Article body

Introduction et problématique

Apprendre son histoire par la discussion (Tozzi, 2010) est une voie privilégiée dans une société où la question nationale est aussi importante qu’au Québec (Bouvier et al., 2007, 2012). Dans un contexte de formation universitaire de futurs enseignants au baccalauréat en enseignement au secondaire québécois, comment peuvent-ils planifier et développer la pensée critique chez les élèves de 14 à 16 ans dans le cadre général de l’apprentissage de l’histoire du Québec et du Canada et dans celui, plus spécifique, du débat sur l’enseignement de l’histoire qui a eu cours au Québec de façon continue entre 2006 et 2017 ?

De façon plus précise et dans ce contexte, nous nous demandons comment les fondements et contenus disciplinaires de cette histoire nationale, de même que ses possibilités didactiques, peuvent être alimentés ou encore nourrir eux-mêmes le développement pertinent et cohérent de la pensée critique chez les adolescents québécois. À cela s’ajoute une autre question qui balise aussi ce texte, le tout étant lié à ce qui précède. L’histoire est en effet une discipline herméneutique, c’est-à-dire une discipline qui vise à interpréter des événements du passé et à leur donner de la signification. Or, cette donation de sens se fait toujours en fonction des interrogations présentes et celui ou celle qui s’interroge sur le passé (historien, enseignant, élève ou autre) le fait à partir de son inscription dans le présent (Grondin, 2006). Les questions posées ne sont donc pas neutres, elles reflètent les intérêts (au sens large) de la personne qui interroge. Cependant, si elles s’inscrivent dans nos intérêts présents, ces questions se rattachent aussi à une tradition de questionnements, à une tradition d’interprétation (Gadamer, 1996a et 1996b). Une question se pose alors. À quels intérêts présents et à quelle tradition interprétative notre enseignement de l’histoire renvoie-t-il ?

L’enseignement de l’histoire est donc bien évidemment plus que l’enseignement de dates et de noms. Il constitue une construction du sens du passé. C’est dire que cet enseignement présente un enjeu social majeur. C’est dire aussi qu’il peut y avoir plusieurs sens donnés au passé. Ces différents sens sont liés aux questions posées, lesquelles renvoient aux intérêts du « questionneur ». Est-ce à dire que toutes les questions se valent, que tous les sens sont d’égale valeur ? Non ! Comme le rappelle Gadamer (1996a), questionner est plus difficile que d’apporter une réponse. Cela, Socrate nous l’avait déjà enseigné. Pour savoir questionner, il faut être motivé à connaître et, pour cela, il faut savoir – ou avoir le sentiment – que nous ne savons pas. Une « bonne » question est celle qui ouvre à la connaissance précisément parce qu’elle présuppose l’ignorance de celui qui la pose. Une « bonne » question est celle qui ouvre au dialogue entre les différentes interprétations possibles du passé. Une « bonne » question est celle qui, tout en s’inscrivant dans une tradition de pensée, la questionne (Simard, 2004).

Ainsi, le contenu et la manière d’enseigner l’histoire nationale du Québec et du Canada sont une proposition de sens, une interprétation de cette histoire. S’il s’agit dans nos écoles secondaires de permettre aux élèves d’appréhender le passé en pratiquant la méthode historique, la situation didactico-pédagogique qui leur est proposée n’est pas neutre et leurs apprentissages en seront nécessairement teintés. Sommes-nous en mesure de faire de nos élèves des interprètes compétents du passé ? Est-ce que nous leur fournissons des outils de lecture de ce passé qui, tout en prenant acte des questionnements du présent, s’inscrivent dans une tradition interprétative féconde ? Et, en accord avec l’herméneutique, sommes-nous en mesure de développer chez eux la nécessaire pensée critique – pour l’essentiel la capacité à bien questionner – consubstantielle de toute approche herméneutique au sens où une tradition n’est jamais fixation, mais processus évolutif ? Comme le souligne pertinemment Gadamer : « Le savoir est fondamentalement dialectique. Seul a du savoir celui qui a des questions » (1996a, p. 388).

C’est dans ce contexte théorique, brièvement esquissé dans la problématique, qu’a été menée cette recherche dont nous rendons succinctement compte ici. Le présent, le passé lui-même et même l’avenir sont mis en interrelation dans un souci pédagogique constant de développement de la pensée critique chez les adolescents visés. « Ainsi se dessine l’un des mandats de l’éducation à venir : mettre en oeuvre des conditions qui permettent aux élèves de s’approprier, d’intégrer et d’organiser les connaissances en un tout cohérent, original et personnel, de se situer au sein des problèmes et des réalités complexes de son temps, dans son identité humaine et dans l’histoire » (Simard, 2002, p. 77).

Ce qui suit est la présentation succincte d’une recherche exploratoire (donc ayant une portée restreinte) menée auprès d’apprentis enseignants afin de les préparer à développer la pensée critique chez leurs futurs élèves.

Cadre de référence

Précisons sommairement ce qui est entendu ici par pensée critique. Pour l’essentiel, la pensée critique se veut à la fois une attitude et une capacité. C’est l’attitude de considérer les problèmes à analyser de manière rationnelle. C’est aussi la capacité à mener un raisonnement de façon rigoureuse. La pensée critique est donc une pensée guidée par la raison (Ennis, 1985). Ainsi, elle signifie que le sujet est capable de faire preuve d’exigence lorsqu’il interroge un problème, qu’il ne se laisse pas guider par ses émotions et ses préférences (à tout le moins sans les questionner). Signalons que nous n’avons pas voulu entrer ici dans le débat consistant à distinguer la pensée critique de l’esprit critique (voir à ce sujet l’article de Boisvert, 2000); c’est pourquoi nous n’utilisons que le premier terme.

Suivant les travaux d’Ennis, il est possible d’identifier un certain nombre de compétences propres à la pensée critique. Celles qui ont guidé notre investigation étaient : 1) l’évaluation de la crédibilité des sources; 2) l’analyse des arguments répertoriés en tenant compte des différentes positions exprimées; 3) l’évaluation des différentes définitions des concepts et des notions proposées par les auteurs; 4) la formulation claire d’une position personnelle, mais rationnelle; laquelle est en mesure de mettre en rapport notre compréhension préalable du problème avec notre nouvelle compréhension. Ces compétences nous semblent essentielles pour un enseignant d’histoire, car ce sont celles-là mêmes qu’il visera à développer chez ses propres élèves. Voyons maintenant la question de l’enseignement de l’histoire.

Le premier volet du débat qui a enflammé le monde de l’enseignement de l’histoire québécois depuis 2006 est basé sur une compréhension des enjeux qui n’est pas uniquement définie par les événements du passé: « elle s’enracine aussi dans le présent, dans les intérêts, les questions, les besoins, les attentes de sens et les préoccupations de l’interprète » (Ibid., p. 67). Le second volet, directement lié au premier, s’appuie quant à lui sur l’idée que l’histoire – nationale ou autre – doit être étudiée pour ce qu’elle fut, le plus authentiquement et objectivement possible (tout en sachant que l’objectivité est moins un état dans lequel on s’installe qu’un idéal régulateur). Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, pour développer la pensée critique chez les élèves, il nous semble impératif de ne pas taire la vision nationale des thématiques de l’histoire, mais plutôt d’enseigner les deux principales visions interprétatives de l’histoire du Québec-Canada, soit tout autant la mouvance nationaliste québécoise que la vision fédéraliste canadienne, par exemple.

Ainsi, pour éclairer ce qui précède, notons que Courtois avait déjà noté en 2009 que le cours Histoire et éducation à la citoyenneté au deuxième cycle du secondaire (MELS, 2007) était beaucoup trop au service du multiculturalisme canadien, au détriment d’une vision plus variée, notamment sur les plans politique et national du passé québécois et canadien. Quelques années plus tard, le Rapport Beauchemin (Beauchemin et Fahmy-Eid, 2014), notant lui aussi ce problème, prônait notamment une jonction mieux affirmée de l’histoire politique (très peu couverte par le programme de 2007 évoqué) et de l’histoire sociale en revampant ainsi le traitement équitable de la question nationale en enseignement de l’histoire… nationale. L’historiographie québécoise était d’ailleurs d’accord avec cela depuis des années (Comeau et Dionne, 1998), ce qui a été confirmé par l’introduction de Stan et plusieurs auteurs s’étant exprimé à la Commission Beauchemin dans un recueil de textes lui ayant été soumis (Stan, 2015). Éventuellement, dans le programme d’Histoire du Québec et du Canada (MEES, 2017) qui en découlera directement, les élèves du secondaire pourront communiquer et débattre en faisant connaître leurs points de vue en lien avec certains événements historiques (Bouvier, 2007), ce qui constitue l’objectif principal visé par cette recherche chez les étudiants en formation des maîtres. Conséquemment, on l’aura compris, nous entretenons des réserves en ce qui concerne les propos d’Éthier, Cardin et Lefrançois sur ce thème :

Or, le récit centré sur l’identification à une nation (civique ou ethnique) socialement homogène est mal adapté pour aider les élèves à se conscientiser à la lutte des opprimés de toutes les nations contre toutes les oppressions […] L’histoire-récit contribue en effet au maintien des relations sociopolitiques propres à un système socio-économique dont l’élite choisit les connaissances à «acquérir», au détriment d’autres apprentissages, ayant pour seul mérite de consolider son pouvoir en légitimant ses connaissances

Éthier, Cardin, Lefrançois, 2013, p. 101

Selon nous, en histoire, il ne saurait y avoir présentation de la matière sans une certaine mise en récit (Ricoeur,1986). Il s’agit moins de remplacer l’histoire-récit par quelque chose d’autre que de savoir quelle histoire-récit est privilégiée. Comme le rappelle judicieusement Bruner (1996, 2005), l’histoire est nécessairement une sélection de ce qui est jugé pertinent ou non (elle implique une forme d’évaluation des événements) et donc, ultimement, elle est proposition d’un récit, c’est-à-dire présentation d’une séquence d’événements et de leur raison d’être (pourquoi ce récit plutôt qu’un autre ou plutôt que le silence). Et, comme il le dit si bien : « Les modèles narratifs ne se bornent en effet pas à donner forme au monde; ils façonnent également les esprits qui cherchent à lui donner un sens » (2005, p. 40). En fait, un des aspects primordiaux de la pensée critique à développer en classe de secondaires 3 et 4 repose sur cette approche d’un débat à promouvoir et à construire :

La pensée critique est un processus circulaire de compréhension de soi devant le texte, laquelle compréhension facilite le jugement critique. Elle est sensible aux critères, au contexte historique et aux mécanismes symboliques mis en oeuvre dans la société. C’est un processus délibéré qui se développe grâce au dialogue au sein d’une communauté de recherche

Halhal, 2015, p. 118

Rappelons ici brièvement quelques aspects essentiels de l’herméneutique (principalement gadamérienne). Comme nous l’avons laissé entendre plus haut, la conception herméneutique de l’interprétation accorde notamment de l’importance à quatre facteurs : 1) un sujet qui interprète et qui est toujours situé socialement, culturellement, historiquement; 2) une pratique sociale de l’interprétation qui est toujours historiquement ancrée; 3) une temporalité de l’interprétant et de l’interprété; 4) donc, le résultat de l’interprétation est toujours lui-même situé.

Précisons quelque peu. La compréhension d’un phénomène est fonction de notre situation présente où s’expriment nos intérêts (situation herméneutique). Lorsqu’on tente de comprendre un phénomène, certaines questions ou préoccupations sont évidentes alors que d’autres sont peu ou pas du tout accessibles (horizon herméneutique). Ainsi, l’histoire n’est pas neutre, elle a un effet dans le temps qui se fait sentir et modèle notre manière de percevoir. « L’efficacité de l’histoire » détermine toujours d’avance ce qui sera pour moi objet de recherche et de questionnement (l’effet de l’histoire). C’est ainsi que Gadamer proposera de réhabiliter le concept de préjugé. Pour lui, on se comprend toujours, au départ, de manière spontanée, et ce, avant toute forme de réflexion. C’est pourquoi nos préjugés – plus que nos jugements – constituent notre réalité. En fait, il n’y a pas lieu d’être hors préjugé; qui plus est lorsqu’on aborde des questions historiques, donc relevant de la culture et du social. Par conséquent, l’horizon herméneutique – nos questions sur le monde – est formé de préjugés. Ces derniers, parce qu’ils nous fournissent des questions, rendent accessible ce qui est à comprendre. C’est par la compréhension que l’on départage les préjugés féconds de ceux qui ne le sont pas.

Dans ce cadre, la tradition est conçue comme une condition de la compréhension, car on ne comprend quelque chose qu’à partir d’une pré-compréhension, laquelle renvoie à notre inscription dans une histoire, donc une culture. La tradition n’est alors pas un savoir figé, mais doit être envisagée comme des réponses à des problèmes vécus (dialectique question/réponse). Ajoutons que, selon la tradition de pensée phénoménologique et herméneutique, nous ne construisons pas de sens; nous le co-constituons plutôt en dialogue avec la chose visée (ici l’histoire). Cette manière de comprendre le sens qui advient (et se surajoute au sens déjà là) évite ainsi un psychologisme naïf où l’ego apparaît comme souverain sur le monde. Je comprends un monde qui a déjà été compris et, le comprenant, je me comprends davantage, participant alors d’une compréhension renouvelée du monde (cercle herméneutique), car, comme le souligne Gadamer (1996), dès que l’on comprend, on comprend autrement. La tradition de la pensée phénoménologique et herméneutique met en évidence le fait que l’ego (l’élève) est en dialogue avec une chose (l’histoire) déjà porteuse de sens et qu’il y a toujours une historicité de la compréhension.

On voit donc que, dans l’approche herméneutique, la pensée critique est fondamentale et imbriquée à la compréhension véritable (Grondin, 2003). Cette dernière est nécessaire, puis harnachée à la capacité de questionner. Or, cette capacité à questionner est elle-même la conséquence de la maîtrise de savoirs non pas isolés, mais intégrés dans une logique. De plus, la pensée critique ne saurait se développer dans un trop grand néant identitaire, en niant trop fortement par exemple une histoire politique. Cette pensée critique s’ancre dans une démarche disciplinaire et dans la maîtrise d’un corpus de savoirs. Or, ce que propose l’école à travers son programme devrait ouvrir à cette pensée critique. L’imposition d’un « éditorial » par le programme limite alors la capacité des élèves à développer cette pensée critique.

Comme le dit encore Sami Halhal, la pensée critique est : « (…) un va-et-vient dialectique entre l’appropriation et la distanciation dont l’enseignement exigerait l’entrée de l’élève dans un processus de compréhension circulaire de soi, de l’autre et du monde, dans un processus qui fait appel à la conscience critique et historique » (Halhal, p. 118). Ainsi, au long de l’appropriation et de la distanciation évoquées ici, le second processus semble le plus difficile à réaliser, car c’est dans le mouvement même de l’appropriation que s’accomplit en creux le processus de distanciation. Autrement dit, ce qui est donné à s’approprier constitue ce qui donne, favorise ou nie la capacité de distanciation.

Quelques repères méthodologiques

Notre modeste enquête exploratoire s’est déroulée à l’hiver 2017 dans une classe d’étudiants en deuxième année de formation à l’enseignement secondaire en sciences humaines. Le cours en question vise à les outiller plus spécifiquement à enseigner à des élèves de 14 à 16 ans (secondaires 3 et 4) le ou les cours d’histoire nationale du Québec et du Canada en conformité avec le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Ce cours auparavant intitulé Didactique de l’histoire et de l’éducation à la citoyenneté au deuxième cycle du secondaire, porte maintenant le nom de Didactique de l’histoire nationale du Québec et du Canada à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Cette mutation des titres est représentative de l’évolution du programme d’enseignement ministériel québécois au cours de cette période dont le second volet est devenu officiel au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur à l’été 2017 (MEES, 2017), à la suite d’un débat intense dans les milieux intéressés à l’enseignement de l’histoire depuis 2006 à propos du programme liant alors spécifiquement l’histoire à l’éducation à la citoyenneté au deuxième cycle du secondaire, son titre même l’indiquant d’ailleurs (MELS, 2007), tel que nous l’avons vu plus haut.

Revenons à la classe de didactique à l’UQTR. Vingt-trois étudiants (des deux sexes) ont participé à la recherche. Les étudiants devaient se procurer un imposant recueil regroupant l’immense majorité des textes publiés à ce sujet au Québec et même au Canada français parfois. Les étudiants devaient donc se prononcer sur le développement possible de la pensée critique avec d’éventuels élèves de secondaire 3 et/ou 4 qui leur seraient bientôt confiés. Pour ce faire, ils devaient interpréter ces lectures en mettant de l’avant leur propre pensée critique. Des textes sur la pensée critique leur avaient été préalablement fournis, notamment ceux de Simard (2002), de Sasseville et Gagnon (2012) et de Halhal (2015), non sans avoir au préalable vérifié leur compétence initiale auprès d’eux. Cette vérification a permis de constater que, pour l’essentiel, les étudiants ne maîtrisaient pas complètement et de façon aléatoire les compétences de base nécessaires à la pensée critique, à savoir, rappelons-le : 1) l’évaluation de la crédibilité des sources; 2) l’analyse des arguments répertoriés en tenant compte des différentes positions exprimées; 3) l’évaluation des différentes définitions des concepts et des notions proposées par les auteurs; 4) la formulation claire d’une position personnelle, mais rationnelle qui soit consciente de sa position initiale.

Signalons que les étudiants avaient à intégrer la méthode classique de l’analyse des sources, laquelle se base sur les éléments suivants : 1) le qui (auteur); 2) le quoi (nature de l’information); 3) le où (provenance de l’information); 4) le quand (situer l’information dans son contexte); 5) le comment (type d’argumentation); 6) le pourquoi (objectif ou motivation de l’auteur). Une source ou un point de vue devant pouvoir répondre de manière limpide à ces questions.

Formés à la pensée critique, mis en présence du débat sur l’enseignement de l’histoire, les étudiants étaient donc conduits à réfléchir dans le but de développer une position argumentée en tant que futurs enseignants. En conformité avec la position de Tozzi (2010), nous leur faisions vivre ensuite un débat dans lequel les positions principales et leurs nuances pouvaient s’exprimer (Bouvier et al., 2007 et 2012). De plus, nous leur donnions comme tâche de rédiger un texte individuel d’une dizaine de pages où ils devaient relier ces deux thèmes, c’est-à-dire l’enseignement de l’histoire nationale à d’éventuels élèves en lien avec le développement de la pensée critique qui peut s’y rattacher.

C’est de cette prose que nous tirons nos résultats de recherche.[1] Les données de recherche que nous présentons et dont nous discutons brièvement ci-après proviennent donc des écrits que les étudiants devaient remettre. Cette remise se faisait le jour même d’un débat oral en classe sur ce même thème. L’analyse thématique que nous avons effectuée sur le corpus écrit reposait sur les principales caractéristiques de la pensée critique déjà présentées plus haut.

Brève présentation et discussion de quelques résultats

Dans ce qui suit, nous rendons compte, trop sommairement, nous en sommes conscients, des quelques résultats que notre modeste recherche exploratoire a permis de mettre au jour. Commençons par la pensée critique.

D’abord, il appert que les étudiants ne prennent pas en compte spontanément la pensée critique lorsqu’ils pensent à leur rapport à l’histoire. Globalement, leur perception de l’histoire n’est donc pas immédiatement critique et ils ne voient pas l’histoire comme une discipline qui implique intrinsèquement la pensée critique. L’histoire leur apparaît comme une science positive portant sur des faits. Si la posture critique n’est pas spontanée, elle peut toutefois se développer si les situations didactico-pédagogiques le permettent. Plusieurs étudiants (à des degrés divers, il faut bien le dire) ont ainsi pris conscience de l’intérêt de la pensée critique non seulement pour eux-mêmes en tant que futurs enseignants d’histoire, mais aussi pour les élèves à qui ils enseigneront.

Afin de développer leur capacité à analyser les sources qu’ils utilisaient, chaque étudiant devait systématiquement se poser les questions suivantes (déjà mentionnées dans la section méthodologique) : 1) qui est l’auteur de cette source; 2) sur quoi porte cette source, 3) d’où provient l’information, 4) situer l’information dans son contexte temporel, 5) quels sont les arguments adoptés, 6- quel était l’objectif ou la motivation de l’auteur. C’est ainsi que les vingt-trois étudiants ont produit des fiches de lectures. Il leur était alors possible de mettre en perspective chaque source consultée. Dans un sens, on peut affirmer que ce travail constituait un préalable au développement de la pensée critique.

Une fois ceci fait, il est apparu à plusieurs que l’histoire apparaît moins comme une science positive qu’une science essentiellement herméneutique : « l’interprétation est une question de point de vue » (étudiant #15) ; « un même événement historique n’a pas toujours été analysé de la même manière selon les époques » (étudiant #11). Le danger ici est toutefois de sombrer dans un relativisme nihiliste, d’où la nécessité d’interroger non seulement la qualité des sources, mais aussi celle des arguments. À partir des fiches, les étudiants devaient donc confronter les arguments des différentes sources afin de les analyser et de soupeser.

Ainsi, l’adoption d’une pensée critique est apparue peu à peu pour eux liée à la maîtrise des connaissances à enseigner et, également, à la capacité à comprendre les points de vue différents (voir adverses). Ainsi, à titre d’exemple, l’étudiante #6 souligne : « L’herméneutique ouvre des perspectives au développement de la pensée critique à l’école ». Dans le même esprit, l’étudiant #7 affirme : « Bouvier (2007) explique que pour développer un esprit critique chez les élèves, il est impératif de ne pas se taire sur la vision nationale des thématiques de l’histoire, mais bien d’enseigner les deux visions, soit autant le côté nationaliste que fédéraliste pour que les élèves puissent communiquer et débattre sur leur point de vue en rapport avec certains événements historiques […] C’est pourquoi Bouvier dénonce le programme de devenir une propagande historique fédéraliste en retirant » […] Ces deux étudiants mettent en évidence par leurs propos que la « neutralité » n’est possible qu’en donnant accès aux divers récits et non pas en masquant un récit par rapport à un autre. Dans un sens, on peut dire qu’ils semblent avoir saisi un des aspects fondamentaux de l’herméneutique et, partant, de la pensée critique.

Au terme de leur exploration, les étudiants devaient – conformément aux compétences de base de la pensée critique – exposer clairement leur position. Cette position devait être argumentée et reposer sur des sources de qualité.

Conformément à l’approche herméneutique, les étudiants ont été amenés à mettre au jour leurs propres préjugés. Par exemple, quelle est ma position vis-à-vis la question nationale ? suis-je souverainiste ? fédéraliste ? sans réelle opinion ? Ce questionnement leur permettait une première objectivation de leur pensée. Ce faisant, avant même d’analyser les sources en tant que telles, les étudiants étaient conduits à se situer comme sujets qui visent à comprendre : « je ne m’étais jamais trop interrogé sur mes options politiques en matière de souveraineté, je me rends compte que je suis plutôt pour l’indépendance » (étudiant #22).

Cette mise au jour, cette objectivation de leurs préjugés jetait les bases d’une prise de conscience de la tradition (au sens de Gadamer) à laquelle ils ou elles appartenaient. De manière plus générale, cela leur permettait de constater que le discours sur la question nationale possède en lui-même sa propre tradition (constituée des divers discours souverainistes ou fédéralistes produits au fil des décennies) : « je ne pensais pas qu’on avait tant écrit à ce sujet » (étudiant #2). L’étudiant #8 souligne pour sa part :

Les éléments conflictuels de notre histoire doivent être connus par les élèves, car ils font partie de notre histoire. Enseigner une histoire qui met de côté les conflits afin d’éviter les tensions n’est pas la solution. […] Pour qu’il y ait une véritable éducation à la citoyenneté, il est important que l’étudiant connaisse son histoire nationale. […] Il ne faut pas éviter les débats pour que l’élève puisse devenir un bon citoyen. Le débat et la liberté d’expression font partie de la démocratie, mais la censure fait partie de la dictature.

De son côté, l’étudiant #11 précise que « l’utilisation de la pensée critique et de la méthode historique implique la connaissance des événements et des deux côtés d’une histoire ». Il poursuit en évoquant ses réticences quant aux différentes versions au programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté de 2007 et en citant Geneviève Nootens en appui : « Il est impossible d’avoir une véritable intelligence des enjeux sociaux sans un solide sens historique. Il ne pourrait par exemple être question d’occulter certains faits historiques même s’ils sont conflictuels » (Nootens, 2006). Il y a ici, selon la logique de l’herméneutique, développement de la capacité de l’étudiant à s’interroger sur les discours et ainsi à préciser sa position personnelle.

Nous nous permettons ici de citer longuement l’étudiant #8 :

Pour qu’il y ait vraiment la construction d’un esprit critique chez l’élève, il doit y avoir l’enseignement d’une histoire qui est vraie et non réduite, afin d’éviter les conflits. En ayant ce bagage de connaissances, il sera davantage envisageable que l’élève puisse développer un esprit critique. […] Le programme [de 2007] dissimule pour ne pas choquer, cependant connaître les passages les plus sombres de notre histoire est plus que favorable pour le développement positif et la progression d’une société. En connaissant les événements qui sont considérés comme étant conflictuels, il peut y avoir réflexion et amélioration par la suite. Toutefois, avec le programme c’est tout le contraire qui est fait, on évite la chicane et on donne l’illusion que tout est beau. Comment est-il possible d’éduquer à la citoyenneté et de développer une société si les citoyens ne connaissent pas réellement les caractéristiques de leur société et les raisons pour lesquelles leur société est devenue celle qu’ils connaissent aujourd’hui.

Cet extrait laisse voir la prise de conscience d’une position critique vis-à-vis l’enseignement de l’histoire, le programme et les sources. Il démontre l’adoption d’une position personnelle argumentée. Cependant, l’expression « d’une histoire qui est vraie » peut laisser entendre que cet étudiant n’a pas totalement tourné le dos à une vision positiviste de l’histoire et qu’ainsi, l’intégration d’une posture herméneutique est plus ou moins réussie.

Dans la même veine, l’étudiante #6 avance :

En lien avec le texte de Sami Halhal, le cours d’histoire au secondaire devrait illustrer ce qui se rapporte au concept herméneutique [de cet auteur]. L’herméneutique ouvre des perspectives au développement de la pensée critique à l’école. Donc, c’est pour cette raison que les cours d’histoire au secondaire devraient être le plus neutre possible. De cette façon, les élèves seront confrontés aux vrais faits et ils seront en mesure de construire leur propre pensée critique.

Une fois de plus, nous sommes ici à la fois devant le développement de la capacité à questionner et devant l’ébauche d’une prise de position claire, signes d’une certaine intégration des principes de la pensée critique et de l’herméneutique. Comme pour l’étudiant #8, l’expression « les élèves seront confrontés aux vrais faits » laisse toutefois entendre que la vision herméneutique de l’histoire est peu intégrée.

Considérations théoriques post-activité

L’école propose inévitablement des valeurs et des savoirs au détriment d’autres valeurs, d’autres savoirs. En cela, l’école n’est jamais neutre. Cependant, cette absence de neutralité s’inscrit dans un système de valeurs à la fois énoncé et légitimé dans le projet éducatif que l’on retrouve notamment dans les programmes scolaires. Cela étant, un programme scolaire tel celui balisant l’histoire du Québec et du Canada à l’ordre secondaire ne peut, selon nous, faire abstraction dans une bonne mesure de l’effort constant de neutralité interprétative se basant à tout le moins sur les recherches historiques et le développement historiographique récents.

Dans cet esprit, l’association décrétée par le ministère de l’Éducation du Québec de l’histoire et de l’éducation à la citoyenneté entre 2007 et 2017 dans ce programme d’histoire nationale n’aurait pas dû faire l’économie de recherches approfondies et ouvertes sur cette question (Lefrançois, 2006). De la même façon et au nom de l’objectivité historique elle-même, puis du développement approprié, possible et sain de la pensée critique en aval en classe, un tel programme, et au nom même de cette association de l’éducation à la citoyenneté à l’histoire nationale, aurait dû donner une place bien plus importante à la question nationale (Bouvier, 2007, Sarra-Bournet, 2007 Rouillard, 2007, Seymour, 2007, dans Bouvier (dir.), 2007). Pendant cette longue décennie (2006-2017), c’est plutôt le contraire qui a été capté comme message ministériel. C’est sans doute une bonne part des raisons qui expliquent que le ministère en soit venu à soustraire la compétence relative à l’éducation à la citoyenneté du programme d’histoire du Québec et du Canada de 2017 (MEES, 2017). Même le Rapport Beauchemin (Beauchemin et Fahmy-Eid, 2014), qui avait pourtant été conçu surtout sous l’angle fort souhaitable de la jonction dorénavant majeure de l’histoire sociale et de l’histoire politique, n’allait pas si loin quant à l’évacuation de l’éducation à la citoyenneté en ne proposant pas de retirer cette dernière comme compétence prescrite du programme ministériel qui en découlerait (MEES, 2017).

La pensée critique ne peut se développer que sur un fond de connaissances partagées et de maîtrise minimale de concepts centraux. Si elle implique dans le cours d’histoire une posture de neutralité de la part de l’enseignant (pour qui l’objectivité doit être un horizon régulateur), il n’en va pas de même pour les élèves. Toutefois, ceux-ci doivent apprendre à accueillir les idées « adverses » et à les juger à leur mérite. Il s’agit d’un idéal très élevé que, disons-le, bien peu de citoyens adultes atteignent eux-mêmes. Néanmoins, il s’agit d’un idéal nécessaire. La pensée critique se nourrit donc de connaissances, certes, mais aussi d’une posture éthique, une éthique de la discussion (Apel, 1994). Par ailleurs, la pensée critique implique une compétence interprétative. Celle-ci, appuyée sur des connaissances solides, permet la prise de distance face aux discours et aux récits historiques. Les « allants de soi » sont alors questionnés afin qu’émerge une nouvelle compréhension de l’histoire partant aussi du présent.

Si la critique est une chose facile, la pensée critique, elle, ne l’est pas. La première est une posture « du sens commun » non critique justement de ses prémisses. La seconde est une posture nourrie et fondée sur des savoirs solides et passée au crible de la critique elle-même, ce qui était la posture de base du travail demandé aux étudiants. Notons que les étudiants étaient pleinement au fait de cela, étant explicitement invités à s’opposer aux écrits du professeur, s’ils le désiraient. En effet, la pensée critique n’est pas critique de la seule pensée « des autres », mais aussi critique d’elle-même, elle est un processus de questionnement ouvert et continuel, ce que permet davantage et justement la jonction récurrente de l’histoire politique et sociale sur les plans disciplinaire et interprétatif.

Une autre façon d’envisager le développement de la pensée critique est de s’assurer que cela se fasse en amont de ce cours d’histoire nationale du Québec et du Canada, voire dès le niveau élémentaire en faisant en sorte que les élèves y développent des outils appropriés en ce sens en participant par exemple à une communauté d’apprentissage dont le développement de la pensée critique est l’objectif central (Sasseville et Gagnon, 2012). Il s’agit là d’une façon d’envisager cette problématique en effet, mais il convient d’ajouter que la nécessité de développer la pensée critique dans ce cours d’histoire du deuxième cycle du secondaire (Bouvier, 2007, 2012; Éthier, Cardin et Lefrançois, 2013; Stan, 2015) fait consensus chez les didacticiens de l’histoire québécoise. Simplement, l’opposition vient du traitement de la question nationale à prendre de front ou à plus ou moins occulter dans le traitement de l’histoire du Québec. D’où l’utilité, croyons-nous, de la présente recherche et de ce qui la sous-tend quant au nécessaire développement de la pensée critique en formation des maîtres, d’une part. D’autre part, comment développer efficacement la pensée critique sans donner sa juste place à une vision large de l’histoire, vision qui prend en compte (le plus possible) l’ensemble des points de vue ?

Bien entendu, notre recherche n’a pas la prétention de dégager des données généralisables. Ce n’est pas l’objectif d’une recherche exploratoire. Plus humblement, nous voulions soulever des questions, mettre en lumière des éléments à explorer plus en profondeur et mettre également en évidence le fait que dans le cadre de l’enseignement de l’histoire, non seulement le développement de la pensée critique est nécessaire, mais celui-ci gagne aussi à s’ancrer dans une réflexion sur une question qui a traversé toute l’histoire du Québec – la question nationale –, question qui, lorsqu’elle est laissée dans l’impensé de la pensée, nuit à la compréhension des événements passés et présents (Beauchemin et Fahmy-Eid, 2014; Stan, 2015).

Formés à la pensée critique et appelés à réfléchir sur la place qu’ils lui donneront dans leur enseignement, les étudiants avec qui nous avons travaillé semblent pour la plupart avoir saisi, d’une part, l’importance de la qualité des sources et, d’autre part, avoir compris qu’une prise en compte des différentes traditions de pensée est capitale lorsque vient le temps de comprendre un phénomène. Sans qu’ils le conçoivent explicitement et conceptuellement, ils ont donc été conduits à souscrire aux principes de l’herméneutique gadamérienne, principes que nous pouvons résumer comme suit.

Comme l’herméneutique gadamérienne nous l’apprend, toute compréhension repose sur une précompréhension ou, si l’on veut, sur une structure d’anticipation qui renvoie à la tradition dans laquelle vit l’interprète. Cette précompréhension modèle les préjugés (conçus ici non pas négativement, mais comme dimensions inévitables de notre processus de compréhension du monde) dont nous sommes tous porteurs. Dans la pensée critique, cette compréhension préalable doit être systématiquement comprise réflexivement, car l’explicitation d’une compréhension préalable est nécessaire au processus d’interprétation d’un phénomène. La pensée critique exige et permet tout à la fois la mise en rapport d’une précompréhension avec une compréhension plus approfondie.

Développer la pensée critique, c’est comprendre que la tradition n’est pas une chose que nous pouvons mettre de côté (Simard, 2002). C’est réaliser que nous appartenons d’abord à une tradition historique et que c’est à partir de celle-ci que nous abordons les choses. Par conséquent, nos interprétations ne sont jamais neutres, mais toujours « conditionnées » par la tradition dans laquelle nous vivons. La tradition est à la fois ce qui limite notre compréhension et ce qui la rend possible, à la fois ce qui la contraint et ce qui l’ouvre (Grondin, 2006). La pensée critique est fondamentalement herméneutique.

Si la compréhension est conditionnée par une tradition historique, celle-ci vient à nous à travers le langage (Gadamer, 1996a; Simard, 2004). Le langage n’est donc pas un outil neutre, extérieur à l’interprète, mais le véhicule même des traditions interprétatives. Là encore, une formation à la pensée critique permet de vérifier que nous appartenons au langage de la même manière que nous appartenons à l’histoire. Le langage – les discours sur un phénomène – doit être questionné. Autrement dit, qui parle ? Sur quoi prend-il la parole ? D’où parle-t-il ? Quand, comment et pourquoi l’a-t-il fait ? En ce sens, expérimenter la pensée critique, c’est comprendre que le « travail de l’histoire » à travers le langage n’est pas entièrement transparent; il dépasse notre subjectivité, la limite et la rend possible.

La pensée critique doit aussi mettre de l’avant une dimension positive, à savoir des propositions d’action, des alternatives. La compréhension comporte alors une dimension productive qui se situe entre la création spontanée et la pure et simple reproduction (Simard, 2002 et 2004). Si la compréhension s’enracine d’abord dans une tradition interprétative qui la limite et la rend possible, elle n’est toutefois pas une simple reprise de la tradition (Gadamer, 1996a et 1996b). Comme nous avons pu le comprendre à partir de ce que nous avons déjà dit plus haut, la compréhension s’enracine dans le présent, dans les intérêts, les questions et les préoccupations de l’interprète. En ce sens, la compréhension ne peut reproduire exactement la tradition; elle est vouée par nature à produire du changement. Il y a toujours, ne serait-ce que minimalement, variation de la pensée (Grondin, 2003). Toute compréhension comporte donc une production, à la fois une transformation de soi et de la tradition.

Si la compréhension s’enracine aussi dans le présent, dans les questions, les intérêts, les préoccupations et les attentes de sens de l’interprète, en d’autres termes si l’interprète est constitutif de la vérité herméneutique, c’est que la compréhension comporte un aspect d’application à soi, une compréhension de soi (Gadamer, 1996a). Comprendre, c’est traduire dans ses propres termes, en fonction de sa situation. Cette application relève d’une recherche de sens (Apel, 1994).

Nous ne disposons jamais d’une compréhension achevée du monde (Grondin, 2003 et 2006). C’est que notre compréhension est toujours provisoire, sujette à révision (Simard, 2002). Comprendre est un projet sans fin. Cette ouverture de la compréhension possède la structure logique de la question. Par le questionnement, on s’ouvre à de nouveaux sens. La compréhension obéit à la dialectique de la question et de la réponse.

Pour développer la pensée critique (qui est, rappelons-le, une attitude et une capacité) chez leurs futurs élèves, les apprentis enseignants gagnent à expérimenter eux-mêmes ce mode de pensée. Pour ce faire, des exposés magistraux, s’ils ne sont pas inutiles, se révèlent nettement insuffisants. Les étudiants en formation initiale doivent plutôt s’approprier non seulement les fondements de la pensée critique, mais aussi la démarche que nécessite celle-ci. L’évaluation de la crédibilité des sources, l’analyse des arguments répertoriés en tenant compte des différentes positions exprimées, l’évaluation des différentes définitions des concepts et notions proposées par les auteurs, enfin la formulation claire d’une position personnelle, mais rationnelle, tout cela nécessite une longue préparation et beaucoup de pratique (Éthier, 2007). C’est ce qu’humblement nous avons tenté de faire avec eux. Bien évidemment, un seul cours ne peut permettre une maîtrise approfondie de la pensée critique. Cette dernière devrait être développée dans tous les cours des programmes de formation à l’enseignement.

Conclusion

C’est donc précisément dans cet esprit que nos futurs enseignants en didactique de l’histoire du Québec et du Canada sont formés. Il s’agit pour eux de prendre conscience et de réfléchir au type d’objectivité possible et de compréhension du passé national qu’ils favorisent chez les adolescents qui leur seront confiés au long de leurs années d’enseignement. Pour ce faire, il n’y a pas de doute que prendre en compte de façon équilibrée – et aussi juste que possible historiquement – les volets politique, économique, social et culturel de notre passé collectif constitue une base aussi souhaitable que porteuse, pensons-nous; le tout favorisé par le développement, aussi bien en amont qu’en aval, du processus cognitif de l’élève, qui ne pourra ensuite qu’évoluer au gré d’une compréhension mieux affirmée parce que critique dans son essence même.

Nous l’avons laissé entendre plus haut, l’herméneutique insiste sur l’appropriation de la tradition de pensée propre à un domaine ou à un objet. Ainsi, l’histoire d’une nation ou d’un pays ne peut entièrement remplir son rôle si une partie de celle-ci est occultée. Une lecture partielle ou partiale de l’histoire nuit à notre capacité à lui donner un sens appuyé sur une vue d’ensemble du passé. Une vue partielle et partiale ne permet donc pas le développement de la pensée critique, car elle présente une vision simpliste de l’histoire. Non seulement les conflits qui traversent l’histoire d’un peuple ou d’une nation font partie de la culture, mais ils sont aussi intégrés dans la tradition des discours qui ont porté sur cette histoire. En ce sens, les conflits sont une partie intégrante de la tradition de pensée. Leur présentation est donc essentielle pour que l’élève puisse apprécier de manière critique son histoire. Développer la pensée critique des futurs enseignants, c’est donc accroître chez eux la capacité à prendre en compte l’ensemble de la tradition de pensée sur l’histoire du Québec et du Canada, tradition qui est traversée par des courants de pensée divers et concurrents.

Développer la pensée critique chez les futurs enseignants au secondaire n’est pas une mince affaire et notre réflexion, s’appuyant sur une modeste recherche exploratoire, soulève plus d’interrogations que de réponses. Des questions demeurent et nécessiteront des recherches de plus grande envergure. Quelle est la profondeur des apprentissages réalisés par les étudiants ? Ces apprentissages se maintiennent-ils dans le temps ? Les étudiants sont-ils en mesure de transférer ces apprentissages dans leur pratique (on pense notamment aux stages) ? Dans quelle mesure leur représentation de l’histoire a-t-elle changé (passant, par exemple, d’une vision plutôt positiviste à une vision davantage herméneutique) ? Quelles seraient les activités pédagogiques les plus susceptibles de favoriser le développement de la pensée critique en histoire ?