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À l’heure où la pluie caresse la vitre
tu regardes en toi
et tu sais entrer dans cette forêt de doutes
où mourir brûle sous la neige
quel chant t’est encore une fois révélé
quand la beauté avance
avec quelques poussières
au bord des cils
si seulement nous n’étions pas
ces fragiles pavots
oubliés par la mer
avec des vagues aux poignets
le mouvement des rives
accroché au désir comme un noyé
si seulement nous n’étions pas
cette frileuse nuit de pierre
où les baisers vont se perdre
écorchés vifs par un ciel
pressé d’en finir avec ses fruits
cette terrible respiration du noir
portée au seuil de nos bouches
tu sais ce que le corps exige
quand la voix se noue aux désordres de novembre
le ciel respire de vieux jardins plein de malentendus
des rideaux se lèvent sur de lents paysages
pour la capacité des nuits
à recoudre les naufrages
d’un coup de poing tu agrandis le coeur
d’une vieille fatigue
à bout de bras comme une statue éteinte
tu attaches aux flancs du matin
une histoire ancienne
il était une fois le désir
sur un éclat de verre
et l’eau rouillée de ta poitrine
courait jusque dans ses chambres
ton corps a des récifs où s’accrochent quelques mélancolies
des plaies et des douleurs avec des pages ouvertes
pour les jours où le poème mord la main
comme un grand chien triste
ton corps est un rêve édenté par la nuit
une étreinte qui tisse
dans le cri des oies
des hanches d’horizon
et des fruits qui fusillent la rumeur silencieuse
qui s’abat sur ta gorge
ton corps a des laines trouées par les averses
les vents dépeuplés d’un rêve qui croyait
à la parfaite fusion du feu et du parfum des lèvres
comment dire l’effroi
sans ressentir la chute
du coeur dans le ventre
caillou dépossédé
aux fragiles couleurs de l’ombre
comment dire la mort
sans lever vers le ciel les couteaux rouillés
des rêves inutiles
sans étrangler le bruit que fait le temps
quand il court sur la nuit
avec ses goûts de terre
ses grands champs dénudés
et la rage des cortèges
dans ta bouche tu mêles les cailloux et les roses
pour que ta voix supporte
les pas brisés des chambres
ou les regards de ceux
qui élèvent en silence
les mains vers le soleil
dans ta bouche les cailloux ignorent le vertige
ne sont plus qu’un destin attentif
qui blanchit la mémoire et effeuille aux fenêtres
les rives poudrées de brume
longtemps tu as levé la tête
pour la patience du vent
à ramasser feuilles et neiges
debout en prières
tu avais les gestes lents
de celles qui consolent le ciel
tu attends maintenant la neige comme un deuil
les taches rousses de ta peau se voilent
avant que le froid rampe aux miroirs
fidèle au soleil tu creuses un lit de mousse
pour les jours où l’hiver te tranche la langue
faut-il éventrer le soleil
pour qu’une grappe de lumières
s’accroche à tes genoux ?
il monte quelques poussières
dans le désordre de ta chevelure
l’automne pose les coudes sur tes épaules
contemple ses flammes sur ta chair
tu portes au cou des crépuscules
les demeures de tes éblouissements
et quelques opéras que tu nommes
en hommage à la beauté des choses
tu sais que l’amour est une pierre
où dort la lumière
qui apprend à la neige quelques désolations
tu te dépouilles des miroirs
où vient chanter l’enfance
dans la lente floraison des lèvres
quand il ne reste que les miettes de l’automne
quelques éclats d’orange froissée
tu allumes un feu pour les vieux bouquets
ceux qui traversent les yeux clos
la mémoire de tes doigts brûlés
le crépitement de juillet
s’épuise alors sur ta nuque
comme une bête blessée
tu craches des mots sur quelques braises éteintes
comme si le monde pouvait porter
tes champs de bataille
dans le plus intime de l’abandon
tu cherches à couvrir ta plainte
la marée triste de l’inutile
et le langage perdu du ventre
tu apprends la géographie du souffle
quelques plages où respirer serait renaître
dans le froissement sauvage des sables
tu as si peur que le corps pourrisse
le dos chargé de décembres
et les sommeils étranglés
par la splendeur du givre
qu’est-ce qui arrive au corps
quand le poids des ombres
s’étend dans ses puits ?
tes désirs
glissés dans l’âge comme une racine
refont leur lit cent fois
sous le feuillage des paupières
tes désirs se couchent en cuillères
parmi les oiseaux
ces sursauts de douleur
que tu noies dans la musique
Chopin retombant sur le sol des passions vives
et Morricone sur le tranchant de la fièvre
ces sursauts de douleur
avec leurs bras repliés qui voient le monde
comme une entaille
tu les caches dans les tiroirs de la maison
entre deux papiers sombres
où dorment des cailloux
demain ce sera encore toi
qui embrasseras la musique
les nuages étroits de tes angoisses
demain ce sera encore toi
dans les tremblements de l’hiver
avec ton coeur de conifère et les ombres immobiles
que tu tiens dans la main
à l’exacte vérité du souffle
demain tu ouvriras la porte
avec la belle et impérissable violence de la mer
sous tes paupières les gestes de vivre
rassemblés dans l’argile
Appendices
Note biographique
Lyne Richard
Lyne Richard est née à Québec. Elle a suivi des cours en création littéraire à l’Université Laval de 1988 à 1992. Elle a été membre du comité de lecture de L’écrit primal de 1992 à 1995 et rédactrice en chef en 1993-1994. Elle a gagné le premier prix en écriture poétique lors du gala des Muses en 1993.
Poète, romancière et nouvelliste, elle consacre tout son temps à la création d’oeuvres littéraires et visuelles. Elle a publié 7 recueils de poèmes : Les soifs multipliées (Québec, Le loup de gouttière, 1994), Une dernière pomme en septembre ou ailleurs (Québec, Le loup de gouttière, 1997), Agenouillée dans vos bouches (Québec, Le loup de gouttière, 1999), La nuit fait semblant de mourir (Québec, Le loup de gouttière, 2000), Dans l’infini du rouge (Québec, Le loup de gouttière, 2002), Tout ce blanc près de l’oeil (Ottawa, Éditions David, 2006), La patience des cerfs-volants (Ottawa, Éditions David, 2007). Elle a aussi publié un roman chez Québec-Amérique, en 2007, Le bruit des oranges. Elle a collaboré à une quarantaine de collectifs, dont STOP, Estuaire, Moebius, Exit et Arcade.
Boursière à plusieurs reprises du Conseil des Arts et des Lettres du Québec, elle publiera trois titres au printemps 2009 : Il est venu avec des anémones, nouvelles, Montréal, Québec-Amérique ; La nuit Woolf, roman-ados, Montréal, Québec-Amérique ; Pieds nus sur nos disparitions, poèmes, Ottawa, Éditions David.