteindre, le résultat, le but commun représenteraient des sources de motivation pour la plupart d’entre elles. Bien que les directrices n’interviennent pas dans l’enseignement de leurs enseignants, elles leur fournissent des informations favorables à l’apprentissage des élèves. De fait, l’identification et l’analyse des informations pertinentes mises à la disposition des enseignants constituent une activité à laquelle les directrices s’adonnent de façon constante. Les directrices seraient selon Héon et al. (2008) plus disposées à recueillir l’information, la traduire en documents d’orientation, en budgets, et directives de travail, contrairement à leurs collègues masculins.

Par ailleurs, les directrices enquêtées ont tendance à assurer les activités liées au processus de supervision du personnel enseignant. « Lorsqu’il s’agit de rappeler la mission et les objectifs de l’école au personnel, tout en s’assurant du contenu de l’enseignement et du curriculum dans la perspective du projet éducatif proposé par le ministère de l’Éducation », perception relevée par Donia. Cela signifierait que dans leur gestion, les femmes veulent avoir le sentiment de créer du sens, de rallier les gens autour des idées fortes, de remplir idéalement leur mission et savoir servir et non se servir. Cela semble également laisser croire qu’elles fonderaient leur jugement plus sur la qualité du résultat que sur les façons d’y parvenir. Une habitude chez les directrices durant l’enquête de la présente étude était perceptible. En effet, les directrices s’investissent de façon significative dans l’ensemble des activités liées au développement professionnel de leurs collaborateurs.

Conclusion

À la lumière de cette étude, il est à noter que les directions d’écoles, étant confrontées à des demandes aussi variées que complexes, ont tendance à adopter un modèle de gestion au service des apprentissages des élèves. L’approche prédominante du style de leadership observé chez les enquêtées est, sur la base de l’observation menée, celle centrée sur l’apprentissage des élèves dans un environnement scolaire que les directrices ont constamment tendance à sécuriser.

En outre, les directrices enquêtées évaluent leurs propres forces et s’efforcent de travailler dans le temps en accordant de l’intérêt et du temps à des activités éducatives, et par voie de conséquence à l’apprentissage. Cette constatation atteste que le style de gestion de ces directrices d’écoles met l’élève au centre de l’apprentissage et des activités scolaires : une réalité qui suscite un plus grand intérêt en vue de promouvoir une meilleure représentativité des femmes aux postes de direction d’école primaire en Côte d’Ivoire.

Cette étude a tenté d’explorer les caractéristiques du leadership exercé par les directrices d’écoles interrogées. La démarche qualitative utilisée pour recueillir les données était appropriée. La gestion axée sur le travail, l’activité éducative et le développement ont constitué le socle du leadership éthique exercé par les directrices, et plus spécifiquement de la sollicitude. Ces tendances observées chez ces dernières visaient essentiellement la réussite scolaire des élèves. En regard du contexte actuel de l’éducation, cette approche contribuerait fort bien à la performance éducative en Côte d’Ivoire.