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Le Père Robert Lechat, qui a habité l’Inuit Nunangat pendant près de cinquante ans, est décédé à la maison communautaire des Oblats de Marie Immaculée à Richelieu, Québec, le 29 mars 2022, à l’âge de 102 ans. Né en 1920 dans le Val-de-Loire en France, il avait été ordonné prêtre en 1945, puis envoyé comme missionnaire chez les Inuit canadiens deux ans plus tard. Il vécut d’abord au Nunavik – où on le connaissait sous le nom de Pirlusak – séjournant dans plusieurs missions avant de se fixer à Kuujjuaq vers 1955. En 1971, ses supérieurs le transférèrent dans le futur Nunavut où, désormais connu comme Ataata Lusak, il s’occupa en alternance des missions d’Igloolik (Fig. 1) et de Sanirajak. Mis à la retraite en 1995, le Père Lechat vécut plus de quinze ans à Ottawa, d’où il continua à visiter les paroisses du Nunavut lors des célébrations de Pâques et de Noël pour donner un coup de main à ses confrères. Le reste de l’année, il s’occupait des Inuit hospitalisés dans la capitale canadienne et s’adonnait à des travaux de traduction et de compilation d’un dictionnaire de l’inuktut. Il poursuivit ces activités après son transfert à Richelieu en 2012, et cela tant que sa santé le lui permit.
Robert Lechat était connu pour sa connaissance et son appréciation de la culture et de la langue inuit, ainsi que pour son implication sociale remarquable. Dès son arrivée à Igloolik, par exemple, il collabora aux travaux de l’Association Inummarik, un organisme local que venaient de fonder des Inuit préoccupés par les dangers courus par leur culture. Le Père Lechat s’occupa, entre autres, de la traduction française des textes en inuktut à paraître dans la revue de l’association. Au cours des années 1970, il lança une campagne nationale contre la stérilisation forcée des femmes inuit. Son intervention contribua à mettre fin à une pratique qu’on découvrit ensuite avoir été appliquée à plusieurs autres groupes autochtones du Canada. Ses activités au service des Inuit furent publiquement reconnues en 2015, quand on lui décerna l’Ordre du Nunavut.
Sur le plan pastoral, Robert Lechat travailla tout au long de sa carrière à la traduction de textes bibliques et à l’élaboration de matériel liturgique en inuktut. Il joua aussi un rôle actif dans la formation de catéchistes inuit, des couples mariés qui supervisaient les activités religieuses de leur paroisse et, en l’absence de prêtres résidents, célébraient ce qu’on appelait familièrement des « dry masses », des « messes sèches ». Il s’agissait de célébrations dominicales lors desquelles le couple de catéchistes, mari et femme, disait la messe, mais sans consécration du vin (d’où le vocable « sèches ») et en distribuant la communion avec des hosties pré-consacrées. Le missionnaire préconisait d’ailleurs l’ordination de personnes mariées à la prêtrise, sans quoi, estimait-il, on ne réussirait jamais à édifier une Église catholique inuit.
Nous les auteurs de cette notice nécrologique, qui avons bien connu le Père Lechat, nous souvenons surtout de son hospitalité et de l’aide qu’il nous a apportée – ainsi qu’à plusieurs de nos étudiants – lors de nos séjours de recherche au Nord. Bernard Saladin d’Anglure raconte ainsi (texte inédit) :
C’est en janvier 1956, qu’après avoir travaillé pendant trois semaines comme aide-dynamiteur dans les mines de fer de Schefferville au centre de la péninsule du Québec-Labrador, j’ai eu la chance d’obtenir un passage gratuit dans un avion postal qui s’y était posé pour faire le plein d’essence. Il se rendait à Fort Chimo (Kuujjuaq) où se situait l’aéroport nordique le plus important de la région. À l’arrivée, je descendis de l’avion et allai m’asseoir dans la salle d’attente pour récupérer mes bagages. Un homme, habillé de noir mais portant un bonnet et des bottes inuit, y était déjà assis. C’était le Père Robert Lechat, en charge de la mission catholique de l’endroit.
Nous nous mîmes à bavarder et je lui racontai que j’avais rencontré à Paris son collègue, le Père André Steinmann, venu faire une conférence sur les Inuit dans la salle des fêtes de la paroisse de mes parents. Ceux-ci l’invitèrent à déjeuner dans leur maison toute proche, car ils étaient inquiets de mon projet d’aller seul chez les Inuit avec le montant du prix Zellidja obtenu pour ce faire. Le Père Steinmann les rassura en disant que je serais bien accueilli par les missionnaires. Ce fut le cas, car le Père Lechat me proposa de loger à la mission. Grâce à ses contacts avec les pilotes d’avion qui desservaient cette région, l’un d’eux accepta quelques jours plus tard de me prendre gratuitement jusqu’au lac Payne, d’où je rejoignis la mission de Quaqtaq en traîneau à chiens. Ce fut là mon premier contact avec le Père Lechat et le début d’une grande amitié.
Par la suite, lorsque je passais par Fort Chimo pour mes recherches, entre 1960 et 1971, je logeais à la mission et retrouvais ce grand connaisseur de la culture inuit. C’est d’ailleurs lui qui me montra le manuscrit original en syllabique du récit de Mitiarjuk intitulé Sanaaq – un texte que cette jeune Inuk avait écrit à sa demande pour l’aider à apprendre la langue –, m’autorisant à le photocopier. N’ayant plus le temps ni l’occasion de travailler avec Mitiarjuk, le Père Lechat me donna la permission de le traduire avec l’aide de celle-ci et de rédiger une thèse de doctorat sur ce document unique. C’est donc grâce à la générosité de ce missionnaire que j’ai pu découvrir cette femme exceptionnelle et travailler en sa compagnie. Une générosité qui se renouvela lorsque je le retrouvai lors de mes séjours de recherche subséquents à Igloolik.
Pour conclure l’hommage que nous désirons rendre à cet homme, mentionnons que la haute hiérarchie missionnaire a souvent fait appel au Père Lechat pour résoudre les problèmes qui survenaient entre les Inuit et les résidents non-autochtones. Parlant couramment l’inuktut et jouissant du respect de la population, il pouvait, mieux que quiconque, comprendre et aider à résoudre ces conflits. C’était un homme remarquable en tout point.