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1. Contexte et problématique de la gestion des eaux usées industrielles

L’industrie est une interface majeure entre l’humain et le milieu naturel. Elle prélève des ressources dans le milieu naturel afin de concevoir des biens ou des services qui répondent aux besoins de l’humain et rejette des déchets, des effluents dans ce milieu naturel. L’approche linéaire historique où l’utilisation de la ressource est faite de manière illimitée et la production de déchets est non gérée est en passe d’évoluer vers des dynamiques circulaires. En effet, des approches circulaires des flux émergent et font entrevoir des stratégies ayant pour objectifs la réduction des pressions de l’être humain sur son environnement. Les concepts soutenant ces approches s’appuient sur les synergies entre les cycles anthropiques et les cycles naturels. La symbiose entre ces deux éléments nécessite une approche aux interfaces entre l’être humain et le milieu naturel. (Orée, 2009 ; Grazilhon, 2015)

Un des enjeux des entreprises aujourd’hui est la gestion de l’eau qu’elles utilisent dans leur processus, et ce, pour faire face à la pression sur la préservation de la ressource.

De manière générale, la composition des eaux rejetées par l’humain diffère de celle d’un cours d’eau à l’état « naturel ». De plus, les concentrations des substances, telles que la matière organique, certains métaux ou nutriments, sont plus élevées dans les eaux de rejets que dans le milieu naturel. En outre, les eaux de rejets peuvent également contenir des molécules ou composés créés par l’être humain (produits ou sous-produits chimiques) qui ne sont pas assimilables par les écosystèmes (Le Goff, 2004). Ainsi, au contact de ces effluents, les écosystèmes se modifient, puis se détériorent.

Pour évaluer l’état des écosystèmes aquatiques sur son territoire, l’Europe a mis en place une règlementation communautaire : la Directive Cadre sur l’Eau (DCE). Adoptée par le parlement européen le 23 octobre 2000, la DCE établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. En particulier, un des objectifs mis en avant par la DCE pour les états membres est l’atteinte d’ici 2015 du bon état écologique et chimique pour tous les cours d’eau. Pour chaque masse d’eau, un niveau de confiance est attribué, basé sur un état écologique et chimique. En 2009, en France, 45 % des masses d’eau sont en bon état chimique, et 45 % en « bon » ou « très bon » état écologique. En 2013, parmi les 11 435 masses d’eau de surface (cours d’eau, plans d’eau, eaux de transition, eaux côtières) : 12,3 % sont en très bon état écologique ; 31,1 % sont en bon état écologique ; 41,5 % sont en état écologique moyen ; 10,3 % sont en état écologique médiocre ; 3,8 % sont en mauvais état écologique ; 1 % sont en état indéterminé (les informations sont insuffisantes pour attribuer un état) (ONEMA, 2015). En 2015, seulement 53 % des masses d’eau sont conformes aux objectifs de la Directive Cadre (EEA, 2015).

Ainsi, les rejets industriels, de par leur composition, peuvent impacter à la fois l’état écologique et l’état chimique des masses d’eau et donc rendre l’atteinte des objectifs de la DCE incertaine. Toutefois, la prise en compte des problématiques environnementales dans la gestion des émissions industrielles est aujourd’hui bien ancrée dans la règlementation française et européenne.

Ainsi, la directive européenne sur les émissions industrielles, dite IED (Industrial Emission Directive), impose aux états membres, et notamment à la France un cadre de fonctionnement afin de réduire les émissions industrielles dans leur ensemble (Parlement européen et conseil de l’Union Européenne, 2010).

Les installations soumises à la directive IED sont contraintes à :

  • Faire une demande d’autorisation à exploiter,

  • identifier et mettre en place des techniques de production ou de traitement des émissions (air, eau) ou des déchets ayant des performances au moins équivalentes à celles des Meilleures Techniques Disponibles (MTD) afin d’éviter certaines émissions,

  • prendre en compte les contraintes locales (qui fait notamment référence à la DCE) pour l’élaboration des Valeurs Limites d’Emission (VLE).

La transcription en droit français de la directive IED repose, en partie, sur la réglementation des Installations Classées pour le Protection de l’Environnement (ICPE) pour laquelle une procédure d’autorisation existe depuis 1977. Pour les ICPE, leurs émissions sont règlementées de manière générale en termes d’émissions par l’arrêté du 2 février 1998. Pour la plupart des secteurs d’activités, des arrêtés sectoriels plus précis fixent certaines conditions d’exploitations, et certaines valeurs d’émissions à ne pas dépasser. L’élaboration des seuils d’émissions se fonde sur la règlementation d’une part dite « industrielle » : ICPE et IED, et, d’autre part, dite « milieu naturel » qui concerne notamment la protection de la ressource en eau : la DCE. La procédure d’autorisation, qui concerne les installations les plus susceptibles d’avoir des impacts sur les milieux aquatiques permet, la mise en application des objectifs réglementaires et en théorie l’articulation avec la DCE ainsi que les différents acteurs impliqués.

Les projets soumis à autorisation selon la directive IED ou la règlementation ICPE suivent approximativement le même processus : une phase d’étude, pendant laquelle le projet prend sa forme définitive et où sont réalisées les études d’impact environnemental. Lorsque des eaux usées sont générées, cette phase d’étude permet de définir par rapport au milieu récepteur et à la règlementation des objectifs de traitement sur lesquels seront basé en partie le choix des techniques de traitement à mettre en place et un cahier des charges pour dimensionner les installations. Cette phase d’étude aboutit ainsi à l’élaboration d’un dossier de demande d’autorisation d’exploiter (DDAE), qui doit contenir différents éléments, dont l’étude d’impact. Ce dossier est transmis à la préfecture du département où le projet doit s’implanter pour la procédure complète liée à l’autorisation. Si le projet est autorisé, l’arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter fixe les conditions d’exploitation et en particulier les Valeurs Limites d’Emission (VLE) pour les effluents aqueux du projet. Une fois seulement le projet autorisé, il peut entrer en phase de réalisation puis d’exploitation.

Le processus de décision implique plusieurs catégories d’acteurs ayant un positionnement et une force différents dans les processus décisionnels (tableau 1). Grazilhon (2015) a montré dans sa thèse qu’il existe un déséquilibre entre les acteurs dans le processus décisionnel : deux acteurs forts (l’industriel et le préfet de département délivrant l’autorisation) cohabitent avec des acteurs faibles, notamment les acteurs représentant les milieux naturels.

Tableau 1 : Catégories d’acteurs impliqués dans les processus décisionnels relatifs à l’étude d’impacts

Tableau 1 : Catégories d’acteurs impliqués dans les processus décisionnels relatifs à l’étude d’impacts

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Ce contexte réglementaire, qui à priori met la protection du milieu naturel au cœur des réflexions, ne permet pas, aujourd’hui, de le prendre en considération dans les processus décisionnels. Ainsi, la question posée est « comment prendre en considération le milieu récepteur comme acteur du système dans les processus décisionnels pour la gestion des rejets industriels ? ».

Pour répondre à cette question, cet article présente, dans la seconde partie, les éléments qui ont permis de mettre les services écosystémiques au cœur de la réflexion. La partie 3, présentation de l’intégration des services écosystémiques dans la méthodologie proposée qui sera appliquée dans la partie 4. Une discussion terminera cet article en partie 5 avant la conclusion finale.

2. Réflexions/concepts

Dans la partie précédente, il apparait que les milieux naturels sont des acteurs absents, de par leur nature, et représentés par des acteurs « faibles », c’est-à-dire, qui ne possèdent pas de pouvoir décisionnel dans les processus d’autorisation de projets ayant potentiellement un impact sur l’environnement

L’idée ici est de réintégrer le milieu récepteur comme acteur du système en lien avec le rejet de produits aqueux. Pour cela il est proposé d’aborder la gestion de la qualité des effluents au travers de :

  • l’application des principes directeurs de l’ISO 9000,

  • la considération d’un effluent industriel comme un produit,

  • la prise en compte du milieu naturel comme client.

2.1. Intégrer le milieu récepteur comme acteur du système industriel au travers la notion de qualité industrielle

Le terme de qualité est fréquemment employé aujourd’hui dans divers domaines et disciplines. Afin de guider les entreprises dans le management de la qualité, en 1987 apparait la série des normes ISO 9000.

La norme ISO 9000 sur les Systèmes de management de la qualité s’intéresse particulièrement à la gestion de la qualité des produits entre les différentes parties prenantes, du sous-traitant au fournisseur et du fournisseur au client (figure 1). Ainsi, dans un contexte industriel, la norme ISO 9000 a été élaborée avec pour objectif d’aider « les organismes de tous types et de toutes tailles à mettre en œuvre et à appliquer des systèmes de management de la qualité efficaces » (ISO, 2005).

Fig. 1

Figure 1 : Axes d’orientation de la démarche de management de la qualité (ISO, 2005)

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Comme nous pouvons le constater sur la Figure 1, l’activité humaine est totalement isolée et déconnectée de son environnement ; l’environnement n’est pas pris en considération dans le processus de qualité.

Cependant, l’environnement est une composante essentielle du territoire (Cerceau, 2013) et doit donc s’inscrire dans les processus d’échange et de management des activités anthropiques sur ce territoire. De ce fait, le positionnement de l’environnement dans ces relations entre acteurs forts (Sébastien, 2011) doit être repensé non pas comme un élément qui supporte seulement des activités, mais comme acteur du système territorial sur lequel l’activité est implantée. En s’inscrivant dans ce schéma, l’environnement se positionne en relation directe avec le système fournisseur et donc indirectement avec le client. Le fournisseur étant l’activité anthropique sur laquelle l’étude est centrée.

La figure 2 montre l’intégration des échanges fournisseur/environnement sur le même plan que les relations fournisseur/client (pour des raisons de lisibilité, les relations fournisseur/sous-traitant n’ont pas été représentées sur le schéma).

Fig. 2

Figure 2 : Proposition d’application du concept de qualité défini par l’ISO 9000 (ISO, 2005) aux échanges avec l’environnement

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L’intégration de l’environnement dans le processus qualité nécessite néanmoins de considérer l’écosystème comme « client » du produit « rejet » qui est dans notre cas des effluents aqueux.

Or, la norme ISO 9000 (ISO, 2005) définit le client comme l’organisme ou la personne qui reçoit un produit ; un organisme étant un ensemble d’installations et de personnes avec des responsabilités, pouvoirs et relations (par exemple une entreprise, une institution, une association, etc.).

Dans le cas des rejets industriels aqueux, le client (le milieu récepteur pour un effluent) est donc défini comme l’ensemble des systèmes et des écosystèmes en contact avec ledit effluent et susceptibles d’être impactés par lui.

Par contre, la difficulté de prendre en compte un écosystème comme client ou de manière plus générale comme partie prenante est liée à son incapacité à exprimer un besoin (« les exigences » sur la figure 2). Cela nous amène à poser la question : « quels sont alors les besoins d’un écosystème et comment les évaluer ? ».

2.2. Appréhension des besoins d’un écosystème

Pour un organisme vivant, les besoins sont par définition les besoins élémentaires et biophysiologiques (Maslow, 1943), illustré par exemple dans (Rishi et al., 2007) (Noltemeyer et al., 2012). Ces besoins sont résumés par le concept d’homéostasie, développé par Bradford Cannon en 1932. L’homéostasie est un équilibre dynamique obtenu grâce à un ensemble de processus de régulation qui permettent la pérennité d’un système quelconque (vivant ou non, fermé ou ouvert) en dépit des contraintes extérieures (Cannon, 1932 ; Larousse, 2014). Notons que cette notion est étendue au domaine du non-vivant. Ainsi les besoins d’un milieu naturel se définissent aussi bien en termes d’état (qualité de l’eau, biodiversité, morphologie et hydraulique) que de mécanismes de régulation internes à l’écosystème qui lui permettent de conserver un état quasi stationnaire. La notion de besoin est ainsi appréhendée au travers de l’homéostasie de l’écosystème, c’est-à-dire de la composition de l’eau et des mécanismes de régulation, couramment appelés mécanismes d’autoépuration.

L’autoépuration est un ensemble de mécanismes visant à restaurer le milieu dans son état initial suite à une modification physique, chimique, et/ou biologique du milieu (Vagnetti et al. 2003). Ce processus a été mis en évidence et étudié dès les années 1970 (Knowles, Wakeford, 1978).

Afin de pouvoir évaluer les besoins du client Milieu naturel, il est donc nécessaire de trouver des outils permettant de quantifier l’autoépuration. L’évaluation de l’autoépuration dans un cours d’eau peut se faire de deux manières : expérimentale ou théorique.

L’approche expérimentale repose sur l’acquisition d’un important jeu de données sur le milieu étudié qu’il s’agira d’interpréter par la suite. Un modèle expérimental permet d’évaluer de façon précise sur un tronçon de rivière donné, la capacité d’autoépuration de manière empirique, par exemple la quantité de tel composé dégradé par unité de longueur du cours d’eau en question. Cependant, ce type de modèle (expérimental) ne permet pas de faire de la prévision à long terme (Cox, 2003), car le fonctionnement d’un cours d’eau peut varier dans le temps. C’est ce que montrent Vagnetti et al. (2003) dans leur étude d’un canal en 2002. Ils ont également montré la difficulté d’interprétation des données pour certains paramètres.

L’approche théorique repose sur une modélisation de l’écosystème. De nombreux modèles existent pour représenter le fonctionnement des écosystèmes : SIMCAT, TOMCAT, QUAL2E, QUASAR, POLMOD.PEST, RIVE, SENEQUE parmi d’autres (Whitehead et al., 1997 ; Pykh, Malkina-Pykh, 1997 ; Tabuchi et al., 2012). Mais ces modèles ne prennent pas tous en compte les mêmes paramètres pour la mise en équation des procédés de transformation, ni les mêmes procédés et, dans l’ensemble, il n’y a pas de prise en compte des composés chimiques, métaux… Par rapport aux paramètres ceux – ci sont nombreux et peuvent varier dans des fourchettes importantes, ce qui peut entrainer des résultats de simulation relativement éloignés des valeurs réelles (Salla et al, 2016). Cela nécessite, si l’on veut obtenir des résultats plausibles de les caler à partir de mesures réalisées sur le cours d’eau que l’on veut étudier (Salla et al. 2015). De plus, ces modèles exigent de nombreuses informations (notamment en termes de paramètres) sur le système hydrologique qu’ils doivent modéliser, informations qui sont souvent absentes (Manina et al, 2010). Par rapport, aux modèles eux-mêmes, ils s’appuient pour la plupart sur la loi de Fick pour le transport des polluants dans les eaux, bien que des mesures tendent à montrer que les polluants n’obéissent pas totalement à l’advection/dispersion (Benedini, 2011). Les résultats de cette modélisation ne sont pas parfaits.

Finalement, la complexité de l’évaluation et de la modélisation de l’autoépuration met en évidence l’impossibilité actuelle d’évaluer les besoins d’un écosystème aquatique et donc de considérer les écosystèmes aquatiques comme clients.

2.3. Identification d’un nouveau client - l’être humain - et utilisation des services écosystémiques

L’impossibilité d’évaluer les besoins d’un écosystème aquatique de façon simple, rapide et pertinente amène à élargir l’étude du milieu récepteur afin d’identifier un nouveau client apte à exprimer ses besoins : l’être humain est vu comme utilisateur des services rendus par le milieu naturel. Ce sont donc les besoins de l’être humain, en tant que clients secondaires, qui sont pris en considération. Cette nouvelle considération permet de reprendre la figure 2 (pour des raisons de lisibilité, les relations processus fournisseur/processus client n’ont pas été reproduits). Sur la figure 3 sont représentés les échanges entre les processus écosystémiques (du système « milieu récepteur ») et les processus anthropiques bénéficiaires des services écosystémiques.

Fig. 3

Figure 3 : Schéma conceptuel — élargissement du concept de qualité défini par l’ISO 9000 (2005) aux échanges entre l’environnement et les processus anthropiques bénéficiaires des services écosystémiques produits par les milieux récepteurs

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Ainsi les exigences des processus anthropiques vis-à-vis des services écosystémiques produits par les processus écosystémiques du milieu récepteur peuvent être évaluées sur la base de paramètres de qualité de l’eau. Sur la base des paramètres choisis pour la réponse à ces besoins, les caractéristiques du milieu récepteur pourront être déterminées pour la satisfaction de ces besoins. Ces caractéristiques du milieu pourront ensuite être utilisées en tant que besoin des écosystèmes constitutifs du milieu récepteur, en particulier pour l’écosystème aquatique récepteur de l’effluent.

Dans ce cadre, les services écosystémiques, qui constituent l’interface entre les écosystèmes et l’humain, permettent une appréhension directe des impacts anthropiques sur les écosystèmes par la modification des services rendus et donc les impacts sur le bien-être de l’humain. En effet, l’humain par son rejet s’impacte lui-même en impactant les écosystèmes sur lesquels il repose en tant que bénéficiaire des services écosystémiques.

Ces réflexions ont permis d’aboutir à une méthodologie d’aide à la gestion des rejets industriels utilisant les services écosystémiques qui sera présentée dans le paragraphe suivant.

3. Méthodologie

3.1. Objectif et étapes de la méthodologie.

L’objectif de la méthodologie développée est de dimensionner des rejets aqueux industriels en milieu naturel répondant aux besoins de l’ensemble des parties prenantes dans l’objectif du maintien ou de l’atteinte du bon état des cours d’eau (réponse à la DCE) reposant sur l’identification des services écosystémiques produits sur une zone géographique. Ce dimensionnement des rejets passe par la définition de seuils de rejet et de rendements épuratoires pour l’effluent qui doit être rejeté.

La méthodologie proposée se décompose selon les 4 étapes suivantes :

  • Étape 1 : Définition de l’aire d’étude pour le projet

  • Étape 2 : Description et analyse de l’aire d’étude

  • Étape 3 : Évaluation des impacts du rejet sur l’aire d’étude

  • Étape 4 : Évaluation des besoins des cibles, élaboration de seuils de rejet et de rendements épuratoires pour le traitement des eaux usées du projet

Les paragraphes suivants décrivent les différentes étapes de la méthodologie avec un niveau de détail plus important pour les étapes employant les services écosystémiques.

3.2. Étape 1 : Définition de l’aire d’étude.

La définition des aires d’étude est une des premières étapes de l’étude d’impact (MEDDE 2010 ; Michel 2001). Il s’agit de délimiter une ou plusieurs zones, sur la zone géographique entourant le site d’implantation du projet, pour l’étude de ses impacts sur l’environnement.

3.3. Étape 2 : Description et analyse de l’aire d’étude.

Dans cette étape, l’aire d’étude définie à l’étape précédente est analysée du point de vue de sa composition (étape 2.1) et des services écosystémiques produits par ses composantes (étape 2.2).

3.3.1. Étape 2.1 Identification de l’ensemble des composantes de l’aire d’étude

Il s’agit d’identifier, de différencier et de décrire les différentes parties ou écosystèmes qui composent l’aire d’étude. L’outil de base utilisé pour cette analyse est la représentation paysagère de l’aire d’étude sous Corine Land Cover (CLC). Pour la représentation des cours d’eau, cette cartographie peut être complétée par exemple par l’emploi des Systèmes d’Information sur l’Eau (SIE : http://www.eaufrance.fr/comprendre/les-donnees-sur-l-eau/?id_article=833) des différents bassins hydrographiques. À l’issu de cette étape, deux éléments sont obtenus :

  • une carte de la zone géographique et de ses composantes hydrographiques et paysagères,

  • une liste des composantes de l’aire identifiées.

3.3.2. Étape 2.2 Identification des services produits par les composantes de l’aire d’étude : les services écosystémiques

Plusieurs définitions et catégorisations des services écosystémiques se retrouvent dans la littérature. Ainsi, les services écosystémiques peuvent se catégoriser comme intermédiaires (fonctions, processus écologiques, entités biophysiques associées) ou finaux (composante de la biodiversité directement utilisée, consommée, appréciée par les humais) (Fisher et al, 2009). Cependant, ces catégorisations peuvent s’avérer différentes en fonction des auteurs (Couvet, 2016). L’idée ici n’est pas de donner une nouvelle définition des services, mais de s’assurer de la faisabilité de prendre en considération la notion de service écosystémique dans les processus de prise de décision. Ainsi, nous avons choisi de retenir la définition des « services écosystémiques majeurs » du MEA bien que les services proposés soient de dimensions hétérogènes.

Le MEA inventorie et catégorise les différents services rendus par les écosystèmes. Ceux-ci se divisent en quatre groupes (MEA, 2005) :

  • Les services support « nécessaires à tous les autres services écosystémiques » : formation du sol, cycle des nutriments, production primaire. Ces services sont également appelés « intégrité de l’écosystème » par certaines communautés (Burkhard et al., 2009) ;

  • Les services de régulation qui sont les « bénéfices engendrés par la régulation des processus écosystémiques » : la régulation du climat, des maladies, de l’eau, la purification de l’eau, la pollinisation ;

  • Les services d’approvisionnement de « produits fournis par les écosystèmes » : nourriture, eau pure, bois de chauffage, fibres, biochimie, ressources génétiques ;

  • Les services culturels constituent les « bénéfices immatériels apportés par les écosystèmes » : spirituels et religieux, les loisirs et l’écotourisme, l’esthétique, l’inspiration, l’éducation, sentiment d’appartenance, héritage culturel.

Cependant, suivant la source bibliographique, certains services ne se trouvent pas toujours dans la même catégorie, par exemple, les cycles nutritifs sont cités comme services de support par le Millenium Ecosystem Assessment, par Burkhard et al (2009), ainsi que par Baker et al (2012), mais sont classés comme service de régulation dans le rapport de l’ONEMA (Wallis et al., 2011). Les différents services écosystémiques peuvent également être différents dans le détail suivant les auteurs.

Pour la suite de ce travail, seuls les services écosystémiques répondant de manière directe à un besoin de l’humain seront conservés. Certains services « supports », qui relèvent du fonctionnement intrinsèque des écosystèmes, difficilement appréhendables de manière quantitative en termes de besoin, ont été écartés de l’étude. Ainsi, nous avons choisi de ne pas traiter les services tels que la pollinisation, les cycles nutritifs, la capture d’exergie. De plus, certaines dénominations ont été adaptées. (Grazilhon, 2015)

Afin d’apporter une représentation structurée des services écosystémiques et d’en assurer une utilisation dans le cadre de la prise de décision au regard des composantes de l’aire d’étude, les services fournis par les différents types d’écosystèmes sont représentés dans une matrice des services, à la manière de Burkhard (Burkhard et al., 2009). Cette matrice (tableau 2) permet de :

  • sélectionner uniquement les composantes présentes sur l’aire d’étude (correspondant aux unités paysagères CLC identifiées à l’étape 2.1),

  • lister et nommer de manière exhaustive les différentes composantes de la zone géographique.

À l’issue de cette étape, seuls les services associés aux composantes effectivement présentes sur l’aire d’étude sont conservés (unités paysagères et masses d’eau).

Fig. 4

Tableau 2 : Matrice des services écosystémiques produits par les composantes du milieu récepteur

Tableau 2 : Matrice des services écosystémiques produits par les composantes du milieu récepteur

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En outre, les services produits et les services non produits pour chacune des composantes de l’aire d’étude à l’étape 2.1 doivent être identifiés. Les éléments permettant d’attribuer un service réellement rendu par une composante territoriale relèvent d’une étude de terrain. À l’issue de cette étude locale, les services produits par les différentes composantes sont représentés dans la matrice par une notation à échelle binaire inscrite à chaque intersection service/composante :

  • 0 = le service n’est pas produit par cette composante ;

  • 1 = le service est produit par cette composante.

Une matrice « portrait » des composantes de l’aire d’étude et des services qu’elles fournissent est ainsi obtenue pour la zone géographique mise en jeu.

3.4. Étape 3 : Évaluation des dommages liés aux impacts du projet sur l’aire d’étude.

L’évaluation des dommages causés par le rejet sur la zone géographique nécessite en premier lieu l’étude des flux d’eau, vecteurs de l’impact (étape 3.1), puis l’étude de l’évolution sur le réseau hydrographique de l’aire d’étude des composés véhiculés par ce vecteur et l’identification des composantes susceptibles de subir des effets (étape 3.2). Enfin, les différents impacts ainsi que les cibles et parties prenantes associées sont identifiées (étape 3.3).

3.4.1. Étape 3.1 Analyse des flux d’eau sur l’aire d’étude.

Le but de cette étape est de modéliser les flux d’eau sur un diagramme pour visualiser les relations véhiculées par l’eau entre les différentes composantes de l’aire d’étude identifiées dans les étapes précédentes. Seuls les transferts par les eaux de surface sont considérés. En effet, l’évaluation des effets et par la suite des impacts d’une modification d’un cours d’eau sur la nappe nécessitent une étude de terrain et la collecte d’un grand nombre de données (Paran, Graillot, Dechomets 2010).

Dans ce diagramme de flux, la matrice portrait correspondante élaborée à l’étape 2 peut ainsi être simplifiée, ne représentant que les composantes impliquées dans les échanges d’eau avec le milieu récepteur.

3.4.2. Étape 3.2 Étude des effets induits par le rejet.

Cette étape consiste à évaluer le cheminement des différents composés du rejet sur l’aire d’étude afin d’identifier les composantes/écosystèmes pouvant subir des effets suite au rejet. Une fois ces composantes identifiées, cette étape va consister à évaluer la possibilité d’effets ou non sur les différents services fournis par ces composantes.

Comme expliqué dans le paragraphe 1, les phénomènes d’autoépuration ne sont pas considérés. Les modifications qu’implique un rejet sur les masses d’eaux réceptrices et avals sont évaluées par calculs de dilution simple qui ne sont pas détaillés dans cet article.

3.4.3. Étape 3.3 Identification des dommages potentiels, des cibles et des parties prenantes.

Identification des services potentiellement dommageables des différentes composantes

Dans un premier temps, la démarche consiste à identifier les services fournis par les différentes composantes qui peuvent être affectés par les impacts de la modification du milieu. Ces services peuvent subir des dommages de manière directe ou indirecte (causés par un ou plusieurs dommages directs). En matérialisant ces dommages par des flèches, un arbre des conséquences permettant de visualiser le spectre des dommages liés à la modification physicochimique du milieu récepteur peut être construit sur la matrice eau. La construction de l’arbre des dommages démarre à partir de l’élément déclencheur : dans l’étude des impacts des rejets d’eaux usées, l’élément déclencheur est la modification du milieu dans lequel l’effluent est rejeté. Cette modification se traduit en termes quantitatifs et qualitatifs (effets évalués à l’étape 3.2). Elle entraîne potentiellement en premier lieu des dommages sur les services fournis par le milieu récepteur et en second lieu sur les services fournis par les autres composantes de la matrice « portrait-eau ».

Identification des cibles et des parties prenantes

Dans un deuxième temps, pour chaque service de chaque composante pouvant subir des dommages, il est alors possible d’identifier les cibles : ce sont les bénéficiaires de ces services. L’identification des cibles se fait sur le terrain, et/ou en concertation avec des experts (bureaux d’étude, DREAL, etc.). Après l’identification des cibles associées aux services écosystémiques impactés, il est important d’identifier les parties prenantes susceptibles de les représenter dans les processus décisionnels.

De cette troisième étape, un arbre des dommages/conséquences du rejet sur son aire d’étude et pour chaque composante concernée est proposé ; il reprend les services pouvant subir des dommages, les cibles et leurs parties prenantes.

3.5. Étape 4 : Évaluation des besoins des cibles, élaboration de seuils de rejets et de rendements épuratoire pour le traitement des eaux usées du projet

3.5.1. Étape 4.1 Évaluation des besoins des cibles vis-à-vis des milieux récepteurs

L’évaluation des besoins des cibles se fait au regard des services potentiellement dommageables et des cibles identifiées. Le tableau 3 présente une liste non exhaustive des services potentiellement dommageables suite à un rejet d’eaux usées dans un cours d’eau. L’évaluation de la capacité du milieu à répondre aux différents besoins peut se faire à l’aide de plusieurs normes ou textes réglementaires qui sont ou qui ont été en vigueur en France :

  • le bon état des masses d’eau défini par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) et dont les normes sont fixées en France par l’arrêté du 25/01/2010,

  • les Normes de Qualité Environnementale (NQE) pour les substances dangereuses et les substances dangereuses prioritaires, ainsi que les NQE proposées par l’INERIS pour un certain nombre d’autres composés,

  • la SEQ eau (SEQ), qui n’est plus en vigueur, mais qui propose pour différentes catégories de vocation du milieu (abreuvage, production d’eau potable, irrigation, loisirs, aquaculture) des normes à respecter pour différents paramètres.

Tableau 3 : Exemples de services pouvant être impactés par des rejets d’eaux usées et besoins spécifiques relatifs à ces services

Tableau 3 : Exemples de services pouvant être impactés par des rejets d’eaux usées et besoins spécifiques relatifs à ces services

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Les valeurs les plus discriminantes pour chaque paramètre sont choisies comme concentrations maximales à ne pas dépasser dans chaque milieu pouvant potentiellement subir des effets.

3.5.2. Étape 4.2 Détermination des seuils de rejet acceptables et de rendement épuratoire pour le traitement des eaux usées du projet

Une fois que l’ensemble des contraintes règlementaires en termes de rejet pour chaque paramètre est identifié, le calcul du rendement minimum pour chaque composé est effectué pour les filières de traitement des effluents.

Ainsi, des seuils de rejets acceptables et les rendements des filières de traitement des eaux usées peuvent être proposés afin de se conformer à un objectif de bon état des milieux, de prendre en considération le maintien des services écosystémiques et le respect de l’ensemble de la règlementation en vigueur.

4. Exemple d’application

La méthodologie précédente a été appliquée sur le site d’embouteillage du groupe Castel Frères situé près de Bordeaux, afin d’évaluer les impacts d’un rejet des effluents aqueux dans le milieu naturel. Du fait de son activité et du volume de production, l’usine est une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE) d’après plusieurs rubriques.

Les différentes étapes de la méthodologie sont développées dans les paragraphes suivants.

4.1. Étape 1 Définition de l’aire d’étude

Les impacts des rejets aqueux sont portés par le vecteur de l’eau, c’est-à-dire par le réseau hydrographique dont fait partie le milieu récepteur : la Jalle de Blanquefort.

La carte (figure 4) montre le réseau hydrographique de la zone d’étude avec un axe principal, le fleuve de la Garonne et un réseau secondaire dont fait partie le cours d’eau dans lequel le rejet est prévu pour le projet : la Jalle de Blanquefort, au sud du site.

4.2 Étape 2 description et analyse de l’aire d’étude

4.2.1 Étape 2.1 : Identification de l’ensemble des composantes de l’aire d’étude

L’aire d’étude est analysée selon une étude cartographique. Visuellement, les photographies aériennes montrent un paysage essentiellement agricole avec quelques zones urbaines et industrielles au niveau de Blanquefort et de la rive droite du fleuve. Plusieurs plans d’eau se trouvent proches du site. Le réseau hydrographique de surface apparait avec le fleuve, La Garonne, et notamment la Jalle de Blanquefort qui est destinée à recevoir les effluents du site (figure 4).

Afin de connaitre plus précisément les écosystèmes et de manière générale les composantes de l’aire d’étude, la zone géographique est visualisée sur une carte représentant les unités paysagères de Corine Land Cover (cartographie de 2006) et l’hydrologie de surface comme le montre la figure 4.

Fig. 5

Figure 4 : Couverture Corine Land Cover 2006 et hydrologie de surface sur l’aire d’étude (Légende tableau 4) (IGN 2015)

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Fig. 6

Tableau 4 (série): Nomenclature et légende de la représentation cartographique Corine Land Cover (Bossard, Feranec, Otahel 2000)

Tableau 4 (série): Nomenclature et légende de la représentation cartographique Corine Land Cover (Bossard, Feranec, Otahel 2000)

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Fig. 7

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Fig. 8

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Fig. 9

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Fig. 10

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4.2.2. Étape 2.2 : Identification des services produits par les composantes de l’aire d’étude

En partant de la matrice générique, seules les composantes de l’aire d’étude sont conservées dans la colonne gauche de la matrice des services (identifiées à l’étape 2.1). Ainsi la matrice-portait est réalisée en associant la note de 1 si le service est rendu pour la composante et la note de 0 si le service n’est pas rendu. Le tableau 5 présente la matrice-portrait des services écosystémiques potentiels apportés pour le cas d’étude.

Fig. 11

Tableau 5 : Matrice portrait des services écosystémiques potentiels sur l’aire d’étude

Tableau 5 : Matrice portrait des services écosystémiques potentiels sur l’aire d’étude

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4.3. Étape 3 Évaluation des dommages potentiels liés aux impacts du projet sur l’aire d’étude

4.3.1. Étape 3.1 Analyse des flux d’eau sur l’aire d’étude

L’analyse des flux d’eau s’effectue via la représentation des liens entre les masses d’eau superficielles et souterraines avec les systèmes anthropiques et écosystème de la zone d’étude. La réalisation du diagramme de flux d’eau de surface repose sur des données de prélèvements et de rejets provenant du site internet du SIE Adour Garonne (figure 5).

Fig. 12

Figure 5 : Diagramme des flux d’eau sur l’aire d’étude

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Les composantes retenues au final sont alors sélectionnées (zones industrielles, systèmes culturaux et parcellaires complexes, vignobles) et les flux vers l’aval du projet sont représentés dans la matrice « portrait-eau », sur la figure 6.

Fig. 13

Figure 6 : Matrice « portrait – eau » de l’aire d’étude

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4.3.2. Étape 3.2 Étude des effets induits par le rejet

Dans le cadre de la règlementation ICPE et IED, l’entreprise Castel Frères est soumise pour son site de Blanquefort à la surveillance de ses effluents. Les effluents d’origine viticole émis par l’entreprise sont essentiellement organiques. Les effets induits par le rejet sur les masses d’eau aval pour chaque paramètre physico-chimique classique (DCO, DBO5, azote, phosphore) sont étudiés. Les effets sont obtenus par calcul de dilution sur les masses d’eau en aval (tableau 6).

Tableau 6 : Mesure des effets sur les concentrations de différents paramètres dans les masses d’eau en aval du rejet (non traité) par calculs de flux (en rouge : les paramètres pour lesquels il a été possible de calculer les effets) (« — » = donnée non disponible)

Tableau 6 : Mesure des effets sur les concentrations de différents paramètres dans les masses d’eau en aval du rejet (non traité) par calculs de flux (en rouge : les paramètres pour lesquels il a été possible de calculer les effets) (« — » = donnée non disponible)

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4.3.3. Étape 3.3 Identification des dommages potentiels, des cibles et des parties prenantes

Identification des services potentiellement dommageables sur les différentes composantes

L’effluent étant principalement organique et biodégradable, l’augmentation de la concentration de ces composés dans le milieu va avoir pour effet des problèmes de mauvaise oxygénation dans le milieu, du fait principalement que La Jalle est un cours d’eau à faible débit et à étiage prononcé. Un tel phénomène peut causer des pressions sur l’écosystème et des dysfonctionnements, en particulier l’asphyxie de la faune aquatique (CNRS 2014). Ce phénomène entraine donc des impacts directs sur la pêche du fait, soit de l’extinction de certains individus, soit de leur migration dans des lieux plus propices (perte d’habitat). La prolifération d’algues peut également survenir suite à un excès de nutriments dans le milieu. Ceci entraine généralement un arrêt du fonctionnement de l’écosystème plus ou moins réversible avec pour conséquences pour l’être humain, d’une part, une dégradation de la qualité esthétique et olfactive du cours d’eau. D’autre part, cela pourra entrainer des problématiques pour les composantes de la zone géographique qui s’approvisionnent en eau dans La Jalle. Dans le cas présent, il s’agit des zones urbaines et industrielles.

La Jalle étant un affluent de la Garonne, la modification de sa qualité va potentiellement entrainer, comme évoqué précédemment, des effets mesurables sur la qualité de l’eau de la Garonne avec possiblement une hausse de la demande en oxygène. Cependant, la Garonne a un très fort débit à la confluence de La Jalle, l’augmentation de la demande en oxygène sera relativement faible et n’aura donc pas les mêmes conséquences sur l’écosystème que sur celui de la Jalle. Ces constatations permettent d’identifier les services impactés (figure 7). La figure 7 présente l’arborescence des dommages occasionnés par le rejet de l’entreprise sur les différentes composantes de la zone géographique et des services. Les flèches rouges matérialisent cette arborescence.

Fig. 14

Figure 7 : Arbre de dommage : cheminement des impacts sur les services écosystémiques au sein de l’aire d’étude

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Identification des cibles et des parties prenantes

L’identification des cibles et des parties prenantes permet de mettre en exergue les acteurs impactés ou impliqués par les changements potentiels qu’engendrerait le rejet de l’entreprise.

De par son activité et ses rejets aqueux, l’entreprise est déjà en relation directe avec certains acteurs sur sa zone géographique :

  • Le préfet de département qui a prononcé l’autorisation d’exploiter de l’entreprise,

  • La Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB), qui est propriétaire de la station d’épuration des eaux usées de la commune de Blanquefort et qui détermine actuellement les niveaux autorisés pour le rejet dans la station, ainsi que les opérateurs de la station : la Lyonnaise des eaux,

  • La DREAL qui contrôle la conformité de l’installation à son arrêté d’autorisation,

  • L’Agence de l’eau Adour Garonne dans le cadre de la déclaration des émissions, du paiement de la redevance et des demandes de subventions.

  • L’association de protection de la nature qui est en charge du site Natura 2000 « Marais de Bruges ».

Les cibles sont identifiées pour chaque service affecté en fonction de la composante concernée. Il est ainsi possible d’établir une corrélation entre les composantes impactées, les services concernés, les cibles affectées et les parties prenantes impliquées dans le processus de décision (tableau 7).

Tableau 7 : Parties prenantes impliquées dans les impacts du rejet sur sa zone géographique

Tableau 7 : Parties prenantes impliquées dans les impacts du rejet sur sa zone géographique

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4.4. Étape 4 Évaluation des besoins des cibles, élaboration de seuils de rejets et de rendements épuratoires pour le traitement des eaux usées du projet

4.4.1. Étape 4.1 : Évaluation des besoins des cibles vis-à-vis du milieu récepteur

Pour chaque cible impactée par une modification des services, les besoins sont identifiés et répertoriés dans le tableau 8. La relation entre ces éléments et les critères d’évitement issus des normes et textes règlementaires permettent de définir les seuils à respecter pour assurer un bon état des masses d’eau

Tableau 8 : Services potentiellement dommageables sur la zone d’étude et critères d’évitements des dommages

Tableau 8 : Services potentiellement dommageables sur la zone d’étude et critères d’évitements des dommages

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4.4.2. Étape 4.2 Élaboration de seuils de rejets et de rendements épuratoires pour le traitement des eaux usées du projet

Pour la Jalle de Blanquefort, les critères à respecter issus de l’étude approfondie des normes et des textes réglementaires sont répertoriés dans le tableau 9.

Les concentrations retenues dans la première colonne du tableau 9 correspondent donc à une composition du milieu qui permettrait de maintenir les différents services produits par la Jalle de Blanquefort qui sont susceptibles de pouvoir subir des dommages. De plus, ce tableau 9 présente les résultats des concentrations maximales admissibles calculés par des effets de dilution.

Tableau 9 : Calcul des concentrations maximales admissibles par la Jalle de Blanquefort véhiculées par un débit égal au débit de rejet (« - » = donnée non disponible)

Tableau 9 : Calcul des concentrations maximales admissibles par la Jalle de Blanquefort véhiculées par un débit égal au débit de rejet (« - » = donnée non disponible)

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La même analyse est menée pour l’estuaire fluvial Garonne aval et ne sera pas détaillé ici.

Finalement, le tableau 10 présente les concentrations maximales retenues pour un rejet en milieu naturel en fonction des contraintes les plus importantes entre les contraintes liées au milieu et les contraintes règlementaires applicables au site. Ce tableau présente également les rendements minimums des filières de traitement en fonction de la composition actuelle de l’effluent de l’entreprise. Nous remarquons que les valeurs les plus contraignantes sont celles liées au milieu naturel et au maintien des services écosystémiques produits par la Jalle de Blanquefort et l’estuaire fluvial Garonne aval.

Ces résultats permettent ainsi d’apporter des éléments à la rédaction du cahier des charges pour dimensionner les installations.

Tableau 10 : Concentrations maximales acceptables pour le rejet en milieu naturel des effluents aqueux de l’entreprise Castel Frères (site de Blanquefort) en fonction des critères de maintien des services écosystémiques produits par l’aire d’étude et de la règlementation en vigueur pour le secteur d’activité - calcul des rendements nécessaires pour les procédés de traitement à mettre en place

Tableau 10 : Concentrations maximales acceptables pour le rejet en milieu naturel des effluents aqueux de l’entreprise Castel Frères (site de Blanquefort) en fonction des critères de maintien des services écosystémiques produits par l’aire d’étude et de la règlementation en vigueur pour le secteur d’activité - calcul des rendements nécessaires pour les procédés de traitement à mettre en place

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5. Discussion

5.1. Déséquilibres de pouvoir entre acteurs

Une des conclusions de la partie 1 est la mise en évidence d’un déséquilibre entre les acteurs dans le processus décisionnel. Nous avions identifié deux acteurs forts (l’industriel et le préfet de département délivrant l’autorisation) et des acteurs faibles, notamment les acteurs représentant les milieux naturels. La méthode proposée permet d’identifier à un stade précoce du projet l’ensemble des parties prenantes potentiellement concernées par les effets du rejet afin de mieux prendre en compte leurs besoins vis-à-vis des services écosystémiques produits par le milieu récepteur. Ces besoins sont ensuite pris en compte pour l’élaboration de seuils de rejet correspondant aux besoins les plus contraignants. Ainsi, un certain équilibre est rétabli entre acteurs forts et acteurs faibles grâce à une prise en compte directe des milieux naturels et parties prenantes associées par le porteur de projet.

5.2. Des acteurs aux référentiels différents

L’application de la méthode élaborée a mis en exergue la divergence entre les paramètres de suivi des masses d’eau et les paramètres de contrôle de l’entreprise Castel, notamment sur les paramètres « classiques ». En effet, pour l’entreprise, des paramètres tels que la DCO, la DBO5 et l’azote Kjeldhal sont mesurés dans le cadre de son arrêté d’autorisation, alors que pour la masse d’eau réceptrice du rejet, les paramètres de suivi sont le carbone organique, la DBO5, l’ammonium, les nitrites et les nitrates.

Ce point particulier met en évidence le manque de lien entre la règlementation environnementale « industrielle » (ICPE, IED…) et celle sur les milieux (DCE), en particulier dans la partie règlementaire. Ceci entraine donc certaines difficultés dans la mise en application.

5.3. Utilisation des services écosystémiques.

La méthode élaborée est basée sur les besoins de l’être humain vis-à-vis des services écosystémiques produits par les milieux. Ce sont donc les besoins de l’humain, en tant que clients secondaires, ou parties prenantes, qui sont pris en considération. Cette approche reste donc très anthropocentrée.

Les « matrices portraits » élaborées permettent d’identifier des dommages potentiellement générés par le projet, c’est-à-dire les services écosystémiques pouvant être impactés. Suivant les services et les composantes concernés, les cibles potentielles sont identifiées comme parties prenantes. Les besoins des cibles permettent d’établir des seuils en termes de concentrations de différents paramètres pour la composante concernée. Ces seuils identifiés pour le milieu permettent de calculer une capacité d’acceptation de rejet. Ainsi, la méthodologie proposée permet à l’entreprise, « à priori », d’aboutir à des caractéristiques de rejet qui soit compatible avec les besoins des parties prenantes vis-à-vis des services produits par les milieux.

6. Conclusion et perspectives

Dans le contexte actuel où malgré une règlementation foisonnante en matière de protection de l’environnement, l’Europe fait face à des difficultés dans l’atteinte des objectifs de qualité de ses milieux aquatiques. Cet article présente une réflexion sur l’élaboration de seuils de rejets aqueux écocompatibles. Ces seuils de rejet sont obtenus en combinant l’approche qualité (ISO 9000) et celle des services écosystémiques dans une démarche en quatre étapes.

Les travaux qui ont été menés admettent quelques limites. Il s’agit notamment de sa validation à travers une étude de cas unique, une approche qui reste anthropocentrée, et des seuils de rejet proposés qui correspondent à un rejet « seul » dans le milieu, c’est-à-dire que les capacités d’acceptation du milieu sont utilisées en totalité, ne laissant pas de « place » à un autre rejet éventuel.

Ces travaux amènent également à plusieurs perspectives. La première est l’intégration d’outils de modélisation de bassins versants à la méthode afin de pouvoir prendre en compte les phénomènes d’autoépuration des milieux ainsi que les impacts cumulatifs avec d’autres rejets/prélèvements, confluences, etc. dans l’élaboration de seuils de rejets. La seconde est l’utilisation de l’outil dans d’autres configurations que celle de l’étude de cas où l’industrie est déjà en exploitation et où de nombreuses données sont donc disponibles.