Abstracts
Résumé
La présente recherche vise à observer les témoignages antiques pouvant être rapprochés de la pratique moderne des carnets, et particulièrement les Pensées de Marc Aurèle, dans leur rapport aux notes (hypomnemata / commentarii), aux comptes rendus philosophiques découlant de la meditatio et aux lettres. La comparaison avec les processus à l’oeuvre dans la correspondance de Marc Aurèle avec Fronton permet de saisir tous les refus sociaux et culturels qu’implique le choix d’écrire les Pensées.
Abstract
This research aims to examine ancient accounts that can be compared to the modern practice of the notebook, and in particular Marcus Aurelius’ Meditations, in their relationship to notes (hypomnemata/commentarii), philosophical accounts derived from meditatio, and letters. The comparison with the processes at work in Marcus Aurelius’ correspondence with Fronto makes it possible to grasp all the social and cultural refusals involved in the choice to write the Meditations.
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Parce que la littérature antique est généralement un outil pour exister dans l’espace social, il est difficile d’y trouver des textes s’apparentant à la catégorie moderne du carnet. Si l’on conçoit le carnet comme un ouvrage préparatoire à l’oeuvre, aucune oeuvre antique ne sert ce but. Les genres les plus proches d’un tel état d’esprit sont sans doute l’autobiographie et l’épistolaire. Les Pensées de Marc Aurèle sont exceptionnelles à plusieurs égards : oeuvre destinée à un seul lecteur, qui est également l’auteur, elle trace une dynamique de l’intimité unique dans le monde antique. Dans cette réflexion, nous tenterons de montrer où se situe l’oeuvre en regard des autres pratiques antiques du discours intime et ce qu’elle a pu apporter à la littérature moderne, comme inspiration et modèle pour une écriture de la construction de soi.
La nature générique des Pensées de Marc Aurèle a longtemps nourri le débat. Depuis leur redécouverte au XVIe siècle, elles ont été perçues tantôt comme un travail préparatoire à une oeuvre jamais écrite, tantôt comme le travail d’un éditeur maladroit ou le résultat d’une transmission déficiente qu’il fallait remettre dans l’ordre logique que l’empereur n’aurait pas manqué de donner à son écrit. Les problèmes de définition se voient d’ailleurs dans les titres successifs donnés à l’ouvrage, qui tentent de le lier à divers genres connus, voire à des oeuvres particulières : Pensées, Méditations, Exhortations[1]. Ces perspectives découlent de la difficulté ressentie par les humanistes à associer un empereur perçu comme idéal à une oeuvre non structurée, éloignée du traité et intimiste. L’incertitude existait déjà dans l’Antiquité : même si les témoignages sur l’oeuvre de Marc Aurèle sont assez tardifs et peu nombreux, ils ne s’accordent pas sur sa nature — Thémistios, qui est peut-être le plus ancien témoin (IVe siècle), parle des « exhortations » de Marc Aurèle (paraggelmata VI, 81c) et la Souda, l’encyclopédie byzantine du Xe siècle, affirme que l’empereur écrivit le déroulement de sa vie en douze livres (agogè, µ 214)[2]. Les lectures plus récentes valorisent l’aspect déconstruit de l’oeuvre et mettent l’accent sur les influences multiples des pratiques littéraires et philosophiques présentes dans les Pensées[3]. Il est ainsi désormais admis que, excepté pour le livre I, l’oeuvre fut écrite au jour le jour, dans la dernière période de la vie de l’empereur, en vue d’aucun autre destinataire que Marc Aurèle lui-même et avec aucun autre but que de renforcer, chez leur auteur, les principes de vie stoïciens. Cette pratique n’exclut pas le travail littéraire ni une certaine organisation. Le premier livre, action de grâce pour les choses reçues des parents, des amis, des professeurs, des dieux et incitation à faire fructifier ces dons[4], se distingue des autres par son uniformité de thème et de formulation, ce qui laisse penser qu’il fut conçu comme un tout et écrit soit à la toute fin de la vie de Marc Aurèle, soit au début du projet. Les autres livres ne possèdent pas cette unité thématique, même si le lecteur sent que certains sujets sont plus importants à certains moments de la vie de l’auteur[5]. Toutefois, la méthode varie peu : Marc Aurèle n’écrit pas spontanément ; il cherche, comme l’enseignaient les stoïciens et particulièrement Sénèque et Épictète, la phrase compacte, sonore[6], et pour cette raison persuasive, qui permettra à l’âme de recevoir une teinture permanente, pour reprendre une métaphore stoïcienne courante[7]. Il utilise également la citation, la liste, l’exemple et la chrie[8], tous des procédés qui servent à la fois l’exhortation et la mémorisation. Le ton exhortatif est maintenu par l’utilisation fréquente de l’impératif de la deuxième personne, qui incite surtout l’auteur-lecteur à des activités intellectuelles (« n’oublie pas », « dis à toi-même », « pense », « vois », « conçois », « médite »)[9].
Marc Aurèle semble désigner son travail par le terme hypomnematia (Pensées III, 14, 1), qui est le diminutif de hypomnemata : le terme renvoie à la pratique de la prise de notes par les généraux et les magistrats en vue de consigner les décisions prises et les actions menées[10]. C’est le genre que Jules César manipule et imite pour créer une apparence d’objectivité et que Cicéron appelle commentarii :
Nudi enim sunt, recti et uenusti, omni ornatu orationis tamquam ueste detracta. Sed dum uoluit alios habere parata, unde sumerent qui uellent scribere historiam, ineptis gratum fortasse fecit, qui uolent illa calamistris inurere : sanos quidem homines a scribendo deterruit (Brutus 262)[11],
de même que Fronton (au singulier, Ad Verum I, 8, 2 ; au pluriel, Principia historiae 2 : « […] ubi primum frater suarum rerum commentarios miserit, nos res scribere adgrediemur[12] »). On pourrait d’ailleurs multiplier les exemples d’utilisation du terme pour désigner un rapport sans style[13], sans ornement, « nu », comme le dit Cicéron, matière première de l’histoire et non histoire elle-même, qui dans la pensée antique se doit d’être un objet littéraire. Ces rapports peuvent servir d’aide-mémoire ou de vade-mecum pour le successeur dans la fonction, mais ils sont souvent envoyés par les plus ambitieux des généraux à Rome sous une forme épistolaire ; lus au Sénat et diffusés dans les cercles de pouvoir, ils servent également à construire l’argumentation nécessaire à l’attribution du triomphe, plus haute distinction sous la République ; de ces commentarii militaires découlent l’éloge triomphal et, in fine, l’autobiographie[14].
Il existe bien sûr d’autres pratiques de prise de notes en dehors de ce contexte politico-militaire. Nous n’en conservons presque aucun exemple direct, mais quelques témoignages permettent de croire que la pratique était répandue, autant dans la préparation de discours[15] que d’oeuvres écrites. Le seul exemple direct vient des papyrus d’Herculanum, qui révèlent sans doute la technique de travail de Philodème de Gadara, philosophe épicurien du Ier siècle av. J.-C. : un papyrus présente au recto des citations et au verso les commentaires et réflexions qu’elles ont inspirés. L’existence de deux papyrus portant un texte différent laisse penser que l’un est un brouillon préparatoire et l’autre une première version de l’oeuvre en fabrication[16]. On sait par ailleurs par Pline le Jeune que Pline l’Ancien utilisait ce type de fiches pour la construction de ses ouvrages (Lettres III, 5, 10 et 17 : excerpta et commentarii)[17]. Plutarque avait également recours à cette pratique puisqu’il choisit, lorsqu’un messager vers Rome se présente, d’envoyer à Paccius ses notes (hypomnemata) au lieu d’un traité achevé sur la tranquillité de l’âme (464e), soulignant que son correspondant attachera plus d’intérêt à l’aide immédiate que lui procurera ce brouillon qu’à la beauté du style ; malgré cette remarque, l’oeuvre, Sur la tranquillité de l’âme, n’est pas une collection de notes éparses : le traité possède une progression logique servie par un style simple, mais tout de même présent. Si l’on exclut une possible coquetterie d’écrivain, on pourrait penser que l’ouvrage tel qu’il nous est parvenu est plutôt une version intermédiaire entre la prise de notes et l’achèvement de l’ouvrage poli[18]. Aulu-Gelle (Préface 2) mentionne également ce type d’outil de travail pour préparer son recueil d’anecdotes[19]. Dans tous ces cas, les notes sont prises en vue de construire une oeuvre et ne sont pas une fin en soi. Un seul cas de choix volontaire du genre serait le recueil historique de Pamphila, femme hellénophone du Ier siècle de notre ère, qui, selon Photius (II, codex 175), « avait jugé le mélange et la variété plus agréables et plus gracieux que l’unité de plan » (trad. Henry), et avait donc laissé ses notes dans l’ordre où elle les avait prises pendant les treize années de son mariage. Toutefois, selon l’éditeur des fragments, la revendication de désordre ne serait qu’un procédé littéraire, car l’organisation des sujets selon les livres semble montrer une progression chronologique à l’intérieur de l’oeuvre[20]. La pratique antique de la prise de notes n’est donc jamais conçue comme une fin en soi : c’est une étape de préparation de l’oeuvre, qui sert des buts personnels. Même si certains auteurs choisissent de présenter leurs ouvrages dans une construction plus souple, notamment les auteurs de miscellanées, cela ne revient pas à publier directement ces notes : l’ouvrage diffusé est le résultat d’un travail de réorganisation. La publication des notes de lecture ou de cours est généralement perçue par les auteurs anciens comme une erreur ou un vol, qui doivent souvent être réparés par la publication d’une oeuvre achevée[21].
Par ailleurs, pour mieux saisir le processus d’écriture à l’oeuvre dans les Pensées de Marc Aurèle, il est nécessaire de faire un retour sur les pratiques philosophiques anciennes. Le discours avec soi-même est présent dès l’apparition de la littérature occidentale (Homère, Odyssée XX, 18-23), mais son utilisation comme outil d’introspection philosophique vient de la lecture de Platon (par exemple, Philèbe 38e-39a ; Premier Alcibiade 132d ; Théétète 189e-190a ; Sophiste 264a) et, peut-être, d’une pratique de Socrate lui-même, car on en trouve des traces chez Xénophon et Isocrate[22]. L’idée est que l’âme connaît la vérité, mais l’a oubliée ; il est nécessaire de la questionner pour réactiver la mémoire et qu’ainsi la vérité devienne sensible à l’homme. Ce processus se fait généralement à travers la dialectique, qui demande un interlocuteur et se manifeste dans le dialogue. Cependant, comme le dit Épictète, grande influence philosophique de Marc Aurèle, parfois, par manque d’interlocuteur, Socrate discutait avec lui-même. C’est ainsi que l’on peut comprendre le paradoxe apparent d’Épictète qui fait de Socrate, l’anti-écrivain par excellence, un auteur prolifique :
Quoi donc ! Socrate n’a-t-il pas écrit ? Et qui donc a écrit autant que lui ? Mais comment ? Ne pouvant toujours avoir à ses côtés quelqu’un qui mît à l’épreuve de la critique ses doctrines, ou qui pût, à son tour, subir la critique, il se critiquait lui-même et s’examinait, et il ne cessait de mettre en discussion d’une manière pratique quelqu’une de ses notions premières. Voilà ce qu’écrit un philosophe[23].
La méditation, le bilan journalier, est une pratique continue dans la plupart des écoles philosophiques de l’Antiquité[24], mais particulièrement encouragée par les stoïciens. Deux processus peuvent être à l’oeuvre dans cet exercice philosophique : la reddition de comptes et la mise sous la main des principes fondamentaux ; l’un est un examen de conscience qui n’emprunte pas nécessairement le véhicule de l’écriture, tandis que l’autre est un rassemblement de citations qui mène généralement à la constitution d’un encheiridon, un manuel, un petit écrit restant toujours à porter de main, comme l’indique l’étymologie. Le bilan journalier est surtout mis en valeur chez Sénèque, qui donne des exemples de sa propre pratique dans sa correspondance avec Lucilius (Lettres 83). Épictète insiste plutôt sur le second outil (I, 1, 25 ; I, 27, 6 ; II, I, 29 ; III, 24, 103) : « Garde ces pensées, de nuit et de jour, à ta disposition (procheira). Mets-les par écrit (graphein), fais-en ta lecture ; qu’elles soient l’objet de tes conversations avec toi-même (auton pros auton) » (trad. Souilhé). La mise par écrit n’est pas absolument nécessaire[25], mais l’écriture est conçue comme un deuxième niveau d’intégration des doctrines philosophiques[26].
En dehors de son utilité pour la constitution d’un ouvrage destiné à la diffusion, la pratique des hypomnemata dans le monde romain tisse donc des liens entre le genre épistolaire[27], le discours d’éloge et l’autobiographie, qui, dans le processus politique et social, dépendent de la prise de notes. Or la période dans laquelle vit Marc Aurèle est marquée par un mouvement culturel, baptisé « seconde sophistique » un siècle plus tard par Philostrate, qui met entre autres de l’avant les genres de l’intime (épistolaire et autobiographie) et le genre épidictique. Laurent Pernot a exploré les liens qui unissent les Pensées avec l’éloge du Prince : il en conclut que, sans être un éloge formel, l’oeuvre n’est pas dépourvue des thèmes présents dans le genre rhétorique[28]. Les points de contact entre l’oeuvre de Marc Aurèle et l’autobiographie ont été largement soulignés[29]. Comme nous y incite la réalité des hypomnemata et puisque Marc Aurèle a entretenu dans sa jeunesse (139-166) une correspondance avec Fronton, son professeur de rhétorique latine, nous aimerions vérifier s’il y a dans la pratique de l’empereur-auteur une trace précoce de ce que deviendront les Pensées.
L’idée de ce lien entre la lettre et les hypomnemata a été évoquée par Michel Foucault, qui voit dans les deux procédés des façons de se révéler à soi-même et aux autres ; il cite in extenso la lettre de Marc Aurèle, où le jeune prince (il a alors environ vingt ans[30]) raconte une journée de vendanges à la villa impériale de Signia (Ad Marcum IV, 6), et la met en parallèle avec la lettre 83 de Sénèque, où le philosophe, sous la pression de son correspondant, raconte l’une de ses journées pour illustrer le précepte qu’il faut vivre sous le regard des autres et de la raison[31]. Pour Foucault, ces lettres deviennent « le lieu de l’écriture du rapport à soi, à travers deux pôles : les interférences de l’âme et du corps (les impressions) et les activités du loisir (plutôt que les événements extérieurs)[32] ». Or, même si ces deux lettres partagent un thème commun (la lettre de Sénèque se termine sur une longue méditation, accompagnée de citations de philosophes, sur le vin [83, 8-27]), elles ne semblent pas mettre le même type de vie sous les yeux de l’Autre.
La narration d’une journée est un motif littéraire, qui n’est pas uniquement philosophique, mais sert généralement à construire, à travers la quotidienneté, l’image d’une vie exemplaire. La lettre de Sénèque montre effectivement les activités ascétiques et modérées du philosophe au quotidien (méditation, lecture, exercice physique, bain d’eau froide, repas de pain sec, petite sieste, étude), mais ne se contente pas de l’énumération et s’ouvre vers le sujet de la méditation. Dans les exemples philosophiques, on citera la journée d’un épicurien narrée par Épictète (Entretiens III, 24, 39), où l’adversaire est décrit comme un être n’ayant aucun but dans sa journée, se levant tard, lisant et écrivant n’importe quoi, récitant des inepties aux amis qui manquent d’esprit critique, se promenant, prenant le bain, mangeant et allant se coucher dans un lit peu respectable[33]. La correspondance de Pline le Jeune renferme également quelques exemples de narration d’une journée. Ainsi, les vacances de Pline en Toscane sont entièrement occupées par le travail intellectuel, qui ne s’interrompt même pas pendant l’inspection des terres ou la chasse (IX, 36 et 40) ; cette activité est également le trait principal du portrait que trace Pline le Jeune de son oncle (III, 5)[34]. L’autre modèle est celui de Spurinna (Pline, Lettres III, 1), mais dans l’ensemble, l’idéal est un loisir mérité après une vie dédiée au bien public, où sont intégrées dans des parts harmonieuses les activités physiques, intellectuelles et sociales[35].
Contrairement à la lettre philosophique de Sénèque et aux narrations clairement morales de Pline, la lettre de Marc Aurèle — ou plutôt les lettres, car le corpus renferme deux lettres qui sont dévolues à la narration d’une journée du prince (Ad Marcum IV, 5 et 6)[36] — reste dans l’énumération des activités. Quelle image Marc Aurèle veut-il transmettre dans ces comptes rendus ? Les deux lettres présentent une séquence d’événements à peu près semblable : le Prince se lève tôt (le premier jour à trois heures du matin, le second à cinq heures) et accorde les cinq premières heures de sa journée au travail intellectuel ; puis, le reste de la matinée est dédié à des exercices physiques modérés (marche et gargarisme) et à l’accomplissement de ses devoirs auprès de l’empereur ; la première journée, il chasse avec son père adoptif, puis accorde l’après-midi à la lecture et à l’écriture et se couche tôt, car il se sent enrhumé ; la seconde, il assiste Antonin dans un sacrifice, mange frugalement, participe aux vendanges, travaille brièvement et badine sur l’amour avec sa mère, puis ils se rendent au bain et mangent dans le pressoir en écoutant les chants rustiques. Ce sont donc des journées équilibrées, combinant les obligations sociales, la détente, l’exercice et beaucoup de travail intellectuel, ce qui correspond sans doute à ce que son correspondant et professeur désirait pour son élève, sur le modèle des loisirs aristocratiques et constructifs. En effet, on sait par une autre lettre des mêmes années (Ad Marcum IV, 12, 5) que Fronton reprochait à son élève de lire pendant les assemblées, les spectacles et les banquets[37], ce qui le rendait durus, intempestivus et odiosus aux yeux de son maître ; les termes sont forts, cruels, et montrent que, même si Fronton place au plus haut degré les activités intellectuelles, elles doivent céder le pas lors des obligations politiques et sociales, de crainte que le jeune prince n’adopte l’asociabilité du tyran. Pour compléter le dossier, on peut mentionner une lettre du tout début du règne de Marc Aurèle (circa 162), où il refuse de narrer sa journée de peur de se faire rabrouer par son professeur (De feriis Alsiensibus I), qui lui répond en inventant une journée utopique, commençant à midi, presque entièrement dévolue à la lecture et à l’étude, à une navigation de loisir suivie du bain et d’exercices physiques, pour se terminer dans un repas luxueux, décrit par des termes littéraires que Fronton expliquera ensuite (De feriis Alsiensibus III, 1-2) ; la narration imaginaire du professeur de rhétorique évoque sans doute le contraire de la journée fort occupée de l’empereur, et met l’accent principalement sur la lecture et l’écoute, à la fois de la littérature et de la nature[38].
Dès lors, les lettres Ad Marcum IV, 5 et 6 mettent en valeur, à travers la narration de la quotidienneté, une vie équilibrée selon les termes traditionnels et aristocratiques définis par Fronton ; Marc Aurèle tente de s’y conformer, même si l’on voit que ses activités littéraires empiètent largement sur son sommeil et que ses activités sociales sont centrées sur la famille plutôt que sur un cercle lettré. Les autres occurrences du thème montrent que le sommeil n’est pas le seul à souffrir de cette pratique à contre-courant de la lecture et de l’écriture : elle met aussi en danger les relations politiques et la construction d’une sociabilité culturelle. Or Marc Aurèle, lorsqu’il devient empereur, choisit de ne pas narrer ses journées et d’écrire pour lui-même : les Pensées opposent les loisirs aristocratiques à la « citadelle intérieure[39] » et se construisent en partie sur la recherche d’un loisir digne qui se place en tension avec l’agitation du pouvoir[40]. Le geste même d’écrire les Pensées s’inscrit donc dans un choix de soustraire l’activité intellectuelle aux exigences sociales. C’est sans doute pourquoi les Pensées sont si exceptionnelles : elles s’inscrivent dans plusieurs traditions littéraires et pratiques militaires, politiques et philosophiques, mais refusent un certain nombre de conventions sociales et culturelles, notamment que la littérature doit s’adresser à autrui. Dès lors, bien que les Pensées ne puissent être considérées comme l’origine antique du genre des carnets non plus que la correspondance avec Fronton ne doive être établie comme l’antécédent de l’oeuvre philosophique, il est évident que l’attirance de Marc Aurèle envers ces genres révèle une démarche, découlant de la personnalité et du statut, qui valorise les forces « éthopoétiques » de l’écriture, observables dans les pratiques modernes de la publication des carnets.
Appendices
Note biographique
Pascale Fleury, professeure de langue et littérature latines à l’Université Laval, est spécialiste de rhétorique latine tardive. Ses recherches évoluent autour de la correspondance de Fronton avec Marc Aurèle (Correspondance, texte traduit et commenté par P. Fleury avec la collaboration de S. Demougin, Les Belles Lettres, 2003 ; Lectures de Fronton : un rhéteur latin à l’époque de la seconde sophistique, Les Belles Lettres, 2006) et des lettres de Marc Aurèle (« Letters of Marcus Aurelius », dans Marcel van Ackeren [dir.], Blackwell Companion to the Ancient World. A Companion to Marcus Aurelius, Blackwell, 2012 ; « Marc Aurèle épistolier : comment faire écrire un empereur romain de l’Antiquité au XVIe siècle ? », Anabases, no 19 [2014]).
Notes
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[1]
Les Pensées, comme beaucoup d’oeuvres antiques, n’ont pas reçu de titre de la part de leur auteur ; les manuscrits portent en tête eis heauton, « à lui-même », « pour lui-même », « sur lui-même », mais la mention est probablement due à l’éditeur antique du texte. Pour les différents titres donnés par les différents éditeurs, voir Pierre Hadot, Introduction aux « Pensées » de Marc Aurèle, Paris, Livre de poche, 2005, p. 50-54 ; pour le texte et la traduction, voir l’édition d’Amédée Trannoy dans la Collection des universités de France (Paris, Les Belles Lettres, 1964).
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[2]
Pour un état de la question concis et clair sur l’histoire du texte et ces témoins, voir Matteo Ceporina, « The Meditations », dans Marcel Van Ackeren (dir.), A Companion to Marcus Aurelius, Oxford, Blackwell, 2012, p. 43-61.
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[3]
Voir, entre autres, Richard B. Rutherford, The Meditations of Marcus Aurelius : A Study, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 6-24.
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[4]
Le premier livre a été rapproché du testament, de l’inventaire, de la reddition de dettes ; voir Folco Martinazzoli, La successio di Marco Aurelio : struttura e spirito del primo libro dei Pensieri, Bari, Adriatica, 1951, p. 81-82.
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[5]
Pour un portrait d’ensemble des thèmes, voir Jean-Baptiste Gourinat, « The Form and Structure of the Meditations », dans Marcel Van Ackeren (dir.), A Companion to Marcus Aurelius, Oxford, Blackwell, 2012, p. 320-327.
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[6]
La pratique de la sentence chez Marc Aurèle a été finement analysée par Monique Alexandre, « Le travail sur la sentence chez Marc-Aurèle. Philosophie et rhétorique », La Licorne, no 3 (« Formes brèves. Métamorphoses de la sententia », 1979), p. 125-154 ; voir également Pierre Grimal, « Ce que Marc Aurèle doit à Fronton », Revue des études latines, t. 68 (1990), p. 151-159 ; Angelo Giavatto, « The Style of the Meditations », dans Marcel Van Ackeren (dir.), A Companion to Marcus Aurelius, Oxford, Blackwell, 2012, p. 333-345.
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[7]
Sénèque, Lettres 71, 31 ; Marc Aurèle, Pensées V, 16.
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[8]
La chrie est une anecdote exemplaire mise sous sa forme la plus concise, qui contient généralement des paroles prononcées.
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[9]
Peter A. Brunt, « Marcus Aurelius in his Meditations », Journal of Roman Studies, vol. 64 (1974), p. 1-20 ; Jean-Baptiste Gourinat, art. cit., p. 329.
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[10]
Le terme hypomnemata est très vague et fait référence à un processus de consignation pour garder en mémoire. Pour l’utilisation du terme chez les historiens grecs, voir, entre autres, Delfino Ambaglio, « Fra hypomnemata e storiografia », Athenaeum, vol. 68 (1990), p. 503-508.
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[11]
« En effet, ils sont nus, droits et polis, dépouillés de tous les ornements du discours comme un corps dépouillé de vêtement. Mais il [César] voulut alors que d’autres aient des matériaux prêts où puiseraient ceux qui voudraient écrire l’histoire : il a peut-être fait une faveur aux sots qui voudront les friser au fer, mais il a certes dégoûté les hommes raisonnables d’écrire. » Notre traduction. L’hypothèse de Sean Gurd (Work in Progress : Literary Revision as a Social Performance, New York, Oxford University Press, 2012, p. 64), selon laquelle Cicéron critique plutôt le caractère trop parfait et donc autoritaire de la prose de César, est stimulante.
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[12]
« […] dès que ton frère [Lucius Verus alors en campagne militaire en Asie] m’aura envoyé les commentaires de ses actions, nous entreprendrons de les narrer ». Notre traduction.
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[13]
On ne peut cependant aborder le sujet sans mentionner un exemple fameux qui n’est pas militaire, celui des notes de Cicéron envoyées à Lucceius (Lettres familières V, 12) pour qu’il écrive l’histoire de son consulat ; Lucien (Comment écrire l’histoire 47-48) mentionne les hypomnemata comme lieu où l’historien devrait rassembler les éléments importants pour la rédaction de son histoire, sans ordre et sans articulation.
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[14]
Sur tout ce processus et l’histoire des commentaires impériaux, voir R. Geoffrey Lewis, « Imperial Autobiography. Augustus to Hadrian », ANRW, vol. II, no 34 (1993), part. 1, p. 629-706.
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[15]
La pratique de prise de notes comme préparation à la prononciation de discours est mentionnée par Quintilien (X, 7, 30-31), qui considère qu’il faut louer Cicéron et Servius Sulpicius Rufus pour avoir procédé ainsi. En effet, il semble que, dans l’idéal, la cogitatio se fasse sans recours à l’écrit (voir Pline le Jeune, Lettres IX, 36, 2). Sur ce sujet, voir Marie Ledentu, « L’orateur, la parole et le texte », dans Guy Achard et Marie Ledentu (dir.), Orateur, auditeurs, lecteurs : à propos de l’éloquence romaine à la fin de la République et au début du Principat, Paris, de Boccard, 2000, p. 57-74.
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[16]
Sur ces papyrus de Philodème, voir Tiziano Dorandi, « Pratiques d’écriture et de copie dans la bibliothèque de Philodème à Herculanum », dans Yves Perrin (dir.), Neronia VIII. Bibliothèques, livres et culture écrite dans l’empire romain de César à Hadrien, Bruxelles, Latomus, 2010, p. 100-104 ; Sean Gurd, op. cit., p. 11-17. La méthode de Philodème trouve des échos dans les pratiques modernes de prise de notes, notamment celles de R. Barthes ; voir Andrei Minzetanu, Carnets de lecture, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 2016, p. 57.
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[17]
La prise de notes et le commentaire de ces citations en vue de la rédaction d’une oeuvre ou pour servir l’enseignement sont des techniques assez courantes dans l’Antiquité (par exemple Lucien, Hermotimos 2 ; Galien, Sur ses propres livres, Préface 10-13). Sur les outils utilisés pour une telle prise de notes, voir Tiziano Dorandi, Le Stylet et la tablette : dans le secret des auteurs antiques, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 17-25 ; pour une discussion et la bibliographie secondaire sur la méthode de Pline l’Ancien, ibid., p. 29-39 ; sur la méthode de Galien, ibid., p. 78-81. Les commentateurs d’Aristote divisent les travaux du philosophe en hypomnématiques et syntagmatiques, considérant que les premiers sont des aide-mémoire qui précèdent la rédaction de l’oeuvre finale (voir ibid., p. 84-97).
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[18]
Il est intéressant de noter que l’ouvrage de Plutarque se présente comme un traité épistolaire, ce qui met l’accent sur les liens entre hypomnemata et lettre. Sur la manière de travailler de Plutarque, voir P. A. Stadter, « Plutarch’s Compositional Technique : The Anecdote Collections and the Parallel Lives », Greek, Roman, and Byzantine Studies, vol. 54, no 4 (2014), p. 665-686. On pourra mentionner également l’Enchiridion de Nicomaque de Gérase (Ier-IIe siècle de notre ère) sur la musique ; dans la préface de l’ouvrage, l’auteur explique qu’il a envoyé par lettre à sa correspondante un manuel succinct parce qu’il est en déplacement et n’a pas le loisir de composer une oeuvre achevée ; pour une traduction anglaise de ce texte, voir Andrew Barker, Greek Musical Writings II, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 247 sq.
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[19]
Sur la méthode d’organisation de la matière chez Aulu-Gelle, voir Leofranc Holford-Strevens, Aulus Gellius. An Antonine Scholar and his Achievement, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 29-35.
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[20]
Silvana Cagnazzi, Nicobule e Panfila. Frammenti di storiche greche, Bari, Edipuglia, 1997, p. 43 ; sur l’auteure, p. 31-39. Sur la probable utilisation du personnage dans le roman d’Apulée, voir Hendrik Müller-Reineke, « A Greek Miscellanist as a Libidinous Thessalian Witch ? : Pamphile in Apuleius’ Metamorphoses 2-3 », Classical Quarterly, vol. 56 (2006), p. 648-652.
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[21]
Les exemples sont nombreux dans l’Antiquité, mais les plus célèbres sont sans doute l’Institution oratoire de Quintilien (Préface 7) et les ouvrages didactiques de Galien (Sur l’ordre de ses propres livres I, 2 et 5) (voir Jason König, « Conventions of Prefatory Self-presentation in Galen’s On the Order of My Own Books », dans Christopher Gill, Tim Whitmarsh et John Wilkins [éd.], Galen and the World of Knowledge, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 35-58). Mentionnons également les craintes de Fronton que ses notes (Ad Amicos II, 2) ou sa correspondance (Ad Amicos I, 19) ne soient publiées sans son consentement. Pour d’autres exemples de diffusion non autorisée, voir Tiziano Dorandi, Le Stylet et la tablette, op. cit., p. 121-123.
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[22]
Richard B. Rutherford, op. cit., p. 15-21. Pour une histoire du soliloque, voir Brian Stock, Augustine’s Inner Dialogue : The Philosophical Soliloquy in Late Antiquity, New York, Cambridge University Press, 2010, p. 65-67. Alain Michel (« Rhétorique et philosophie au second siècle après J.-C. », ANRW, vol. II, no 34 [1993], part. 1, p. 54) rapproche la pratique de Marc Aurèle du soliloque.
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[23]
Épictète, Entretiens II, 1, texte établi et traduit par Joseph Souilhé et Armand Jagu, Paris, Les Belles Lettres, 1950, p. 32-33.
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[24]
Sur le sujet et son histoire, voir Robert J. Newman, « Cotidie meditare. Theory and Practice of the Meditatio in Imperial Stoicism », ANRW, vol. II, no 36 (1989), part. 2, p. 1473-1517. Sénèque évoque l’usage pythagoricien de faire une reddition de comptes, qu’il accompagne de la métaphore de l’âme qui se met en procès devant elle-même (De la colère III, 36, 1-4) ; Épictète mentionne également cette pratique (III, 10, 2-3), en citant des vers de Pythagore. Le questionnement est sans doute le même chez les épicuriens, comme semble le montrer Horace (Satires I, 4, 137-139).
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[25]
Robert J. Newman (art. cit., p. 1478-1479) souligne la difficulté de savoir quels procédés étaient utilisés pour la meditatio (à voix haute ou basse, à l’écrit), mais remarque que la nécessité de persuasion entraîne forcément un travail sur le style. Sénèque évoque à plusieurs endroits l’importance d’opérer un travail de reformulation des lectures et de mise sous une forme frappante des préceptes ; voir, entre autres, la métaphore où il compare le canal étroit du vers au tuyau de la trompette (le resserrement de la forme donne plus de force à la pensée [Lettres 108, 10c]) (Mireille Armisen-Marchetti, « La Poetica tuba : sens et devenir d’une image dans la littérature latine », Pallas, no 59 [2002], p. 271-280) et la lettre 84, où Sénèque explique que la lecture et l’écriture sont complémentaires et que les lectures ne doivent pas passer à l’écrit inchangées, car le procédé sert non seulement la mémoire, mais surtout l’intégration dans l’intelligence (ingenium).
-
[26]
Voir Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Études augustiniennes, 1987, p. 33-34, p. 68-69 ; John Sellars, « The Meditations and the Ancient Art of Living », dans Marcel Van Ackeren (dir.), A Companion to Marcus Aurelius, Oxford, Blackwell, 2012, p. 458-462. On a des exemples assez anciens de ce processus. Par exemple, Cicéron (Lettre à Atticus XII, 21, 5) se console de la mort de sa fille, d’abord en lisant les philosophes sur la mort, puis en utilisant ses lectures pour écrire un traité ; en XII, 14, 3, le procédé est le même : les lectures philosophiques sont mises en branle dans des autoconsolations écrites.
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[27]
Les rapports entre carnet et lettre sont également étroits dans la littérature moderne ; voir Andrei Minzetanu, op. cit., p. 19.
-
[28]
Laurent Pernot, « Marco Aurelio e il basilikos logos : per una nuova ipotesi sull’orizzonte dei Pensieri », ASNP, Ser. 4a 5 (2000), p. 501-521 ; « Miroir d’un prince par lui-même : les Pensées de Marc Aurèle », dans Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.), L’Éloge du Prince de l’Antiquité au temps des Lumières, Grenoble, ELLUG, 2003, p. 91-104.
-
[29]
Jacques Bompaire, « Quatre styles d’autobiographie au IIe siècle après J.-C. : Aelius Aristide, Lucien, Marc Aurèle, Galien », dans Marie-Françoise Baslez, Philippe Hoffmann et Laurent Pernot (dir.), L’Invention de l’autobiographie : d’Hésiode à Augustin, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1993, p. 199-209 ; Irmgard Männlein-Robert, « The Meditations as (Philosophical) Autobiography », dans Marcel Van Ackeren (dir.), A Companion to Marcus Aurelius, Oxford, Blackwell, 2012, p. 362-381.
-
[30]
Ce corpus est difficile à dater, mais on peut penser à un automne entre 143 et 147 ; voir Michael van den Hout, A Commentary of the Letters of M. Cornelius Fronto, Leyde, Brill, 1999, p. 167.
-
[31]
Michel Foucault, « L’écriture de soi », Dits et écrits. IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 415-430 ; « Les techniques de soi », ibid., p. 783-813. Pour une critique adoptant un point de vue classiciste de la pensée de Michel Foucault, voir Pierre Hadot, « Réflexions sur la notion de “culture de soi” », dans Michel Foucault philosophe, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 261-269. Pour une poursuite de la réflexion de Foucault, voir Michael L. Humphries, « Michel Foucault on Writing and the Self in the Meditations of Marcus Aurelius and Confessions of St. Augustine », Arethusa, vol. 30, no 1 (1997), p. 125-138.
-
[32]
Michel Foucault, « L’écriture de soi », op. cit., p. 427.
-
[33]
Voir, pour une approche générale du sujet, Michael B. Trapp, « Biography in Letters ; Biography and Letters », dans Brian McGing et Judith Mossman (dir.), The Limits of Ancient Biography, Swansea, The Classical Press of Wales, 2006, p. 335-350.
-
[34]
Pline parle particulièrement de la capacité qu’avait Pline l’Ancien de dormir très peu et de reprendre immédiatement le travail ensuite. Sur ce thème littéraire de l’auteur travaillant la nuit, voir James Ker, « Nocturnal Writers in Imperial Rome : The Culture of Lucubratio », Classical Philology, vol. 99, no 3 (2004), p. 209-242 ; comme le souligne l’auteur (ibid., p. 214-216), le travail de nuit, même s’il est isolé et coupé du regard public, doit servir le bien commun : c’est l’idéal de l’otium romain, transmis par l’anecdote de Scipion l’Africain, qui n’était jamais aussi utile à l’État que dans ses moments de loisirs et de solitude (Cicéron, Des devoirs III, 1). La solitude de la rédaction est perçue de façon contradictoire par les auteurs romains, qui privilégient généralement la construction d’un cercle lettré, notamment sous l’Empire, pour faire un contrepoids au pouvoir politique ; voir Sean Gurd, op. cit., p. 113-126. Pour la particularité de Marc Aurèle, qui est souvent décrit et se décrit lui-même comme un lecteur solitaire, voir William A. Johnson, Readers and Reading Culture in the High Roman Empire, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 150-152.
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[35]
William A. Johnson, op. cit., p. 36-42. La notion de repos mérité après une activité politique et sociale soutenue semble un développement de la période antonine ; voir Pline, Lettres I, 9 ; IV, 3 et 23.
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[36]
On pourrait ajouter à ce corpus d’autres lettres ayant les traits de la quotidienneté, notamment l’Ad Marcum IV, 4, qui est écrite lors du même voyage et qui relate une visite antiquaire de la ville voisine d’Agnania, mais nous nous restreignons à ces deux lettres qui se contentent d’aborder les activités de la journée dans un ordre chronologique. Voir également Ad Marcum II, 11 (écoute de discours sophistiques au théâtre et digression sur la température à Naples) et II, 16 (narration d’une cavalcade au milieu d’un troupeau de moutons à la campagne). Elizabeth Fentress et Marco Maiuro (« Villa Magni near Anagni : The Emperor, his Winery and the Wine of Signia », Journal of Roman Archaeology, vol. 24 [2011], p. 333-369) analysent les trois lettres sur les vendanges en regard des fouilles archéologiques menées sur le site de la villa impériale ; ils en déduisent que le sacrifice évoqué par Marc Aurèle est sans doute un sacrifice public, dans le cadre des rituels de vendanges du Latium, ce que confirmeraient la disposition et la décoration des pièces autour du pressoir.
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[37]
L’Histoire Auguste, Vie de Marc Antonin philosophe 15, 1, rapporte qu’il travaillait intellectuellement lors des jeux du cirque, ce qui entraînait les quolibets de la foule.
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[38]
Pour une lecture philosophique et historique de cette lettre, voir Jean-Marie André, « Le De otio de Fronton et les loisirs de Marc Aurèle », Revue des études latines, t. 49 (1971), p. 228-261. Rémy Poignault (« Les Diui au miroir de Fronton », Revue des études latines, t. 77 [1999], p. 236-239), dans son analyse du passage, souligne combien cet encouragement au repos correspond également à une leçon politique de la nécessité du loisir dans la gestion du peuple, leçon qui est également présente dans les Principia historiae de Fronton.
-
[39]
Par exemple Pensées IV, 3 ; VI, 11 et 12 ; VII, 28.
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[40]
La dignité des loisirs est l’un des traits que Marc Aurèle loue chez son père adoptif (Pensées I, 16, 6). Sur la façon de se ménager des loisirs, voir, entre autres, IV, 18 ; sur l’agitation des hommes, voir, par exemple, IV, 32 ; XII, 24, 3.
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