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Moussa Konaté passe pour ce que nous appellerons un écrivain total[1], soucieux de s’adresser aux lecteurs de tous âges, et dont l’oeuvre brise les frontières tracées par la critique savante entre la littérature pour adultes et celle destinée aux jeunes lecteurs. En prenant ainsi conscience de l’importance de la fiction jeunesse[2], l’auteur malien adopte une démarche qui prend en compte la question de sa littérarité[3]. Par ailleurs, reconnaître l’intérêt de la littérature de jeunesse, c’est aussi mettre en avant ses multiples pouvoirs[4], qui ne sont pas moins considérables que ceux de la littérature générale. Écrire, quel que soit le public visé, n’est pas un acte vain, notamment dans un monde où le désir de puissance et la déshumanisation par le mal politique se révèlent être des constantes anthropologiques. À cet égard, Jean-Paul Sartre avait examiné la question de la responsabilité de l’écrivain[5] qui se décline non seulement en termes de liberté créatrice, mais surtout en termes de liberté au plan politique ; l’art du prosateur s’insère inexorablement dans une bataille politique dans la mesure où il vise à défendre la liberté[6]. Par ailleurs, conscient du fait que « sa parole est action », le prosateur choisit un mode d’action, celui de « l’action par le dévoilement » dont le but est d’apporter un changement au monde[7].

En Afrique, le roman politique, qui occupe une place significative dans le paysage littéraire, s’attache souvent à peindre les figures du dictateur[8] et ses avatars ainsi que leurs rôles dans la déliquescence de la « postcolonie[9] ». Pouvait-il en être autrement ? Le romancier africain, qui abhorre l’injustice, peut-il faire le choix du silence ou de l’indifférence face à la machine du tyran[10] ? La question de la mission de l’écrivain africain, ressassée par la critique littéraire, est loin de perdre de sa pertinence. Par exemple, contrairement aux écrivains africains de la nouvelle génération qui réfutent toute idée de mission collective ou d’engagement, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop estime que la littérature africaine ne peut pas déroger à son devoir politique :

À force de se focaliser sur la réception du texte, on en est venu à faire bon marché du simple plaisir d’écrire. Tout auteur a le droit de n’écouter que ses impulsions du moment. Même si de jeunes romanciers – Kossi Efoui et Daniel Biyaoula entre autres – revendiquent de plus en plus fort leur liberté de créateurs, notre littérature reste tributaire de ses desseins politiques originels[11].

Tout comme le veut Boubacar Boris Diop, l’oeuvre de Moussa Konaté traduit résolument la responsabilité de l’écrivain au sens sartrien en s’attachant à conjurer les maux qui gangrènent l’État postcolonial africain. Le titre de son essai L’Afrique noire est-elle maudite ? résonne non seulement comme un cri de révolte impuissante, mais aussi comme un cri de coeur visant à secouer la conscience endormie des Africains[12]. Dans cette supposée malédiction[13] de l’Afrique contemporaine, les tyrans ne portent-ils pas une lourde responsabilité ?

Dans ses romans pour adultes, Moussa Konaté met aussi en scène des figures de la violence[14]. Dans sa trilogie romanesque pour la jeunesse Kanuden contre Coeur ténébreux, Kanuden à l’assaut des tyrans et Kanuden sous un soleil nouveau[15] – destinée aux enfants à partir de huit ans – il reprend le thème de la violence à travers la représentation du tyran. A priori, vouloir aborder, de façon fructueuse, ce thème sombre à l’intention des plus petits lecteurs peut apparaître comme une gageure, étant donné que la violence, tout comme d’autres sujets tabous, suscitent tant de controverses auprès des instances de médiation de la littérature de jeunesse[16]. La question mérite d’être posée : quel bénéfice l’enfant lecteur de huit ans peut-il tirer de la représentation d’un univers marqué par la loi de la violence ?

La présente étude tente d’analyser cette trilogie de Moussa Konaté en montrant comment elle aborde le thème délicat de la violence – de la tyrannie – par le biais du fantastique. Nous montrerons aussi qu’en empruntant la voie de l’allégorisation, ces romans politiques mettent en place une poétique de valeurs qui se cristallise dans les parcours narratifs des héros, mais aussi s’enracinent dans une esthétique de l’utopie.

Visages de la tyrannie

Les réflexions sur les rapports entre éthique et littérature prennent une place de plus en plus importante dans la critique littéraire au point que certains y voient un tournant éthique[17]. Toutefois, il convient de noter que le traitement littéraire du mal politique, notamment de la tyrannie, est indissociable de telles réflexions : « Comment le politique, conçu comme ce qui pose les conditions institutionnelles de la coexistence pacifique entre les hommes, voire de la vie bonne, peut-il changer en lieu de l’horreur ? Comment ce qui doit ou devrait permettre à l’homme la reconnaissance de l’autre homme devient-il le champ de la méconnaissance et de l’écrasement de l’homme par l’homme[18] ? » En effet, le pouvoir tyrannique annihile toute « visée éthique » entendue ici comme « visée de la “vie bonne” avec et pour autrui dans des institutions justes[19] ». Cette visée éthique implique l’appel à « l’imagination ou l’utopie d’un avenir meilleur[20] », mais surtout pose la question fondamentale de la liberté.

Toute l’intrigue des trois romans est marquée par un déferlement de violence – provenant des tyrans – et de contre-violence initiée par les jeunes combattants de la liberté. Les titres des deux premiers tomes, Kanuden contre Coeur ténébreux et Kanuden à l’assaut des tyrans, annoncent la lutte acharnée entre le héros juvénile et les figures du Mal qu’incarnent les tyrans. Même si le terme tyran ne figure pas dans le premier titre, il n’en demeure pas moins que la désignation métaphorique « Coeur ténébreux » illustre parfaitement la nature cruelle de l’ennemi. Dans son ouvrage Le Roman pour la jeunesse, Ganna Ottevaere van Praag note que « l’intitulé d’un roman pour la jeunesse est un élément essentiel de la communication », en ce sens que « c’est par le titre que l’écrivain – et le traducteur […] sont en mesure d’établir un contact immédiat avec leurs jeunes destinataires »[21]. Chez Moussa Konaté, ces « titres thématiques[22] » visent en effet à créer le suspense, l’émotion[23] chez l’enfant lecteur, mais ils ont aussi pour fonction de dévoiler d’entrée de jeu le message principal de l’oeuvre, à savoir que les tyrans ne sont pas invincibles et que seule la lutte libère. Le titre du tome 3, Kanuden sous un soleil nouveau, signale l’avènement d’un monde nouveau, celui de la liberté.

Les visages de la tyrannie que dépeignent les fictions de jeunesse de Moussa Konaté semblent nettement éloignés de ceux que brosse Michel Onfray dans son ouvrage Théorie de la dictature[24], où ce philosophe tente d’identifier les traits caractéristiques d’une « dictature de type nouveau » qui, selon lui, semble se dessiner à l’horizon dans les grandes démocraties européennes. Dans les fictions jeunesse de l’auteur malien, nous sommes en effet en présence de véritables tyrans cruels, dépourvus de tout sentiment humain. Tous les trois romans se déroulent dans des espaces imaginaires – dix royaumes au total. Mais, il s’agit d’une représentation allégorique de l’essence de la tyrannie, telle qu’elle se manifeste à travers le temps et l’espace. L’intention visible de l’auteur est de conférer une dimension universelle à son oeuvre qui tente de dessiner « l’humanité » (KSSN, 123) débarrassée des tyrans.

La littérature de jeunesse, qui se veut aussi oeuvre d’art, est pourtant beaucoup plus définie par son destinataire – le jeune lecteur – que par sa valeur littéraire. Et c’est ce trait spécifique qui préside à sa littérarité, qui n’est pas pour autant moins valorisante que celle des textes du canon. Il s’agit tout simplement d’une littérarité autre[25]. Néanmoins, les deux formes de littérarité se rejoignent parfois compte tenu de la complexité – narrative – à l’oeuvre dans la fiction jeunesse contemporaine, mais aussi en fonction de certaines thématiques, comme la tyrannie, qui induisent le recours à des principes esthétiques tels que l’humour, la satire, le carnavalesque, le grotesque, l’ironie, la dérision ou le fantastique[26]. Ainsi, dans son triptyque romanesque, Moussa Konaté choisit de recourir, à côté du réel, au fantastique qui constitue la force motrice de la narration. Il faut notamment souligner qu’en littérature de jeunesse, le recours au fabuleux répond à certains objectifs dont, en premier lieu, la prise en compte de la psychologie du jeune lecteur :

Opter pour une transposition fabuleuse, poétique, voire traitée par l’humour, de la vie quotidienne, c’est reconnaître implicitement à l’enfant le droit à la fantaisie et au rêve. C’est stimuler son imagination et aiguiser sa perception de l’espace et du temps. La traversée de territoires imaginaires, […] la rencontre avec les êtres à l’apparence insolite ou doués de pouvoirs magiques, devraient solliciter son sens de l’émerveillement ; les allers et retours fabuleux entre le passé, le présent et le futur, la réflexion que suscite chez le héros le passage du temps et les changements qu’il apporte aux sentiments des hommes et à l’organisation de la société, nourrir sa rêverie[27].

Mais plus important encore, au regard de certains thèmes difficiles comme la violence, le recours au fantastique s’avère indispensable dans la mesure où « l’âge des plus petits lecteurs requiert que la narration emprunte le chemin de la métaphorisation[28] ». Ainsi, chez Moussa Konaté, cette voie conduit à une atténuation de la représentation de la brutalité. Tout au long de la narration, on n’observera ni mort, ni effusion de sang, en dépit de la férocité du tyran. Par exemple, à « Nifindougou […] l’armée du roi était réputée pour sa cruauté […]. Traditionnellement, aucune arme à feu n’était employée à Nifinjamana, car verser du sang avait été proscrit par les ancêtres. En revanche, les guerriers disposaient d’armes d’une redoutable efficacité, comme le fouet de lamelles de fer et la fronde » (KCCT, 18). Par ailleurs, le renoncement au symbole de la violence qu’est le sang versé s’inscrit dans la dimension axiologique de l’oeuvre. Défendant les valeurs essentielles sur lesquelles repose l’humanisation de la société, le héros juvénile Kanuden s’oppose catégoriquement à l’utilisation des armes à feu pour venir à bout des tyrans du royaume Idaminè dont l’armée, contrairement à Nifinjaman, n’hésiterait pas à tuer en utilisant des fusils et des sabres[29]. Les jeunes de ce royaume estiment qu’ils se doivent d’utiliser les mêmes armes que l’armée du tyran : « Si les soldats veulent notre mort, éliminions-les également » (KADT, 93). Mais à Nifinjaman, Kanuden et ses amis ont « vaincu Coeur ténébreux sans tuer personne » (KADT, 90). La position de Kanuden et de ses camarades de Nifinjaman rejoint celle d’Étienne de La Boétie qui, dans son ouvrage Discours de la servitude volontaire – devenu classique –, estime que le meurtre du tyran n’est pas le remède à la tyrannie et qu’il relève de la pure violence[30]. Aussi le héros juvénile prend-il en compte l’humanisme de l’autre[31], fût-il criminel. Pour lui, il importe de préserver la vie du tyran, qui doit plutôt répondre de ses crimes devant la justice.

La tradition de non-effusion de sang est bien respectée à Nifinjaman aussi bien par le tyran et son armée que par Kanuden et ses amis. Les deux camps utilisent plutôt des armes surnaturelles qui neutralisent l’adversaire sans lui donner la mort. Des êtres surnaturels malveillants aux formes insolites et effrayantes, dotés de pouvoirs magiques, sont au service du tyran Coeur ténébreux. Par exemple, son bourreau Massiba – un monstre – se charge d’exécuter la sentence magique pour les personnes arrêtées arbitrairement et condamnées lors de simulacres de procès. La sentence consiste à bannir les condamnés du monde des humains en les transformant en animaux ou en végétaux, comme c’est le cas des quatre jeunes à Nifinjaman : Kelen est transformé en un « petit cochon gris » (KCCT, 27) ; Lafi, lui, s’est métamorphosé en « un petit cochon tout noir » (KCCT, 28) ; Bassa, quant à lui, « fut changé en un arbuste squelettique aux branches sans feuilles » (KCCT, 29) ; Nina, elle, a pris la forme d’une « truie bigarrée » (KCCT, 30). Cette sentence de la métamorphose, aussi cruelle qu’elle puisse paraître, s’inscrit dans les formes de violence fantastique dont s’accommode la littérature de jeunesse[32]. On le voit, l’élément fantastique permet ici d’éviter le piège du réalisme[33] avec lequel certains romans politiques abordent le thème de la dictature.

Dans Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie affirme que le tyran aime s’entourer de mystère en usant de divers stratagèmes de sorte que ses sujets « vivent ainsi dans la crainte d’un être que personne n’avait vu[34] ». Il en est de même dans l’oeuvre de Moussa Konaté. Coeur ténébreux passe pour « un homme mystérieux. Son visage était toujours voilé. On ne savait pas vraiment à quoi il ressemblait. Les habitants de Sombre pays étaient convaincus que c’était un génie qui avait pris forme humaine. On ne lui connaissait ni femme ni enfant » (KCCT, 18). De même, « le Roi des rois ou L’Unique » cultive le mystère de l’invisibilité : « Personne d’autre au monde ne pouvait se targuer d’avoir vu cet homme mystérieux » (KCCT, 33). À cet égard, Simone Goyard-Fabre, exégète de La Boétie, note : « Rien de plus aisé pour le tyran de se parer, au sommet de cette pyramide sociale, des prestiges de l’Unique. Son pouvoir est sa solitude. Le voilà donc qui, à raison de la forme qu’il impose sournoisement à son pays, s’égale à un dieu[35]. » Mais dans les romans de Konaté, seul Wankélé, au sommet de la pyramide royale, aspire à la divinité, puisqu’il se sert des tyrans à sa solde pour atteindre son objectif. Il se dit le « Maître du Monde », et son désir suprême est de devenir « bientôt Dieu, le seul maître de l’Univers » (KSSN, 57).

Revenons à Étienne de La Boétie qui distingue trois types de tyrans : « Les uns possèdent le Royaume par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, et les autres par succession de race[36]. » Dans l’univers fictionnel de Moussa Konaté, les tyrans subjuguent leurs peuples par la force des armes. Par exemple, l’armée de Coeur Ténébreux fait preuve d’une cruauté sans bornes. La terreur est telle que le peuple n’ose se soulever. Ici, les principaux traits caractéristiques de la tyrannie sont mis en relief : la destruction de la liberté – qui repose sur une surveillance accrue de la population et sur une armée de terreur – une justice à la solde du roi, la volonté d’un seul, celle du Roi. Mais c’est l’étouffement des libertés qui reste le point saillant de l’Empire. C’est d’ailleurs la principale devise de Wankélé, devise qu’appliquent sans états d’âme tous les tyrans à son service. Ainsi, sur le fronton du palais de Coeur ténébreux est inscrit : « La pitié est une faiblesse. La liberté est un danger » (KCCT, 5). La surveillance permanente de la population est assurée par « une chouette noire au regard de feu. […] On l’appelait L’Oeil. […]. Elle connaissait tous les habitants de la ville. D’où tenait-elle ses informations ? Mystère absolu » (KCCT, 6). En réalité, c’est un être surnaturel, doté de pouvoirs magiques : « Impitoyable, elle débusquait ceux qui ne respectaient pas les lois de Coeur ténébreux, où qu’ils se trouvent » (KCCT, 7). À cette redoutable efficacité de l’oiseau s’ajoute l’obligation de délation : les habitants sont tenus de dénoncer toutes les personnes qui ne respectent pas la volonté du tyran, y compris au sein de leur famille.

La « volonté du roi », comme l’indique le titre d’un chapitre, est décrite avec force détails. Il concentre tous les pouvoirs en ses mains : « À Nifindougou », Sombre cité, une seule personne décidait de tout : le souverain Nifinmansa » (KCCT, 16). Ainsi, le souverain soumet également le peuple au joug de la violence psychologique, tant il est vrai qu’il déshumanise ses sujets en les dépouillant de tout. Le récit insiste particulièrement sur le caractère grotesque des désirs du Prince, qui frisent la folie : « Du lundi au vendredi, tout le monde travaillait gratuitement dans les champs et les entreprises de Nifinmansa » (KCCT, 17). Malgré cela, « [à] chaque repas, il était obligatoire de prononcer la formule : “Merci pour le pain que vous m’offrez, ô mon roi” » (KCCT, 17). L’humour, perceptible dans la langue, notamment dans l’onomastique de certains royaumes, traduit aussi la subjectivité sans bornes du roi : le bâillonnement de la parole libre s’observe déjà dans les noms tels qu’Idaminè qui signifie « Tais-toi » (KADT, 25), Sinsin qui a « la particularité d’être le “pays de la bouche fermée”, le seul lieu sur Terre où il était interdit de rire dans la rue » (KADT, 129).

Selon Michel Onfray, le formatage des enfants[37] figure parmi les stratégies visant à bâtir un Imperium de type nouveau. Mais dans une tyrannie classique, le souverain « chasse de son peuple la science et l’intelligence[38] », comme c’est le cas dans l’oeuvre de Moussa Konaté. Coeur ténébreux prive les enfants du droit à l’instruction et à l’éducation. L’école est purement et simplement bannie, car « le souverain pensait que c’était le lieu où les enfants apprenaient à se révolter » (KCCT, 17). Kanuden, dans son discours prononcé lors de la victoire finale, souligne l’absence de la lumière de l’éducation comme l’une des principales causes de leur assujettissement : « Si le tyran nous a muselés facilement, c’est parce qu’il nous a privés du savoir. Sans le savoir, on est prisonniers des superstitions » (KCCT, 151-152). À Idaminè, où le tyran est sous la protection du dieu Fenbè, le droit à l’éducation est remplacé par l’obligation de prier : « Nous vivons dans les ténèbres de l’esprit de Fenbè. L’école n’existe pas dans notre pays et il est interdit de discuter. Prier, prier, toujours prier le dieu Fenbè est la seule nourriture de l’esprit » (KADT, 26). Il apparaît ici clairement que la tyrannie, dans son essence, table aussi sur l’opium de la religion pour « abêtir[39] » le peuple. En somme, le tyran déshumanise le peuple en lui enlevant « toute liberté de faire, de parler et quasi de penser[40] », comme le souligne Kanuden dans l’un de ses discours : « En réalité, nous n’étions plus des êtres humains, mais des ombres » (KCCT, 151). En définitive, comme le fait remarquer Goyard-Fabre, « La servitude [… est] le mal politique absolu en quoi s’anéantit la nature humaine[41] ».

Les tyrans ne sont pas invincibles : de la nécessité d’allumer le « feu sacré de la liberté »

Les romans africains de la dictature se contentent le plus souvent de dénoncer la tyrannie, de représenter le dictateur sous ses divers traits. Il est vrai que nombre d’entre eux offrent ce que Jean-Paul Sartre nomme la « joie esthétique[42] » au lecteur – nous citerons par exemple En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma (1998) –, cependant ils montrent à peine comment se défaire des systèmes d’oppression[43], et construisent rarement l’utopie de l’avènement d’une Afrique libre de la tyrannie. Est-ce à dire que les tyrans sont invincibles ? Les romans pour la jeunesse de Moussa Konaté se démarquent de ces fictions de dénonciation. Poser la question de la non-invincibilité du tyran, c’est d’abord s’interroger sur les conditions de possibilité de la servitude, comme le montre Étienne de La Boétie. Ce dernier croit que la « liberté est naturelle[44] » ; ou encore « [q]ue la liberté est naturelle, et, qu’à [s]on avis, non seulement nous naissons avec notre liberté, mais aussi avec la volonté de la défendre[45] ». À ses yeux, c’est un paradoxe que les peuples se soumettent à la volonté d’un seul individu. D’où sa thèse selon laquelle la servitude est volontaire.

C’est la quête de cette liberté qui est au coeur de Kanuden contre Coeur ténébreux, Kanuden à l’assaut des tyrans et Kanuden sous un soleil nouveau, romans de la résistance dont l’intrigue repose sur des combats acharnés, intrépides contre les tyrans dans le monde. La cruauté inouïe des tyrans contraint les peuples à la soumission totale et à la résignation. Mais ce que La Boétie appelle le « feu sacré de la liberté[46] » sera allumé par le jeune Kanuden de dix-sept ans. Depuis longtemps, une révolte impuissante couvait en lui, à la suite de l’enlèvement de son père par Coeur ténébreux alors qu’il n’avait que six ans. Comment un adolescent peut-il choisir d’affronter des tyrans hyper puissants, dotés de pouvoirs magiques ? Dans ces romans, la lutte contre le tyran se déploie comme une confrontation entre le Mal et le Bien : d’un côté, la panoplie des tyrans et les êtres surnaturels maléfiques et malveillants à leur service, de l’autre, le Bien, incarné par Kanuden et Coeur généreux, le seul roi à se soustraire à l’influence de Wankélé, qui se dit l’unique Maître de l’Univers. L’onomastique des personnes, des lieux et des êtres surnaturels illustre leur appartenance respective aux camps du Bien et du Mal. Mais la devise de Coeur ténébreux « la pitié est une faiblesse » résume à elle seule l’inhumanité de son monde, car l’objectif de Wankélé consiste à dessécher le coeur de tous ses disciples.

L’élément fantastique demeure le moteur de cette confrontation entre les figures du Bien et du Mal, mais procède en même temps de la dimension créatrice de l’oeuvre. Dans Le Roman pour la jeunesse, Ganna note que le choix de la tonalité fabuleuse

relève aussi du talent – et des pulsions – de l’écrivain porté par son imagination inventive et poétique à privilégier la représentation d’un monde ouvert à toutes les possibilités (bonds dans le temps, ubiquité temporelle et spatiale, animaux doués de parole), et ne tient pas moins à l’invention des personnages, créatures imaginaires ou humaines armés de pouvoirs surnaturels : se métamorphoser, se miniaturiser […] permuter son identité avec celle d’autrui[47].

Le combat entre Kanuden et les tyrans est en effet celui entre deux forces magiques : celle des êtres surnaturels malveillants contre celle des bienveillants. Cet affrontement donne lieu à une narration pleine de rebondissements, de multiples suspenses, tenant le lecteur en haleine jusqu’au dénouement. Moussa Konaté déploie son énergie créatrice par le biais du fabuleux qui génère ici le plaisir du texte au sens barthien. Le long combat de Kanuden, dans tous les trois romans, inscrit également l’oeuvre dans le genre du récit d’aventure, comme l’atteste l’inscription du mot « Aventure » sur la quatrième de couverture. Le suspense et l’émotion sont portés à leur comble, notamment dans le dernier tome, Kanuden sous un soleil nouveau, lorsque Wankélé, après la défaite des neufs tyrans à son service, tente la « reconquête du monde » (KSSN, 42), au point de remporter une « première victoire » en faisant Kanuden prisonnier et en le soumettant à la magie de la métamorphose qui entraîne le dessèchement du coeur de l’individu.

Du point de vue temporel, le combat de Kanuden a duré une année. Au terme de sa lutte, il a fêté ses dix-huit ans. L’enfant lecteur de huit ans – le destinataire de l’oeuvre – pourrait-il aisément s’identifier au héros de cet âge ? Rappelons que la détermination et le courage de Kanuden d’affronter la tyrannie remontent à son enfance malheureuse. Tout comme lui, les huit autres adolescents ayant combattu à ses côtés, ont été « victime[s] de la folie sanguinaire du tyran » (KCCT, 67). Leur âge varie entre seize et dix-huit ans. Manifestement, Moussa Konaté tient à conférer une touche réaliste à son oeuvre, en évitant soigneusement de faire des tout petits enfants des héros de la libération. Cette intention réaliste ressort du discours de la victoire prononcé par Coeur généreux, l’ange gardien de Kanuden : « N’oubliez jamais que rien n’est au-dessus de la liberté. Ce sont des jeunes gens qui ont lutté pour votre liberté, souvenez-vous que sans la jeunesse aucune victoire n’est possible » (KCCT, 154).

En dépit de son âge, Kanuden apparaît bien comme une figure d’identification pour les lecteurs de tous âges. L’exemplarité du héros juvénile est sous-tendue à la fois par des éléments du réel et du fantastique. Kanuden n’est doté d’aucun pouvoir magique. Lors de son combat contre la tyrannie, il a tout simplement bénéficié de l’aide et de la protection surnaturelles de Coeur généreux. Il faut particulièrement souligner que c’est lui qui a allumé le feu de la libération : avec l’aide de Coeur généreux, il est entré en action contre Coeur ténébreux, amenant les autres jeunes à prendre conscience que le tyran n’est pas invincible : « Ce maudit tyran n’est pas un surhomme, il peut être vaincu. […] Tous les deux, nous ferons revenir la liberté dans notre pays, j’en suis sûr » (KCCT, 67). Outre son intelligence et sa maturité précoce, il est le parangon de la vertu. Le recours au fabuleux a certes décuplé son courage, mais cela n’entame en rien l’adhésion de l’enfant lecteur à sa bravoure. Il constitue, bien au contraire, un facteur positif qui rapproche davantage le héros de son lecteur :

Au royaume de l’irréel ou en lutte, dans un monde régi par nos lois naturelles, contre des phénomènes inexplicables, le héros étend son pouvoir et élargit, dans l’espace et dans le temps, son champ d’action. On lui accorde une liberté et une puissance qu’il ne connait pas dans l’ordinaire des jours. Cette force incroyable qu’on lui attribue sur le plan de l’imaginaire est la transposition symbolique du courage dont ont besoin enfants et adolescents à l’âge où l’on grandit. Le jeune lecteur, en s’identifiant à un héros triomphant, vainqueur de tous les affrontements, prend donc une revanche sur son existence quotidienne[48]

Le courageux combat de Kanuden et de ses amis ouvre la voie à l’avènement d’une nouvelle ère : « Le rêve partagé de Coeur généreux et Kanuden se réalisait enfin : le bannissement de l’injustice et de la tyrannie » (KSSN, 131). La défaite de Wankélé et des autres tyrans consacre la victoire du Bien sur le Mal. De façon métaphorique, cette victoire conforte la thèse de La Boétie selon laquelle les peuples se soumettent volontairement : « Aucun homme, si grand, si puissant, si rusé soit-il ne peut dominer indéfiniment un peuple » (KADT, 139). Les discours de victoire prononcés par « Coeur généreux » et Kanuden insistent sur la dimension naturelle de la liberté et la volonté tout autant naturelle de la défendre : « La liberté est votre bien le plus cher ! » (KADT, 23) Ou encore : « Je suis convaincu que tout individu a droit à la liberté. Celui qui n’est pas libre ne vit pas. Celui qui est condamné au silence ne vit pas. » (KSSN, 45)

Néanmoins, le roman se garde de tout triomphalisme. Si la liberté est chèrement acquise, elle demeure pourtant fragile. Car un autre tyran peut toujours surgir et la remettre de nouveau en cause. D’où l’appel à la vigilance : « Désormais, nous sommes maitres de notre destin. […] Cependant, prenons garde. Wankélé a été vaincu, mais un nouveau Wankélé pourrait vouloir prendre sa place. Soyons sur nos gardes. Nous sommes libres. Restons-le toujours » (KSSN, 132-133).

Réflexions sur la soif de puissance et la nature humaine

Au-delà de la construction de cette vérité esthétique de la liberté, la narration offre des éléments de réflexion sur le désir de puissance, le pouvoir et le mal politique. Comment expliquer que certains aient le coeur disposé à l’humanisme (Coeur généreux) alors que d’autres soient portés vers la cruauté (Coeur ténébreux) ? La soif de puissance est-elle innée ou relève-t-elle d’une prédisposition psychologique ? La trilogie Kanuden y apporte des réponses à travers son système de personnages. Le narrateur omniscient retrace l’enfance et le parcours de Coeur ténébreux et du Roi des rois ou l’Unique, tandis que Coeur généreux relate lui-même un pan de son enfance à son protégé Kanuden. Chez Coeur ténébreux, le dessèchement du coeur résulte de son éducation. John Locke affirmait que l’enfant est comme « une page blanche ou comme un morceau de cire » qu’on peut « façonner et mouler à [s]on gré[49] » ; c’est dans ce sens que Wankélé enlève Coeur ténébreux à l’âge de six mois, comme d’autres enfants, et l’élève dans son palais en le transformant en une personne sans-coeur. Déjà à sept ans, cet enfant devient une terreur. À 18 ans, il est intronisé roi de Nifinjamana. Quant à L’Unique, appelé Sandji avant son enlèvement à 12 ans, il faisait déjà montre d’une insensibilité, d’un égoïsme et d’une brutalité sans bornes au sein de sa famille. Wankélé, en tant que fin connaisseur de l’âme humaine, devinera à travers la voix et les paroles de cet enfant un « désir forcené de puissance » (KCCT, 40), autrement dit, il décèlera en lui le tyran idéal qu’il cherchait afin de réaliser son rêve de dominer le monde. Aussi les prédispositions psychologiques de cet enfant faciliteront-elles son initiation à la terreur par le « Maître de l’univers ».

Le parcours biographique de Coeur généreux, narré par lui-même, laisse penser qu’il possède une nature prédisposée au Bien. Malgré ses origines modestes, il a su rester sur le droit chemin, préférant la voie du travail pour affronter l’adversité financière. Il quitte alors la famille à quinze ans pour chercher du travail en vue d’aider sa famille, en essayant de se mettre au service du roi. Fort de sa droiture, de son courage, de son endurance et surtout de son refus de l’injustice, il s’illustre comme un garçon exceptionnel à la cour du roi, au point de gagner l’estime de ce dernier : « Informé, le roi m’a demandé de m’expliquer. Il m’a longuement regardé puis m’a dit : “Tu préfères donc vivre dans la misère plutôt que de cautionner l’injustice. Tu préfères donc voler au secours des victimes de l’injustice plutôt que de t’occuper uniquement du bonheur de tes vieux parents. Alors tu es un coeur généreux” » (KCCT, 93). Il succèdera plus tard à ce roi.

Il faut toutefois préciser que l’oeuvre de Moussa Konaté est loin d’offrir une vision manichéenne du monde : l’origine de la soif de puissance remonte plus loin qu’à l’éducation et les prédispositions psychologiques. Pour appréhender d’autres facettes de cette réalité, le récit met en scène des épisodes dont on retient deux notions significatives : la métamorphose et l’épreuve. La première se déploie sur un double plan, fantastique et réel. Nous avons déjà observé comment Massiba, le bourreau de Coeur ténébreux, bannit les condamnés du monde humain en les transformant en animaux ou en plantes. Mais du point de vue du réel, la notion de métamorphose prend tout son sens au regard des manifestations de la complexité humaine devant l’attrait et la fascination du pouvoir auxquels mêmes les bonnes âmes ne semblent pas échapper. Après que Kanuden et ses amis ont défait Coeur ténébreux, Kali, l’un d’entre eux, opère une brutale métamorphose qui reste un mystère pour les autres. Son changement inattendu sur le plan matériel et financier, ainsi que d’autres incidents tels que le piège de la chair menacent la cohésion du groupe des jeunes combattants. Ces épisodes visent à mettre en relief la faiblesse humaine. À vrai dire, Kali est victime des manipulations de Wankélé qui tente de se servir de son image pour neutraliser Kanuden, le meneur de la lutte. Coeur généreux décrypte pour Kanuden la réalité lors de son voyage initiatique : « Dans la vie, il faut se méfier de trois pièges : l’attrait de la chair, celui de la richesse et celui du pouvoir. C’est dans ces pièges que les hommes tombent souvent » (KADT, 55). Mais parmi ces pièges, c’est le pouvoir qui représente le principal vecteur de métamorphose : « La tentation est toujours forte de succomber au désir de puissance, parce que c’est un sentiment qui est potentiellement en tout être vivant » (KCCT, 116). Cette vérité de la métamorphose est magistralement démontrée notamment dans l’épisode où Kanuden est fait prisonnier par Wankélé. Grâce à son pouvoir magique, ce dernier crée l’illusion du réel dans l’esprit de ses proies. Il les plonge dans un monde imaginaire qu’elles prennent pour réel. Ainsi, pour démoraliser Kanuden et l’amener à renoncer à son combat pour la liberté, le « Maître de l’univers » le propulse dans sa maison familiale où il voit ses propres parents le calomnier allant jusqu’à le renier, mais aussi dans une scène où ses propres camarades de lutte, derrière son dos, débitent des méchancetés contre sa personne. Mais, d’un autre point de vue, ces scènes de manipulations de Wankélé ont également pour but de révéler la face potentiellement sombre de l’homme qui trouve aussi son expression dans l’ingratitude, la trahison, la sournoiserie.

La trilogie Kanuden présente un double héros, adulte et juvénile : Coeur généreux et Kanuden qui signifie en bambara – une langue parlée au Mali – « Enfant de l’amour » (KCCT, 20). C’est la rencontre de deux âmes éclairées par l’Idéal qui les guide dans leur combat pour la libération de l’humanité des tyrans : « Alors souviens-toi que, sans idéal, tout chemin aboutit à une impasse » (KCCT, 114). Tout comme Wankélé soumet Coeur ténébreux et L’Unique à l’épreuve pour s’assurer de leur inhumanité avant leur intronisation, Coeur généreux et Kanuden ont démontré l’inaltérabilité de leur coeur à travers l’épreuve. En effet, Coeur généreux a été mis à l’épreuve – à son insu – quand il s’est mis au service du roi. De même, avant de sceller le pacte de protection avec Kanuden, Coeur généreux lui fait subir une épreuve initiatique qui constitue un moment clé dans la configuration axiologique du récit. Le décryptage du sens des diverses étapes franchies par Kanuden donne lieu à l’énonciation des discours remplis de sagesse : « Se dévouer à l’autre comme à soi-même, ouvrir son coeur, quoi qu’il en coûte, c’est aussi une lumière qui éclaire le chemin » (KCCT, 114). Comme on le voit, la générosité, tout comme l’insensibilité, ne relèvent pas des considérations théoriques, mais constituent des données empiriques mesurables à travers l’instrument qu’est l’épreuve. Une personne au coeur pur résiste aux tentations de toute nature, mais le masque de la générosité de façade tombe à coup sûr lorsque l’individu est aux prises avec les pièges de la chair, de la richesse et du pouvoir. C’est fort de leurs âmes éclairées que Coeur généreux et Kanuden oeuvrent pour le bonheur de leurs peuples : « Le bonheur, le vrai, c’est celui qui est le reflet de la lumière de l’âme qui se nourrit du bonheur des autres et non de leur malheur » (KCCT, 115), ou encore : « Il y a toutes sortes de lumières, mais la seule qui éclaire le chemin de la vie est la lumière de l’âme » (KCCT, 110). Ici, la métaphore de la lumière de l’âme renvoie à la totalité, et non pas au fragment dans la mesure où aucun brin de lumière n’est perceptible dans l’âme du tyran. Tout bien considéré, il n’est pas de bons tyrans, car leur univers est celui des ténèbres.

Conclusion

Que peut la littérature de jeunesse ? La force du triptyque romanesque de Moussa Konaté réside dans sa conscience utopique. Contrairement aux romans politiques africains destinés aux adultes, son ambition va au-delà d’une simple esthétique de dénonciation de la tyrannie pour construire une ode à la liberté. En empruntant la « voie de la métaphorisation » par le biais du fantastique, l’auteur malien réussit magistralement à mettre en scène la vérité selon laquelle les tyrans ne sont pas invincibles et que la lutte opiniâtre est seul gage de liberté des peuples. Chez Moussa Konaté, le combat contre le tyran se déploie comme une bataille entre le Bien et le Mal, bataille dont le coeur est l’arène. Toutefois, le récit ne tombe pas dans le manichéisme béat. En articulant des réflexions sur le désir de puissance, le pouvoir et la nature humaine, cette trilogie dévoile sa dimension axiologique, portée par deux héros, l’un juvénile et l’autre adulte. Âmes inaltérables, ces héros ont aussi en commun d’être guidés par l’Idéal qui, seul, permet de résister aux tentations générées par la fascination du pouvoir. Ainsi, elle construit une utopie possible des gouvernants vertueux échappant à la corruption du pouvoir[50] et oeuvrant pour le bonheur de leur peuple. Même si Moussa Konaté fait le choix apparent de conférer une dimension universelle à son oeuvre en évitant soigneusement toute allusion à son continent, l’Afrique, il n’en demeure pas moins vrai que ces fictions se présentent comme un miroir où peuvent se lire la soif de pouvoir sans bornes des gouvernants et les conséquences du mal politique dans l’Afrique d’aujourd’hui. Il est indéniable que les tyrans portent une lourde responsabilité dans la grande nuit où demeure plongé ce continent[51]. À vrai dire, le Royaume de Bonheur de Coeur généreux n’est-il pas cette Afrique libre à laquelle aspirent ses habitants[52] ? Coeur généreux n’est-il pas le président idéal, soucieux du bien-être de son peuple et dont rêvent les peuples africains subjugués par la tyrannie ? À travers le combat héroïque de Kanuden et de ses amis, Moussa Konaté montre la voie à la jeunesse africaine quant à leur rôle dans l’éradication de la tyrannie sur la terre de leurs aïeux. Cette oeuvre fictionnelle a aussi le mérite de donner une nouvelle dimension au roman politique africain[53], en sortant du piège du réel, de la dénonciation de la tyrannie, pour construire l’utopie d’une ère nouvelle, d’une Afrique « sous un soleil nouveau », celui de la liberté et de la justice. En effet, il ne suffit pas seulement d’esthétiser les cruautés et laideurs des despotes ; il faut désormais surtout imaginer, penser une Afrique future, débarrassée de la tyrannie[54]. Malgré l’étiquette « littérature jeunesse », la trilogie Kanuden peut aussi faire rêver le lecteur adulte[55]. En somme – pour paraphraser le critique littéraire Thomas Pavel –, il importe d’écouter également la littérature de jeunesse africaine dont la pensée contribue à renouveler le discours tant fictionnel que critique[56].