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La formation des enseignants n’a pas toujours été pensée comme une nécessité. Déjà, Durkheim analysait les réticences intellectuelles à la formation des enseignants : certains, expliquait-il, qui admettent assez volontiers que la pédagogie n’est pas inutile d’une manière générale, nient qu’elle puisse servir à quelque chose dans l’enseignement secondaire. Une préparation pédagogique est nécessaire pour l’instituteur, mais par une grâce d’état, le professeur de lycée n’en a pas besoin, car il a vu par l’exemple de ses maîtres comment on enseigne et la culture très large qu’il reçoit à l’université le met en état de manier avec intelligence cette technique dont il a eu le spectacle pendant sa vie d’écolier et sans qu’il ait besoin d’une autre initiation (Durkheim, 1904-1905). Dans ce contexte, il s’agissait alors de se demander s’il était nécessaire, voire même possible d’apprendre à enseigner. Cet arrière-plan historique a laissé des traces.

De fait, les traces de modalités de formation des maîtres (professeurs d’école, professeurs de lycée et de collège et conseillers principaux d’éducation) se succèdent et font régulièrement l’objet de vives polémiques. Les défauts et limites des systèmes de formation des enseignants en Europe sont soulignés de manière récurrente dans les rapports institutionnels

Malgré leur diversité, les systèmes éducatifs peinent à s’adapter aux évolutions des savoirs et de nos sociétés. L’École est à la croisée d’enjeux individuels (apprendre, se former, se socialiser, obtenir un diplôme…) et d’enjeux politiques (socialiser la jeune génération, intégrer les citoyens). Elle est aujourd’hui confrontée à de nouveaux enjeux : éclatement des socialisations juvéniles, maintien des inégalités sociales, prise de conscience des discriminations ethniques, explosion des technologies numériques, tournant global, remise en question de la forme scolaire, crise de l’institution transmissive tant dans la légitimité des savoirs à transmettre aux élèves que dans les modalités, crise même du transmettant et crise de recrutement.

Cependant, la formation des enseignants a connu moult réformes... mais bien peu de changements effectifs. Certes, la formation des enseignants s’est universitarisée dans les pays européens, mais sur le terrain, elle peine à convaincre les usagers autant que les formateurs.

Quels contenus de formation doit-on privilégier ? Quels savoirs faut-il enseigner ? Quelles sont les tensions liées à la nature des savoirs pertinents dans une telle formation ? Peut-on professionnaliser les enseignants par la recherche ? Quels sont les rapports entre savoirs des praticiens et savoirs issus de la recherche ? Quels sont les savoirs sur l’éducation produits par l’université qui doivent contribuer à la formation ? Quel est le lien entre ces savoirs et ceux produits par la pratique ? 

Telles sont les questions au coeur de ce dossier qui comprend trois communications.

Geneviève Mottet et Margarita Sanchez-Mazas, spécialistes en sciences de l’éducation de l’Université de Genève, analysent une « question vive » : « la formation interculturelle de professeurs » aux prises avec la pluralité des publics scolaires. Leur étude porte sur la formation initiale (FI) et la formation continue (FC) du canton de Genève en Suisse. Les chercheures montrent les tensions entre des projets divergents de ces deux formations à l’interculturel où coexistent deux sources de formation aux objectifs parfois dissonants : la FI donnée dans le milieu académique et la FC en cours d’emploi dont les formations sont orientées différemment. Leurs résultats questionnent le type de savoirs qui sont dispensés aux enseignants. On peut s’interroger dès lors sur le fait de savoir comment les professionnels font face aux dissonances cognitives potentielles entre la formation par la recherche et la formation de terrain, qu’elle soit d’ailleurs initiale ou continue.

C’est la même question que pose Guy Lapostolle, Professeur des Universités de l’Université de Lorraine à propos d’un dispositif de formation initiale des Conseillers Principaux d’éducation en France : le mémoire. Ce mémoire est justement à l’interface de la formation académique à l’inspe et de la formation de terrain, étant donné qu’il s’appuie sur le stage. Oscillant entre mémoire académique et mémoire professionnel, ce travail de validation du parcours est porté par des injonctions parfois contradictoires entre tuteurs de terrain et formateurs d’inspe. Les résultats confirment ce hiatus entre les normes imposées par la recherche universitaire et les vertus potentiellement formatrices d’un tel dispositif, les stratégies des stagiaires pris dans un système de formation très lourd laissant peu de temps à la réflexivité.

Cette réflexivité peut être travaillée par les modalités didactiques mêmes de la formation, il s’agit là du pari du dispositif de formation initiale de futurs professeurs des écoles en mathématiques. C’est l’objet de l’article de Thomas Lecorre, maître de conférences de CY Paris Université. Est-il possible de changer le ressenti – souvent négatif – des enseignants-débutants envers les mathématiques ? Le dispositif choisit de faire vivre aux stagiaires des émotions et la recherche en examine les effets.