Article body

La collection de la CEFAN aux Presses de l’Université Laval constitue une importante mine de travaux portant sur les francophonies canadiennes. Découlant souvent de colloques, il s’y publie, à l’intérieur de ces ouvrages collectifs, des études basées sur des données originales, mais aussi des textes analytiques ou de réflexion plus souples.

Saisir le présent, penser l’avenir : réflexions sur l’Acadie contemporaine, publié dans la collection de la CEFAN en 2021 et dirigé par Julien Massicotte, professeur de sociologie à l’Université de Moncton, campus d’Edmundston, se situe dans un corps d’ouvrages collectifs interdisciplinaires portant spécifiquement sur l’Acadie publiés à la CEFAN, mais aussi ailleurs. Cet ouvrage se démarque en voulant aborder les pistes d’avenir possibles. Il ne s’agit pas pour autant d’un exercice de prospective à proprement parler, ni même de projections, mais plutôt d’un recueil qui regroupe des réflexions sur les trajectoires possibles et la capacité d’adaptation de l’Acadie à partir de quelques enjeux centraux, mais aussi des études sur la conceptualisation des projets de société et les utopies des années 1970 et 1980.

L’ouvrage, qui est concis, présente seulement six textes en plus de l’introduction. Le travail éditorial a fait preuve de souplesse, ayant permis des textes sous forme d’essai et d’autres formes de textes analytiques et quelques études plus classiques. Nous accueillons favorablement cette souplesse, car certains textes contribuent réellement à la réflexion et à l’analyse de l’Acadie, mais seraient plus difficilement publiés dans des revues scientifiques.

L’introduction cerne bien les enjeux identitaires et les formes collectives qui en découlent, permettant ainsi de comprendre la complexité de ces questions en Acadie et de justifier cet ouvrage sur « penser l’avenir » de l’Acadie.

À la suite de l’introduction, l’ouvrage s’ouvre sur un essai de Gérard Bouchard portant sur le processus de mythification de l’Acadie, c’est-à-dire neuf conditions qui permettraient aux sociétés de prendre forme par la mise en place de fondements symboliques. Il souligne que le cas acadien est paradoxal, puisque le processus de mythification tel que le prédirait son modèle « est défectueux sur plusieurs points », alors que la dynamique identitaire acadienne persiste avec force. Il avance donc que la densité identitaire acadienne se maintient par un certain nombre de piliers culturels. À partir d’un regard extérieur, Bouchard schématise plusieurs processus mémoriels et identitaires qui permettent, malgré l’imprécision, de réfléchir dans une perspective culturelle aux facteurs de maintien des groupes minoritaires.

Les textes de Forgues et de Magord qui suivent mettent notamment de l’avant les processus d’individuation menaçant la capacité des Acadiens et des Acadiennes d’agir collectivement. Éric Forgues discute de gouvernance communautaire, ici comprise comme la représentation et la coordination de l’action collective par le réseau associatif des minorités francophones. Il reprend principalement les réflexions de Joseph Yvon Thériault sur les logiques d’organisation et d’institution et sur la question du politique en Acadie, en se référant à un article de Gino LeBlanc sur cette dernière question. Il avance que l’évolution de la gouvernance communautaire de l’Acadie du Nouveau-Brunswick annonce une approche utilitaire et marchande entraînant l’effritement de la consistance politique des communautés francophones en situation minoritaire au Canada. Cette trajectoire découlerait, entre autres, du modelage des réseaux de gouvernance par le ministère du Patrimoine canadien.

Le troisième texte, d’André Magord, est un essai qui cherche à mettre en évidence certains processus politiques et identitaires façonnant la singularité acadienne. Il souligne les transformations sociétales qui ont marqué les communautés acadiennes et qu’il considère comme des tendances lourdes, auxquelles il propose des directions à prendre pour y remédier. Le positionnement prospectif de Magord se situe à la fois du point de vue sociétal et du point de vue de l’avancement des connaissances. En citant les travaux de quelques chercheurs, il avance plusieurs avenues de recherche qu’il serait nécessaire d’aborder dans un avenir proche.

Le texte de Sylvie Morin amène en quelque sorte une illustration tangible de certains phénomènes abordés par Forgues. Se plaçant à la fois dans le rôle de la chercheuse en psychologie sociale et de la militante, elle discute des divers espaces temporels qui influent sur les organismes acadiens, en particulier le Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Elle explique que l’influence de l’actualité et le mode de financement par projet, imposé par les bailleurs de fonds gouvernementaux, ne permettent guère de se projeter sur un temps long. Elle avance, par ailleurs, que l’engagement généré par les médias sociaux ne serait pas aussi fort et efficace que d’autres types d’engagements. Morin note aussi que le militantisme et l’engagement citoyen sont souvent l’apanage de classes sociales privilégiées ayant le luxe de se projeter vers l’avenir. Enfin la dernière temporalité abordée est celle de l’historicité, qui amène la chercheuse à se demander si le fait de mieux connaître l’histoire des femmes n’entraînerait pas un engagement plus important dans les mouvements féministes. Morin, qui fait référence à quelques reprises à la question de la « survie de l’organisme », entremêle cette préoccupation à sa lecture éclairante de l’influence des dimensions temporelles sur l’action collective, qui, malgré une vision collective de l’avenir, s’empêtre dans d’autres temporalités.

Les deux derniers textes du collectif constituent des études plus classiques. Le texte de Michael Poplyansky mérite notre attention, car il servira à quiconque travaille sur les Acadiens de la Nouvelle-Écosse. N’avançant pas de pistes prospectives proprement dites, ce chapitre se situe plutôt, sans l’expliciter, dans l’étude de l’utopie. Poplyansky examine l’influence du Parti acadien, un parti nationaliste du Nouveau-Brunswick, sur les militants de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse. L’étude repose principalement sur les positions des directions générales de l’organisme à l’époque du Parti acadien repérées dans des documents. Même si le corpus est mince puisque peu de traces ont été trouvées, Poplyansky, auteur d’un ouvrage consacré au Parti acadien, arrive à expliquer les influences dans le discours des Acadiens de la Nouvelle-Écosse et le contexte des adaptations aux positions radicales. Puisque peu d’études ont été réalisées sur les mouvements nationalistes et le militantisme acadien en Nouvelle-Écosse, ce texte deviendra une référence incontournable pour les acadianistes s’intéressant à la Nouvelle-Écosse des années 1970 et 1980.

L’étude de Julien Massicotte porte sur le nationalisme acadien d’Armand Plourde, un acteur important du nord-ouest du Nouveau-Brunswick en raison de son implication sociale, de son rôle de prêtre et de son engagement politique dans le Parti acadien pendant les années 1970. L’étude repose sur des documents d’archives et des retranscriptions d’interventions publiques. Ce texte est fort éclairant non seulement pour mieux comprendre la pensée de Plourde, mais aussi en raison des nouvelles connaissances en études acadiennes que nous offre Massicotte sur « la configuration particulière d’idéologies néonationaliste et régionaliste » du nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Ce texte montre également comment, dans les années 1970, des idéologues mettaient déjà de l’avant une définition identitaire de l’Acadie large et inclusive.

Une fois qu’on a accepté le fait que divers genres de textes se trouvent regroupés dans ce type d’ouvrages collectifs, les principales lacunes se situent surtout sur le plan de la forme. L’ordre des textes est difficile à saisir : les textes de Forgues et de Morin auraient dû se suivre puisqu’ils se répondent mutuellement. De même, les textes de Bouchard et de Magord auraient aussi été plus agréables à lire l’un à la suite de l’autre pour rester sur le temps long. Notons également quelques soucis d’édition comme l’abondance de puces dans le texte de Bouchard et l’hétérogénéité de la mise en page, notamment la numérotation des sections dans le dernier texte, mais pas dans les autres. Somme toute, cet ouvrage, comme d’autres de la collection de la CEFAN, servira sans aucun doute de référence et de pistes de réflexion pour les recherches futures sur des thèmes sociopolitiques et identitaires de l’Acadie.