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Nous vous présentons deux textes qui abordent quelques idées pédagogiques. Lisez-les et tentez de deviner en quelle année ces textes furent écrits.

Spécimen 1

« Des mots-clefs étaient associés aux grands principes de la réforme scolaire. [...] Avant XXXX, les règles d’orthographe et de grammaire étaient dictées ou écrites au tableau et apprises par coeur conformément aux méthodes d’apprentissage intensif. Après la réforme, ce type d’apprentissage (drill) fut abandonné et on encouragea les enfants à découvrir par eux-mêmes ces règles. Les travaux de rédaction étaient d’abord exécutés librement, sans qu’on accordât une importance particulière à l’orthographe ou la grammaire. Ce n’est qu’après l’acquisition d’une certaine facilité dans l’expression écrite qu’on introduisait la grammaire et l’orthographe correctes dans le texte écrit par l’élève.» [1]

Spécimen 2

« L’étudiant est différent d’un autre par rapport : à ses intérêts, à ses préoccupations, à son rythme, à son style cognitif, à ses talents. […] Il sera donc important pour l’éducateur de favoriser des situations d’apprentissage assez larges pour permettre de respecter ces différences. […] Les étudiants doivent avoir la possibilité de choisir entre plusieurs activités pour répondre à leurs intérêts et à leurs préoccupations. […] Ces activités doivent favoriser l’intégration des différents champs disciplinaires et permettre à l’étudiant de jouer un rôle actif. »[2]

En quelle année ces textes furent-ils écrits? En 1990? En 2010? S’agit-il de « Nouvelles pédagogies du 21e siècle »? Le premier spécimen réfère à la pédagogie de Wittgenstein en 1920 (Bartley, 1978), il y a un siècle, et le deuxième spécimen a été écrit par Paquette (1979), il y a quarante ans. Le premier extrait s’inscrit dans le courant des « Nouvelles pédagogies », tandis que le deuxième extrait représente certaines des orientations de la Pédagogie ouverte, telles que formulées par Claude Paquette. Il faut savoir que la Pédagogie ouverte est un des sous-courants issus des Nouvelles pédagogies bourgeonnant il y a un siècle. De toute évidence, sous le vocable d’innovations pédagogiques, il est possible de retrouver des idées pédagogiques faussement « nouvelles ». Comme le souligne à juste titre Tricot (2017) : « On a parfois tendance à nous présenter comme “innovantes” des pédagogies qui relèvent du pur recyclage » (p. 162).

Dans le cas de la Pédagogie ouverte, encore populaire au Québec, faut-il rappeler les résultats du projet Follow Through? Cette étude quasi-expérimentale, la plus imposante réalisée auprès d’élèves provenant de milieux défavorisés, indique clairement que les élèves en Pédagogie ouverte sont affectés négativement, comparativement aux élèves des groupes contrôles, sur un ensemble de mesures incluant le rendement scolaire, le développement des habiletés de résolution de problème et l’estime de soi (Watkins, 1997). À cela s’ajoutent quatre méta-analyses ayant comparé les effets de la Pédagogie ouverte à l’enseignement régulier qui indiquent que cette pédagogie n’offre aucun avantage sur le rendement des élèves (Hattie, 2015).

À la lecture de ce qui précède, vous vous demandez peut-être pourquoi de vieilles idées invalidées par la recherche reviennent à la surface ou pourquoi l’histoire de la pédagogie bégaie[3]. Le manque de rigueur du monde scolaire peut expliquer le bégaiement malsain de la pédagogie. L’analyse de l’implantation des innovations pédagogiques donne une vue assez imprenable sur le peu de rigueur du monde scolaire. Dans ce monde, lorsqu’une innovation est choisie, est-ce que cette innovation a toujours été précédée d’une analyse critique des recherches expérimentales sur cette innovation avant de l’implanter? Presque jamais, que cela soit au niveau du personnel enseignant, de l’école, de la commission/conseil scolaire ou du ministère de l’Éducation. On semble préférer les croyances et les discours théorico-idéologiques de l’heure. Maintenant, une fois la décision prise d’appliquer l’innovation choisie, en ayant consulté ou non les recherches scientifiques pertinentes, est-ce que l’on prévoit une évaluation systématique et objective avant l’implantation de l’innovation (pour avoir un niveau de base) sur le rendement (ou la variable que l’on veut améliorer) ainsi qu’après son implantation pour vérifier si l’effet escompté est au rendez-vous? Rarement, mais lorsque cela est fait par le ministère ou un autre intervenant du système scolaire, la procédure d’évaluation des effets est plus que partielle et le degré de qualité de la procédure d’évaluation est généralement tellement faible qu’aucune généralisation ne peut en découler. Le rapport sur le suivi des écoles ciblées produit par le ministère de l’Éducation (2000) au début de la réforme de l’éducation québécoise est un bel exemple d’une procédure d’évaluation non rigoureuse des effets d’une innovation, qui fut un changement majeur au Québec. Ce rapport est basé sur un questionnement des acteurs et aucune mesure comparative du rendement ne fut administrée auprès de ceux qui ont bénéficié de la réforme par rapport à ceux qui n’en ont pas bénéficié.

Plusieurs prétendues « innovations » pédagogiques ne sont que des idées centenaires dont certaines ont été invalidées par la recherche scientifique et peuvent être considérées comme des mythes pédagogiques, dignes du Phénix. Tricot (2017) analyse neuf innovations pédagogiques, à la lumière de données probantes, qu’il qualifie de mythes pédagogiques (faire manipuler permet de mieux faire apprendre, l’approche par compétences est plus efficace, etc.). D’autres chercheurs ont également publié sur les mythes pédagogiques (Christodoulou, 2014; De Bruyckere, Kirschner et Hulshof, 2020). Kirschner et De Bruyckere (2017) ont déboulonné le mythe des « enfants natifs du numérique ». Ces derniers n’existent pas et n’ont pas de capacités particulières leur permettant de faire du multitâche. Plusieurs de ces mythes pédagogiques pointés par ces chercheurs occupent toujours une place prépondérante dans l’environnement pédagogique d’aujourd’hui.

Pour diminuer notre bégaiement pédagogique, nous aurions avantage à investir dans les approches dont l’efficacité est montrée. Il serait aussi avantageux de toujours inclure des procédures d’évaluations systématiques des effets escomptés des actions posées. Pour y arriver, il serait bien également de mettre au menu des formations universitaires en pédagogie des cours portant sur l’histoire des courants pédagogiques et de leurs effets. Tout cela nous permettrait de dire « Je me souviens » (devise québécoise, que l’on retrouve sur les plaques d’immatriculation), lorsqu’on nous présente une pseudo-innovation pédagogique comme un produit « nouveau » pur jus et cela nous éviterait de participer à la réincarnation infinie des mêmes culs-de-sac pédagogiques.

Spécimen 1

Bartley III, W. W. (1978). Wittgenstein, une vie. Paris : Presses universitaires de France.

« Des mots-clefs étaient associés aux grands principes de la réforme scolaire. [...] Avant 1919, les règles d’orthographe et de grammaire étaient dictées ou écrites au tableau et apprises par coeur conformément aux méthodes d’apprentissage intensif. Après la réforme, ce type d’apprentissage (drill) fut abandonné et on encouragea les enfants à découvrir par eux-mêmes ces règles. Les travaux de rédaction étaient d’abord exécutés librement, sans qu’on accordât une importance particulière à l’orthographe ou la grammaire. Ce n’est qu’après l’acquisition d’une certaine facilité dans l’expression écrite qu’on introduisait la grammaire et l’orthographe correctes dans le texte écrit par l’élève. »

Spécimen 2

Paquette, C. (1979). Quelques fondements d’une pédagogie ouverte. Québec français, (36), 20-21.