Abstracts
Résumé
Nous considérons le rôle de formateur de terrain comme étant une des clefs de voûte de l’alternance. À ce titre, il appartient à l’institution de créer les conditions favorables au développement d’un partenariat efficace avec le terrain. Cet article présente l’évolution de la formation proposée dans cette perspective. Les analyses des résultats des évaluations à l’origine des modifications apportées au cursus soutiennent nos propos, à savoir : l’évaluation des effets du groupe d’intervision, supposé soutenir les processus identitaires, le rapport institutionnel interrogeant la cohérence entre formation en institution et sur le terrain et les écrits réflexifs de fin de formation.
Mots-clés :
- Praticien formateur,
- professionnalisation,
- ingénierie,
- formation,
- programme
Abstract
We consider the role of the field trainer to be one of the keystones of the alternation. As such, it is the responsibility to the institution to create the conditions for the development of an effective partnership with the field. This article presents the evolution of the proposed training in this perspective. The analyses of the results of the evaluations at the origin of the modifications made to the curriculum support our statements, namely: the evaluation of the effects of the intervision group, supposed to support identity processes, the institutional report questioning the coherence between training in the institution and in the field, and the reflective writings at the end of the training.
Keywords:
- Practitioner trainer,
- professionalization,
- engineering,
- training,
- program
Article body
Introduction
À l’automne 2001, la Haute école pédagogique du Valais (HEP-VS) inaugure son plan d’étude pour la formation initiale à l’enseignement du préscolaire et du primaire. Dès février 2001, le premier acte de formation posé concerne la formation des enseignants formateurs de terrain dits dans ce contexte Praticiens Formateurs (PF) (Périsset Bagnoud, 2000, 2004 ; Truffer Moreau, 2001). Les apports cumulés de recherches relatives à la professionnalisation du métier d’enseignant, notamment ceux de Perrenoud (1998, 2000, 2001), Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud (1996), Bourdongle (2000), et des travaux concernant les dispositifs d’alternance (Bourgeon, 1979 ; Geay et Sallaberry, 1999) invitent à travailler sur un dispositif de formation initiale favorisant une articulation étroite entre formation en institution et formation sur le terrain.
Lignes de tension, questionnement
Dans cette optique, le nouveau cadre de formation dégage le maître de stage de sa mission normative. Les fonctions du praticien formateur relèvent désormais explicitement de l’accompagnement du novice dans ses premiers pas sur le terrain, de la formation professionnelle globale, de la construction progressive des savoirs professionnels et enfin de l’évaluation du stage, et ce, dans un esprit de partenariat avec l’institution de formation responsable générale du pilotage de la formation. Or, le public inscrit en février 2001 est issu exclusivement de l’école normale et nombreuses sont les personnes ayant fonctionné en tant que maître-esse de stage. De plus, l’empan expérientiel, relativement large (de 3 à 25 ans), annonce une forte hétérogénéité en matière de développement professionnel.
L’analyse des lettres de motivation fait émerger des lignes de tensions potentielles. Elles s’inscrivent dans :
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le décalage entre les effets de la normativité de la formation reçue en École normale (Périsset Bagnoud, 2003) ajoutés aux expériences de maître-esse de stage vécues et les nouvelles perspectives institutionnelles ;
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la banalisation, voire la dévalorisation des pratiques professionnelles, devant la perspective d’accompagner des jeunes, perçus comme supérieurs du fait de leur niveau d’études ;
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le clivage théorie/pratique affiché dans les écrits, comparativement au principe d’alternance de type intégratif visé par l’institution ;
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l’aspiration à évoluer devant la peur du changement.
Les perspectives affichées par l’institution constituent par conséquent une rupture significative au regard du modèle « Ecole Normale ». Elles induisent aussi un risque de déstabilisation des perceptions et conceptions à la fois du métier d’enseignant et de celui de formateur de terrain. De ce constat émergent les questions soutenant la co-construction du cursus de formation durant la première période. Quel cadre poser pour favoriser et soutenir la prise de risque qu’occasionne le changement, qu’il soit relatif aux actions, aux conceptions et parfois aux valeurs de celui qui l’opère ? Comment faire coïncider les besoins de l’institution avec les demandes et besoins des formés, lesquels sont plus ou moins explicites et compatibles avec le projet institutionnel ? Comment libérer la parole de personnes qui, à la fois, s’inscrivent dans une culture professionnelle n’incitant pas à l’échange des pratiques et se considèrent a priori comme étant moins instruites que les étudiants-es qu’elles accueilleront dans leur classe ? Quels dispositifs mettre en place pour aider et systématiser l’explicitation des pratiques enseignantes souvent banalisées ou naturalisées ? Comment faire évoluer le rapport à cette nouvelle institution ? Comment rendre le rapport à la théorie et à la recherche plus constructif ?
Dans le cadre de cet article, nous tentons de décrire l’évolution du programme de formation des PF, mis en place par la HEP, de ses débuts à aujourd’hui. De plus, en s’appuyant sur des rapports d’évaluation (HEP-VS, 2007) ainsi que sur l’analyse thématique de travaux réflexifs écrits par les PF en formation, le texte met en évidence les lignes de tensions qui ont traversé le développement du cursus. Les problématiques et les défis qu’elles appellent sont présentés avec le souci de pointer les éléments à l’origine des modifications faites à l’intérieur du dispositif de formation. Nous concluons par la mise en évidence des tensions émergentes, du questionnement qu’elles suggèrent et enfin des points de vigilance.
Éléments de contexte
L’évolution du cursus se décline en trois temps : la période de co-construction (2001-2007), la période de transition (2007-2010) provoquée par la remise en question du dispositif d’alternance et traversée des réflexions et des régulations menant à la mise en place d’un certificat de Praticien Formateur dont la mise en oeuvre nous amène à aujourd’hui et constitue la troisième période (2010-2020).
Notons que le dispositif de formation s’inscrit dans une Haute Ecole dont la filière initiale pour le préscolaire et le primaire compte en moyenne 300 étudiants-es. Le nombre total de PF formés jusqu’ici est de 450 (230 ont suivi la version initiale et 250 la version Certificate of Advanced Studies (CAS). L’inscription, par le biais d’une lettre de motivation, est volontaire. Plus de la moitié de la formation a lieu durant les temps de classe. Peuvent s’inscrire les enseignants-es ayant un minimum de trois ans d’ancienneté dans la profession. La formation s’étire sur sept semestres.
Période 1 (2001-2007) : Co-construction d’une formation et d’un partenariat
Fondements théoriques et choix didactiques initiaux
Les intentions posées par l’institution, pour la formation des PF (déclinées formellement dans l’article de Périsset Bagnoud, 2006) tendent vers la professionnalisation du rôle de maître de stage. Le travail de formateur de terrain y est vu comme étant à la fois une activité intellectuelle, savante, non routinière et pratique, qui engage la responsabilité individuelle de celui qui l’exerce tout en s’inscrivant dans une organisation régie par une forte cohésion (Perrenoud, 1994 ; Paquay, 1994). Ce point de vue implique, pour les formés, l’élaboration des nouveaux savoirs professionnels (Vanhulle, 2009) liés à la fonction PF et le développement d’une pratique réflexive professionnelle autonome (Schön, 1993 ; Paquay, 1994 ; Paquay, Altet, Charlier et Perrenoud, 1996 ; Perrenoud, 2001a, 2001b). Dans cette perspective, un référentiel des compétences PF est institué et des espaces pour l’analyse des pratiques sont prévus (Blanchard-Laville et Fablet, 2000, 2001). Il s’agit d’offrir la possibilité de s’exercer à identifier et interroger les pratiques d’accompagnement et de formation mises en oeuvre durant les stages, analyser leurs effets avérés ou potentiels sur les progressions des stagiaires et élaborer des options de renforcement ou de régulation des pratiques en puisant dans les apports expérientiels des participants-es et ceux de la formation. L’usage répété de l’écriture, par la tenue d’un journal de bord de formation (Truffer Moreau, 2006), complète le dispositif.
Pour viser une intégration théorie/pratique efficiente, les modalités de formation s’inscrivent dans un système d’alternance intégrative (Maglaive, 1994). Cette perception systémique de l’articulation théorie/pratique postule que chacune des composantes du système inclut les parties de l’ensemble, créant ainsi les conditions nécessaires à l’exploitation des complémentarités et la création de synergies entre les différents acteurs engagés dans la formation (Perrenoud, 2001a, 2001b). Enfin, la conception du dispositif s’inspire des principes de l’andragogie, à savoir une conception centrée sur l’apprenant adulte et professionnel, lequel s’implique dans la formation ancrée à ses expériences et au travers de ses dimensions physiologique, émotive et intellectuelle et contrôle de manière autonome son processus d’apprentissage et de développement professionnel (Rogers, 1996 ; Maglaive, 1990). Plus spécifiquement, compte tenu des changements visés par la formation, une attention particulière est portée à l’encadrement de l’évolution des processus identitaires. Selon Carré (2005), l’identité professionnelle serait cette « notion protéiforme, ambiguë, mais pragmatique de savoir être (qui rend compte de) cet ensemble de nouvelles compétences du registre social, affectif ou conatif » mobilisée dans un contexte professionnel donné, nécessitant des rapports entre différents partenaires se fédérant autour de problématiques communes. ». De surcroit, d’un point de vue psychosociologique (Marc et Picard, 2000), apprentissage et changement sont intimement liés : « Si le changement peut être conçu comme une modification du comportement des sujets, relativement à une situation donnée, on peut donc le ramener à l’apprentissage de nouveaux comportements » (p. 71). Dans une formation visant la construction de nouveaux schèmes de pensée, le formé aura inévitablement à négocier différents types changement. Ces changements viendront parfois brutalement parfois de manière imperceptible travailler en profondeur et affecter son intériorité. La conscience ainsi que la compréhension de ses propres processus d’apprentissage deviennent, dans ce cadre, des éléments importants de prise de pouvoir quant à la gestion du changement.
Pour contenir et favoriser les processus de changements, l’instauration de groupes restreints stables tout au long de la formation et dont l’usage fréquent va permettre « la naissance d’une alliance issue des interactions interpersonnelles et intra groupe centrées sur le partage d’expériences significatives, durables qui se fédèrent autour d’un projet commun » (De Visscher, 2001) qui sera intégrée au dispositif de formation. Ces groupes nommés groupes d’intervision (Truffer Moreau, 2003) se structurent et s’organisent progressivement, se constituant en entités propres, capables de générer sentiment d’appartenance, d’intégration propices à l’enclenchement et au soutien des processus de changement. Leurs fonctions s’allient pour créer un milieu favorable à la reconstruction de certains éléments des systèmes de valeurs et de conceptions chez les participants-es (Giust-Desprairies, 1998).
Sur ces différents ancrages théoriques, un système de formation articulant l’autoévaluation de sa propre formation et la formation au compagnonnage expert envers les stagiaires est mis en place. Le dispositif se structure autour de différents espaces transitionnels (Winnicott, 1971), espaces permettant l’exploration en institution, avec le soutien des formateurs et des pairs, des nouveaux savoirs professionnels au travers des activités proposées : lieux d’identification pour conscientiser, comparer, à travers les séminaires et les plénières ; lieux de co-formation pour mobiliser les apports théoriques, les déconstruire et reconstruire au travers d’ateliers coopératifs ; lieux de théorisation qui comprennent les conférences et les apports de la littérature scientifique ; enfin, lieux de réappropriation autonome que sont le journal de bord de formation et le groupe d’intervision[1]. Ces lieux, interdépendants et interactifs, se déploient dans un cadre éthique explicite, concrétisé par une charte (Truffer Moreau et Périsset Bagnoud, 2007).
Pour terminer, la formation vise le développement d’un partenariat correspondant en tous points à la définition qu’en donne Henripin (1994) cité par Tremblay (2003) :
Une relation équitable établie entre plusieurs parties ayant chacune sa mission propre en vue de travailler en étroite collaboration à la réalisation d’un objectif commun. Cela suppose une définition claire des rôles et des responsabilités des partenaires, le partage d’un minimum de valeurs communes sur lesquelles vont s’appuyer les actions et un bénéfice retiré par chacun des partenaires en contrepartie de ses contributions.
p. 29
L’élaboration du partenariat se concrétisera autour de trois axes : la co-construction de la formation des PF et de son référentiel de compétences (co-évaluation et régulation constante des dispositifs et des contenus, formalisation progressive des items du référentiel) ; la prise en compte des feedbacks des PF sur la mise à l’épreuve des objectifs et tâches de stage proposés par la commission des stages (organe institutionnel concepteur des stages) et enfin, la reconnaissance d’une position de co-évaluateur pour chacun des stages et dans le cadre de l’examen pratique final.
Première version de la formation PF (2001-2007)
La formation se décline sur trois ans et demi, en parallèle du cursus des étudiants-es et en trois phases. La première, dite introductive, d’une durée de 14 jours étalés sur 10 mois, comprend la conduite d’un stage de trois semaines (stage de motivation et d’introduction à la culture professionnelle). Elle est consacrée à un travail devant aboutir à une dénaturalisation des pratiques enseignantes habituellement mises en oeuvre par les formés ainsi qu’une prise de conscience des conceptions et valeurs qui les sous-tendent ; le développement d’une connaissance globale de l’institution, des fonctions et rôles du PF ; une acculturation aux tâches constitutives du travail de PF en s’essayant aux techniques d’observation et d’entretien à partir de cas d’école ainsi qu’à la didactisation d’un stage.
La deuxième phase est consacrée à un travail réflexif individuel et collectif visant la mise en oeuvre, l’autoévaluation et la régulation des compétences PF. Il s’agit de neuf séances d’analyse des pratiques PF, intégrées aux quatre stages inclus dans cette phase dite intégrative d’une durée de deux ans et demi. Des périodes d’apports complémentaires, théoriques ou pratiques, notamment sur les différents types d’entretien, viennent s’y ajouter. Notons ici que les prescriptions institutionnelles comme les objectifs du stage, les tâches associées obligatoires, sont communiquées aux PF lors des séances de présentation des stages organisées par la commission des stages.
Pour terminer, la phase certificative comprend une session de deux jours dédiés à l’éthique dans la relation Stagiaire/PF et un bilan final des compétences PF présenté dans le groupe d’intervision.
Premières évaluations 2001-2007. Constats issus des analyses des travaux réflexifs de fin de formation PF
Le premier rapport d’évaluation de la formation des PF implique cent vingt PF appartenant aux quatre premières cohortes formées entre 2001 et 2007. L’écriture réflexive, perçue comme outil pour construire de la pensée, ainsi que le groupe d’intervision considéré comme étant susceptible de déclencher et produire du changement sont les modalités de formation choisies pour la première évaluation du concept de formation. L’analyse des écrits produits pour la certification cherche à mettre en évidence des indices de la construction progressive des connaissances, attitudes et pratiques nouvelles durant la formation. Les données se distribuent sur les dimensions émotionnelle, intellectuelle et pratique du processus de développement des formés. L’analyse des protocoles d’intervision (séance consacrée à s’expliciter sur l’impact du groupe sur le processus de formation pour chacun des membres) cherche plus spécifiquement à juger de la fonctionnalité du groupe d’intervision (Truffer Moreau, 2009). Le travail d’analyse tente de quantifier, pour les différentes fonctions identifiées, les éléments jugés constructifs et ceux étant perçus comme des difficultés par les formés. Le tableau 1 présente la catégorisation des énoncés s’organisant autour des fonctions attribuées au groupe d’intervision (Truffer Moreau, 2009). La fonction d’intégration s’actualise par la présence de sentiments comme la sécurité, la solidarité et le non-jugement de la personne. La fonction d’identification évoque le sentiment d’appartenance au groupe par la construction de normes communes, que ce soit du point de vue de l’organisation, du langage, ou de la conception du travail de groupe. Enfin, la fonction de changement convoque un cheminement d’ordre personnel, notamment dans l’accession à l’autonomie de la personne ou du professionnel.
Les résultats montrent que le groupe d’intervision joue effectivement son rôle de contenant sécure favorisant l’enclenchement des processus de changements et le soutien des dynamiques identitaires par le biais de ses fonctions. Une fois qu’ont été identifiés les difficultés inhérentes aux processus liés à la création d’un groupe, telles que des difficultés à se fédérer (fonction d’identification) : « La difficulté majeure est de faire aboutir un travail - au début les périodes de confusion, de flottement étaient longues et inconfortables » et les obstacles rencontrés par chacun pour exister dans le groupe (fonction d’intégration) : « J’avais peur du jugement de l’autre peur de donner mon avis – je n’arrivais pas à m’exprimer », la convergence des effets des fonctions d’intégration et d’identification agit comme levier sur les processus de changement et d’émancipation : « Nous avons su créer une nouvelle vision des choses ensemble, oser mettre en route des pratiques encore jamais expérimentées - J’ai remis en question certains fonctionnements routiniers et mis en oeuvre d’autres » (fonction de changement), « Nous ne fonctionnions d’abord que dans la HEP, puis nous avons eu l’impression de couper le cordon lorsqu’un des membres a fait appel au groupe en dehors des heures de formation pour une situation épineuse avec un stagiaire. » (fonction d’identification).
L’analyse des écrits réflexifs soutenant le bilan des compétences renseigne sur le travail sous-jacent aboutissant à l’évolution des dynamiques identitaires. La prise de conscience d’une plus grande lucidité sur les pratiques déployées l’illustre bien : « Parfois cela m’a bousculé, dérangé de me rendre compte que mes actions étaient différentes de mes intentions. », « Afin de pouvoir parler de mes pratiques enseignantes et partager mon expérience avec les stagiaires, j’ai dû conscientiser ce que je faisais intuitivement ou par habitude lors de mes interventions avec les élèves. », « … ça m’a permis d’être beaucoup plus en confiance lors des entretiens avec les stagiaires et avec mes collègues PF ». Ainsi, les fondations de l’image de soi et de son estime affleurent et se confrontent au contenu de formation. Par un aller-retour entre le dehors (l’encadrement, le groupe de pairs) et le dedans (sa dynamique interne), le formé reconstruit progressivement une nouvelle image de soi : « Je suis en train de sentir beaucoup d’éléments de la formation, qui n’avaient pas encore de sens, se mettre en place, s’organiser dans ma tête et venir guider ma pratique de PF ». Une modification du rapport à la théorie transparaît parfois « Mettre des mots théoriques sur mes actions n’a pas toujours été facile, j’étais parfois en colère, je ne le suis plus ». En dépassant l’instant déstabilisateur du partage des pratiques avec les pairs, le formé semble s’autoriser à puiser dans ce nouveau matériel, se l’approprier en le mettant en mots et engager des régulations cognitives, affectives ou métacognitives : « … le fait de pouvoir, discuter, échanger, écouter avec les autres membres du groupe m’a permis d’acquérir de nouvelles manières de faire, de résoudre certaines difficultés ou simplement d’adopter un autre regard sur une situation ». Enfin, les énoncés, relatant l’autorisation à se laisser questionner « On ne peut pas affirmer guider un stagiaire si on n’est pas capable de se laisser observer, d’identifier et d’accepter de confronter nos représentations », témoignent également d’une évolution des conceptions et représentations initiales.
En revanche, les travaux liés au bilan de compétences dévoilent deux éléments qui ouvrent un nouveau questionnement. Premièrement, la majorité des bilans sont réalisés à partir de situations mettant en jeu les aspects socioaffectifs du travail de PF. Peu de travaux valorisent les pratiques de soutien à l’apprentissage des outils pour enseigner. L’autre dimension exposée massivement, toujours sur le mode affectif, est la difficulté que représente l’évaluation des stagiaires. Ces résultats seront corroborés par ceux issus de l’évaluation globale du système d’alternance.
Premières évaluations 2001-2007 : Constats issus de l’évaluation du travail des PF dans le système d’alternance HEPVS : de nouvelles lignes de tension émergent
Dans le cadre de la procédure de reconnaissance de la Haute Ecole Pédagogique, un processus d’évaluation de la formation initiale à l’enseignement est amorcé. Le rapport d’évaluation de 2007 rend compte des résultats des questionnaires adressés aux étudiants, aux professeurs HEP et aux PF. Il met en relief à la fois la qualité de la formation PF dans sa globalité, la demande des PF de pouvoir renforcer la phase intégrative de la formation et le manque de formation en didactique des PF (relevé par les stagiaires).
De manière plus générale, les rapports d’évaluation mettent en évidence des résistances qui semblent être générées par des malentendus (Bautier et Rochex, 1997) freinant l’accession de certains stagiaires à l’autorégulation de leur propre processus de formation et parasitant, chez les PF, la construction d’une vision adéquate de leur rôle.
Le premier malentendu apparaît dans la compréhension du rôle joué par les apports théoriques. Les stagiaires, mais aussi les PF, ne les considèrent pas comme des outils nécessaires pour analyser, comprendre et conceptualiser des phénomènes rencontrés durant les stages, mais comme des prescriptions qu’il faut absolument transformer en actions précises, voire en procédures (Clerc et Martin, 2012).
Le deuxième malentendu s’exprime au travers d’une méconnaissance de la part des stagiaires, des PF, et selon nous de l’institution, des opportunités et des manières d’apprendre la profession, qu’offre le stage. En effet, l’agir et la recherche de « trucs et astuces » sont plébiscités au dépens de l’observation, l’élaboration d’un raisonnement professionnel anticipant et favorisant l’action. De plus, les PF questionnent la quantité et les enjeux des tâches associées au stage proposées par l’institution. Elles sont jugées trop nombreuses et souvent déconnectées des objectifs du stage ou ne s’inscrivant que difficilement dans le quotidien de la classe. Ils évoquent un déficit d’implication dans le stage, et ce, jusqu’à l’effectuation de la tâche proprement dite « Les étudiants viennent d’abord faire les devoirs imposés pour ensuite, libérés des tâches, prendre les choses sérieusement ».
Une autre difficulté est générée par les préoccupations premières et légitimes à la fois des stagiaires et des PF qui centrent leurs interventions et leur réflexion sur la régulation de comportements sociaux plutôt que sur la régulation du fonctionnement intellectuel et donc sur la gestion des apprentissages. L’objet de la pratique réflexive se trouve être prioritairement la relation pédagogique. De la sorte, « l’objet et les outils de l’enseignement sont oubliés » (Schneuwly, 2012, p. 72 ; Tardif, 2012, p. 47-71).
Période 2 : Le temps de la réflexion (2007-2010)
Considérant les différents malentendus qui parasitent les apprentissages et le développement professionnel, un travail conséquent de régulation visant à remettre l’objet et les outils de l’enseignement au centre de la réflexion est engagé. Les travaux de Vanhulle (2008, 2009), Buysse (2008), Périsset et Buysse (2008) relatifs au processus de subjectivation des savoirs nourrissent les réajustements du dispositif d’alternance, notamment ceux de la formation des PF. Ces travaux se rattachent à une perspective vygotskienne, mettant de l’avant l’idée que le savoir est transformé, réélaboré par l’individu, par le biais de deux types de médiations, les médiations contrôlantes et les médiations structurantes. Les médiations dites contrôlantes sollicitent et permettent un contrôle de son processus d’apprentissage. Elles s’actualisent dans la formation des PF, entre autres au travers des prescriptions liées aux différents stages (objectifs, critères d’évaluation des différents stages, des référentiels de compétences à l’enseignement et à l’accompagnement de stagiaire). Les médiations structurantes, quant à elles, soutiennent, tout au long du cursus, la compréhension et l’appropriation des savoirs professionnels nouveaux. Il peut s’agir de concepts, de démarches particulières d’entretien, d’une forme de résolution de problèmes spécifiques de la fonction PF etc.).
La restructuration du dispositif de formation PF s’articule autour de trois axes :
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une mise à jour des savoirs pour enseigner (non prévu lors de la conception de la première version de la formation) et la systématisation des analyses a priori des stages,
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l’élaboration d’outils permettant de structurer la pratique réflexive tels que des guides d’écriture, des fiches d’auto-évaluation,
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le renforcement de l’entraînement relatif aux entretiens de formation est accentué. Il prône, plus particulièrement, la mise en oeuvre d’une posture d’enquête, susceptible de favoriser un usage adéquat de la théorie dans le cadre de la résolution d’un problème à résoudre, d’une recherche d’informations, de ressources (Timperley, 2011).
Période 3 : Le nouveau dispositif de formation des PF (2010-2020)
Dès 2010, l’Institution de formation propose une formation aboutissant à un « Certificate of Advanced Studies HEPVS de Praticien Formateur » (voir Tableau 2). Le cursus comprend trois modules et totalise trente-cinq jours de formation (dont plus de la moitié durant le temps de classe) étalés sur trois ans et demi. Le fil rouge, hormis l’intervention concernant le coaching professionnel repoussée en fin de cursus, ainsi que les dispositifs didactiques (journal de bord – intervision) ayant fait leurs preuves dans la première version de la formation sont maintenus. Le référentiel de compétences élaboré entre 2001 et 2007 est réactualisé et institutionnalisé. Les conditions d’admission sont les mêmes que pour l’ancien cursus. Enfin, la formation créditée permet plus d’exigence concernant le partenariat PF/Institution et entraîne une augmentation du salaire PF.
Les régulations se manifestent au travers d’un renforcement significatif de la phase intégrative, de l’adaptation des contenus aux modèles de références choisis par l’institution et dans l’ajout d’outils médiateurs tels que le dossier de stage et le contrat de formation. En résumé, il s’agit d’outiller les deux perspectives incarnées par le PF, celle du praticien et celle du formateur de terrain, en s’inscrivant dans le modèle historico-culturel.
Dans cette perspective, les outils (théoriques et pratiques) proposés devraient contribuer à accentuer chez le PF : la volonté et les moyens d’assumer à la fois une expertise en matière d’enseignement et de formateur de terrain, la capacité à varier les modalités d’étayage en fonction de la progression et du profil des stagiaires et à faire usage de la théorie comme vecteur de sens pour soi et les stagiaires.
Pour nourrir la perspective enseignante, sont prévus : la réactualisation de connaissances relevant de la didactique (analyse a priori des savoirs prescrits, dispositifs didactiques, moyens d’enseignement…) et du temps pour s’entraîner à « déplier sa pensée », c’est-à-dire revenir à l’origine du choix des manières d’anticiper, réaliser, évaluer et réguler son enseignement.
La perspective formateur de terrain est consolidée par une préparation systématisée des stages (analyse des savoirs professionnels, identification des dispositifs didactiques permettant de les travailler) s’appuyant sur les prescriptions institutionnelles spécifiques à chaque stage (dossier de stage). Cette préparation est explicitée dans un document intitulé : « Aide à l’élaboration d’un contrat de formation entre PF et stagiaires » (Truffer Moreau, 2010).
Enfin, pour permettre, voire forcer le travail de tissage théorie/expérience que suppose la construction des savoirs professionnels PF, hormis la tenue d’un journal de bord du stage et des séances d’analyse des pratiques PF, le dispositif propose des temps d’entraînement à la réflexivité, notamment en proposant des exercices d’écriture collective et accompagnée.
Première évaluation des effets de formation générés par le CAS (analyse de textes réflexifs)
Une recherche effectuée sur un petit échantillon de quatre PF présentée dans le cadre du GEVAP (2018), puis élargie à 30 PF, dont la majorité est issue de la HEP, tente d’extraire des éléments permettant de tirer quelques conclusions en matière d’effets de formation. Les récits d’expérience et leurs analyses ainsi que les autoévaluations du processus de formation en constituent les données. Dans ces productions, le PF décrit, analyse et tente de théoriser son travail d’encadrement du stage (didactisation du stage) et de soutien au développement professionnel du stagiaire. Il procède également à l’évaluation de son propre processus d’apprentissage et du développement professionnel qui s’ensuit. Deux canevas d’écriture structurent et dynamisent l’exercice : le premier, très ouvert, se décline en trois items et l’autre plus précis soutient à la fois la rédaction et le questionnement des situations.
Les canevas d’écriture sont ici considérés comme étant des médiations contrôlantes (Buysse, 2009) dans le sens où les items permettent le contrôle du processus d’élaboration de sa pensée. Dans le même temps, le questionnement sollicite les apports de la formation (concepts, questionnements, démarche de résolution de problème relatif à la fonction PF), c.-à-d. les médiations structurantes (Buysse, 2009). Dans le cadre du travail demandé, elles viennent nourrir l’élaboration de la pensée professionnelle. Nous pensons également qu’une médiation ne peut affecter le fonctionnement interne du sujet que si celui-ci a pu en faire l’apprentissage et en faire usage de manière autonome. Dans ce but, un soutien allant de la construction d’une compréhension commune des items constitutifs des canevas à l’obligation d’en faire usage de manière autonome est proposé.
Dans le but d’évaluer la qualité des effets des médiations contrôlantes et structurantes (Buysse, 2009) sur les processus de réflexivité, notamment les systèmes de régulations (Buysse 2011) qu’elles sont censées engager, le dispositif de recherche doit répondre aux questions suivantes : comment les PF en formation s’emparent-ils des médiations proposées ? Est-ce que ces médiations favorisent une compréhension secondarisée des enjeux de la formation ? Quels indices de la construction de savoirs professionnels les textes réflexifs nous livrent-ils ?
Le discours écrit des PF est analysé à partir de la grille d’analyse des discours d’apprentissages professionnels (ADAP) (Vanhulle, 2013). Cet outil d’analyse comporte 4 catégories. 1.Les systèmes de référence : les énoncés y sont de type descriptif et précisent des éléments de contexte. Ils font également référence à des préoccupations des professionnels en formation. À l’intérieur de ce cadre, des savoirs de référence apparaissent. Il peut s’agir de concepts, de constats issus de la pratique, des conseils. Il s’agit d’un tissage entre théorie et pratique. 2.Les systèmes de régulation (Buysse, 2011), ils concernent l’objet de la restructuration permettant à l’apprenant de construire de nouveaux savoirs, la régulation peut se déployer sur trois systèmes : l’action (ajustement des pratiques), les conceptions (intégration des savoirs, dépassement des résistances) et les sous-jacents (motivation, valeurs). 3. Les empans réflexifs (Buysse, 2011), ils portent sur la focale de la réflexion, des résultats et de la recherche de solutions, les énoncés peuvent être centrés sur les aspects techniques, contextuels, critiques ou autocentrés et enfin la mise en discours. 4. La mise en discours (Vanhulle, Balslev et Buysse 2012), qui vise à rendre visible le processus de subjectivation des savoirs, au travers du traitement des énoncés du discours. L’écriture au « je », le choix, la manière et la fréquence de l’usage de certains types de verbes, d’adjectifs, d’adverbes, de temps verbaux sont considérés comme des indices du processus d’internalisation des savoirs. L’analyse des écrits réflexifs s’est portée prioritairement sur les systèmes de référence et les systèmes de régulation.
Quelques constats
L’analyse des productions issues du début de la formation montre que les PF sont préoccupés par les attitudes déployées, le sentiment d’estime de soi, la personnalité du stagiaire ou la leur. « Cette première expérience en tant que PF m’a donné l’occasion de prendre en compte la dimension humaine de la fonction ».
Les préoccupations sont majoritairement provoquées par les stagiaires. « L. avait un manque de confiance en soi et était très timide ». Les objets de la restructuration, que ce soit pour soi ou le stagiaire, se situent principalement au niveau des sous-jacents (aspects émotionnels, valeurs humanistes).
En fin de formation, nous observons un glissement allant des préoccupations liées au stagiaire vers un questionnement sur les fonctions propres au PF : encadrer le stage, former et évaluer le stagiaire. Dans cette phase, les régulations décrites par les PF témoignent de régulations au niveau des actions (gestes professionnels liés à l’accompagnement, l’évaluation du stagiaire) et au niveau des conceptions (passage d’une conception où l’accompagnement laissant une part très large à la découverte par l’expérience, vers une conception qui favorise un passage du guidage explicite vers l’autonomie au travers d’un désétayage progressif). Plus finement, l’analyse des énoncés relatifs au processus d’appropriation des savoirs de référence montre la progression entre une phase où le savoir semble exercer un contrôle externe et fait office de médiation contrôlante, « Tout au long du stage, j’ai essayé de faire des liens entre les notions théoriques transmises par la HEP et la pratique de l’enseignement. », vers une phase de régulation interne provoquée par le vécu de la situation d’accompagnement : « Je prenais conscience en même temps que mes stagiaires de l’utilité de comprendre et d’utiliser ces outils pour être efficace » et une phase où l’usage du savoir est internalisé, subjectivé. Le savoir structure alors la pensée du PF. « Au début du stage, je suis restée avec l’étudiante dans des modalités de guidage (la modélisation, l’imitation de mes gestes) ou des processus moteurs (demander de rester calme à sa place, crier pour obtenir le silence) qui ont mal été interprétés. En fin de stage, ils ont évolué vers des processus cognitifs, puisque nous avons cherché ensemble à comprendre et analyser la portée des gestes professionnels sur les attitudes des élèves et leurs apprentissages. »
Finalement, du point de vue de l’intégration des aspects théoriques dans la description, et l’analyse de leurs pratiques PF : toute la cohorte a progressé.
Conclusion
Pour conclure, il nous semble tout d’abord important d’évoquer les quelques points de vigilance nous ayant guidés tout au long de ce long processus, à savoir : soutenir le processus de développement professionnel par des dispositifs pédagogiques favorisant les interactions et la collaboration ; assurer une alternance entre intervenants issus de l’institution et intervenants externes ayant une expertise reconnue dans leur domaine ; mettre en oeuvre un processus d’évaluation de la qualité de la formation orienté à la fois sur l’évolution des compétences des PF et des stagiaires ; apprécier constamment la qualité du dialogue entre les perspectives institutionnelle et professionnelle et enfin soigner la cohérence des apports en intégrant des formateurs-concepteurs tout au long du cursus.
Nous aimerions également mettre en évidence les changements observés à la suite de l’évolution du public intéressé à la formation PF. À ce jour, 250 PF ont été formés au travers des apports du CAS. Actuellement, les anciens étudiants de la HEP sont majoritaires. Cette configuration de public comporte ses avantages, comme une plus grande familiarité avec la recherche documentaire, la littérature scientifique et les outils des didactiques disciplinaires, mais elle révèle aussi de nouvelles problématiques et de nouveaux défis pour l’équipe d’encadrement. Certains formés manifestent une volonté de réparation par rapport à leur vécu durant la formation sur le terrain qui s’actualise par une envie de faire autrement. Lors de la conduite des stages, on observe un vacillement marqué entre trop d’exigence ou trop de laisser-faire. Assumer la fonction d’expert, faire autorité semble difficile. La question de l’accompagnement des transformations identitaires transparaît ici. En effet, les personnes entrant dans la formation PF sont en tout début de carrière. Comme le décrit Perrenoud (2003), le débutant est cet individu « entre deux identités », à savoir une identité étudiante qui s’estompe et une identité professionnelle en construction. Le retour en institution et le travail avec les stagiaires semblent provoquer, de manière plus ou moins significative, des turbulences dans la dynamique identitaire des nouveaux PF, ce qui pose les questions relatives à l’évolution de l’encadrement des processus identitaires en jeu et notamment les questions liées à la qualité des espaces et des outils réflexifs. Quelles dimensions du travail de restructuration identitaire travailler prioritairement ? Comment et avec quels outils de pratique réflexive ? Des apports, en matière d’articles proposant un panorama de connaissances sur l’entrée dans le métier, des canevas d’écriture réflexives ciblés, pourraient, en s’ajoutant aux différents lieux de parole existant dans le dispositif, être une première option à développer.
Pour terminer et de manière plus générale, nous voudrions attirer l’attention sur les questions relatives au maintien de la qualité du partenariat entre institut de formation et PF qui, nous semble-t-il, implique de fait la formation continue des PF, mais aussi celle des formateurs HEP. Il s’agirait d’augmenter les occasions de travailler ensemble, que ce soit à la construction de nouveaux outils de formation à l’enseignement, peut-être dans le cadre de recherches-actions mettant en oeuvre une véritable coopération et dans lesquelles le travail de l’enseignant serait observé en situation dans le but de mieux comprendre ce qui se passe réellement quand un-e enseignant-e enseigne.
Appendices
Note
-
[1]
Nous définissons le groupe d’intervision comme un groupe de pairs centré sur une tâche, en général, une analyse diagnostique suivie d’une réflexion collective aboutissant à la proposition d’options de régulation des pratiques. La tâche peut aussi être un travail d’élucidation d’un texte théorique ou une production écrite collective.
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