Article body

Depuis une trentaine d’années, la formation des enseignants vit au rythme des réformes, rénovations ou autres changements dans différents contextes sociaux. Il est devenu courant de considérer que ces changements s’inscrivent dans un mouvement international de professionnalisation des métiers de l’enseignement amorcé depuis bien plus longtemps. Ce mouvement de convergence internationale visait l’évolution des métiers de l’enseignement pour renforcer leur attractivité, développer des structures et des processus de régulation internes aux groupes professionnels et surtout, d’un point de vue politique, pour relever les grands défis de nos systèmes éducatifs contemporains en positionnant les enseignants comme des acteurs clés du changement dans la mise en oeuvre de réformes éducatives.

Dans les faits, la création d’ordres professionnels ne semble pas avoir été un phénomène marquant du mouvement international de professionnalisation. Les processus de régulation se sont développés de manière disparate à d’autres niveaux. La recherche scientifique, observant et analysant le mouvement de professionnalisation dans une perspective internationale, a pu mettre en évidence différents leviers de revalorisation de l’image sociale de la profession, de responsabilisation et d’autonomisation du groupe professionnel, ou encore de développement de processus de reddition de comptes. Il est indéniable que la formation des enseignants a constitué un des principaux leviers de la professionnalisation. À ce titre, elle peut être étudiée comme un phénomène de convergence et surtout de comparaison internationale. Elle continue d’ailleurs à faire l’objet d’un grand nombre de publications et communications scientifiques à travers le monde, y compris sous la forme d’analyses ou d’évaluations critiques. Cela ne suffit pas à poser les bases d’une approche comparée, tant les entrées peuvent être diversifiées.

Le phénomène d’internationalisation de la professionnalisation de la formation implique des modèles et des cadres de référence, comme le suggèrent Tardif et Borges (2009) en présentant ce qu’ils nomment « ses dimensions les moins controversées ». Parmi ses dimensions figurent notamment l’intégration de la recherche et d’une base de connaissances spécifiques et nécessaires pour définir la profession, la référentialisation des compétences ou encore l’universitarisation des formations. Une approche comparée a pour projet d’aller au-delà de la convergence des réformes pour comprendre le phénomène mondial de la professionnalisation. Ce dernier peut être observé également, entre autres, dans des orientations politiques, des discours et des débats entre différents groupes sociaux concernés, et une rhétorique souvent impulsée dans des espaces et structures supranationaux. Les retraductions de cette rhétorique et même les effets du mouvement international de professionnalisation diffèrent selon les pays, les politiques, les institutions et les structures de formation. Malet (2008) met en évidence cette tension entre des problématiques communes et des tentatives d’ancrage dans des contextes locaux du processus de professionnalisation.

Ainsi, ce numéro thématique a pour but général d’analyser et d’interpréter le mouvement de professionnalisation des métiers de l’enseignement dans une perspective internationale. Afin de coordonner et structurer le regard comparatif, cinq pistes de questionnements ont été formulées aux auteurs pour accompagner leurs réflexions :

  1. comment les politiques de professionnalisation de la formation à l’enseignement sont-elles retraduites dans des programmes de formation dans différents pays ? 

  2. quels sont les conceptions professionnelles et les savoirs dans la formation à l’enseignement dans ces différents contextes sociaux ?

  3. quels sont les référentiels de compétences et les plans d’études nationaux encadrant les programmes de formation ?

  4. quels sont les enjeux qui demeurent problématiques dans la profession enseignante dans ces différents pays ? 

  5. quelles pistes d’amélioration peuvent provenir des différents pays analysés ?

Ce cadrage a permis de composer un numéro thématique répondant à l’objectif d’une approche comparée avec sept contributions. La diversité des contextes étudiés, rarement mis en relation les uns avec les autres à travers un regard comparatif, constitue la première richesse de ce dossier thématique. Plusieurs articles proposent d’aborder en premier lieu la professionnalisation sous l’angle d’intentions puis d’impulsions politiques. S’il est un point commun traversant l’ensemble de ces contributions, il s’agit du constat d’une forme d’étirement dans la durée et peut-être même d’essoufflement du mouvement de professionnalisation malgré le large consensus et l’engouement qu’il a suscité au cours des dernières décennies. Plusieurs explications sont présentées, parmi lesquelles des champs de tension durables que l’action publique n’est pas en mesure de traiter. Comme le rappellent Meia, Stumpf et Garessus pour le cas de la Suisse, le débat perdure entre une universitarisation complète de la formation des enseignants et une tertiarisation dans des hautes écoles à vocation exclusivement professionnalisante. Ce débat est exacerbé périodiquement par des acteurs de la vie politique parce qu’il permet de cristalliser des clivages idéologiques. Plus concrètement, il a aussi des impacts sur l’organisation des formations et même sur la collaboration entre les différents acteurs impliqués. Marcel, Faure et Gardiès nous proposent d’explorer un autre champ de tension en France entre les promesses d’une rhétorique de professionnalisation bien rodée et la dégradation des conditions de travail des enseignants. En Colombie, comme expliqué par Mejía, Jiménez, Cividini et Morales-Perlaza, cette tension semble également exister entre la formation et la condition enseignante, particulièrement en début de carrière. La rupture avec l’intention politique de professionnalisation est analysée comme un désengagement par rapport à ces problématiques inscrites dans la durée.

Un autre élément commun à plusieurs contributions mérite d’être souligné. Les limites actuelles du mouvement de professionnalisation sont particulièrement identifiables dans les tensions entre les exigences d’une formation de haut niveau et la réalité de la condition enseignante en emploi. D’ailleurs, cela peut aussi être une source de clivage entre les institutions de formation et le terrain scolaire. Néanmoins, les acteurs engagés dans la formation des enseignants ont continué à porter, d’une certaine manière, le mouvement de professionnalisation même s’il a perdu de sa substance en tant que projet politique. L’innovation perdure dans les programmes et dispositifs de formation, dans un premier temps pour assurer la cohérence, la connexion et même la continuité entre les terrains concernés, celui de la formation et celui de l’intervention professionnelle. Cela passe par un travail avec tous les acteurs impliqués comme le montrent parfaitement la contribution d’Isabelle Truffer Moreau et celle d’Alexandre Leite da Silva et Maisa Helena Altarugio. Les acteurs de la formation ont également cherché à répondre localement à certaines problématiques plus ou moins directement liées aux limites du mouvement de professionnalisation. Comme cela est mis en évidence dans plusieurs contributions, l’insertion puis le développement professionnels tout au long de la vie constituent des enjeux majeurs de la professionnalisation des individus en Suisse (Keller-Schneider, Buser et Morales-Perlaza) ou encore en Colombie (Mejía, Jiménez, Cividini et Morales-Perlaza.

Enfin, ce numéro thématique nous donne à voir la nécessaire et légitime posture critique, scientifiquement fondée, par rapport à ce phénomène mondial de professionnalisation. À ce titre, plusieurs contributions, dont celles de Núñez-Moscoso ou de Marcel et Gardiès, entretiennent, de manière pertinente, le débat sur l’action publique en matière de formation des enseignants.