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Depuis quelques années, la conception de ce qui, au sens de patrimoine culturel de l’humanité, mérite d’être préservé, a été considérablement élargie. On définit comme patrimoine culturel de l’humanité non seulement des objets singuliers, mais tout d’abord, de grands ensembles d’espaces aménagés. Dans ce sens, l’UNESCO a présenté une définition de paysages culturels, ou bien de cultural landscapes, comme base de sa promotion globale de la protection de patrimoines et d’ensembles culturels. Mais, cette définition semble insuffisante sur un point, car on n’y définit que des espaces qui, actuellement, ne sont plus utilisés par les hommes. On y considère, par conséquent, les traces matérielles d’activités humaines d’autrefois, à la place aussi bien des hommes mêmes, qui vivent dans leur espace se l’aménageant selon leurs besoins, que des idées formées par les hommes. En élargissant la définition de l’UNESCO, il faudrait également intégrer dans la notion du paysage culturel les hommes et leurs activités, ainsi que les éléments du patrimoine immatériels dont ils se servent. Cela aurait pour conséquence qu’il faudrait concevoir les paysages culturels toujours comme un ensemble en changement dynamique. En plus, leur étude systématique de même que l’élaboration de mesures pour leur protection devraient, d’un côté, tenir compte des besoins d’une évolution dynamique ; mais de l’autre, elles saisiraient de façon beaucoup plus précise la structure générale de processus qui s’accomplissent dans un paysage culturel donné.
1. Un ensemble urbain : peut-il être un paysage culturel ?
Un tel point de départ s’offre par la convention de l’UNESCO sur le Patrimoine culturel immatériel de l'humanité, adoptée en 2003. Selon celle-ci, ce patrimoine se définit comme suit :
On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable[1].
S’il est bien évident que les grandes villes doivent également être conçues comme paysages culturels, il en résulte, pourtant, que l’on obtient ainsi des données si vastes qu’il devient impossible de saisir cette réalité culturelle dans toute son intégralité. Par conséquent, nous ne pouvons jamais concevoir que certaines zones de grandes villes comme espaces culturels qui, face à l’environnement naturel, constituent des espaces fermés. En général, nous avons ainsi affaire aux anciens centres villes ou centres de colonies, à partir desquels sont nées jadis les grandes villes. Dans le cas de Berlin, ce serait, par exemple, une ancienne colonie urbaine comme Adlershof, qui, au 18ème siècle, avait été fondé, dans un premier temps, comme un domaine royal. Au cours des siècles, il en est né une ville dans la ville, avec environ 22 000 habitants, cette ville même disposant de toutes les fonctions dont disposerait une ville indépendante de taille pareille. Le fait qu’il est possible, dans un tel endroit, de répondre à tous les besoins, non seulement au sens élémentaire, constitue une conscience urbaine qui se trouve au-dessous de la conscience de la grande ville d’un habitant de Berlin.
La notion du paysage culturel de la modernité dépasse donc la définition de l´UNESCO, sans pourtant négliger la possibilité qu´un paysage moderne peut également s´établir dans l´espace rural, comme produit de la pratique humaine.
2. Une notion de paysage culturel élargie
Dans la représentation suivante il s’agit de la tentative d’appliquer une notion du paysage culturel élargie, aux conditions de la modernité technique et industrielle, dans le but de décrire le quartier Adlershof dans l’arrondissement Treptow-Köpenick de Berlin. Comme première condition, il faut y stipuler que l’on conçoive comme paysage culturel tout résultat de l’influence permanente d’actes humains sur les structures de l’espace. Ce résultat étant présent, aussi bien sous l’aspect matériel que par représentations mentales de cet espace, chez les hommes qui aménagent et utilisent cet espace. Le degré de la présence naturelle y est à négliger, car toute forme de l’aménagement de l’espace par l’homme a, finalement, pour but l’organisation d’un métabolisme avec la nature. On n’y tient plus compte des conceptions naïves de la nature, telles que les suppose la définition de l’UNESCO. Selon la conception du paysage culturel qu’implique la définition de l’UNESCO, il existe une nature pour ainsi dire intacte qui n’est transformée en paysage culturel que par les activités humaines. On y implique que, du point de vue des activités humaines, il existe une nature que l’on peut imaginer non-touchée par l’homme et sans sa présence. Mais, en réalité, il n’y a jamais pour l’homme de nature, car, au moment où il perçoit quelque chose de naturel, il commence déjà à l’interpréter comme objet se référant à ses propres intérêts. Dans ce sens, au moment où l’homme perçoit quelque chose qui se présente comme naturel, il se trouve déjà dans un rapport dyadique, dont il présente lui-même un pôle inabrogeable qu’il est impossible d’en séparer. Au moment où l’homme perçoit la nature, elle est déjà interprétée par rapport à ses intérêts, et l’homme organise sa structure d’action selon ses besoins, en l’appliquant à l’objet naturel trouvé.
3. Bases anthropologiques
Ce processus s’accomplit dès que nous supposons, sur ce globe terrestre, la présence d’un primate que nous appelons l’homme. Dès que l’homme apparaît dans l’histoire, il n’y a plus pour lui de vie en dehors de la société et en dehors d’un environnement qui, vivant dans sa société, est constamment subordonné et transformé. Ce qui, par conséquent, apparaît comme nature est une construction de l’homme, qui imagine en quelque sorte un secteur de la partie de ce monde qui reste encore épargnée par la vie sociale. Les raisons devraient être ici bien multiples. Une des raisons les plus importantes y est sans doute le fait que la notion de la nature qui en résulte est un procédé, par lequel désigner un environnement qui n’est pas encore marqué par des interventions matérielles dans les structures existantes. Mais, cela ne signifie pas que la nature ainsi définie ne soit déjà elle-même une partie intégrante de l’élaboration de concepts culturels ; donc, elle-même un produit de l’homme. Cela signifie, ensuite, que la seule distinction terminologique d’un secteur de notre environnement physique et biologique, désigné par nature, représente en soi une focalisation terminologique, et que la nature apparaît ainsi comme une construction culturelle. Dans ce sens, la seule détermination de ce que c’est que la nature, réalisée à travers la définition, devrait déjà représenter le fait de la production d’un paysage culturel – même si, bien sûr, cela ne concerne que le secteur de l’environnement qui, jusqu’ici, n’a été saisi qu’intellectuellement, sans avoie été matériellement transformé.
4. Le métabolisme de l’homme avec la nature : du paysage culturel au premier degré au paysage culturel au second degré et au delà
Au centre de la définition de l’UNESCO se trouve donc l’organisation spatiale de l’entourage de l’homme, laquelle poursuit le but d’aménager les structures de façon à ce que l’homme y soit capable d’organiser son métabolisme avec la nature de manière qu’il lui soit possible de vivre de ce que lui offre la nature. Mais, selon moi, cette définition du paysage culturel ne s’applique qu’aux paysages culturels que l’on pourrait appeler de premier degré. Toutes les fonctions et structures sociales dérivées de l’organisation élémentaire de l’espace n’y jouent, de fait, aucun rôle. En plus, la définition de l’UNESCO suppose pratiquement que l’espace de vie de l’homme corresponde dans l’essentiel à l’espace dans lequel il s’occupe également de la production de ses aliments. Cette définition se révèle déjà dans toute sa problématique dès que l’on pense aux espaces dans lesquels les hommes s’adonnent régulièrement et itérativement à un mode de vie nomade, qui leur permet de consommer régulièrement le produit de la pousse naturelle. Ici, on peut oser la thèse selon laquelle, quant les hommes s’occupent régulièrement et selon leur propre rythme déterminé de l’exploitation de ressources de vie naturelles, les espaces qui en naissent et les concepts mentaux de leur organisation devraient être désignés par le terme de paysages culturels. Surtout si l’on considère que l’homme se fraye continuellement et toujours de la même façon un chemin à travers une région du monde déjà existante. Ainsi, on peut observer jusqu’à nos jours, par exemple dans une région du monde comme la péninsule mexicaine Yucatán, qu’il s’y agit entre autres de protéger les chemin une fois trouvés par des points de repère, ou bien, ce qui dans la pratique peut souvent en revenir au même, par des voies que l’on s’est dégagées à travers la jungle. Un paysage qui sert au mode de vie nomadisée est également un paysage culturel. Si, par conséquent, les paysages que l’homme subordonne par un mode de vie nomade peuvent être désignés avec une certaine plausibilité comme paysages culturels, cela s’applique d’autant plus aux paysages, dans lesquels les hommes sont sédentaires et organisent leur métabolisme avec la nature, à partir d’un endroit plus ou moins stable. Cela s’accompagne nécessairement de la dissociation de l’endroit et à l’endroit où l’on produit les aliments. Au plus tard au moment où les surfaces entre les habitations des hommes ne suffisent plus à la production des aliments pour les habitants, il s’y fait la dissociation du domicile et du lieu de production agricole. Ce processus est accéléré par des processus de la répartition du travail, à la suite desquels des parties de la société peuvent devenir, en raison des fonctions sociales qu’elles accomplissent, par exemple, des bénéficiaires d’une production de surplus, à laquelle ils n’ont pas immédiatement contribué, eux-mêmes. Il s’agit ici de segments de la société qui se transforment plus tard en classes sociales qui exercent certaines fonctions administratives et, le cas échéant, politiques et militaires. En tant que travail socialement nécessaire, celles-ci sont reconnues par tout le monde, d’autant plus que l’on y prévoit la consommation d’une partie du produit de surplus social. Il peut donc arriver qu’il se fasse, par des évolutions topographiques aussi bien que par des processus de l’évolution de la répartition du travail, uns dissociation de l’espace de la production et de l’espace de la consomption. Cela signifie dans la pratique que même les structures spatiales, nées comme résultat de fonctions dérivées de la production, doivent être interprétées comme éléments d’un paysage culturel. Si nous considérons la définition de l’UNESCO comme une définition de paysages culturels de premier degré, il devrait être possible, en relation étroite avec la cristallisation de vastes structures d’organisation, de parler également de paysages culturels de deuxième ou troisième degré, ou même d’un degré supérieur. Dans ce sens, c’est également l’arrangement de l’espace, qui n’est pas un résultat immédiat de l’interaction entre l’homme et la nature, qui joue un certain rôle quand on examine le phénomène de paysages culturels, et qui doit être intégré dans leur définition.
De ces structures spatiales que l’on vient d’indiquer, il devrait être possible de dériver les définitions déjà évoquées de paysages culturels d’un degré supérieur, ce qui, pourtant, ne doit pas se faire dans le contexte de cette étude-ci. Il faudra, par contre, bien fixer l’attention sur le fait que toute forme d’augmentation de la complexité de structures sociales, laquelle transforme, finalement, par les processus de la répartition du travail et les changements démographiques, le rapport entre la sphère de production et la localité de consomption, devrait être considérée à partir de la perspective des recherches sur les paysages culturels.
5. Adlershof comme paysage culturel évolutif
Dans ce sens, le quartier Adlershof de l’arrondissement Treptow/Köpenick de Berlin peut être décrit comme un paysage culturel évolutif, cette description envisageant en premier lieu les processus diachroniques de la transformation d’un paysage, donné jadis comme naturel.
Dans les premiers temps documentés[2], c’est-à-dire au 16ème siècle, on a asséché, le long de la route commerciale de Berlin à Francfort-sur-l’Oder, qui menait, en passant par Breslau, jusqu’en Asie, un marais qui se trouvait pas loin de la vieille vielle Köpenick de fondation slave par le peuple des Wenden, où la Dahme se jette dans la Spree. On ne saurait plus expliciter pourquoi ce marais a été asséché. Mais, étant donné que la marche Brandebourg était, au sens proverbial, une boîte à sablon, tout terrain marécageux devait se concevoir potentiellement comme zones humides et pâturages évolutifs. De fait, l’assèchement de ce terrain marécageux a fait naître un sol extraordinairement fructueux, que les colons, qui y étaient devenus sédentaires, avaient appelé un pré doux. Ce terme renvoyait en premier lieu au fait que les bétails mangeaient de prédilection les herbes qui y poussaient, ce qui avait pour conséquence bien positive une économie pastorale qui prospérait. Pendant la phase de fondation de Adlershof, les paysans ainsi que les colons qui y habitaient étaient, dans un premier temps, épargnés d’impôts trop élevés, car, en rendant le sol fructueux, ils lui donnaient, par leur force de travail, beaucoup plus de valeur que les hordes ne pouvaient y puiser. Les colons qui y étaient hébergés habitaient, en général, les plus simples cahutes, que l’on appelait des cabanes, d’où dérive le nom cabanier pour les habitants de la colonie Adlershof.
En général, les revenus de l’exploitation du sol ne suffisaient pas pour assurer la vie des cabaniers, de façon que la plupart d’entre eux étaient contraints de se mettre à disposition à d’autres travaux, pour garantir suffisamment de ressources nécessaires pour vivre. Au cours d’environ 200 ans, précisément jusqu’en 1759, l’accumulation du capital agricole s’accomplit de façon tellement stable que, du côté de la couronne, on pouvait compter tirer du profit de la productivité économique de Adlershof. En 1759, la colonie pré doux fut nommée officiellement Adlershof et devint une partie tributaire du domaine royal. À la même époque, une région voisine, qui possédait du sol suffisamment fructueux, et se trouvait à environ 2 kilomètres plus à l’ouest, était mise à disposition, par la couronne, à M. Späth, alors propriétaire de l’établissement horticole, dans le but qu’il y pratique l’élevage forestier et la culture maraîchère pour le nombre toujours croissant de consommateurs dans la double ville Berlin et Cölln. Depuis l’implantation de l’établissement horticole Späth, en 1746, jusqu’à nos jours, ce territoire s’appelle Späthsfelde. L’entreprise horticole, fondée à cette époque-là, existe jusqu’à aujourd’hui, figurant parmi les entreprises économiques les plus anciennes en Allemagne. Ce qui est remarquable dans le cas de l’implantation des établissements de Späth, en 1746, c’est qu’il n’eut plus recours au système du transfert en quelque sorte féodal de droits de cultiver la terre aux petits propriétaires, mais que nous avons ici affaire à une conception pour ainsi dire manufacturale de l’économie agricole. Sous l’aspect de l’organisation du capital et du travail, l’établissement des entreprises de Späth à l’ouest de Adlershof signifie, par rapport aux procédés plus anciens, par lesquels on avait établi le Pré Doux et, ensuite, Adlershof, une augmentation de l’efficacité qui équivalait un recours encore plus intensif de main-d’oeuvre au sens du système salarial.
Entre les entreprises de Späth, dans le voisinage immédiat de l’ancienne colonie Johannistal, et Adlershof, se trouvait un terrain largement stérile, que l’on appelle la lande de Cölln. Celle-ci était surtout couverte de sapins et était attenante, au sud, á un terrain qu’il était difficile de rendre propre à la culture. Bien évidemment, il n’y avait plus de possibilité de développer d’autres activités agricoles, de façon qu’au 19ème siècle, lors de la recherche d’un terrain en friche, on découvrit la lande de Cölln, entre la colonie Johannistal et Adlershof.
6. Métamorphoses de la sémantique de l’espace en fonction de l’évolution den son usage
Du champ militaire à l’aérodrôme
La suite de l’évolution est, depuis, largement déterminée par le fait que, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, les guerres ont connu une transformation massive en direction de guerres mécanisées et industrialisées. Par l’armement technique des armées, on utilisait les technologies respectives les plus récentes sous l’aspect militaire, ce qui, vers la fin du 19ème siècle, eut pour conséquence que le militaire envisageait surtout les possibilités d’une guerre aérienne, qui s’annonçait par l’importance croissante de l’aviation. Les chefs militaires de l’époque en dépendaient de plus en plus et se caractérisaient par une instruction d’ingénieur civil dont ils se servaient également dans des affaires militaires. Ainsi, se montra dans la deuxième moitié du 19ème siècle, au fond, nécessairement, l’ambiguïté de l’évolution technologique : elle servait, en même temps, à l’évolution de buts civils, comme force productrice, et aux buts militaires, comme force destructrice. À mesure que s’accroissait le besoin militaire du savoir d’ingénieurs, on établissait des écoles d’ingénieurs militaires.
Parmi celles-ci on trouve également l’école d’aviation technique, qui avait été fondée à Adlershof, où les jeunes étudiants de disciplines techniques faisaient, en même temps, leur service comme recrues, sur le nouveau terrain militaire entre Adlershof et Johannistal. Étant donné que l’État prussien mettait ce territoire à disposition d’une stratégie de guerre basée sur la technologie, le sort de ce terrain était en quelque sorte prévu : le champ d’exercices militaire devint très vite un champ d’expériences pour les aviateurs militaires et il naquit ainsi, en 1908, un des tout premiers aéroports à l’ouest de Adlershof, sur un terrain appelé Köllnische Heide[3]. La présence d’ingénieurs techniques et scientifiques à Adlershof ainsi que l’installation de l’école d’aviation et de certains détachements militaires marquaient dès lors de façon déterminante la vie à Adlershof, car la population militaire qui travaillait sur le champ d’aviation vivait, dans les cas où elle n’habitait pas dans les casernes, à Adlershof.
Le prolétariat dans un lieu de la petite industrie
Alors que Adlershof se transformait de plus en plus en un petit endroit industriel, ce qui se manifestait entre autres par une forte influence du prolétariat, par des votes élevés en faveur de la démocratie sociale lors des élections communales et des élections du Reichstag, la partie de l’économie agricole qui contribuait à générer la richesse diminuait successivement. La dernière grande entreprise au sens d’activité agricole à Adlershof était la plantation de mûriers, à la base de laquelle, depuis le 18ème siècle, on faisait la production de soie. Mais au cours du 19ème siècle, l’importance économique de la production de soie à Adlershof diminuait continuellement, de façon que l’on cessa de cultiver les mûriers. Malgré tout, la production de soie, en quelque sorte manufacturale, devra avoir contribué de façon bien significative à restructurer les caractéristiques du travail de la population de Adlershof, ce qui, à la suite, fit augmenter la part du travail salarié de l’acquisition des ressources de vie. De cette façon, un premier prolétariat, habitué au travail salarié, s’établit comme main-d’oeuvre indépendante qui, ensuite, embauchée, ensuite, surtout dans quatre domaines de la vie économique à Adlershof et dans les alentours.
Premièrement, de petites entreprises artisanales dont il existait encore beaucoup à Adlershof, vers 1900.
Deuxièmement, du travail dans la région industrielle de Oberschöneweide, où se trouvaient surtout des usines de la Siemens AG.
Troisièmement, du travail dans le secteur des chemins de fer qui, par l’application ciblée de projets d’évolution régionaux, fut installée, entre 1860 et 1890, à Adlershof/Altglienicke, avec une voie et une station. Dès lors, Adlershof se trouvait dans une position bien favorable sous l’aspect du trafic, sur la voie ferroviaire de Berlin-Görlitz qui partait de la gare de Görlitz à Berlin-Kreuzberg, en passant par Königswusterhausen, pour continuer jusqu’à Görlitz et, ensuite, en Silésie.
Quatrièmement, les travailleurs salariés de Adlershof trouvaient du travail dans l’industrie aéronautique naissante, qui s’établissait à la périphérie du champ d’aviation de Johannistal. Ici, pourtant, il n’y avait pas que diverses entreprises qui produisaient des avions, mais on y développait également des moteurs, ou les construisait sous licence. Il y avait à Adlershof même un concessionnaire pour les automobiles britanniques. Dans l’ensemble, il s’y profile l’image de la transformation radicale d’une agriculture, qui fonctionne déjà en manufactures et selon la répartition du travail, en direction d’une restructuration industrielle du mode de travail et de vie, et qui a marqué ce paysage culturel urbain né de la colonie rurale.
Séparation et détermination sémantique du paysage par le chemin de fer
Par la construction des chemins de fer de Berlin à Görlitz, une allée qui, jusque-là, avait séparé de façon plutôt insignifiante Adlershof de Johannistal, à savoir le Adlergestell (avec ses douze kilomètres la plus longue route de Berlin), devient maintenant une entaille bien visible entre les deux localités. La voie des chemins de fer sépare dès lors bien visiblement Adlershof[4], caractérisé plutôt par la fonction d’habitation, la petite industrie et le petit artisanat, du terrain militaire, situé à l’ouest, qui, tout en faisant partie de Adlershof, commence à se distinguer de plus en plus, par un usage exclusivement militaire, du quartier résidentiel urbain, situé à l’est. Finalement, l’aéroport prend le nom d’aéroport Johannistal, bien qu’il fasse partie de Adlershof. Les différents modes d’emploi de l’espace déterminent sa sémantique, ce qui nous permet de reconnaître comment la partie ouest de Adlershof se transforme peu à peu en paysage techno.
7. Les attraits pour la société des spectacles aviatiques
Avec l’évolution de la technologie de l’aérodrome et les corporations subalternes, il revient au terrain de l’aéroport une nouvelle fonction qui s’explique par l’attractivité de la technologie d’aviation de cette époque-là. On ne peut comprendre cet enthousiasme pour l’aviation que devant l’arrière-plan du rêve de l’homme, séculaire, mais jamais réalisé, de voler. D’un coup, il devint possible pour les ingénieurs de réaliser ce rêve, et les objets d’aviation qu’ils fabriquaient fournissaient l’objet de l’attention publique. Quant à celle-ci, l’industrie aérienne ainsi que l’administration de l’aéroport ont bien su en profiter, pour attirer des personnes intéressantes à Adlershof. Vu qu’il existait déjà une ligne de chemin de fer, il était assez facile, en partant de Berlin, d’atteindre ce terrain technologique.
Par la suite, on a organisé systématiquement depuis 1909 des jours d’aviation qui étaient partiellement mis en adjudication comme concours d’aviation internationaux, aux primes bien élevées, et auxquels on réussissait à attirer des milliers de spectateurs qui payaient.
Ce paysage-techno Adlershof devint ainsi entre autres l’objet de la perception publique et la satisfaction d’un besoin de spectacles public, que les ‘Miracles de la Modernité’, tels que les représentaient les exploits de l’aviation, rendaient possible.
Soit dit en passant que, par la mentalité de la modernité, Adlershof apparaissait come un endroit d’innovation même pour ceux qui, jusque-là, avaient fait partie de secteurs sociaux qui n’avaient pas d’accès aux innovations techniques. Ainsi, Melli Beese a été la première femme qui soit devenue pilote et qui ait même fondé une propre fabrique d’avions ainsi qu’une société aérienne.
Dans ce contexte, il faudrait, finalement, évoquer que le premier transport régulier par poste aérienne en Allemagne, en 1918, s’était fait à partir de Adlershof.
8. La crise de la première guerre mondiale et nouvelles perspectives : Transformation en média-cité
Les événements de la Première Guerre mondiale ont complètement changé la situation pour Adlershof. Tout d’abord, aussi les militaires stationnés à Adlershof s’étaient engagés dans la révolution de Novembre 1918.
Par les stipulations du Traité de Versailles, il était interdit, en Allemagne, de continuer à construire des avions, ce qui, en général, avait pour conséquence que les usines d’avions ont fait faillite. Mais lors de cette crise, il y a eu du moins un entrepreneur qui ait su se débrouiller en consacrant ses hangars, désormais vacants, à une technologie parfaitement nouvelle. Walther Huth, le propriétaire des Albatros-Flugzeugwerke à l’aérodrome de Johannistal, a fondé, le 20 janvier 1920, la Johannistaler Filmanstalt GmbH (JOFA) et a fait transformer les hangars en un atelier de film, jusque-là le plus grand du monde, qui a ouvert ses portes le 19 mai 1920. Walther Huth louait ses ateliers de production entre autres à Prana-Film qui ont a tourné ici, dans le nouveau studio de cinéma, le film de Friedrich Murnaus, Nosferatu le vampire (1922) : à partir d’octobre jusqu’en décembre 1921, on a tourné ici les scènes d’intérieur de Nosferatu.
Cette coïncidence fortuite de la crise de l’industrie d’aviation et de la technologie de média innovatrice a fait naître le germe d’un paysage de média qui, au cours des années, s’est de plus en plus développé à l’endroit de l’aéroport de Adlershof. Une fois qu’il était né ici l’idée de la possibilité d’une production cinématographique, il se cristallisait, dans cet espace caractérisé par la technologie innovatrice, d’autres initiatives de ce genre, et il naquit, à part le terrain de l’aviation et ses corporations industrielles, un paysage fort marqué par la technique des médias. Le film, n’y représentait que le début d’une évolution qui, ensuite, dans les années 20 et 30, y menait, finalement, par la radio, à l’établissement de la nouvelle technologie de la télévision.
Après la fermeture de l’aéroport, que l’on continuait encore à utiliser pour des buts militaires, jusqu’en 1950, les rejets politiques au sein de la ville de Berlin divisée en secteurs ont eu pour conséquence que la production de radio pour ce que l’on appelait alors le secteur démocratique de Berlin – donc Berlin-Est – a été expulsé par force, par la police militaire britannique, de la maison de radio, située dans la Masurenallee à Berlin-Charlottenburg, pour trouver un nouveau logement à Adlershof et à Oberschöneweide qui y était de voisinage immédiat. En même temps, étant donné l’évolution du programme télévisé public qui, dans les secteurs de l’ouest de la ville, était fait par la radio Nordwestdeutscher Rundfunk (NWDR) de l’époque, la radio de la R.D.A. a entrepris, dans le secteur de l’est de la ville, de propres projets pour l’établir une télévision publique à l’emplacement de Adlershof et a débuté avec ses émissions le 21 décembre 1952. On n’a plus besoin d’esquisser ici l’histoire de la télévision de la R.D.A.[5], d’autant plus que, par le fait que même après la fin de la R.D.A. et la dissolution de sa télévision, les anciens studios ont continué à exister jusqu’à nos jours, l’histoire de Adlershof comme cité de télévision et de média est loin d’être arrivée à sa fin.
Même au-delà de la fin de la R.D.A., Adlershof reste, dans toute l’Allemagne, un synonyme du paysage-média, et actuellement, on ne saurait préciser quand cela devra changer.
9. L’histoire du marchand de sable de la R.D.A. et de la R.F.A.
Par la situation de concurrence entre la média-cité Adlershof et les établissements correspondants dans la partie ouest de la ville, il y a eu, depuis 1959, une confrontation caractéristique. Les télévisions de l’ouest et de l’est travaillaient fébrilement à la conception du personnage d’un marchand de sable, et cependant, c’était dans la R.D.A. que l’on réussit bien plus tôt que dans la partie ouest de la ville, à concevoir ce personnage prêt à être présenté à la télévision.
Dans la partie ouest, le ‘marchand de sable de la R.F.A.’ ne s’établit définitivement qu’en 1963. Il n’est pas trop clair pourquoi, en 1989, avec la fin de la R.D.A., c’était non pas le marchand de sable de la télévision de la R.D.A., mais celui de la télévision de la R.F.A., à être tacitement éliminé du programme ; mais, sans doute, on peut l’expliquer par des réflexions économiques. À ce moment-là, la R.D.A. avait déjà pu vendre les droits d’émission à son marchand de sable dans beaucoup de pays du monde, alors qu’il n’était pas donné au marchand de sable de la R.F.A. de connaître un succès international. À ces conditions, il paraissait quasiment logique que, par l’enterrement de la R.D.A., on enterrait également le marchand de sable de la R.F.A., car, du moins en ce qui concerne la production du marchand de sable, la R.D.A avait plus de succès qu’il ne lui en était donné dans d’autres secteurs.
En la personne du marchand de sable convergent de façon pour ainsi dire symbolique trois aspects du paysage-techno Adlershof : de fait, le marchand de sable apparaissait aux enfants, en général, en fusée, en hélicoptère ou en avion, ce qui renvoie précisément à l’origine du paysage-techno Adlershof, qui avait été une région pionnière de l’aviation. Même si les tout derniers vols avaient encore continué à avoir lieu sur le champ d’aviation de Adlershof, lors des spectacles d’aviation, jusqu’en 1995, maintenant ainsi le souvenir de l’ancien usage de ce paysage, cette pratique connut une fin définitive par la chute mortelle du troisième astronaute de l’Allemagne (après Siegmund Jähn de l’ex-R.D.A. en 1978 et Ulf Merbold de la R.F.A. en 1983), le physicien Reinhard Furrer, qui s’est écrasé le 9 septembre 1995, dans une machine monomoteur – une Messerschmitt Bf 108.
Si l’on veut, la mort du deuxième astronaute de l’Allemagne de l’Ouest sur le terrain technologique de Adlershof était devenue le signal de départ pour la fin de l’histoire de l’aviation à Adlershof. Cette fin fut suivie par la décision de la fermeture définitive des derniers établissements qui étaient encore utilisés aux buts de l’aviation de tourisme et de la transformation du paysage-techno Adlershof en un endroit de recherches, de la haute technologie et de l’informatique.
Ainsi, Adlershof continue à exister, dépourvue de sa tradition d’aviation, mais suivant tout à fait l’esprit de la haute technologie, comme un paysage culturel complexe, dont la sémantique est déterminée par son usage au sens de recherches et de la technologie.
Bien sûr, on a construit, depuis, sur de nombreux terrains en friche, des établissements universitaires ainsi que des instituts de recherches et des lieux de production privés. En plus, certains des terrains de l’ancien territoire d’aviation ont été ouverts à la spéculation foncière privée, ce qui a donné lieu à la construction d’immeubles privés. Quelques rares constructions de l’ancienne époque technologique sont protégées en tant que monuments de construction et de technique et mises partiellement sur la liste du patrimoine culturel mondial.
D’autres tombent en ruine, depuis plus de 20 ans, dans les ’paysages fleurissants’ promis par l’ancien Chancelier Helmut Kohl, et, bien qu’il s’y agisse d’importants monuments de l’art d’ingénieur en Allemagne, sont probablement irréversiblement, donc pour toujours perdus. La diction des ’paysages fleurissants’ se vérifie ici au sens d’un espiègle, si l’on considère qu’un territoire technologique d’une telle importance historique est carrément envahi de plantes et de fleurs sauvages qui le font fleurir.
10. Une nouvelle Arcadie ? … ou est-ce qu’on peut vraiment retourner à la nature ?
Une dernière partie de cet aéroport fut pourtant exclue de toute autre évolution en direction de l’endroit scientifique ou bien des investissements fonciers, et il y eut lieu une reconstruction ciblée, au sens d’un paysage de bruyères et de pâturages. On a donc bien intentionnellement remis cette partie de l’aéroport à un état, tel qu’il aurait pu exister au 16ème ou 17ème siècle : ici, ne pousse rien d’autre que des herbes et de petits buissons. Pour mettre un frein à la flore qui, depuis, y prolifère de façon sauvage, et pour que l’homme n’ait besoin d’y intervenir ni par des produits chimiques ni par des tondeuses, on a réintroduit des hordes de moutons sur l’ancien champ d’aviation qui, de fait, a été autrefois une bruyère. Ces moutons se font, depuis, un trou dans les herbes et les broussailles qui couvrent les structures spatiales éteintes de l’ancien aéroport, et se chargent en même temps de fertiliser le sol.
Mais, à l’arrière-plan, à une distance d’environ 12 kilomètres, on reconnaît la tour de télévision de la R.D.A. de l’an 1969, telle qu’elle se dresse sur le Alexanderplatz, comme si elle indiquait que le territoire où, maintenant, des moutons dévorent en ruminant l’ancien aérodrome, s’était transformé jadis en média-cité. Et nous pouvons même aller un pas plus loin : la tour de télévision de la R.D.A., projetée par l’architecte moderniste Hermann Henselmann, qui fut en des architectes majeurs de la Stalinallee. La tour de la télé qu’il avait méditée symbolise par sa terrasse sphérique le satellite terrestre artificiel Sputnik qu’en 1957, l’Union Soviétique avait tiré dans une orbite terrestre. Le pied de la tour de télévision, à la pointe conique, y représente de façon idéographique la queue de flammes, sur laquelle une fusée, le Sputnik à la tête, se dirige en direction de l’univers. Ce projet conçu d’abord comme La tour des signaux en 1958 ne fut réalisé qu’à partir des années 1960. La tour de télévision à l’arrière-plan du pâturage de Adlershof n’est pas une simple image de l’ère des technologies média, mais en même temps un symbole de l’ère de l’aéronautique et, si l’on veut, de la navigation cosmique. Ainsi nous voyons dans le panorama des bruyères, sur l’ancien aérodrome de Adlershof, par les moutons, le symbole de la lande d’autrefois, et par la tout de télévision à l’arrière-plan, le symbole de la technologie de média et de la technologie d’aviation de l’homme. Ainsi il est clair que ce paysage ne constituera plus jamais ce qu’on appellerait ingénument ‘la nature’. Ce qui pousse sur le sol, ceux qui dévorent les herbes, ce ne sont que des mises-en-scène d’une idée de ce qui aurait été la nature du lieu avent sa métamorphose en paysage--techno. Dès que l’homme agit en tant qu’homme organisé en société sur cette planète, il n’y a plus de nature, sinon ces espaces que l’homme avait réservé pour mettre en scène ses propres idées de la nature.
11. L’économie du chemin le plus court
Par la transformation de l’aérodrome en l’endroit scientifique Adlershof, il s’est réalisé du coup plusieurs transformations de l’organisation spatiale. Celles-ci se caractérisent tout d’abord par une division de l’espace en carrés projetés, selon un plan de l’occupation des sols, entre lesquels on a tout d’abord construit des routes, avant même d’avoir construit les édifices respectifs ou d’autres installations. Les terrains en friche ont été engazonnés à l’optimum voire même abandonnés à une végétation spontanée qui, en raison d’autres investissements qui manquent, continue à dominer partiellement le caractère du paysage-techno de Adlershof. Vu que, selon la logique de la structure de l’espace, il n’y pas de raison pour les passants de respecter l’ordre des chemins, ces espaces sont utilisés, par les visiteurs et les personnes qui y travaillent, de façon spontanée et énergétiquement favorable. Le point de départ pour la plupart des chemins de ceux qui visitent le paysage-techno Adlershof, constituent la gare Adlershof ainsi que les stations du tram et les arrêts des bus. En prenant la direction du paysage-techno, les hommes doivent parcourir différents chemins, selon la diversité des constructions et des fonctions de l’espace. Parce qu’il s’agit respectivement d’un grand nombre de personnes qui se rendent dans des localités concrètes, il peut y avoir des chemins intensivement fréquentés, qui se distinguent bien visiblement de ceux qui sont moins fréquentés.
Par conséquent, il s’y montre, mise en toute valeur, la vieille loi géométrique, formulée par Euclide, selon laquelle la ligne droite constitue le chemin le plus court entre deux points. La loi d’Euclide fixe en même temps le schéma d’organisation mental, selon lequel les hommes agissent spontanément quand il leur faut faire un chemin donné de A à B. Dans ce sens, il s’agit également d’une loi de la prise de possession de l’espace, énergétiquement favorable. La loi d’Euclide apparaît donc comme modèle abstrait de la mise en place du paysage culturel qui naît quand les hommes traversent, selon leurs buts, l’espace, d’après cette loi de l’économie des chemins. Il en résulte que les hommes qui utilisent cet espace se fraient leurs propres pistes à travers les terrains en friche, indépendamment du plan des chemins, ce qui donne lieu à un système bien important de pistes battues. En utilisant itérativement le même chemin – ou la même piste – imaginaire et, à la fois, le plus court, qui constitue le lien entre deux points, les hommes produisent leur piste à travers ces espaces toujours selon les mêmes principes. Cela signifie, en même temps, qu’ils marchent toujours sur le même petit gazon, jusqu’à ce que celui-ci cesse de pousser, sans qu’il y reste autre que le sol nu. Tout chemin d’un homme parcouru à travers ces espaces laisse des traces, ce qui facilite à celui qui le suit de se frayer et d’organiser son chemin à travers ce même espace. Par l’utilisation itérative du paysage en friche, selon le principe d’Euclide du chemin le plus court, nous avons affaire au fait qu’il s’établit par les chemins une fois frayés, sous forme de ce que l’on dirait une résonance, réalisée en pratique, entre le chemin prévu, les traces perçues sur le sol et le propre mouvement, des traces de plus en plus marquées à travers le paysage en friche de Adlershof.
Il naît ainsi à part les chemins, aménagés selon l’ordre spatial, un réseau de pistes battues qui se développe spontanément et qui se superpose, pour ainsi dire comme une propre structure, née par l’usage de l’espace, aux structures d’espace préfabriquées. On peut être sûr qu’au cours de mesures constructives futures, ces chemins ne seront plus ni respectés ni considérés comme dignes d’être préservés. Ils représentent, pourtant, du moins passagèrement, une espèce de caractéristiques structurelles dans l’espace, qui transforment celle-ci en un paysage culturel, désormais, secondaire voire tertiaire (paysage culturel né de l’ancien aéroport). Entre les stations d’un paysage-techno qui restent comme terrains en friches, il s’établit un système de chemins qui s’organise, aussi bien dans sa pratique que dans la dynamique de son évolution, selon les procédés tout à fait archaïques de la subordination de l’espace aux besoins de l’homme.
Certains changements dans la structure du transport publique, tels qu’ils s’étaient accomplis sur ce territoire, nous permettent reconnaître comment ces pistes battues changent selon les possibilités d’accéder à ce territoire. Par l’ouverture d’un vieux tunnel qui, sous le tracé du tram, se trouve au sud de l’édifice de la gare, on a conduit les flots de passants d’une façon tout à fait différente sur le territoire, et il s’y est établi de nouvelles pistes, alors que d’autres ont disparu. Quand on vient de la partie sud de Adlershof et que l’on veut arriver du quartier résidentiel au paysage-techno, on utilise ce tunnel rouvert, alors que les habitants du nord de Adlershof traversent le pont au nord de la gare. Ainsi, il y a quelques années, le terminus du tram se trouvait encore à une boucle de retournement qui longeait la gare. Logiquement, il s’étendait de là une piste battue en direction des édifices de l’endroit scientifique. Par l’allongement du tracé du tram jusqu’au sein des constructions de l’endroit scientifique, cette station ainsi que cette boucle de retournement ont largement perdu leur fonction, de façon que la piste battue qui jadis s’y était faite est beaucoup moins fréquentée. Au bout du compte, c’est encore la végétation spontanée qui, de nouveau, domine et envahit les sentiers qui s’y étaient faits. On ne peut pas être sûr si jamais on pourra encore les y distinguer, d’autant moins que, probablement, il n’y pas de besoin de reconstruire les traces d’un tel acheminement spontané des hommes comme partie élémentaire d’une pratique culturelle. Mais, si même à l’avenir on ne devait pas construire sur certains de ces terrains en friche, il y reste la possibilité de reconstruire de telles traces disparues de la pratique humaine, par le moyen de recherches archéologiques, basée sur des photos aériennes. D’autres recherches de ce type, nous savons que même sous l’herbe qui y a repoussé on peut reconnaître des traces de très vieilles villages, abandonnés depuis des siècles, ainsi que de l’usage de cet espace ; ces traces se manifestant, à de petits changements près, dans la végétation. Bien sûr, ce serait aussi le point de départ empirique et méthodique de l’analyse des phénomènes de l’aménagement spontané du réseau des chemins à Adlershof, sans que jamais la réflexion sur cette possibilité ne dépasse effectivement ce projet hypothétiquement formulé.
Ainsi, nous reconnaissons dans l’attitude de l’homme face à l’espace, en ce qui concerne les terrains en friche de Adlershof, ce qui est typique des formes archaïques de la prise de possession de l’espace. Nous pouvons reconnaître celles-ci, par exemple, dans des régions de cette planète, recouvertes d’une végétation dense, comme c’est le cas pour la péninsule mexicaine Yucatán. Ici, nous pouvons voir comment les hommes qui se fraient le chemin à travers la jungle par des sentiers préfabriqués, abattent en même temps, par la machette, la verdure qui repousse des deux côtés, pour que le chemin qu’ils avaient pris reste à la disposition de ceux qui les suivront. À Adlershof il ne faut pas manier la machette afin de préserver les chemins, mais l’usage répétitif de l’espace reste une des conditions essentielles pour qu’il se préserve dans sa structure spontanément créée, une fois arrangée ainsi par les hommes, et subordonné à leurs besoins.
12. Vivre à Adlershof
Une fois que Berlin-Adlershof s’était établi comme endroit d’activités technologiques, celles-ci et, par là même, Berlin-Adlershof, constituent un foyer de la perception publique. La perception publique – orientée, bien sûr, par une organisation médiale adaptée – constitue Berlin-Adlershof comme un espace où l’on fabrique des produits bien particuliers : il s’agit de produits intellectuels et technologiques, mis en pratique, d’abord dans les hangars, et ensuite, dans les laboratoires publics pour l’aéronautique, fondés en 1912. Afin d’attirer l’attention publique, on avait organisé, depuis 1909, des manifestations publiques, mises en scène comme spectacles de performances techniques de l’aéronautique évolutive. Depuis, cet endroit a gardé une telle attractivité.
Toutes les activités des habitants de ce territoire se réfèrent donc aux structures spatiales et fonctionnelles de cet endroit, et constituent la communauté de ceux qui se sentent et se désignent comme habitants de Adlershof.
Les éléments essentiels qui constituent cette conscience spécifique de l’appartenance à cet endroit sont surtout des éléments historiques, culturels et fonctionnels de l’espace urbanisé et sémantiquement structuré. Il faudrait mentionner ici, en premier lieu, les configurations de l’aménagement d’immeubles ainsi que les édifices publics historiques, comme des écoles ou des églises.
Mais, il s’y ajoute des constructions particulièrement visibles de l’architecture industrielle que l’on pourrait identifier comme traces actuelles ou historiques d’activités artisanales dans le domaine de Adlershof. Une autre catégorie serait représentée par les traces immatérielles dans cet espace, telles qu’elles se manifestent, par exemple, par des noms de rues. Ainsi, il peut arriver qu’un toponyme, même sans plus être en rapport avec un lieu concret, soit à disposition et continue à être utilisé, ainsi qu’il en est, dans le cas de Adlershof, par exemple, avec le nom Im süßen Grund ou Birkenwäldchen.
Or, quant à ces traces immatérielles, il n’est pas particulièrement difficile ni de les garantir ni de les soignes. Il en est bien différent quant aux quartiers résidentiels d’importance historique et culturelle, et aux espaces ou endroits industriels et artisanaux. Ici, il s’agit, d’un côté, de préserver les édifices existants, y inclus les ornements et l’organisation spatiale, telles que l’on peut les identifier comme traces d’activités humaines à travers l’histoire. En même temps, il s’agit aussi de types d’activités tout spécifiques toujours exercées, et que l’on accomplit dans ces espaces.
Dans certains espaces, on ne peut établir que tout un registre de localités qui font le caractère spécifique de Adlershof et marquent la conscience qu’en ont ses habitants. D’un autre côté, il existe une multitude de métiers, d’artisanats et d’industries qui, en tant que tels, contribuent spécifiquement à la constitution de la conscience et à la prise d’identité des habitants de Berlin-Adlershof.
Ainsi, certaines boulangeries, certains magasins qui vendent des produits de beauté et des vêtements pour des occasions particulières, mais aussi les édifices qui abritent des écoles maternelles, des maisons de retraite et du pareil, constituent une partie intégrante de la sémantique des espaces auxquels se réfèrent les habitants de Adlershof et où ils entrent en interaction sociale.
Tout paysage culturel est créé par les hommes qui vivent dans un espace concret qu’ils utilisent selon leurs besoins et structurent d’après l’usage. Dans la mesure où certains modes d’usage de l’espace s’éternisent, vu que la communauté d’hommes qui y vivent n’utilise cet espace que d’une certaine façon, tacitement convenue, il naît une sémantique sociale de l’espace qui transforme cet espace d’un paysage naturel en un paysage culturel.
Par conséquent, ces espaces ne se laissent saisir systématiquement que selon les fonctions que l’on leur attribue d’après les conventions sociales. On peut reconnaître ces fonctions par des traces ou des signes matériels, que l’on trouve dans cet espace, ou bien que l’on met en rapport avec celui-ci. Il s’agit donc de révéler les traces d’activités humaines qui mènent à une perpétuation et, à long terme, à une pétrification des structures de l’espace. Ce qui en fait partie, ce sont, par exemple, les pistes battues à travers les brousses ou les prairies, les actes réguliers de supprimer les broussailles qui continuent à pousser, de même que, par exemple, des routes de caravanes ainsi que les stations de repos établies pour maintenir celles-ci, ou encore des voies romaines et leurs postes. Il est bien évident que, jusqu’à nos jours, on puisse poursuivre tout cela, sous l’aspect historique, jusqu’aux pistes battues qui servent aux raccourcis dans les jardins publics, mais aussi aux autoroutes. De même, on peut déterminer et décrire toutes les autres fonctions sociales de l’espace, au sens d’un profond sondage archéologique et historique. Cela vaut aussi bien pour les fonctions de logement que pour les espaces dont la fonctionnalité réside dans le commerce ou bien dans les services rendus. Nous retrouvons toutes ces fonctions à Adlershof, le long de la Dörpfeldstrasse (l’ancienne Bismarckstrasse), qui a été aménagée en tant que route de raccordement entre Berlin et Fürstenwalde, avec correspondance pour Breslau et les voies commerciales en direction de l’Europe de sud-est et de l’Asie Mineure. Depuis sa fondation, cette rue à Adlershof a eu cette fonction d’une rue de bazar qu’elle continue à remplir jusqu’à nos jours. À côté des lieux de commerce (magasins), établis sous forme de constructions fixes, se présente, par le marché de Adlershof, une place qu’en raison de cette fonction même, on a laissée non bâtie, prévue pour le commerce ambulatoire, nomadisé et temporaire, telle que l’on l’utilise jusqu’à aujourd’hui. Un autre type de commerce se présente par les localités dans lesquelles on pouvait acheter des plats préparés et des boissons que l’on consommait sur place. Il s’agit de toute une série de restaurants dont beaucoup ont trouvé aujourd’hui un autre usage. Il paraît d’autant plus importants de préserver les restaurants encore existants ainsi que les traces de leurs anciennes fonctions. Alors que toutes les fonctions et tous les modes d’usage de l’espace tels que l’on vient de nommer se trouvent à nord-est de la ligne ferroviaire qui mène à Königswusterhausen, le territoire à sud-ouest de la ligne révèle une tout autre fonction fondamentale. Dans le cas de cette région qui, au sud, est limitée par le village Altglienicke et, au nord, par la colonie urbaine Johannesthal, il s’agit d’un territoire qui, jadis, servait de terrain d’exercices. Dans la mesure où, au cours du 19ème siècle, de plus en plus des représentants de métiers militaires acquéraient également des qualifications d’ingénieurs civils, les terrains d’exercices militaires deviennent des territoires où l’on fait preuve de performances d’ingénierie. C’était précisément le cas pour le terrain d’exercices à sud-ouest de la ligne ferroviaire, que l’on avait mis à disposition, en tant qu’aérodrome Johannisthal, aux ingénieurs militaires et civils. Ainsi, tous les pionniers d’aviation allemands de renom, ainsi que, par occasions, des pionniers d’aviation étrangers que l’on invitait, ont montré ici leurs tours de force techniques. Il était né, sur cet aérodrome, un paysage industriel de la technologie d’aviation, dans lequel aussi de nombreux habitants de Adlershof ont trouvé des revenus. On y établit un bataillon aéronautique de la Reichswehr impériale ainsi qu’une école d’aviation pour l’opération militaire, ce qui s’accompagna d’une grande arrivée du personnel militaire à Adlershof. Finalement, il faut y ajouter que les spectacles d’aviation constituaient toujours une attraction extraordinaire pour un public de badauds. Parfois, c’était donc plusieurs milliers de visiteurs qui arrivaient à l’aérodrome. Les organisateurs profitaient de l’occasion pour aménager des tribunes et des places assises fixes, pour lesquelles il fallait, ensuite, payer l’entrée. Pour garantir l’approvisionnement des badauds, on construisit des kiosks et des établissements de service, et finalement, pour faire face aux afflux de visiteurs, on aménagea une station supplémentaire du train de la banlieue, pour arriver plus rapidement à l’aérodrome.
L’aérodrome Johannisthal est devenu un mythe qui caractérise cet endroit surtout comme endroit où se réalise l’innovation technologique. Au cours des années 20 du 20ème siècle, on y a construit toute une série d’édifices techniques qui, tels le tunnel aérodynamique, le « Trudelturm », ou les hangars pour les avions qui existent toujours, en tant que monuments techniques, sont classés, aujourd’hui, monuments historiques.
À la même époque, s’était implantée ici la radio-technologie et, dès lors, l’aérodrome de Johannisthal était également utilisé pour la construction de radio-stations, de stations d’émission et d’établissements pour la radio et la télévision. Il est né, ainsi, après la fin de l’ère de la technique aéronautique, un vaste terrain réservé à la radio et à la télévision, ainsi qu’à la production d’émissions. Ici, il existe de même des édifices qui sont classés monuments historiques ou devrait encore l’être.
La fin de la télévision allemande de la R.D.A., qui y était installée dans les années 1990/91, mit encore à disposition ce terrain, et de nouveau le mythe « Johannisthal/Adlershof » perdurait comme paysage culturel, pour aboutir aux décisions respectives concernant l’usage futur de l’espace. D’après le modèle de l’usage à la fois civil et public de l’aérodrome Johannisthal, on décida alors de développer l’endroit de sciences Adlershof qui fait fonction de campus périphérique de l’Université Humboldt de Berlin. En même temps, y est garanti, par l’implantation d’établissements de recherches privés, le mélange traditionnel d’intérêts publics et privés. On attend de celui-ci un profit dans l’intérêt des deux. De nouveau, des dizaines de milliers d’hommes envahissent Adlershof/ Johannisthal, non seulement pour les études, mais aussi comme visiteurs curieux lors de manifestations, comme la longue nuit des sciences, et descendent à la même station du tram que les hommes qui, jadis, étaient fascinés par la construction aéronautique. Ainsi, l’endroit garde, depuis plus de cent ans, une fonction fixe dans la topographie imaginaire des habitants de Berlin et des habitants de Adlershof : c’est un espace de la culture technique, ou bien, un paysage techno.
L’implantation de la ville de recherches Adlershof, depuis la fin des années 90 du 20ème siècle, y a également donné lieu aux changements démographiques bien visibles. Au cours de la globalisation, de nombreux scientifiques accompagnés de leurs familles sont venus de partout à Adlershof et ont trouvé ici leur nouvelle patrie. Ainsi, Adlershof est devenu, du moins partiellement, un endroit scientifique et résidentiel où, depuis, commence à se profiler, aussi bien en ce qui concerne la composition de la population, qu’avec vue sur les cultures présentes, une image de conditions de communication modernes et globalisées.
Appendices
Notes
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[1]
http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00006, accédé le 13 février 2013.
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[2]
Pour les détails de l’histoire de Adlershof cf. Rudi Hinte Adlershof. Vom Colonistendorf Sueszen Grundt zum Zentrum für Wissenschaft und Wirtschaft, 2 vols. Berlin : Medienbüro Ebner, 2000.
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[3]
Günter Schmitt, Als die Oldtimer flogen – Die Geschichte des Flugplatzes Johannisthal, Berlin Transpress, 1980; Gert Steidle, Johannisthal Flugplatz und Wiege der deutschen Luftfahrt, http://www.luftfahrtarchiv.eu, accédé le 13 février 2013.
-
[4]
Pour les détails historiques de la construction des chemins de fer au travers Adlershof et de la gare de Adlershof cf. Helmut Prochnow Die Geschichte des Bahnhofs Berlin-Adlershof, Berlin : Eigenverlag, 2011.
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[5]
Pour l’histoire de la télévision de la R.D.A. cf. Hans Müncheberg Blaues Wunder aus Adlershof. Der Deutsche Fernsehfunk – Erlebtes und Gesammeltes, Berlin : Verlag Das Neue Berlin, 2000.