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Un vade-mecum incontournable pour les nouveaux enseignants

Voici un ouvrage rigoureusement argumenté qui devrait se retrouver entre les mains des futurs enseignants et des enseignants confirmés, tant il renferme des connaissances bien documentées sur l’enseignement, tout en étant écrit dans un style fluide et alerte.

Romainville entend proposer une synthèse de « l’art d’enseigner », reprenant par cette formule la définition de la didactique de Comenius, en exposant les « principaux éclairages de plusieurs siècles de réflexions didactiques » (p. 14) autour de sept thèmes : soutenir la motivation des élèves, définir la cible d’apprentissage, partir de ce que les élèves savent, se mettre à la portée des élèves, varier l’enseignement, évaluer, gérer la classe. Nous allons brièvement décrire chacun des chapitres, sans faire référence aux nombreux auteurs mobilisés par l’auteur.

Dans le premier chapitre, Romainville énonce des principes pour soutenir la motivation des élèves et susciter leur intérêt. Après avoir rappelé les sources de l’impuissance apprise et les fondements du sentiment d’autoefficacité personnelle, notamment avec le rôle joué par la note, l’auteur propose de : maintenir l’exigence intellectuelle sans niveler les attentes; être soi-même motivé; faire le pari de l’éducabilité; porter un regard bienveillant sur les élèves et rester à leur écoute sans naïveté ni paranoïa. Face au comportement utilitariste des élèves, Romainville suggère trois stratégies : espacer les évaluations notées et en faire moins (en développant l’évaluation formative), arborer son propre détachement à la note et montrer sa passion intellectuelle.

Dans le deuxième chapitre, il est question des objectifs donnés à l’enseignement en vue d’atteindre des cibles d’apprentissage et d’expliciter le contrat didactique. Romainville revient sur la notion de compétence et les programmes qui sont construits autour de celle-ci. L’auteur définit la compétence comme un « savoir vivant » (p. 68) qui « aide l’homme à penser le monde et à y agir avec intelligence » (p. 69). Si les approches par compétence se sont développées, c’est parce que le savoir perçu comme mort est devenu insupportable dans notre société de performance. Romainville insiste sur le nécessaire « travail d’explicitation des implicites » (p. 90), même s’il est semé d’embûches. L’idée est de rendre aux yeux des élèves lisible et compréhensible le travail scolaire et intellectuel. Et ce sans oublier que « tout enseignant est un passeur de culture, non seulement […] en tant qu’initiateur à la culture avec un grand C, mais aussi en tant que membre aguerri d’un monde scolaire complexe, auquel il affilie peu à peu de nouveaux arrivants » (p. 87, les italiques sont de l’auteur).

Le troisième chapitre aborde le savoir des élèves déjà là, ce que l’auteur nomme leur « savoir naturel », expression dont nous ne discuterons pas ici la pertinence. Romainville expose trois étapes pour ébranler le déjà-là : faire émerger les conceptions préalables, confronter le savoir naturel des élèves à ses limites, aider les élèves à construire une nouvelle vision du monde à l’aide des savoirs scientifiques. Les situations-problèmes se prêtent bien à ce travail intellectuel.

Dans le quatrième chapitre, Romainville évoque la transposition didactique nécessaire pour mettre les savoirs scientifiques à la portée des élèves. Mais elle n’est pas exempte de chausse-trapes, que nous allons rapidement aborder. Tout d’abord, il s’agit de sélectionner les savoirs à enseigner en fonction des objectifs poursuivis; ensuite, d’illustrer abondamment ces savoirs, tout en évitant, et c’est le troisième point, de simplifier trop et de schématiser à outrance. Puis, la difficulté réside dans les glissements de sens possibles et autres dérapages conceptuels. Enfin, Romainville s’attarde sur les changements épistémologiques qu’entrainent les transpositions didactiques qui peuvent induire une représentation erronée de la science et des savoirs scientifiques.

Varier les moyens d’enseigner constitue le cinquième chapitre, le plus long du livre, articulé autour de trois types de méthodes : les méthodes magistrales, interrogatives et actives. Comme le souligne avec force Romainville, il ne s’agit pas de ne suivre qu’une méthode, mais de les utiliser toutes selon les besoins didactiques et les objectifs poursuivis.

Les méthodes magistrales ou transmissives supposent un public motivé et disposé à apprendre, un public avec des prérequis, des référents et un vocabulaire proches de celui de l’orateur. Le message énoncé ne doit pas non plus déstabiliser trop le savoir naturel des auditeurs.

Les méthodes interrogatives, « socratiques », invitent les élèves à participer et permettent à l’enseignant d’évaluer de façon formative l’acquisition des connaissances. L’enseignant doit maîtriser le contenu pour faire face aux réponses impromptues qui peuvent surgir et être à l’aise dans la gestion de classe pour éviter des débordements de la participation des élèves.

Les méthodes actives reposent sur l’idée que la meilleure façon d’apprendre est de faire. Romainville passe en revue les projets et les situations-problèmes. Mais ces méthodes demandent du temps. Le chapitre finit par un tableau utile croisant les acquisitions visées (selon la taxonomie de Bloom) et les méthodes possibles pour les atteindre.

Dans le sixième chapitre, Romainville revient sur l’importance d’ajuster ses actions en fonction de ce qui est visé. L’évaluation, en tenant compte de ses biais, prend tout son sens ici : « évaluer n’est rien d’autre que vérifier, en cours de route et au bout du compte, si les visées pédagogiques sont atteintes » (p. 175).

Dans le septième et dernier chapitre, il est question de la gestion de classe et de la discipline « bien comprise », celle qui rend possibles les apprentissages et conduit les élèves « à se gouverner par eux-mêmes et à vivre paisiblement en société » (p. 264).

Si les lecteurs chevronnés n’apprendront peut-être rien de nouveau, mais auront des piqûres de rappel stimulantes, les enseignants novices disposent avec ce « précis de didactique », tel que précisé en sous-titre, d’un vade-mecum roboratif. Le livre est écrit pour les (nouveaux) enseignants, afin de les accompagner dans leur pratique quotidienne, de ce fait, il ne faut pas y chercher des réflexions sur l’organisation scolaire ou même l’enseignement vu comme travail collectif. Tout est centré sur l’individu-enseignant.

On pourrait discuter du choix de telle ou telle référence, mais globalement les connaissances scientifiques exposées constituent un beau piédestal à une réflexion informée sur la pratique enseignante, enrichie de témoignages littéraires et d’enquêtes de terrain. Un gros défaut de l’ouvrage : l’absence de bibliographie, le renvoi aux notes n’étant pas des plus pratiques.