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Introduction

La pandémie mondiale qui sévit actuellement et qui a mené au confinement généralisé a demandé aux parents – particulièrement aux mères – d’être proactives, dynamiques, organisées et de gérer l’enseignement à distance dispensé à leurs enfants en enseignant des notions avec lesquelles elles ne sont pas nécessairement à l’aise. Ceci est sans compter la conciliation et la superposition travail-école-famille ainsi que la logistique, qui fut pour le moins délicate.

Le stress pour les parents a été et est encore immense. Il l’est d’autant plus pour des spécialistes en éducation (deux en didactique de la lecture et une consultante en autisme), devenues des enseignantes généralistes le temps de la pandémie. À la mi-mars 2020, nous avons dû nous retrousser les manches et prendre des décisions ayant des répercussions directes sur l’éducation de nos enfants. L’engagement des parents dans l’éducation des enfants est un facteur déterminant pour la réussite scolaire (Deslandes, 2010), et ce, peu importe que ce soit en présentiel ou en ligne. Mais comment nous assurer d’enseigner les savoirs essentiels à nos enfants – qui sont à des niveaux différents – en sachant que le retour à l’école en septembre sera particulier et incertain si une deuxième vague de la COVID-19 survient ? S’il est bien documenté que les mois d’été créent un « trou » dans les apprentissages des élèves (Cooper et al., 1996), que dire lorsqu’il s’agit de plus de six mois ? Six mois dans la vie d’un élève sont une éternité et peuvent avoir des effets néfastes.

Comment alors amener de jeunes enfants (l’ensemble de nos enfants ont entre 5 ans et 10 ans) à apprendre au moyen des outils numériques ? Comment assurer, à la maison, un suivi adéquat des activités d’apprentissage à distance données par l’école ? Comment maintenir la motivation de nos enfants dans ce contexte ?

Pendant le (dé)confinement, nous avons vécu trois expériences : l’école à la maison, l’école à distance et l’une de nous a vécu les camps d’été virtuels. Des expériences de vie qui sont tout autant, pour reprendre Dewey (1968), des expériences d’apprentissage pour les enfants et les parents. Cet article se veut un humble retour sur nos expériences comme mères ayant assumé et assuré la scolarisation de nos enfants pendant des mois. Après une brève mise en contexte des actions entreprises, nous soulevons les défis rencontrés et dégageons les apprentissages réalisés. Enfin, nous partageons les réflexions que tout ceci a suscitées sur nous, comme professeures-chercheures et praticiennes en éducation.

L’école à la maison assumée par les mères (homeschooling)

Dès l’annonce de la fermeture des écoles et des « vacances scolaires » impromptues décrétées par le ministre québécois de l’Éducation (Laplante, 2020), ce fut le branle-bas de combat : maintien d’une routine qui ressemble à celle de l’école, poursuite et consolidation des apprentissages, bien-être mental des enfants malgré ce contexte anxiogène, telles furent nos principales préoccupations. Devant le flou de la situation – les enfants recevront-ils des activités à faire de la part de leurs enseignantes ? Combien de temps durera le confinement ? –, les chercheures en nous ont pris les choses en main.

Sélection des contenus, des moyens, et organisation de l’horaire

La première tâche réalisée fut de sélectionner les savoirs et savoir-faire à travailler avec nos enfants (ils sont respectivement au préscolaire, en première année et en deuxième année). Armées du Programme de formation de l’école québécoise au primaire (PFEQ) et de la Progression des apprentissages au primaire (PDA), nous avons sélectionné ce qui nous semblait primordial à enseigner. Ainsi, de mars à juin 2020, nous avons décidé de mettre plus particulièrement l’accent sur la littératie et la numératie. Nous savons à quel point la littératie, particulièrement le développement de la compétence en lecture, est un élément primordial à la poursuite de la scolarité, mais aussi à la réussite scolaire et éducative (Nadon, 2011). Les études le montrent : les enfants qui ont de la difficulté en lecture, en 1re année, risquent de continuer à éprouver des difficultés au primaire et au secondaire (Giasson, 1997; Hernandez, 2011). De surcroît, « [educators] and researchers have long recognized the importance of mastering reading by the end of third grade. Students who fail to reach this critical milestone often falter in the later grades and drop out before earning a high school diploma » (Hernandez, 2011, p. 3).

En numératie, l’accent fut mis sur les additions, les soustractions et la résolution de problèmes. Par ailleurs, soucieuses de maintenir le développement global de nos enfants (Bouchard et Fréchette, 2011; MEQ, 2006), et reconnaissant que toutes les matières scolaires sont importantes, nous avons aussi alloué du temps aux activités physiques, aux arts plastiques, à la musique et aux sciences. À l’aide du PFEQ (MEQ, 2006), des savoirs disciplinaires et des compétences à développer pour chacune de ces disciplines ont été sélectionnés. Par exemple, en sciences, l’accent a été mis sur l’apprentissage de notions par l’entremise de livres documentaires pour la jeunesse, le visionnement de vidéos ainsi que l’enseignement contextualisé directement dans la nature. Du côté de l’éducation physique, nous avons planifié des séances de yoga, des courses à obstacles dans la maison, du vélo, de la marche dans la nature et de la danse sur de la musique entraînante. Cette vaste sélection fut échangée et bonifiée de nos expertises spécifiques.

Ensuite, nous avons élaboré les stratégies pédagogiques (Messier, 2019) pour enseigner à nos enfants. Encore une fois, les chercheures en nous étaient au travail : l’enseignement explicite (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013), l’enseignement stratégique (Tardif, 1992), l’apprentissage expérientiel (Dewey, 1968), l’enseignement à partir de la littérature jeunesse (Tauveron, 2002) ont été retenus, le but étant de varier les méthodes. Enfin, nous avons créé un horaire flexible et viable alliant l’enseignement à la maison, la logistique familiale et le travail. Les pédopsychiatres et l’OMS (2020) ont d’ailleurs mentionné l’importance d’avoir un cadre pour les enfants, c’est-à-dire un horaire régulier se rapprochant de celui de l’école. Nous étions donc bien motivées et déterminées à scolariser nos enfants à la maison, nous sentant fortes de nos formations en enseignement et de nos solides expériences professionnelles.

L’épreuve du réel

L’école à la maison ainsi pensée par nous trois a rapidement été confrontée aux enjeux du réel. D’abord, assumer l’école à la maison demande du temps, de la discipline et de la persévérance. Or, ce temps était compté : nous avions nos engagements professionnels à respecter. Même pour des gens qualifiés et ayant de l’expérience en éducation, nous avons constaté rapidement que nous passions plusieurs heures à planifier l’enseignement-apprentissage de chacun de nos enfants, à créer des activités, à trouver des ressources variées en ligne, à nous partager des documents ainsi que nos expériences. Planifier pour un enfant est aussi demandant que de planifier pour une classe entière d’enfants du même âge; la charge de travail augmente considérablement lorsque les enfants sont de niveaux scolaires différents.

Ensuite, l’enseignement à plusieurs enfants en même temps et à des niveaux scolaires différents a soulevé bien des défis, encore plus lorsque le français, la langue de scolarisation, n’est pas la langue maternelle ni des enfants ni de la mère. Si des classes multiniveaux existent dans certaines écoles québécoises, avoir une « miniclasse » multiniveaux avec ses propres enfants est une tout autre histoire et requiert une différenciation pédagogique (Leroux et Paré, 2016; Paré et Prud’homme, 2014). Cela demande également de planifier équitablement de sorte que la charge de travail soit équivalente entre les enfants, de ne pas trop compter sur l’autonomie des plus grands pour avoir plus de temps à consacrer aux plus petits, de s’assurer que les grands comme les petits reçoivent de l’aide de la maman-enseignante. Ceci est sans compter les disputes entre frère et soeur, la grande soeur qui commente les réponses erronées des plus petites soeurs, la comparaison de la charge de travail entre les enfants… La retenue que peuvent avoir nos enfants à l’école s’estompe grandement dans un contexte familial.

Enfin, le maintien de l’horaire a été quelquefois fragile. Entre les demandes urgentes du travail et le suivi de nos dossiers, certaines périodes planifiées ont pris d’autres formes : jeux libres dans le jardin avec la consigne de bouger le plus possible, balades à vélo en famille à la fin de la journée, tours de blocs lego à construire ou dessins à réaliser à côté de maman qui travaille. Bien que toutes les disciplines scolaires soient importantes, après avoir réalisé l’enseignement-apprentissage des compétences et des connaissances en littératie et en numératie, certaines liées à d’autres disciplines ont souffert de coupures, et ce, malgré notre bonne volonté. D’autres activités familiales, par exemple faire des semis pour le potager (faire de la science en contexte) ou préparer des biscuits (lire et comprendre le vocabulaire utilisé tout en intégrant la mesure), ont servi à lier à la fois des notions en sciences et en mathématiques (par exemple, faire des hypothèses), parfois à notre grand soulagement puisque cela nous faisait gagner du temps pour travailler pendant la semaine.

Cela dit, l’épreuve du réel a permis des apprentissages. Le principal est lié à la conciliation (ou la superposition) travail-famille-école à la maison. En effet, enseigner à nos enfants selon les principes et les connaissances que nous prônons nous a permis de tester auprès d’eux certains éléments qui ont directement alimenté nos cours universitaires et formations. En littératie, le but est de développer les compétences en lecture, en écriture et à l’oral (MEQ, 2001). Il est possible d’enseigner ces trois compétences en interaction à travers la littérature pour la jeunesse, notamment par la lecture interactive d’oeuvres (Morin et al., 2006; Prêteur et de Léonardis, 2013) en format papier ou électronique. La littératie joue aussi un grand rôle dans la résolution de problème en mathématiques, car le vocabulaire et les structures de phrases doivent être bien comprises (Cabot Thibaut et Dumas, 2020; Lafay et Helloin, 2020). Il est également possible de passer par la littérature jeunesse pour travailler la numératie (Voyer, Lavoie, Goulet et Forest, 2018). Nous avons donc pu tester tout ceci auprès de nos enfants à partir d’oeuvres que nous n’avions pas encore expérimentées. Ainsi, des oeuvres « papier », des oeuvres numérisées (de type PDF) et augmentées (Brehm, Beaudry, Lacelle et Lebrun, 2018) ont été utilisées. Travailler avec une variété d’oeuvres, en découvrir d’autres, constater leur réception auprès de nos enfants, constater leurs potentialités ou, au contraire, leurs limites ont enrichi directement les cours que nous donnons, ou qui sont en conception, mais également certaines de nos recherches.

D’autres apprentissages sont aussi à souligner. Parmi ceux-ci, nous avons appris à soutenir nos enfants tout en favorisant leur autonomie : la tentation était parfois grande de répondre immédiatement à leur question, de les aider. Quant à eux, ils ont appris à travailler par eux-mêmes sans toujours compter sur nous, à faire des essais et des erreurs, à essayer de nouveau et réussir, tout comme ils l’auraient fait à l’école. Au-delà des apprentissages scolaires réalisés, ils ont appris à aider les plus petits à comprendre, avec leurs mots à eux (Ayotte, 2011; Wright, 2006), à prendre part à toutes les tâches de la vie quotidienne qui ponctuent une famille et à être résilients face à la situation.

L’école à distance assumée par les enseignantes (zoomschooling)

L’enseignement à distance assumé par la suite par les enseignantes généralistes et spécialistes de nos enfants a connu des points positifs et des défis. Chaque semaine, des planifications ont été proposées par l’ensemble des enseignantes, et nos enfants devaient assister à de nombreuses visioconférences par Zoom ou GoogleMeet. Nos enfants, les petits comme les plus grands, étaient ravis de voir leurs enseignantes et leurs camarades de classe. Plusieurs ont aimé avoir des échanges individuels avec leur enseignante titulaire, se sentant privilégiés d’avoir ce contact. En outre, ces cours virtuels ont donné un second souffle à la motivation de certains de nos enfants. Enfin, quelques-unes des enseignantes n’ont pas seulement adapté leur enseignement au contexte à distance; elles ont transformé cet enseignement en misant sur la classe inversée : des capsules vidéo expliquant des notions devaient être écoutées avant ou après le cours par les enfants, suivies d’activités à réaliser en grand groupe lors des rencontres virtuelles. Certaines enseignantes ont offert un accompagnement individuel ciblé pour chacun des enfants, notamment pour réviser des textes écrits et pour discuter plus longuement de règles de grammaire, de syntaxe, d’organisation de textes. Ceci aurait été difficile à faire pour une maman anglophone, mais aussi ces interventions individuelles requièrent plus de gestion en contexte régulier de classe, avec les autres enfants autour. Certaines enseignantes ont également utilisé le contexte dans lequel elles étaient pour enseigner des notions de façon ludique : à titre d’exemple, une enseignante a cuisiné une pizza avec les enfants afin de travailler les fractions.

Le premier défi est lié aux outils technologiques pour assurer l’enseignement à distance. Problèmes de connexion, méconnaissance de l’utilisation des outils par certaines enseignantes, parents qui ouvrent le micro malgré les consignes de l’enseignante; ce ne sont que quelques problèmes logistiques rencontrés. Le deuxième défi, abondamment relaté par les médias, fut la difficile conciliation entre les cours des enfants, les travaux et les lectures à faire entre ces cours et le travail des mères. Les planifications étaient parfois reçues à des moments différents pendant la semaine. Avec un enfant, c’est faisable. Mais avec deux ou trois enfants, c’est toute une gymnastique liée à la gestion d’agenda et aux outils technologiques ! En outre, le jeune âge des enfants impliqués requérait une présence parentale continue pendant les cours à distance. Devant ce défi majeur, nous avons mis l’accent sur ce qui nous semblait le plus pertinent dans les planifications des enseignantes et dans notre propre planification, en fonction du développement de nos enfants.

Le troisième défi, complexe, est lié à la fois à l’usage de l’écran, au développement et à la personnalité des enfants ainsi qu’aux activités d’enseignement-apprentissage mises en place. Si plusieurs de nos enfants étaient ravis par les cours à distance, certains étaient stressés par cette barrière inhumaine posée par l’écran lors des rencontres en plus grand groupe. Savoir que tous les autres camarades pouvaient les voir, regarder ses camarades à travers un écran; pour deux des enfants, aller devant l’ordinateur s’est avéré un enjeu majeur. Ainsi, une des enseignantes de 1re année a mis en place une activité intitulée Montre et raconte en visioconférence, chaque semaine à la même heure. Le but était de favoriser le développement de la compétence orale avec des sous-groupes de 5 élèves, toujours les mêmes. À tour de rôle, les élèves devaient montrer un dessin ou une construction de leur choix. L’idée à la base est intéressante. Toutefois, pour certains enfants, l’écran a ajouté au défi : la visioconférence a empêché en quelque sorte de créer un climat humain et chaleureux pour de jeunes enfants. Ainsi, deux de nos enfants, habituellement assez volubiles et confiants en classe, se sont avérés mal à l’aise, voire très stressés, car il y avait trop de personnes à l’écran. Malgré la préparation et les pratiques chaque semaine, ce fut très difficile de les aider à parler devant leurs camarades. Est-ce dû à leur âge ? À une timidité provoquée par le contact virtuel avec la classe ?

Enfin, pour certains enfants, les séances de cours virtuels en groupe ont perdu de leur intérêt avec le temps. En effet, il était de plus en plus difficile pour certaines enseignantes d’engager les élèves dans les tâches proposées, de solliciter leur participation, de freiner l’utilisation de la messagerie publique et privée disponible lors des visioconférences. Rapidement, interroger de manière aléatoire les enfants présents à l’écran fut une manière de garder leur attention et de s’assurer que la tâche soit faite. À la maison, une présence parentale continue dans la même pièce était nécessaire.

Les camps virtuels d’été (zoom summer camp)

Pour l’une des mères (enfants de 5 et 7 ans), des camps d’été virtuels gratuits ont été proposés : un pour le préscolaire lié à l’enrichissement du vocabulaire et un pour le premier cycle du primaire relativement à l’enseignement de stratégies de lecture. Ces camps de trois semaines ont eu lieu chaque jour de la semaine, en juillet. Nous dégageons des points positifs et des défis associés à cette expérience.

Les points positifs

Au départ, nous nous questionnions : qui seront les personnes qui vont enseigner virtuellement aux enfants ? Des jeunes sans expérience ? Finalement, ce sont des enseignantes d’expérience, motivantes et patientes, qui étaient responsables de l’enseignement. En situation virtuelle, l’effet enseignant (Hattie, 2012) est d’une importance capitale pour le bon déroulement des activités. Gérer une classe pour favoriser l’apprentissage des élèves (Martineau et Gauthier, 1999), avec de jeunes enfants et en ligne de surcroît, n’est pas non plus de tout repos. Avoir des enseignantes d’expérience représentait donc un point extrêmement positif, car un enseignement explicite des comportements à adopter a pu être enseigné dès le départ (Bissonnette et al., 2016) : attendre son tour de parole, activer le micro lors de son tour de parole, ne pas parler en même temps qu’une autre personne, ne pas faire de bruit inutile, s’asseoir correctement, etc.

Le niveau d’expérience des enseignantes s’est aussi vu dans la structure proposée pour les différents camps. Chaque semaine, un thème et son vocabulaire ont été exploités (le cirque, le camping, les animaux de la forêt, etc.). Différents supports ont été utilisés : des chansons, des lectures interactives, des vidéos, des jeux, des images, des devinettes, etc. Les enfants ont aussi fait de la lecture de mots ou de phrases à l’écran, ils ont écrit, ils ont dessiné, et ces activités ont été contextualisées en fonction des apprentissages (Sauvage Luntadi et Tupin, 2012). Il y a également eu une interaction entre les enfants et l’enseignante. Les enfants ont donc dû développer leur capacité d’écoute à l’écran et intervenir adéquatement en attendant leur tour de parole (Colognesi, Lyon Lopez et Deschepper, 2017; Lafontaine, 2013). Enfin, la rétroaction et le renforcement positif (Pieron, 1993) de la part de l’enseignante ont été deux éléments-clés pour développer le sentiment d’efficacité personnel (Bandura, 2003) des enfants et favoriser leur engagement à la tâche (Darveau et Viau, 1997; Viau, 1994) tout au long de ces camps.

Les défis

À la base, la structure du camp était bien pensée et diversifiée :

Tableau 1

Horaire du camp

Horaire du camp

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Il était prévisible de constater que la première source de défi a été liée aux problèmes techniques ou aux connaissances techniques. Avec une structure comme celle-ci (tableau 1), la mère a dû activer quatre hyperliens au minimum chaque avant-midi; huit lorsque deux enfants sont inscrits. À ceci, ajoutons les difficultés rencontrées comme un problème de son, une reconnexion/déconnexion ou une image qui alterne et qui suit le son chaque fois que quelqu’un prend la parole.

Nous avons pu constater que les enfants sont beaucoup trop jeunes à cet âge pour activer les hyperliens par eux-mêmes et se retrouver devant la structure d’un site web. Activer et désactiver le micro était déjà un très grand défi pour eux. En effet, ils n’ont pas encore développé les compétences informationnelles adéquates (Simard, Karsenti et Collin, 2013) pour naviguer par eux-mêmes en ligne et activer les hyperliens adéquats. Ceci est tout à fait normal, car ils sont des lecteurs novices : l’un est apprenti lecteur (5 ans) et l’autre est lecteur débutant (7 ans) (Giasson, 2003). Le parent doit donc toujours être présent pour soutenir les enfants.

De plus, les rencontres individuelles à partir de midi fonctionnent moins bien. Le fait d’avoir mis la période du dîner et la récréation entre l’avant-dernière période et la dernière période coupe le rythme. À 11h10, soit plus de deux heures de temps d’écran, les enfants en ont assez. Les rencontres individuelles devraient plutôt être en premier dans l’horaire pour ensuite enchaîner avec les autres activités. La gestion entre les différentes périodes où des demandes sont faites par les enseignantes constitue aussi un défi : aller chercher un crayon à mine, une gomme à effacer, du papier, etc. Cette demande est faite avant la pause; bien souvent, l’enfant ne s’en souvient pas lorsqu’il se connecte à l’hyperlien suivant. Il aurait donc été bien que le parent sache à l’avance le matériel nécessaire pour réaliser les activités de la matinée. Peut-être que l’intention était de responsabiliser l’enfant ? C’est possible.

Du côté de l’enfant, celui-ci doit apprendre à bien utiliser sa tablette en s’assurant que son image soit bien dans le carré de la photo et en activant son micro, au besoin. Du côté du parent, celui-ci doit gérer les activités en s’assurant que l’enfant est bien en train de réaliser le travail demandé et non occupé à jouer ou à faire autre chose. De plus, le parent doit gérer certains comportements inappropriés comme le fait de faire part à voix haute de son mécontentement (« Ce n’est pas encore fini ? ») ou d’utiliser le non verbal devant l’écran (visage renfrogné, soupirs). Le parent doit ensuite faire un retour pour mentionner à l’enfant que cette attitude est impolie et que ce ne sont pas de bons choix.

Par ailleurs, il peut être difficile pour l’enfant et l’enseignante de décoder, à l’écran, la signification de certaines attitudes liées au non verbal. En guise d’exemple, une des enfants prend beaucoup de temps pour réfléchir et elle n’ose pas parler si elle ne comprend pas. Ceci a occasionné de la frustration – et des pleurs – de la part de cette enfant, car l’enseignante a octroyé le temps de parole à quelqu’un d’autre pour donner la réponse. Ceci a donc joué sur le sentiment d’efficacité personnelle de l’enfant (Bandura, 2003). L’enseignante devrait donc poser plus de questions : m’entends-tu bien ? Est-ce que ton micro est ouvert ? As-tu bien compris la question ? Tu veux que je répète ? Je te donne encore quelques secondes pour répondre ? Cette difficulté rencontrée a soulevé l’importance de la collaboration et de la relation entre la famille et l’école (Deslandes, 2010). Des échanges par courriel ont suivi entre la mère et l’enseignante afin de mieux soutenir, de part et d’autre, l’enfant; ceux-ci ont permis de trouver des solutions positives pour l’enfant en question.

Enfin, avec les camps virtuels, beaucoup de temps est passé devant l’écran : près de deux heures et demie par jour. Cependant, comme le mentionnent Dion et al. (2020), « [un] temps d’écran supplémentaire peut être inévitable durant la pandémie, non seulement pour occuper les enfants, mais aussi pour aider les adultes à concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles. Même l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) le reconnait ». Les enfants ont donc été surexposés aux écrans depuis le début de la pandémie, que ce soit avec l’école à distance, pour maintenir le contact avec les grands-parents et les amis, ou encore pour permettre aux parents de gagner de précieuses minutes pour travailler. Un lâcher-prise « technologique » est nécessaire et il faut arrêter de culpabiliser (Dion et al., 2020).

Que retenir de ces différentes expériences ?

Les expériences vécues ont été porteuses en apprentissages pour les enfants et pour nous. La difficulté à parfois appliquer, en contexte familial, des principes que nous enseignons, et la fatigue engendrée par cette triple conciliation et superposition (travail-école-famille) nous ont forcé à revoir certains de nos modes de fonctionnement, autant au travail qu’avec nos enfants. Ainsi, planifier une activité d’enseignement-apprentissage pour nos étudiants en formation initiale des maîtres ou en formation continue nous a souvent permis de tester certains éléments sur nos propres enfants. Nous hésitions entre deux albums à présenter à nos étudiants pour travailler la littératie : nous les avons lus à nos enfants et ceux-ci ont tranché, avec argumentation à l’appui. Nous avons aussi testé une séquence d’enseignement basée sur quelques oeuvres de littérature jeunesse pour enseigner la littératie et la numératie. Ce ne sont ici que quelques exemples qui illustrent que cette situation a permis un certain effacement des frontières entre notre travail et l’école à la maison.

Plus largement, les expériences vécues soulèvent plusieurs questions. Ces difficultés rencontrées dans nos milieux respectifs l’ont été avec des enfants typiquement développés et des parents outillés. Or, elles existent également pour les enfants ayant des besoins particuliers, et d’autres peuvent survenir : enfants qui ne peuvent être assis longtemps, enfants avec des difficultés ou des troubles d’apprentissage, ayant un trouble du spectre de l’autisme… Comment s’assurer que l’enseignement-apprentissage en ligne, par visioconférence, réponde à l’ensemble des besoins de tous les élèves ? Comment s’assurer qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte ?

La deuxième question est celle de la socialisation des enfants par l’entremise des outils technologiques. Plusieurs spécialistes, dont des pédiatres (Manuguerra-Gagné, 2020), ont parlé de l’importance pour les enfants d’aller à l’école, entre autres pour socialiser (Bouchard et Fréchette, 2011). Si une certaine socialisation a existé par l’utilisation de moyens permettant les visioconférences entre les enfants, il demeure que celle-ci était limitée. Si l’enseignement à distance devait demeurer pendant quelque temps encore, comme assurer une véritable socialisation des enfants, mais aussi des adolescents ? Comment, dans un tel contexte, l’école peut-elle assurer sa mission de « socialiser, pour apprendre à vivre ensemble » (MEQ, 2006, p. 3) ?

La troisième est celle de la compétence numérique des enseignants. Certaines activités réalisées en ligne se sont avérées stimulantes et engageantes pour les enfants, notamment parce que les enseignantes impliquées avaient une excellente connaissance de l’utilisation adéquate et des potentialités pédagogiques de ces différents outils et supports pour l’enseignement-apprentissage. Au contraire, d’autres ont été davantage en mode magistral. Ce fut alors pour nous l’occasion de réfléchir à nos propres activités : offrons-nous une transposition de nos activités habituelles via une visioconférence ou faisons-nous une utilisation adéquate de ces outils ? Cette diversité d’expériences met en lumière le fossé existant dans la maîtrise de la compétence numérique des enseignants (Karsenti, 2019; MEES, 2019). Le (dé)confinement a révélé l’urgence de former adéquatement les (futurs) enseignants à l’enseignement au et avec le numérique, mais aussi la nécessité, pour les formateurs universitaires, d’être des modèles dans l’enseignement au et avec le numérique.

La dernière est celle de l’utilisation des lieux. Des travaux ont montré que l’enseignement extérieur – en nature, dans la cour d’école, dans un parc – agissait en soutien à l’apprentissage, en permettant entre autres de contextualiser les apprentissages (Kuo et al., 2019; Partoune, 2020). Non seulement ces lieux permettent de varier les méthodes d’enseignement-apprentissage, mais ils permettent plus facilement la distanciation sociale, et ce, tout en favorisant la socialisation des élèves. Il nous semble que le contexte actuel offre une belle occasion pour repenser l’utilisation que l’on fait des lieux à l’école et autour de l’école. Exploiter davantage les lieux entourant l’école ne serait-il pas une façon d’innover, tout en permettant de maintenir un enseignement-apprentissage en présentiel ?

La pandémie et les conditions sanitaires, parfois difficiles, qui lui sont liées représentent une occasion à saisir par le milieu de l’éducation pour revoir nos pratiques, nos modes d’organisation, (re)penser les manières d’enseigner et d’apprendre tout en favorisant la collaboration (Borges et Lessard, 2007). En d’autres mots, il faut repenser la profession enseignante, la transformer et la faire évoluer (Tardif et Lessard, 2004) à vitesse grand V. Être créatifs, penser et oser l’École en dehors du cadre habituel : voilà ce qu’il nous semble essentiel de mobiliser pendant cette période incertaine.

En guise de conclusion, la pandémie mondiale nous a permis de réaliser certains apprentissages : apprendre à nous concentrer rapidement, apprendre à travailler dans n’importe quel contexte, déterminer ce qui fonctionne bien et moins bien comme moyen/stratégie/méthode d’enseignement, apprendre de nos erreurs et, surtout, nous faire confiance comme première éducatrice de nos enfants. Pour nos enfants, la pandémie leur a appris à s’ennuyer, à gérer et à nommer leurs émotions (LaForge, Perron, Roy-Charland, Roy et Carignan, 2018), à créer de nouveaux jeux sans l’utilisation de la tablette, à jouer avec son frère ou sa soeur toute la journée en toute solidarité, à créer un monde imaginaire construit et reconstruit chaque jour à l’aide de figurines, d’objets divers provenant de la maison ou de la nature, etc. Mais, surtout, les enfants – et les mamans – ont appris le vrai sens du mot « résilience ».