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Introduction

Au début des années 2000, la Suisse achève un long et hétérogène processus de tertiarisation de ses formations à l’enseignement (Criblez, 2010). Ce passage n’est pas allé de soi et il continue d’en être ainsi dans de nombreux pays. Un premier défi réside dans le fait qu’historiquement les formations universitaires sont plutôt dévolues à l’acquisition de savoirs théoriques organisés en savoirs disciplinaires (Pentecouteau, 2012). Or, si la haute école ou la partie de l’université dédiée à la formation des enseignants ne travaille pas à se démarquer par rapport à cet héritage, elle risque d’offrir un programme trop centré sur les savoirs académiques et le caractère professionnalisant de la formation sera amoindri. Dès les années 2000, la centration des réflexions sur le savoir-agir (Desjardins, 2012) a placé les universitaires face à un deuxième double défi : mettre les activités de formation en lien avec des référentiels de compétences, introduits pour orienter le processus de la professionnalisation – vue comme la volonté de « fabriquer des professionnels » via des dispositifs de formation développant des « compétences » (Wittorski, 2013) – et travailler à la cohérence des formations en mettant en place des approches-programmes (Legendre et David, 2012). Un dernier défi concerne la gestion de l’alternance, un concept facile à énoncer, mais qui cache des enjeux complexes, notamment dans la perspective de rendre l’alternance intégrative (Chaubet, Leroux, Masson, Gervais et Malo, 2018).

Ces défis vont affecter l’organisation et les contenus des programmes de formation, lesquels peuvent évoluer plus ou moins rapidement (Desjardins, Guibert, Maulini et Beckers, 2017) et même se trouver être en crise structurelle. Cela a été le cas, dans une Haute École Pédagogique (ci-après HEP) suisse au début des années 2010, pour la formation à l’enseignement secondaire qui est l’objet de cet article.

Notre objectif est de montrer comment, au travers d’une recherche-action de type intervention fonctionnaliste, nous avons pu traiter des problèmes identifiés dans de nombreux contextes de formation des enseignants. L’intérêt de la situation décrite est qu’il a été possible de mettre en place des mesures correctives, d’en constater les effets et de dégager des pistes prometteuses en lien avec les réflexions – toujours actuelles au début des années 2020 – visant l’aménagement des dispositifs d’alternance et l’optimisation des formations à l’enseignement.

Éléments notionnels et contextuels

Dans cette partie de cadrage, nous présentons de manière synthétique les connaissances, relatives aux trois défis mentionnés en introduction, qui ont servi à contextualiser et guider notre travail.

Universitarisation

L’universitarisation des formations à l’enseignement est liée, et c’est la première difficulté à dépasser, à un risque d’académisation (Etienne, 2017). Celui-ci est d’autant plus existant que les membres du personnel académique de la haute école ont le plus souvent eux-mêmes été formés dans le contexte académique, lequel a forgé leur logique de transmission des savoirs (Breithaupt et Clerc-Georgy, 2018a), ainsi que leur sensibilité – plutôt théorique – et leur pensée – plutôt conceptuelle – qui peut peiner à rencontrer la sensibilité et la pensée pratiques des praticiens (Van der Maren, 2014). Cette difficulté s’exprime notamment dans le lien entre formation et recherche. L’universitarisation visait à « renforcer la scientificité [en dispensant une] formation fondée sur la recherche » (Ambühl, 2010) et l’enquête de Guibert (2017) indique qu’en France « les formateurs en ESPE ont plutôt intégré l’idée qu’une formation professionnalisante, dans le cadre d’un master, doit s’appuyer sur la recherche ». Il n’en demeure pas moins que l’accès à la littérature de recherche, souvent pointue, reste ardu pour les étudiants et les enseignants en fonction et qu’« il manque des liens entre apports de la recherche et complexité du monde éducatif » (Etienne, 2017). Altet (2018) constate que, sur leurs cinquante années d’existence, les sciences de l’éducation ne sont pas parvenues à véritablement rencontrer la formation et qu’il reste aux chercheurs à orienter leurs recherches vers la pratique et à développer une communication vulgarisée à l’intention du personnel formateur. La recherche constitue par ailleurs, dans beaucoup de programmes, une activité de formation visant à soutenir le développement de la réflexivité (Bertone, 2016). Le défi est de trouver un point de rencontre entre une recherche scientifique de haut niveau et un novice en formation professionnelle dont l’objectif principal est de développer un « savoir-agir compétent » (Stumpf, 2018).

Développement d’une formation professionnalisante

Deux éléments sont jugés déterminants pour guider le développement, chez les futurs enseignants, d’une posture et de compétences réflexives nécessaires pour agir en contexte (Schön, 1994) : un référentiel de compétences (Stumpf, 2018) et une approche-programme. Cette dernière doit permettre d’améliorer la cohérence des contenus, identifiée comme caractéristique d’un programme efficace (Legendre et David, 2012) et comme élément concourant à la qualité d’une formation (Desjardins, 2012). Ainsi, dans différents contextes, on a travaillé à remplacer les programmes encyclopédiques (approche-cours) par des programmes systémiques (approche-programme) où « les composantes de la formation sont mises au service de visées communes, elles-mêmes étroitement arrimées à la pratique et aux conditions de son exercice » (Legendre et David, 2012). Mener ce type de démarche ne signifie pas imposer une pensée unique, mais se mettre d’accord sur un socle commun (Prégent, Bernard & Kozanitis, 2009; Legendre et David, 2012). Qu’il s’agisse de l’approche par compétences ou de l’approche-programme, une opérationnalisation ne semble pas aisée, puisque Lefrançois (2017) relève de vives critiques relatives à l’absence de liens entre les éléments d’une formation se réclamant pourtant de ces deux approches.

Alternance et articulation des savoirs

L’alternance est un modèle de formation fréquent en formation professionnelle. La formation se déroule en deux lieux (une salle de cours et un espace de pratique professionnelle), elle implique trois types d’acteurs (les formés, les tuteurs professionnels et le personnel académique responsable des enseignements) et elle implique que la « construction de compétences professionnelles se fait dans l’articulation entre la théorie et la pratique, par la mise en situation » (Pentecouteau, 2012). On s’accorde aujourd’hui, en formation à l’enseignement à tout le moins, à viser une alternance dite intégrative (Leroux et Portelance, 2018) : les liens soutenus « sont assurés par l’utilisation des expériences mutuelles dans l’un et l’autre des lieux » (Pentecouteau, 2012).

Construire une alternance intégrative implique d’amener des logiques et des systèmes différents à travailler ensemble (Van Nieuwenhoven, Doidinho Vicoso et Labeeu, 2016), et ce, dès la conception des programmes et des dispositifs de formation (Leroux et Portelance, 2018). L’instauration de cette collaboration ne va pas de soi (Breithaupt et Clerc-Georgy, 2018b ; Leroux et Portelance, 2018). La mise en place d’un système intégré et cohérent qui permette « une remise en question mutuelle des concepts et pratiques, ainsi que des savoirs théoriques et expérientiels » (Chaubet, Correa Molina et Gervais, 2018, p. 21) permettant de nourrir l’identité professionnelle en construction (Tali et Marcel, 2019) pose les questions du « qui ? », du « quoi? » et du « où ? », trois interrogations intimement liées.

Si in fine c’est bien l’étudiant qui a la charge de l’intégration des savoirs, aspect le plus ardu de l’apprentissage par alternance (Etienne, 2017), la gestion de cette dernière, d’abord laissée seulement à l’étudiant, puis élargie aux tuteurs professionnels, est aujourd’hui davantage renvoyée au collectif des personnes encadrant les étudiants (Serres, Escalié et Magendie, 2019). Cette évolution est à relier avec celle de la perception des savoirs à articuler. Jusqu’aux années 2010, on parlait essentiellement d’articuler savoirs théoriques et savoirs pratiques, avec une tendance à considérer que la théorie précède la pratique. Pentecouteau (2012, p. 3) fait pourtant remarquer qu’« il est tout à fait possible d’imaginer une approche alternative où recherche, pratique et formation s’articuleraient dans un aller-retour dialectique permanent », une approche soutenue notamment par Desjardins (2013) et Tali et Marcel (2019). Au-delà de cette nécessité de va-et-vient, de nombreux auteurs considèrent que la distinction entre théorie, propre au centre de formation, et pratique, propre au terrain, est trop réductrice. D’une part, les savoirs sont diversifiés comme l’illustrent les typologies de Vanhulle (2009) ou de Legendre et David (2012). D’autre part, la diversité des apprenants liée à celle des situations rencontrées conduit à une variété de dynamiques d’appropriation des savoirs (Serres, Escalié et Magendie, 2019) qui rend utopique une articulation « théorie-pratique-théorie-pratique » généralisée, planifiée et contrôlée. Cette grande variété de savoirs et de parcours conduit à envisager que l’intégration des savoirs est à réaliser en rapport à des situations professionnelles (Brière-Guenoun et Musard, 2019), dans les différents temps et lieux de l’alternance.

Trois espaces-temps sont ainsi concernés par l’intégration des savoirs :

  1. Les stages où la pratique doit être faite tant d’expérimentation des savoirs vus en cours que d’explicitation et de formalisation des savoirs cachés dans l’agir (Bouthier, 2019). Un obstacle majeur s’avère être un déficit de formation des tuteurs professionnels et des membres du personnel académique chargés du suivi des stages ainsi qu’un manque de balises structurant leurs rôles (Van Nieuwenhoven, Picro et Colognesi, 2016).

  2. Des espaces d’intégration, mis en place dans la plupart des programmes à l’interface entre stage et cours. Ils se présentent sous la forme de portfolios, de séminaires d’analyse de pratique (recourant à la vidéo ou non), de séminaires d’intégration, de travaux de mémoire suivant des démarches de recherche-action (Legendre et David, 2012 ; Desjardins, 2013 ; Portelance, 2016) permettant notamment d’exploiter le lien cours-stage.

  3. Les cours, lesquels devraient s’ancrer dans le travail réel (Guibert, Maulini, Desjardins et Beckers, 2017) et ainsi favoriser la contextualisation que les étudiants appellent de leurs voeux (Desjardins, 2013). Legendre et David (2012) relèvent le manque de cadre conceptuel pour ce faire, mais diverses pistes sont proposées : aborder les didactiques par le biais des processus ou manières de faire en classe (Van Nieuwenhoven, Coupremanne et Dejemeppe, 2012), utiliser des artéfacts issus de la pratique dans les cours (Desjardins, 2013), proposer la réalisation de tâches intégratrices comme la conception d’outils d’évaluation ou la planification de situations d’apprentissage (Lefrançois, 2017), préparer à l’insertion professionnelle (Leroux et Portelance, 2018). Cet appel à faire évoluer la forme des enseignements dans l’institut de formation semble avoir été peu entendu jusqu’à présent (Desjardins, 2013 ; Breithaupt et Clerc-Georgy, 2018c).

Au début des années 2020, la question du comment mieux articuler « acte de travail et acte de formation » est toujours d’actualité (Magendie, 2019) et le « renforcement des liens entre unités d’enseignement et conditions de stage » est toujours une voie à développer pour y parvenir (Brière-Guenoun et Musard, 2019). L’efficacité de la formation « tiendrait principalement à la diversité des acteurs de la formation » (Serres, Escalié et Magendie, 2019, p. 28). La concertation des acteurs, autour de la construction du programme, notamment pour y prévoir des espace- temps d’intégration, et d’un accompagnement différencié des étudiants semble représenter un enjeu actuel majeur.

Contexte de la recherche

La formation concernée par cet article constitue une unité organisationnelle d’une HEP de relativement petite taille. Elle compte entre 150 et 200 étudiants qui se destinent à l’enseignement dans les trois dernières années de la scolarité obligatoire et les trois premières années du post-obligatoire (lycée). Il s’agit d’un programme à temps complet, consécutif à l’université, dont la durée est généralement de deux ans. Chaque année comprend un stage en établissement scolaire, en responsabilité progressive, dans la classe d’un tuteur professionnel. Parallèlement au stage, les étudiants suivent à la HEP des enseignements rattachés à trois domaines : pratique professionnelle, didactique et sciences de l’éducation. Une quarantaine de personnes composent le personnel académique responsable de ces enseignements. En 2012, moment où nous avons repris la direction de la formation, celle-ci connaissait une crise majeure : l’équipe de direction précédente avait démissionné, le corps estudiantin manifestait son mécontentement jusqu’au niveau politique, une partie du personnel académique était en difficulté et l’organisation du programme de formation était défaillante au point qu’il n’était plus garanti que les étudiants puissent terminer leur cursus dans la durée prévue.

Problématique

Dans ce contexte difficile, si nous avons d’entrée de jeu déterminé trois orientations de conduite (travailler à adapter le modèle de formation existant, plutôt que d’en construire un nouveau; travailler à la co-construction d’un programme cohérent ; orienter la formation vers la pratique, c’est-à-dire vers les besoins des enseignants, en particulier novices), il nous est apparu opportun d’envisager des mesures d’amélioration à partir de et avec les acteurs. Il s’agissait d’entendre le corps estudiantin et le personnel académique, ce dernier constituant, dans la mesure où le soutien des autorités institutionnelles nous était acquis, l’acteur déterminant pour faire évoluer les programmes (Desjardins, Guibert, Maulini et Beckers, 2017). En l’absence de solutions a priori, nous avons opté pour une posture de chercheurs et avons entrepris une démarche de recherche-action visant à identifier les objets de la crise, définir des mesures de remédiation, les mettre en oeuvre et évaluer leur pertinence. Dans cette démarche, nous avons ainsi assumé deux rôles : celui de décideurs, responsables de la formation en dysfonctionnement, et celui de chercheurs, initiateurs et responsables de la recherche visant à améliorer la situation.

Méthodologie

La recherche-action que nous avons menée est de type intervention fonctionnaliste, telle que décrite par Van der Maren (2014). Selon cet auteur (p. 121), il faut voir les stratégies de la recherche-action comme « des méthodologies rationnelles de résolution des problèmes posés par les êtres humains ». Dans le cas d’une recherche intervention fonctionnaliste, il s’agit d’entreprendre « une intervention ou une action de type pragmatique, fonctionnaliste, au sens où on veut changer certains éléments du système, mais sans remettre en cause ses finalités, ses valeurs » (p. 123). Nous avons suivi la Méthodologie des Systèmes Souples (MSS) de Checkland décrite par Van der Maren (2014), auquel nous renvoyons le lecteur pour plus de détails, en regroupant ses sept phases en quatre étapes (tableau 1). Dans notre situation, les acteurs principalement impliqués dans les étapes 1, 3 et 4 sont le personnel académique, les étudiants et les directions des écoles accueillant les étudiants en stage, alors que l’étape 2 nous incombe.

Tableau 1

Résumé de la Méthodologie des Systèmes Souples de Checkland (MSS)

Résumé de la Méthodologie des Systèmes Souples de Checkland (MSS)

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Étape 1

Pour circonscrire les objets de la crise, nous avons réalisé 29 entretiens semi-dirigés d’une heure avec les membres du personnel académique entre novembre 2012 et janvier 2013. Il s’agissait de récolter les points de satisfaction, les éléments de la formation jugés forts et ceux jugés faibles. Les propos ont fait l’objet d’une prise de notes en direct et les informations saillantes ont été reportées, immédiatement après l’entretien, sur un document de synthèse qui a ensuite été soumis à une analyse de contenu. Nous avons par ailleurs considéré dix questionnaires de l’enquête institutionnelle standardisée d’évaluation de l’enseignement par les étudiants (EEE ; Berthiaume, Lanarès, Jacqmot, Winer et Rochat, 2011) portant sur les principaux cours du semestre d’automne. L’indicateur de satisfaction fourni par le logiciel à partir du dernier item Globalement, cet enseignement m’a paru de qualité pour lequel les étudiants expriment leur degré d’accord ou de désaccord sur une échelle de Lickert à quatre graduations a été pris en compte pour calculer un indicateur de satisfaction moyen qui puisse servir de jauge à l’évolution des perceptions au fil du temps. Les réponses aux questions ouvertes ont par ailleurs été soumises à une analyse de contenu. Nous avons également réalisé une telle analyse sur huit productions écrites (retours critiques, prises de position, notes de réunions) rédigées avant ou pendant l’étape 1 par des membres de la direction de la formation (trois documents) ou collectivement par le corps estudiantin. Sa délégation a été rencontrée à deux reprises. L’échantillon peut être qualifié de qualitativement orienté : les interlocuteurs sont non représentatifs au sens statistique, mais supposés l’être au sens politique. Toutes les analyses de contenu ont été réalisées à la main, conjointement par deux des trois auteurs de la recherche, avec la perspective de dégager des catégories conceptualisantes (Paillé et Mucchielli, 2012).

Étape 2

La situation apparaissant trop problématique pour perdurer, nous avons entrepris l’étape 2 dès février 2013 en établissant une description systémique de la situation et un catalogue d’actions.

Étape 3

Nous avons partiellement démarré la soumission aux acteurs en parallèle aux étapes précédentes, avec une présentation transparente du contenu des documents produits par les étudiants au personnel académique. En janvier 2013, nous avons montré une première fois le catalogue d’actions au recteur de la HEP et à un petit groupe de collègues assumant des responsabilités dans la formation, dans l’objectif de repérer d’éventuels blocages sur le plan réglementaire et de mieux situer les points de tensions et les difficultés d’opérationnalisation. En février 2013, nous avons soumis le projet au collège du personnel académique et en mars 2013 à la représentation du corps estudiantin. Nous avons par ailleurs tenu deux réunions, l’une avec des membres du personnel académique particulièrement affectés par les changements planifiés, l’autre avec la représentation étudiante, pour réexpliquer les difficultés et la nécessité d’agir, tenter de rassurer, mais aussi préciser les modes de fonctionnement et les rôles des uns et des autres. En novembre 2013, parallèlement au démarrage de l’étape 4, nous avons rencontré les directions des écoles accueillant les étudiants en stage.

Étape 4

La dernière étape a commencé à la rentrée académique de l’automne 2013 avec l’opérationnalisation des actions. Nous avons évalué leur pertinence entre novembre 2013 et janvier 2015. Nous avons réalisé le recueil des perceptions par l’intermédiaire des entretiens individuels annuels menés avec le personnel académique (60 entretiens de 45 minutes), d’une rencontre avec les directeurs d’écoles, de cinq rencontres avec la représentation étudiante, de douze évaluations de l’enseignement par les étudiants portant sur les cours évalués dans l’étape 1 (ou les cours qui leur ont succédé). Les analyses ont été réalisées de la même manière qu’à l’étape 1.

Résultats

Étape 1

En examinant globalement les prises de position des étudiants, on note d’emblée qu’ils ne sont pas opposés à la nécessité de se former et se définissent comme des enseignants. Ils disent apprécier « unanimement » le mode d’alternance en vigueur (deux années avec théorie et pratique en parallèle). Ils se déclarent prêts à collaborer et mettent sur pied un comité d’étudiants qui devient notre interlocuteur. Les remarques et critiques adressées à la formation sont néanmoins très acérées, tant dans les prises de position du collectif étudiant que dans les évaluations de l’enseignement par les étudiants (EEE). Dans ces dernières, l’indicateur de satisfaction moyen est de 2.55 (N=10, min=2.3, max=3.4) à l’étape 1.

Les entretiens individuels que nous avons conduits avec le personnel académique témoignent du fait que, de manière générale, celui-ci est engagé et de bonne volonté malgré des conditions d’engagement parfois précaires. La satisfaction est plus marquée chez les enseignants de didactique que chez ceux des sciences de l’éducation. Les premiers relèvent la richesse de leur double profil (didacticien et enseignant) qui leur permet de lier théorie et pratique alors que, chez les seconds, plusieurs personnes disent être en difficulté.

Étape 2

En cherchant à faire la synthèse des analyses des perceptions collectées à l’étape 1, nous avons pu identifier cinq domaines d’action et dix-huit objets de crise (tableau 2).

Tableau 2

Domaines d’action et objets de la crise identifiés

Domaines d’action et objets de la crise identifiés

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Étape 3

À partir du tableau 2, nous avons établi un catalogue d’actions de remédiation que nous avons ensuite soumis aux acteurs avec une double visée : évaluer de quelle manière les mesures envisagées étaient perçues et recueillir des propositions. Les présentations successives ont été réalisées en présentiel, de manière à permettre les échanges directs. Nous avons aussi laissé aux personnes la possibilité de réagir par écrit dans le prolongement de la réunion. Ces présentations n’ont pas conduit à beaucoup d’adaptations du catalogue d’actions. Les réactions ont été très diverses (intérêt, soulagement, expectative, inquiétude, …) du côté du personnel académique, alors que la délégation étudiante a continué de montrer une impatience teintée d’intransigeance. Le catalogue des actions entreprises est résumé dans le tableau 3.

Tableau 3

Actions de remédiation entreprises pour sortir de la situation de crise (la numérotation renvoie au tableau 2)

Actions de remédiation entreprises pour sortir de la situation de crise (la numérotation renvoie au tableau 2)

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Étape 4

Dans cette dernière étape, celle de l’opérationnalisation des actions puis de l’évaluation de leur impact par un recueil des perceptions, l’analyse nous a amenés à distinguer les éléments qui ont disparu (ou qui ne sont plus présents que marginalement), ceux qui perdurent, ainsi qu’un certain nombre d’éléments nouveaux (tableau 4).

Tableau 4

Évaluation des mesures de remédiation (pour le détail des actions, voir tableau 3).

Évaluation des mesures de remédiation (pour le détail des actions, voir tableau 3).

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Les mesures prises se sont révélées particulièrement efficaces, conduisant à faire disparaître du recueil des perceptions la plupart des objets de la crise. Sur le plan du contenu et des orientations de la formation, les questions restent vives et actuelles, mais les retours sont plus positifs, comme en témoigne, par exemple, l’indicateur de satisfaction moyen obtenu à partir des évaluations de l’enseignement par les étudiants, qui est de 3.17 (N=12, min=2, max=3.8) à l’étape 4. Les éléments qui restent objets de critiques sont formulés de manière plus nuancée, que cela concerne les liens avec la pratique en classe ou la question du travail de recherche des étudiants. Ce dernier point a fait l’objet d’une analyse propre (Kohler, Boissonnade, Padiglia, Meia et Arcidiacono, 2017). Un dialogue constructif s’est instauré avec les étudiants par l’intermédiaire de leur association, laquelle trouve sa reconnaissance renforcée par sa participation à différents groupes de travail. Auprès des partenaires externes, les mesures prises ont fait disparaître les tensions à un point tel que les directions d’école ne sollicitent plus de réunions de concertation.

Discussion

Grâce à une recherche-action, nous avons pu faire évoluer un dispositif de formation en proie à une crise aux causes plurielles a posteriori attribuables à un cumul de difficultés identifiées par la littérature. Nous attribuons la sortie de crise à différents facteurs : 1) la sévérité de la crise; 2) notre grande liberté d’action; 3) la petite taille de l’institution, propice à la concertation et facteur facilitant (Desjardins, 2012); 4) la pertinence de la démarche. Nous estimons ce dernier facteur capital de la manière suivante : partir des constats et des attentes des acteurs, les confronter au cadre prescrit, sans chercher à agir sur celui-ci, mais en le considérant comme l’une des « constantes de l’environnement » (Van der Maren, 2014, p. 126), pour dégager des objets de la crise et des mesures de remédiation, revenir aux acteurs, mettre en oeuvre et finalement évaluer la pertinence des actions permet de construire un modèle (ici de formation) en adéquation avec le « fonctionnement du réel » et respectant la « subjectivité humaine » (Van der Maren, 2014, p. 135). La situation post recherche-action n’est pas figée ; elle constitue une nouvelle étape avec de nouvelles questions à prendre en considération.

Que l’étudiant soit, avec les représentants des milieux académique et professionnel, un acteur de la formation paraît une évidence. Qu’il soit considéré comme un partenaire dont l’avis est pris en compte l’est moins. Nous avons été surpris, à notre arrivée, du peu d’attention portée aux demandes des étudiants, relevant, comme Etienne (2017, p. 194), une « asymétrie marquée entre personnel de formation et formé-e-s » qu’il est souhaitable d’atténuer (Etienne, 2017; Serres, Escalié et Magendie, 2019). Si nous écartons le caractère intransigeant de certaines prises de position, une large partie des demandes nous sont apparues légitimes. Elles constituent avant tout, comme le supposait Desjardins (2013), une demande de contextualisation ou, comme l’ont aussi observé Maulini et Progin (2012), un gommage des contradictions et des inégalités. Les étudiants attendent du personnel académique qu’il réalise la transposition didactique qu’il leur est demandé de travailler. Nos résultats témoignent d’une triple attente : une information de qualité, une transmission qui prenne en considération les principes pédagogiques mis de l’avant dans la formation, mais aussi un contenu pertinent en fonction du vécu en classe. En intégrant les étudiants à notre démarche, nous avons réduit les tensions préexistantes. Il faut néanmoins reconnaître des limites à la prise en compte des critiques. Ainsi, nos améliorations ont conduit à une répartition de la charge de travail des étudiants inégale entre les années, difficilement réductible en raison de l’impossibilité de segmenter certains modules de formation (le stage, par exemple) et de la volonté de les inscrire dans une approche-programme cohérente.

Selon notre expérience, un des enjeux centraux de l’alternance réside dans la multiplication des situations où l’étudiant pourra intégrer les différents savoirs liés à la profession. En accord avec la revue de littérature présentée supra, il s’agira, pour construire une alternance intégrative, d’accompagner l’étudiant à construire des liens dans les différents espaces-temps de la formation. Soulignons, pour chacun d’eux, les pistes à développer :

  • Concernant les stages, il s’agit de développer les compétences d’accompagnement des tuteurs professionnels, notamment parce que cette catégorie d’acteurs ne dépend pas de la HEP, mais des établissements scolaires. Les pistes pour amener ces acteurs à établir des liens avec les résultats de la recherche et/ou les contenus des cours dispensés à la haute école existent : recherche collaborative (Van Nieuwenhoven, Picron et Colognesi, 2016), mobilisation d’écrits scientifiques durant le stage (Caron et Portelance, 2017), offre de formation initiale et continue, colloques.

  • Dans les unités de formation dédiées à l’intégration, les analyses de pratique par exemple, l’usage de la vidéo doit être renforcé. Dans notre cas, cette modalité a progressivement été rendue incontournable (Stumpf et Gremion, 2018).

  • Dans les enseignements à la haute école, il s’agit de mieux prendre en compte les conditions d’exercice de la profession enseignante. L’enjeu est ici de pouvoir compter sur un personnel académique qui connaisse et comprenne ces conditions, sache varier les approches pédagogiques et puisse agir autrement que simplement en « faisant cours ».

En lien avec ce dernier point, mais aussi en accord avec Serres, Escalié et Magendie (2019), l’un des grands défis qui attend notre formation et celles qui souhaitent se développer en suivant le chemin esquissé dans cet article concerne le recrutement et le développement professionnel du personnel académique. Nous basant sur les recommandations de la conférence des recteurs des HEP de Suisse, nous cherchons actuellement à recruter des membres du personnel académique qui ont, d’une part, un titre et une expérience d’enseignement et, d’autre part, un titre académique en sciences de l’éducation ou en didactique. Cette double exigence n’est pas aisée à satisfaire. Dans tous les cas, il est profitable (Brière-Guenoun et Musard, 2019 ; Portelance et Caron, 2019 ; Stumpf, Meia et Garessus, 2020) de donner du temps au personnel engagé pour travailler, se former collégialement et combiner les expertises. Malheureusement, cette perspective est souvent limitée par des contraintes financières.

Conclusion

Force est de reconnaître une certaine efficacité de la recherche mise en oeuvre. À son issue, outre l’importance d’une approche-programme, trois pistes d’action et/ou de recherche visant à optimiser les formations à l’enseignement se dégagent :

  1. La mise en place d’un pilotage partagé, qui associe personnel académique et tuteurs professionnels, permettant à chacun de mieux s’investir dans son rôle.

  2. Le renforcement d’une contextualisation et d’une intégration des savoirs dans tous les espaces-temps de la formation, notamment dans les enseignements à la haute école en y diversifiant les savoirs travaillés et les formes d’enseignement.

  3. Une attention soutenue au recrutement et au développement professionnel du personnel académique.

Ce dernier point constitue l’un des enjeux des formations à l’enseignement : l’alternance sera d’autant plus intégrative que les formateurs seront en mesure d’appréhender, au moins en partie, les réalités et/ou les apports de l’autre milieu de formation. Les dispositifs devraient ainsi (a)ménager des temps d’échange, de formation et de travail en commun.