Abstracts
Résumé
Historien du contemporain, le petit journal au xixe siècle se donne pour mission d’enregistrer en temps réel les infimes particularités qui font l’actualité — d’où la prédilection pour une saisie fragmentée du social dont rendent compte les faits-Paris, les échos, les « choses vues » ou les nouvelles à la main ; d’où aussi une réévaluation des fonctions traditionnelles du détail, lequel désormais vaut moins pour ce qu’il signifie que par ce qu’il manifeste. L’écriture journalistique de l’histoire au présent rend sensible l’opacité, le bougé, la résistance au sens qui caractérisent l’événement en acte. Les expériences formelles que favorisent les microformes journalistiques esquissent une possible redéfinition de l’écriture historique, dialogique et soucieuse de préserver le noeud de virtualités qu’incarne à tout moment le devenir. À cet égard, le caractère périodique et médiatique du journal manifeste et favorise un changement de paradigme et une conception nouvelle du discours historique, préfigurant ainsi la rencontre à venir du reportage et de la littérature d’avant-garde.
Abstract
The mission of the small 19th century newspaper was to record bits of news, snippets of insight on everyday experience, Paris life, the nitty-gritty news of “things seen,” an alternate twist on traditional viewpoints and reports. What mattered was that something happened, its meaning less so. Here was history as homespun journalism, putting things plain. These real time descriptions redefined historical writing as essentially conversational and alert to both present and future possibilities. We see here a paradigm shift promoted in the periodical and newspaper and a new concept of the historical discourse that blended reporting and avant-garde literature.
Article body
Des détails, des détails ! […] C’est le sou de l’histoire, l’anecdote.
Jules Vallès, lettre à Émile Gautier, 20 novembre 1879
Les historiens, oubliant l’espèce humaine, se sont amusés à raconter des sièges, des batailles, des villes prises et renversées, des traités de paix ou de guerre, toutes sortes de choses menteuses, sanglantes et futiles ; ils ont dit comment se battaient les hommes et non pas comment ils vivaient ; ils ont décrit avec le plus grand soin les armures, sans s’inquiéter de leur manteau de chaque jour ; ils se sont occupés des lois, non pas des moeurs ; ils ont tant fait, que c’est presque en pure perte que ces misérables sept mille années que nous comptons depuis qu’il y a des hommes en société ont été dépensées pour l’observation et pour l’histoire des moeurs[1].
Lorsqu’il place en tête des Français peints par eux-mêmes ce réquisitoire contre l’histoire « traités-et-batailles », Jules Janin enregistre le contrecoup de la conversion produite par l’historiographie libérale puis romantique : désormais, l’historien cherche à saisir la dynamique du devenir parmi ceux qui en furent les véritables acteurs, les masses ; une appréhension totale du passé s’impose, qui n’omettrait aucune des pratiques culturelles et sociales d’une civilisation donnée. Vaste programme qui se heurte immédiatement au problème des sources : au grand silence du peuple, désespoir de Michelet, s’ajoute la discrétion des témoignages écrits sur tout ce qui relève du quotidien, du concret, de l’anecdotique et de l’accidentel.
Cet obstacle, insurmontable pour qui ambitionne la résurrection totale du passé, dicte un impératif aux modernes historiens du contemporain : se faire les témoins (et, peut-être, les exégètes) de tous les fugaces détails de moeurs qui caractérisent le présent. Mieux que la littérature panoramique ou la fiction d’actualité, le journal semble propre à relever ce défi : périodique, il permet d’enregistrer au jour le jour les infimes variations du quotidien ; collectif, il croise les points de vue et opère une territorialisation rationnelle du réel social ; sériel, il joue des effets de superposition et d’accumulation. L’écriture kaléidoscopique du journal en fait un mobile capable de capter, en temps réel, les plus microscopiques manifestations de l’histoire en train de se faire.
La fonction historique du journal réside dans cette porosité aux particularités de l’actualité — ce particulier qui constitue, depuis Aristote, le domaine propre de l’histoire ; sa mission consiste explicitement à enregistrer l’infime et le minuscule que le fait-Paris, l’écho, la nouvelle à la main répercutent dans l’espace de la page. Ce qui entraîne une réévaluation de la fonction traditionnelle du détail : celui-ci, dans le journal, ne participe plus nécessairement d’une herméneutique, il n’est plus signe, indice ou synecdoque ; il ne représente pas mais manifeste quelque chose du réel. D’où une redéfinition de l’éthique et de l’esthétique du détail qui, bien avant l’émergence du reportage proprement dit, engage une poétique du surgissement et une réflexion sur l’écriture fragmentaire de l’histoire.
Le journal comme « histoire totale »
Fondé sur l’anecdote ou le trait plaisant, donc voué à une péremption accélérée, le petit journal revendique, par là même, son essentielle dignité d’historien du contemporain — après tout, les microscopiques détails de la mode, jadis recensés par le Mercure Galant, sont aussi « l’histoire du xviie siècle[2] »… Ces relevés anecdotiques s’avèrent en effet plus révélateurs et véridiques que les vastes synthèses ou que les systèmes théoriques élaborés par les érudits ; en écrivant l’Histoire de la société française pendant la révolution, les frères Goncourt, remarque Le Figaro, prouvent la valeur heuristique de cette démarche :
Le mérite de ce livre […] est d’être, au point de vue anecdotique, enjoué et médisant, un procès-verbal des infiniment petites choses de la révolution. En plus d’un cas, les petites choses expliquent les grandes et sont incomparablement plus vraies : défiez-vous de l’histoire à laquelle les hommes graves font la toilette ! Cette histoire ressemble à une femme du monde. La différence qu’il y a entre les historiens soi-disant impartiaux et les chroniqueurs hommes de scandale, c’est que les premiers sont reçus par elle, le soir, dans son salon, à la clarté des bougies, et que les seconds se cachent sous un meuble, le matin, dans le laboratoire où se fabrique sa beauté[3].
Le chroniqueur, l’échotier, le gazetier sont les mémorialistes du temps présent[4] ; les micro-événements, le poudroiement de détails ténus qu’ils enregistrent amassent un trésor irremplaçable pour le futur : « Un pareil homme n’est-il pas l’historien de son temps, et n’aura-t-il pas, à tout prendre, un peu de la louange, de la reconnaissance et du respect des annalistes de l’avenir[5] ? » Il est d’ailleurs significatif que Janin fasse, à plusieurs reprises, du journal « la forme première de l’histoire » — ainsi, dans la Rome antique, « les premières pages du journal ont précédé l’histoire écrite[6] ». Prééminence qui n’est pas seulement chronologique : le journal présente d’indéniables garanties de fiabilité parce qu’il a le particulier non seulement comme objet mais aussi comme origine. La chronique, diarium, a en effet partie liée, pour Janin, avec l’écriture intime ; toute notation résulte de la réfraction du réel dans une conscience individuelle, et c’est la singularité du témoignage qui donne toute sa valeur à l’infiniment petit :
Dans les premiers siècles, il n’était pas de bourgeois, quelque peu clerc, qui n’écrivît sur la marge de son missel l’ordre chronologique des événements qui l’intéressaient, le prix des denrées, l’état des saisons, la naissance du dauphin, la mort du roi, le mariage de ses propres enfants, à lui bourgeois[7].
À cet égard, la poétique du discontinu que revendique la chronique n’est pas seulement la marque, vraie ou supposée, d’une écriture référentielle[8] ; l’asyndète, la rupture, l’esthétique de l’hétérogène rendent sensible la rencontre directe entre l’individualité de l’écrivain et le surgissement foisonnant d’une actualité fugace. De même que le chroniqueur emprunte à la conversation son décousu et sa bigarrure, le grand reporter saura, à la fin du siècle, se faire polygraphe pour donner voix à tous les aspects contrastés du réel :
À l’enquêteur polyvalent qui, de la guillotine à la polka, fait feu de tout événement, correspond le journaliste polygraphe : aux scènes de la vie quotidienne l’art du croquis, au monde du théâtre le style anecdotique du récit de destinée, à la « promenade-étude » la précision du reportage technique, au voyage en Alsace le ton polémique du patriotisme exacerbé, aux miracles de Lourdes le scepticisme distanciateur, aux visites des orphelinats le pathétique du drame. Le reportage se présente essentiellement comme un art d’accommoder les styles et les discours[9].
Le journal reproduit à grande échelle cette logique de l’agglomérat et du kaléidoscope : « Le journal est une somme éclatée de fragments d’actualité, opération qui ne se résout jamais et qui nécessite sa reproduction jour après jour[10]. » La juxtaposition et la polyphonie ont leurs vertus propres, puisqu’ils permettent (presque) autant de regards que de choses vues — chaque écrivain se spécialisant dans un domaine, sans pour autant en proclamer l’hégémonie ou réclamer aucun monopole : « Il est donc nécessaire que cette longue tâche de l’étude des moeurs se divise et se subdivise à l’infini, que chacune de ces régions lointaines choisisse un historien dans son propre lieu, que chacun parle de ce qu’il a vu et entendu dans le pays qu’il habite[11]. » Là encore, la proximité et l’immédiateté valident la précision du témoignage. Le journal met parfois en scène cette passation de pouvoirs (et de parole) ; ainsi, la rubrique que Le Figaro intitule « Le Bouge et la rue » aura pour auteur un jeune poète tombé dans la misère, Charles Pradier, présenté aux lecteurs dans un bref « croquis parisien » servant de « chapeau » à l’ensemble de la série annoncée :
Par une soirée de décembre dernier, en traversant la cour des Fontaines pour entrer au Palais-Royal, j’avisai à l’un des angles de la place un jeune homme perché sur un tabouret, entouré d’une foule silencieuse. Jugez de ma surprise : j’entends une parole élégante, des expressions recherchées. Ce jeune homme racontait à la foule l’histoire de sa vie, les misères de sa laborieuse existence[12].
Par une série vertigineuse d’emboîtements, chaque rencontre de hasard peut faire germer un récit de vie, invitant le lecteur à investir des domaines encore inexplorés du divers social : ce bourgeonnement baroque, cette multiplication des points de vue, cette technique du décentrement opèrent une sorte de diffraction, véhiculant un imaginaire de la dissémination, de la profusion et de la disparité dont le grand reportage des années 1930 saura tirer des effets puissants[13].
Cette valorisation de l’infiniment particulier, cette apologie du détail minime sont d’autant plus insistantes que, sur ce point, le journal doit répondre à de multiples critiques. On reproche d’abord à la presse de la monarchie de Juillet sa coupable décadence : renonçant à toute hauteur de vues, à toute magistrature intellectuelle, elle s’égare dans les bigarrures superficielles, futiles, inconsistantes de l’actualité. La culture du zapping que développe la petite presse, le morcellement de son écriture est le préoccupant symptôme de cette impuissance à synthétiser l’actualité en la transcendant, ce qui devrait pourtant constituer la tâche de l’historien. Balzac fulmine contre cette dispersion, cette dilapidation :
De généralisateur sublime, de prophète, de pasteur des idées qu’il était jadis, le Publiciste est maintenant un homme occupé des bâtons flottants de l’Actualité […]. Le publicisme était un grand miroir concentrique : les publicistes d’aujourd’hui l’ont mis en pièces et en ont tous un morceau qu’ils font briller aux yeux de la foule[14].
La volonté de saisir le foisonnement incontrôlé du réel amène le journal à abdiquer toute maîtrise, et à mettre en scène une éruption de détails en renonçant à toute hiérarchisation (ce que traduit l’étoilement, à partir de la troisième page et parfois avant, des entrefilets ou des faits-Paris). Cette technique du collage manifeste une myopie exacerbant le microscopique au détriment du sens ; le journaliste trahit la vocation analytique de la grande tradition française pour succomber à la tentation anglo-saxonne du reportage :
Le reporter [est] un piètre sémiologue, incapable de lire le présent comme le signe de quelque chose, mais seulement comme la métonymie errante et incertaine d’une Histoire dont le sens même lui échappe dans le temps même où il la fait […]. L’écrivain, comme l’historien, sont seuls capables de mettre les événements en gerbe, de les restituer en bouquet[15].
D’ailleurs, est-il certain que le détail compense sa menaçante insignifiance par l’authenticité qu’il prétend garantir ? Rien n’est moins sûr : Balzac souligne que « c’est aux Faits-Paris que se produisent les Canards[16] », certains aussi inoffensifs qu’éculés (le Rembrandt trouvé dans un grenier, et toutes sortes de bizarreries qui annoncent nos modernes légendes urbaines !), d’autres plus préoccupants lorsque la réclame, l’autopromotion, la calomnie se glissent dans d’innocentes brèves en trois lignes : « L’entrefilet et le Fait-Paris deviennent terribles aux élections. Une nuée de Canards électoraux couvre alors la France[17]. » Le fait divers, en particulier, jette la suspicion sur la prétendue véracité du détail ; les « détails exacts de ce qui est arrivé à une jeune fille… », les « autres détails intéressants[18] » que promettent les canards à un sou servent d’accroche et attisent la curiosité, alors que, le plus souvent, ils sont issus de l’imagination professionnelle (et débridée) des crieurs, spécialisés dans la fabrication du sensationnel ! D’où un paradoxe troublant ; le détail, censé articuler étroitement le texte et le réel, risque de se métamorphoser en embrayage fictionnel. Ce qui explique l’obstination théâtrale avec laquelle le journaliste repousse les tentations du romanesque. Après avoir retranscrit quelques bribes décousues d’un dialogue surpris chez Paul Niquet, l’assommoir des chiffonniers, Nerval s’empresse d’ajouter : « Si tous ces détails n’étaient exacts, et si je ne cherchais ici à daguerréotyper la vérité, que de ressources me fourniraient ces deux types du malheur et de l’abrutissement[19] ! »
L’accusation est donc triple : morale, car le détail ne signifie guère que l’aveuglement des contemporains à l’histoire dont ils sont les acteurs inconscients[20] ; philosophique, puisque la presse renonce à la catégorie surplombante du général, donc de l’intelligible, au profit d’un attrait malsain pour l’accidentel[21] ; éthique enfin, l’anecdotique se prêtant trop volontiers à l’embrayage fictionnel alors qu’il se présente comme garantie d’authenticité. Ce dernier défaut est d’autant plus rédhibitoire qu’il contamine la littérature, le naturalisme prolongeant ainsi, aux yeux d’un Brunetière, les errements coupables du journalisme moderne :
Enregistrer au jour le jour, méthodiquement, les incidents les plus banals de ce que l’on est convenu d’appeler la vie parisienne, chiens écrasés, fiacres versés, caissiers en fuite, banquiers ruinés, voleurs arrêtés, assassins découverts, procès gagnés, procès perdus, filles séduites, liaisons rompues, mariages manqués, amoureux noyés, asphyxiés, ou pendus […] voilà le reportage, et voilà sous quelle forme il est en passe, traîtreusement, de s’introduire, je ne dis pas seulement dans le roman, je suis obligé de dire dans la littérature contemporaine[22].
Face à cet écrasant réquisitoire, le journal justifie sa prédilection pour le micro-événement en soulignant que ce poudroiement d’infimes notations dessine, à terme, l’intelligibilité historique totale qu’ambitionnent les penseurs contemporains. Janin rappelle que les plus méticuleux érudits, dans leurs dépouillements des sources, n’hésitent pas à recourir au journal ou à ce qui en tenait lieu dans l’Antiquité :
Un homme qui est en même temps un des membres les plus savants de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et l’un des plus graves journalistes de ce temps-ci, M. Victor Leclerc, voulant retrouver, lui aussi, les titres de cette généalogie perdue, a fait en ce genre de piquantes découvertes ; il a découvert des journaux de la première année de Rome, il a suivi tant qu’il a pu les lignes d’airain, à moitié effacées, des tables annuaires, il a retrouvé les prodiges, les dépenses de l’État, la mort de Virginie qu’il faut arracher à la brutalité d’Appius Claudius, toutes les éclipses qui étaient un si grand sujet d’épouvante[23]…
Cette histoire de Virginie — « horribles détails de ce qui est arrivé à une jeune fille… » — a tout du fait divers sensationnel ; Tite-Live d’ailleurs, souligne Janin, recueille volontiers les canards en tout genre, pluies de sang, moutons à cinq pattes, vaches montées sur un toit pour haranguer la foule. On trouve même chez les historiens et les compilateurs des faits-Paris (faits-Rome) d’époque, comme « l’histoire du chien de Sabinus le conspirateur qui accompagne son maître aux gémonies en poussant des cris plaintifs[24] » ! Les anecdotes et les bons mots qui composent le De viris ou le Selectae, ces respectables manuels où le jeune collégien rencontre pour la première fois l’histoire romaine, ressemblent fort à des anas de « nouvelles à la main » antiques, où les modernes journalistes en panne d’inspiration vont puiser à l’occasion[25] : le fait divers, la blague, l’épigramme s’inscrivent dans une longue tradition littéraire. Il y a un « côté Figaro » dans l’Histoire romaine.
Éthique et esthétique du détail
« Médaillisé » (l’image est de Vallès) et ciselé en microforme journalistique, le détail tire l’essentiel de sa valeur de l’effet de réel qu’il produit. Il est significatif que, s’adressant aux journalistes de son temps dans La Revue de Paris, Nodier reproduise le passage célèbre que Diderot consacre à l’art du « conteur historique » dans Les deux amis de Bourbonne :
Comment s’y prendra ce conteur-ci pour vous tromper ? Le voici : il parsèmera son récit de petites circonstances si liées à la chose, de traits si simples, si naturels, et toutefois si difficiles à imaginer, que vous serez forcé de vous dire en vous-même : « Ma foi, cela est vrai ; on n’invente pas ces choses-là. » […] Que l’artiste me fasse apercevoir au front de cette tête une cicatrice légère, une verrue à l’une de ses tempes, une coupure imperceptible à la lèvre inférieure et d’idéale qu’elle était, à l’instant cette tête devient un portrait ; une marque de petite vérole au coin de l’oeil ou à l’aile du nez, et ce visage de femme n’est plus celui de Vénus ; c’est le portrait de quelqu’une de mes voisines[26].
Le détail accroche l’intérêt et atteste la fidélité de la représentation ; c’est un lieu commun de la critique picturale : « La représentation de quelques détails particuliers a souvent pour effet de donner un air de vérité à un tableau, et d’augmenter beaucoup l’intérêt qu’on y prend[27]. »
Indépendamment de son authenticité, la chose vue paraît attester de la pression du réel sur l’ordre rhétorique du discours. Le contingent et l’accidentel, irréductibles à la généralité du type, marquent le refus du lieu commun et articulent directement l’écriture au référentiel. La vérité (si vérité il y a) d’un lieu, d’un moment, d’un événement n’est pas totalisable, mais peut s’appréhender dans le désordre et l’aléatoire des rencontres. L’inflexion vers le témoignage préfigure l’esthétique du reportage :
Dans le reportage, on se contentera de l’effet d’authenticité. En effet, le corps du reporter procure une condition modale (la contingence) pour l’authentification de l’histoire : les rencontres sont contingentes et apparaissent alors comme faiblement, ou pas du tout, programmées et organisées ; elles sont donc représentatives du lieu, non pas sur le mode « électif » du « meilleur exemplaire », mais sur celui, contingent et occasionnel, du « détail spécifique »[28].
Nodier le rappelait déjà : le détail a un pouvoir anti-rhétorique fort, il bloque la logique des mots (et le développement horizontal, périodique, propre à l’ordre du discours) au profit de l’irruption du fait — ce que matérialise, sur le papier, l’étoilement des articles, la fragmentation qui travaille chaque texte, enfin la verticalité de la mis en page et de la lecture.
Cette esthétique de la prise directe, sans hiérarchisation au montage, bouleverse en profondeur la définition même de l’histoire contemporaine. Le journal enregistre le devenir tel qu’il se manifeste aux contemporains, dans son aspect chaotique, heurté, confus, exigeant et refusant simultanément l’explicitation ou l’interprétation. L’émiettement du discours, la dissolution de la syntaxe au profit de l’énumération, de la liste, manifestent le rejet de tout passage à la synthèse abstraite. Le phénomène est particulièrement sensible lorsque le calendrier, aux alentours du 1er janvier, imposerait au chroniqueur ou au critique de prendre de la hauteur, pour juger sub specie aeternitatis un ensemble d’événements passés. Ainsi Balzac, jetant un coup d’oeil rétrospectif sur l’année 1830, choisit un point de vue fort inhabituel :
Le Bulletin des Lois a consacré près de cinq à six cents brevets d’invention ! Statistique heureuse qui accuse deux hommes de génie par jour ; mais ce sont de petites inventions dignes de nos petits drames, de nos petits tableaux, de nos petits appartements et de nos petites moeurs.
Un ingénieur nous a prouvé mathématiquement que le fer se dilate ; un sellier nous a imaginé le moyen d’attacher un cheval partout où il y a un pieu ; nous avons recueilli le principe constitutif de l’asperge[29]…
En l’occurrence, cette dérisoire énumération vaut comme réquisitoire contre le vide des temps et la médiocrité de l’époque ; mais elle annonce aussi la conversion du regard et de l’écriture inaugurée par Hugo dans Les misérables, avec « L’année 1817 » se trouvent consignés tous les menus phénomènes de mode, engouements passagers et faits divers qui constituent l’histoire pour ceux qui la vivent :
En cette année 1817, deux choses étaient populaires : le Voltaire-Touquet et la tabatière à la Charte. L’émotion parisienne la plus récente était le crime de Dautun qui avait jeté la tête de son frère dans le bassin du Marché-aux-fleurs. On commençait à faire au ministère de la Marine une enquête sur cette fatale frégate de la Méduse qui devait couvrir de honte Chaumareix et de gloire Géricault. Le colonel Selves allait en Égypte pour y devenir Soliman-Pacha. Le palais de Thermes, rue de la Harpe, servait de boutique à un tonnelier[30].
Et Tholomyès abandonnait Fantine…
Dans les moments de tension socio-politique forte, d’autres tentatives parallèles s’esquissent, souvent à la frontière des genres ; Hugo invente ainsi une parole nouvelle, en marge des discours institutionnalisés, pour rendre compte de l’événement 1848 :
Dans Choses vues, souligne Carine Trévisan, « le signe est soumis à un méticuleux travail de déchiffrement, sorte de lecture myope qui va à l’encontre des grandes synthèses historiques des contemporains. » Hugo multiplie les détails, les faits rapportés, appartenant, non au grand genre des mémoires et de l’écriture historique, mais à celui de la chronique, des « faits curieux et non mémorables, dissociés des grands événements par leur ténuité ». Choses vues est un récit regorgeant de ce que Hugo appelle, à l’occasion de la fuite de Louis-Philippe, des « particularités ». Cet éparpillement du propos en multitude se retrouve d’ailleurs dans le traitement des faits. Les notations sont nombreuses qui insistent sur la désagrégation des choses[31].
Le détail est constitutif d’une écriture historique interrogative.
Désagrégation, ou (version optimiste) étoilement d’éléments en attente de forme et de sens, saisis dans le mouvement même de leur dynamique propre : plurielles, bigarrées, singulières, les notations de détail qu’éparpille le journal figurent la genèse de l’avenir, dans ce qu’elle a d’illisible et, peut-être, de prometteur. Ce qui explique, au-delà des impératifs pratiques (entrefilets et faits-Paris facilitent la mise en page et servent au besoin de « bourre »), la fortune des microformes en tout genre. Les mêmes détails, en effet, revêtiraient une signification très différente une fois composés en gerbe, enchâssés dans une chronique ou dans un grand article ; le sens de l’instantané réside non seulement dans le détail qu’il prend pour objet, mais aussi (surtout ?) dans le rythme de lecture et l’accommodement du point de vue qu’il impose. Agglomérés et compactifiés en une seule masse, ces micro-croquis n’ont plus ni signification ni valeur. Vallès, en bon professionnel du journalisme (c’est un figarotier averti !), le reconnaît volontiers ; même si, par commodité, on garde en réserve chez l’imprimeur, pour garnir chaque numéro, une petite réserve d’instantanés d’actualité, ceux-ci ne peuvent avoir d’impact qu’une fois disséminés dans l’espace du journal. Si un problème de dernière minute empêche ce travail de fragmentation et de mise en pages, l’effet est manqué. C’est ce qui arrive avec le premier numéro de La Rue de 1867 :
Nous trouvâmes malheureusement tout cuit, préparé, ficelé, un paquet de mots que je voulais faire servir comme des petites raves au vinaigre, de-ci, de-là, le long du journal, entre les plats savoureux et sains. Mais nous étions pressés, nous ne relûmes ni ne choisîmes, et nous mîmes le tout dans une assiette. — Cela s’appelait le Pavé !
Mauvais pavé, sale de crotte et frotté d’ail, que j’aurais voulu arracher de La Rue[32] !
Le rapport du détail à l’histoire contemporaine n’étant ni synecdotique ni symbolique, on comprend pourquoi le journal, et en particulier la petite presse, s’accommode sans peine d’un paradoxe : les Faits-Paris ou les nouvelles à la main sont le plus souvent fabriquées de toutes pièces[33], et pourtant elles disent quelque chose de l’actualité. Le Figaro ne s’en cache pas : les blagues, bons mots et épigrammes qui font son succès n’ont pas toujours le cachet de l’originalité ; ainsi, à l’occasion de la guerre de Crimée, on signale le retour de traits d’esprit déjà en usage au moment de la campagne de Russie… Quant à Aurélien Scholl, il soutient les débuts de sa carrière dans la petite presse en pilant les recueils d’anas — c’est du moins ce qu’affirment perfidement les Goncourt ! En fait, l’essentiel est ailleurs : ces blagues, même périodiquement retapées, sont actuelles parce qu’elles entrent en résonance avec l’esprit du moment ; à la limite, c’est le succès de leur retour sur scène qui fait sens.
C’est pourquoi la chose vue se compromet si souvent, dans le journalisme politique ou la presse boulevardière, avec la « chose lue ». L’enquête sur le terrain ne fait pas encore partie des attributs obligés du journaliste, si bien que l’intertextualité ou le plagiat remplacent avantageusement l’investigation — surtout dans la fièvre du bouclage :
Le journal se compose d’une foule de petits articles intitulés Entre-filets, Faits-Paris et Réclames. Ces trois sortes d’articles sont ordonnés par un Gendelettre (comme Gendarme) sous la dépendance du gérant ou du propriétaire et qui a des appointements fixes, à peu près cinq cents francs par mois. Chargé de lire tous les journaux de Paris, ceux des départements, et d’y découper avec des ciseaux les petits faits, les petites nouvelles qui composeront le numéro, il admet ou rejette les Réclames d’après le mot d’ordre du gérant ou du propriétaire[34].
En somme, ce qui se passe importe moins que ce qu’on en dit : les microformes journalistiques empruntent volontiers à la voix de l’opinion publique (version noble) ou aux commérages de brasserie (dirait Vallès)[35] — ce que montre la vignette adoptée par Villemessant pour le Figaro de 1854 : le célèbre barbier écrit sur une table surmontée d’une petite bibliothèque (c’est un écrivain au sens plein du terme), mais il reste debout et prête l’oreille à la foule qui envahit l’arrière-plan (le journalisme est connecté à ce qui, pour le public, fait l’actualité).
Encore cette actualité, dans le cas du Figaro (ce « miroir à trente-cinq centimes » n’a rien d’un journal populaire), se réduit-elle au monde du boulevard, de la Bourse et des brasseries : c’est là qu’on collecte bons mots et anecdotes piquantes pour la rubrique des Nouvelles à la main, et les Petites gazettes en tout genre. En élargissant cette saisie en direct à l’ensemble des groupes sociaux, Vallès rêve, sous le Second Empire, d’une authentique refondation populaire de l’histoire contemporaine, dans et par le journal. C’est pourquoi La Rue rêve de multiplier les points de vue et les prises de parole — la brièveté garantissant l’authenticité et la sincérité de chaque intervention :
Nous ne discuterons pas, nous ne critiquerons point : nous inscrirons les sensations, celles de tous […]. Chacun de vous, s’il veut écrire avec franchise et simplicité, porte en lui un chef-d’oeuvre. En dix lignes ou en deux pages, un homme peut verser le trop-plein de son coeur. Dites-vous le bien, et mettez-vous y ! Au lieu d’une oeuvre de monstre comme en font ceux à qui l’on prête du génie, on aura alors, écrit par tous, le livre immense des émotions humaines.
La Rue peut être un chapitre de ce livre[36].
Une micro-histoire journalistique ?
La nouvelle dignité épistémologique accordée à la notation de détail rencontre, sous le Second Empire, les débats que soulèvent l’invention de la presse d’actualité illustrée (L’Illustration notamment) et l’engouement croissant pour la photographie. Bien avant l’essor du journalisme d’investigation proprement dit, une batterie de questions s’imposent : comment doit-on saisir et rendre le détail ? Quels sont les critères qui doivent guider le choix de l’écrivain ? Le référent détermine-t-il l’écriture censée en rendre compte ? Comment définir les poétiques journalistiques de l’instantané ?
Dans Le peintre de la vie moderne, série d’articles publiés dans Le Figaro en 1863, Baudelaire prend clairement position. À ses yeux, la technique de la prise directe, qui place l’artiste « devant le modèle et la multiplicité de détails qu’il comporte », rend impossible le travail de la représentation :
Un artiste ayant le sentiment parfait de la forme, mais accoutumé à exercer seulement sa mémoire et son imagination, se trouve alors comme assailli par une émeute de détails, qui tous demandent justice avec la furie d’une foule amoureuse d’égalité absolue. Toute justice se trouve forcément violée ; toute harmonie détruite, sacrifiée ; mainte trivialité devient énorme ; mainte petitesse, usurpatrice. Plus l’artiste se penche avec impartialité vers le détail, plus l’anarchie augmente. Qu’il soit myope ou presbyte, toute hiérarchie et toute subordination disparaissent[37].
Très logiquement, Baudelaire évite donc de qualifier Constantin Guys de reporter, alors même qu’il commente son oeuvre d’envoyé spécial de l’Illustrated London News à l’occasion de la guerre de Crimée (inversement, le peintre de bataille Vernet, se trouve qualifié de « gazetier ») : le réel ne prend forme et sens qu’au travers de la mémoire et de l’imagination de l’artiste, lequel classe et hiérarchise le foisonnement microscopique et déréglé des détails. Cette conviction est à rapprocher de l’article du Salon de 1859 intitulé « Le public moderne et la photographie », et plus largement du débat contemporain sur les usages de ce nouveau medium ; rappelons d’ailleurs que la presse d’actualité illustrée est restée fidèle à la gravure, bien longtemps après que les progrès techniques eurent permis la reproduction de photographies dans les pages des revues.
Sous la plume d’un bon écrivain, la chose vue n’inscrira donc pas dans le journal le chaos de l’instantané photographique. Au contraire, elle s’inspirera volontiers (tendance archaïsante, et nouveau paradoxe) du régime sémantique de l’allégorie, de l’emblème ou du symbole auxquels elle n’est pas réductible, mais auxquels elle renvoie parfois explicitement. Cette esthétique triomphe surtout lorsque la notation de détail vient à l’appui d’une démonstration plus étoffée, dans un article relativement long — ce qui réactive la rhétorique traditionnelle de l’exemplum, en forme de micro-récit ou d’image frappante. Évoquant dans ses Lettres sur Paris le sac de Saint-Germain l’Auxerrois, Balzac écrit ainsi : « Sur le quai des Morfondus, un ouvrier, déguisé en vieille femme centenaire, piteuse, criblée de haillons, en lambeaux, présentait, de ses mains tremblantes, un chétif rameau de buis aux rires des passants… Tel était le catholicisme de 1831[38]… » On songe au sac de Tuileries dans L’éducation sentimentale : « Dans l’antichambre, debout sur un tas de vêtements, se tenait une fille publique, en statue de la Liberté, — immobile, les yeux grand ouverts, effrayante[39]. »
Entre les deux pôles de l’illisibilité photographique et de la saturation monologique propre à l’emblème ou à l’allégorie, se cherche une définition moderne du rôle de l’image en contexte médiatique. La réflexion articule un questionnement sur les modes non narratifs de représentation du réel, et les problèmes esthétiques et littéraires qui en découlent — notamment la déconstruction de la linéarité du discours et l’expérience de la fragmentation. À cet égard, l’invention contemporaine du poème en prose apparaît comme la manifestation d’une saisie autre du réel, et d’une posture énonciative différente alors même que les thèmes choisis s’apparentent aux instantanés parisiens ou aux faits divers :
[Le poète] doit opposer à la force d’emportement du verbe une nouvelle puissance, d’un tout autre ordre : celle de l’image, et c’est ainsi qu’à l’esthétique romantique du dire se substitue la poétique moderne de l’image. C’est d’ailleurs ce primat du voir sur le dire qui explique que certains écrivains soient tentés […] par une poésie centrée sur l’image et débarrassée de la mise en forme versifiée : celle du poème en prose[40].
Cet objectif répond aux exigences d’une saisie sur le vif du divers contemporain, et s’apparente à maints égards à une sorte de proto-reportage ; lorsque, en mars 1870, Vallès consacre un article aux grèves du Creusot, il construit une sorte de poème en prose culminant sur une image-choc :
On entend des feux de peloton…
La terre est rouge !
Non, il n’a pas coulé de sang et c’était un mauvais rêve[41].
Ce régime inédit de l’image journalistique, par la suspension de sens qu’il produit, oblige le lecteur à une nouvelle appréhension de l’objet, et frappe d’inquiétante étrangeté les fragments du quotidien ainsi prélevés. Dans Les nuits d’octobre (parues en cinq livraisons dans L’Illustration à l’automne 1852), Nerval donne un échantillon significatif du « métier de réaliste » :
On commence à passer sur le pont, j’y compte huit arches. La Marne est marneuse naturellement ; mais elle revêt maintenant des teintes plombées que rident parfois les courants qui sortent des moulins, ou plus loin les jeux folâtres des hirondelles.
Est-ce qu’il pleuvra ce soir[42] ?
On mesurera l’énigmatique opacité de ce passage en la comparant avec tel « Croquis » consacré par Balzac à un autre paysage fluvial :
Là…, entre le Cher, l’Indre et la Loire, qui, tous trois, semblent se jouer et lutter avec leurs flots de diverses couleurs ; sur un des rochers jaunes dont la Loire est bordée, s’élevait un de ces petits châteaux de Touraine, blancs, jolis, à tourelles, sculptés, brodés comme une malines ; un de ces châteaux mignons, pimpants, qui se mirent dans le fleuve avec des bouquets de mûriers qui les accompagnent, avec leurs longues terrasses à jour et leurs caves en rocher, d’où sort quelque jeune fille en jupon rouge… Frais paysage dont le souvenir se reproduit plus tard, comme un rêve… Oui, c’est bien là que je l’ai vue, jeune, aimante et toute à moi[43] !…
Si l’article de Balzac (dont on cite ici la totalité) esquive finalement le récit ébauché de l’idylle, celle-ci est clairement programmée et transforme le paysage initial en un « cadre » romanesque déjà tout baigné d’amour ; en somme, cet instantané pastoral correspond à l’horizon d’attente du public contemporain, qui s’attend à ce que tout fragment descriptif ou narratif soit « semé d’anecdotes et d’histoires sentimentales[44] ». Rien de tel chez Nerval : aucun embrayage narratif, une posture énonciative qui reste celle du discours ancré dans le présent immédiat et l’impression d’un monde qui se défait sous un regard lui-même dissous dans la succession rapide des impressions.
Ce type d’instantané marque à la fois la percée brusque (et quasi brute) d’un morceau du réel et la révélation d’une bizarrerie intrinsèque qui le rend méconnaissable, sous l’effet conjugué de la fragmentation et de l’autonomie de l’image. L’impossibilité d’intégrer le détail dans un système signifiant supérieur, l’hétérogénéité — parfois provocante — de la juxtaposition textuelle déployée par le journal, perturbent irrémédiablement la démarche herméneutique classique, fondée sur un méthodique va-et-vient entre la partie et le tout. Le mode de vérité que l’image fragmentaire apporte au journal s’oppose à la fois à l’explication analytique et à la synthèse globalisante — renforçant l’opposition traditionnelle entre le concret et l’intelligible, le réel et le sens[45]. S’ouvre alors une crise de confiance : si le discours historique, fût-ce celui de la « résurrection intégrale », manque nécessairement le rapport immédiat (et obscur) au présent que prétend enregistrer le journal, celui-ci à son tour peut-il échapper à l’éparpillement dans l’insignifiance, le relativisme généralisé et le scepticisme radical ? Si le choix exclusif de l’individuel (au niveau de l’énoncé) et du subjectif (au niveau de l’énonciation) amène logiquement une prédilection pour le microscopique ou le fugace, la saisie médiatique du social peut-elle échapper au cliché ou au non-sens ?
Le risque est sérieux, et, sous le Second Empire, nombreux sont ceux qui voient dans le triomphe de la petite presse et de sa culture du zapping la défaite de la pensée. Reste que les innovations journalistiques en matière de microformes et d’instantanés permettent aussi de reprendre sur de nouvelles bases la réflexion sur l’écriture historique : en marge de l’histoire officielle, celle des vainqueurs, une appréhension autre permettrait de ressaisir l’événement comme noeud de virtualités et de ressusciter les forces vives que le déroulement effectif des faits n’a pas validées. À la fin du Second Empire, la relative libéralisation des lois sur la presse permet au journal d’explorer ces possibilités nouvelles dont la portée est très explicitement politique. On en étudiera l’efficacité en analysant un article de Vallès publié en 1868 dans le Courrier de l’Intérieur, et intitulé « Un chapitre inédit de l’histoire du Deux-Décembre[46] ».
Comme l’indique le sous-titre de l’article, Vallès réagit à l’ouvrage récemment publié par Eugène Ténot, alors journaliste au Siècle, et intitulé Paris en décembre 1851. Étude historique sur le coup d’État (le livre eut un énorme succès et connut douze éditions en 1868 même). Mais l’approche de Vallès, non moins républicaine que celle de son confrère, est très différente. Le titre insiste sur le fragmentaire (on ne lira qu’« un chapitre » détaché de la grande Histoire) et le texte revendique la radicale subjectivité du point de vue ; la familiarité de style, le décousu conversationnel du chroniqueur apparentent le récit aux Mémoires plutôt qu’à l’histoire, dans une optique résolument intimiste : « Je me souviens » (UCI, 1077), « J’ai laissé aller mes souvenirs et ouvert mon coeur » (UCI, 1079). La clausule de l’article en fait d’ailleurs non un pamphlet militant, mais « la lettre d’adieu d’un réfractaire » (UCI, loc. cit.). On pourrait voir là des précautions fort légitimes (de fait, Vallès fut condamné à 2000 francs d’amende et à deux mois de prison pour ces quelques pages) ; mais un certain nombre d’indices convergents incitent également à analyser cette posture comme un choix énonciatif fort.
La scénographie mise en oeuvre dans l’article manifeste sa singularité ; il ne s’agit ni d’un témoignage méticuleux ni d’une analyse objective sur le coup d’État, mais d’un brusque retour du refoulé historique après un long silence forcé : « Cela a duré quinze ans, et pendant ces quinze ans personne n’a osé parler, personne ! » (UCI, 1077). D’où l’irruption brusque, par bribes et lambeaux, d’une voix d’outre-tombe, celle des enterrés vivants[47] dont le journaliste Rochefort est l’emblème :
Rochefort est venu ensuite, montrant tout à coup, par la lucarne d’une loi nouvelle, sa face trouée et blanchâtre comme une tête de mort.
Spectre d’une génération ensevelie vivante, il a fait voir que les dents restent dures et que les ongles poussent encore dans la nuit du cimetière.
UCI, 1077
D’où un récit brisé, en miettes, et par moments quasi onirique.
Les cinq parties qui composent l’article parodient les cinq actes d’une tragédie avortée, celle du complot manqué : « On était bien quinze, après être partis deux cents » (UCI, 1073) — amère reprise du Cid… Cette structuration forte se défait d’ailleurs en un poudroiement de petites scènes, négatifs grinçants d’une épopée qui n’arrive pas à « prendre » : l’émiettement du récit renvoie à ces barricades qui s’affaissent à peine ébauchées, et à l’irrépressible dissolution de l’esprit républicain. Cet univers en pleine décomposition est hanté de figures de cauchemar, tout à coup surgies de nulle part pour occuper fugacement le devant de la scène : « un petit homme à carrick bleu, à cheveux jaunes, l’air timide, la voix faible, [qui] explique un plan de barricades » (UCI, 1070), « un homme épouvantablement bossu, et un autre effrontément infirme, qui louchait et avait les jambes en lit de sangle » (UCI, 1073). Aucune logique supérieure ne vient arracher à l’absurde ce monde de grotesques. Ainsi, le député Lagrange a « une voix de chef des barricades épuisé d’avoir crié “Aux armes !” » (UCI, 1068), alors que ce « romantique de l’insurrection » n’a encore rien dit ni rien fait ; inversement, les cris « Aux armes ! » des républicains, quoique réels et convaincus, « roul[ent] et [meurent] à travers les rues vides » (UCI, 1073) dans le Paris désert, figé et immobile des funestes journées de décembre. La juxtaposition de microséquences à la fois angoissantes et dérisoires renvoie parfois le texte au présent stupéfié de l’hallucination : « Maintenant, c’est le matin du Deux-Décembre » (UCI, 1068). La dissolution narrative, l’émiettement de l’écriture manifestent la menace de la folie qui guette cette génération perdue : « beaucoup en sont devenus fous. Avez-vous compté combien Charenton en a pris ? » (UCI, 1076).
L’hypertrophie du détail et la prédilection pour une saisie fragmentée du réel instituent, dans les colonnes du journal, une mutation épistémologique lourde d’enjeux : dans la presse, l’histoire contemporaine ne définit plus (seulement) son objet à travers les cadres d’analyse qui la rendent intelligible, mais rend sensible l’opacité, le bougé, la résistance au sens qui caractérisent la saisie du présent en train de se faire. Sans doute l’émiettement de la représentation peut-il favoriser le ressassement de clichés indéfiniment réemployés ; il est aussi indéniable qu’elle manifeste parfois une démission de la pensée synthétique. Au-delà cependant, il semble que les expériences formelles que favorisent les microformes journalistiques esquissent une possible redéfinition de l’écriture historique, dialogique et soucieuse de préserver le noeud de virtualités qu’incarne à tout moment le devenir. Cette exigence nouvelle, Hugo en témoigne dans Choses vues (un titre journalistique, pour un texte inclassable…) :
Choses vues révèle […] un type de rapport à la discontinuité du monde, latent avant 1848 et qui deviendra présent et manifeste durant l’exil. […] La forme même du projet de Choses vues, brouillon perpétuel, souligne et met en scène la dimension générique, non seulement de l’écriture, mais encore de l’événement qui n’est plus dès lors un fait mais un « à faire ». Pour reprendre la formule de Jean Delabroy, l’histoire est alors à appréhender « non comme forme » mais « comme travail ». L’événement, ainsi ouvert, n’est pas le reflet d’un condamnable attentisme politique, il est à l’image d’une genèse qui réintègre sa chaotique origine. Hugo, ce faisant, invente une transcription de l’histoire qui fixe non le sens des événements, mais leur empreinte, dont le sens n’est pas toujours absent[48].
L’éparpillement, la discontinuité, la brièveté favorisent une histoire ouverte, interrogative — celle de Vallès dans L’Insurgé. À cet égard, le caractère périodique et médiatique du journal manifeste et favorise à la fois un changement de modèle historiographique et une conception nouvelle de l’écriture littéraire — préfigurant ainsi la rencontre à venir du reportage et des littératures d’avant-garde : « En renonçant aux grandes constructions métaphoriques de la réalité, au profit d’une saisie métonymique de la circonstance, la modernité littéraire troque l’idéal de l’oeuvre comme maîtrise, contre celui de l’oeuvre comme recherche[49]. » C’est bien dans et par le journal que la « chose vue » devient, dans sa fugacité même, microhistoire.
Appendices
Collaboratrice
Corinne Saminadayar-Perrin
Ancienne élève de l’École Normale Supérieure (Ulm), Corinne Saminadayar-Perrin est actuellement maître de conférences à l’Université Jean Monnet (Saint-Étienne), et membre de l’unité mixte de recherche 5611 LIRE (Littérature, Idéologies, Représentations aux xviiie et xixe siècles). Spécialiste de Jules Vallès, ses recherches portent sur la question des représentations littéraires du social et sur les rapports entre presse, littérature et éloquence. Son dernier ouvrage s’intitule Les discours du journal : rhétorique et médias au xixe siècle (Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2007).
Notes
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[1]
Jules Janin, « Introduction », dans Les Français peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du dix-neuvième siècle (éd. Pierre Bouttier), t. I, Paris, Omnibus, 2003 [1840-1842], p. 10.
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[2]
Jules Janin, « Le journaliste », dans Les Français peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du dix-neuvième siècle (éd. Pierre Bouttier), t. II, Paris, Omnibus, 2003 [1840-1842], p. 41.
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[3]
Bernard Jouvin, « Histoire de la société française pendant la Révolution », Le Figaro, no10, 4 juin 1854.
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[4]
On rappellera la vogue éditoriale des Mémoires, plus ou moins véridiques, dès la fin de la Restauration et sous la monarchie de Juillet ; au début du Second Empire, la presse publie les Mémoires de Chateaubriand, de Sand ou de Dumas. Il est révélateur que Jules Lecomte, par exemple, intitule « Mémoires du temps » ses chroniques de 1854 à L’Indépendance belge. Delphine de Girardin, qui inventa le genre moderne de la chronique avec son « Courrier de Paris » dans La Presse, disait déjà : « L’histoire du présent, voilà ce qui est difficile à faire » (cité par Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien : poétiques journalistiques au xixe siècle, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2007, p. 67-68)
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[5]
Jules Janin, « Le journaliste », op. cit., p. 62.
-
[6]
Ibid., respectivement p. 9 et p. 14.
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[7]
Ibid., p. 14-15. Quant aux pontifes qui furent, selon Janin, les premiers journalistes de la Rome antique ( !), ils « écrivaient jour par jour, et comme il se rencontrait dans leurs souvenirs, les événements de la terre et du ciel » (Ibid., p. 9-10) : là encore, on est tout près de la radicale subjectivité du journal intime.
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[8]
Sur la poétique de la chronique, on consultera Marie-Ève Thérenty, Mosaïques : être écrivain entre presse et roman (1829-1936), Paris, Champion, 2003, p. 253 notamment ; La littérature au quotidien : poétiques journalistiques au xixe siècle, op. cit., p. 235-268, et « Chronique et fiction », Autour de Vallès : revue de lectures et d’études vallésiennes, no 32 : « Vallès-Mirbeau, journalisme et littérature », 2002, p. 7-23.
-
[9]
Myriam Boucharenc, « Pierre Giffard, Le Sieur de Va-Partout, un premier manifeste de la littérature de reportage », dans Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), Presse et plumes : journalisme et littérature au xixe siècle, Paris, Nouveau Monde, 2004, p. 517.
-
[10]
Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien, op. cit., p. 79.
-
[11]
Jules Janin, « Introduction », op. cit., p. 15.
-
[12]
Louis Jourdan, « Le bouge et la rue », Le Figaro, 13 décembre 1856.
-
[13]
Myriam Boucharenc, L’écrivain-reporter au coeur des années trente, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004, p. 136-137 et surtout 159-166 (« Perspective panoramique »).
-
[14]
Honoré de Balzac, Monographie de la presse parisienne [1843], Paris, Arléa, 1998, p. 19-20.
-
[15]
Myriam Boucharenc, « Beau comme la rencontre de la littérature et du reportage sur la scène de l’événement », dans Didier Alexandre, Sabrina Parent, Michèle Touret et al. (dir.), Que se passe-t-il ? Événements, sciences humaines et littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2004, p. 116.
-
[16]
Honoré de Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 39.
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[17]
Ibid., p. 41.
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[18]
Sur cette rhétorique du « boliment » et le rôle du détail dans les canards, voir entre autres Gaëtan Delmas, « Le Canard », dans Les Français peints par eux-mêmes, t. II, op. cit., p. 121-140, et la belle synthèse de Jean-Pierre Seguin, Nouvelles à sensation : canards du dix-neuvième siècle, Paris, Nathan, coll. « Kiosque », 1959.
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[19]
Gérard de Nerval, Les nuits d’octobre, dans Aurélia et autres textes autobiographiques (éd. Jacques Bony), Paris, Garnier-Flammarion, 1990, p. 102. La référence au daguerréotype est significative dans une réflexion sur le détail.
-
[20]
Ainsi, au printemps 1831, la mode des bobèches fait rage au faubourg Saint-Germain, détail qui inspire à Musset ces réflexions de moraliste (dans ce cas, c’est le non-sens qui donne à penser et manifeste l’absentement historique de l’aristocratie) : « Parfilage absurde ! […] Quand il n’y a plus rien de stable, plus rien de certain au monde, quand tout est remis en question, les lois, les moeurs, les richesses et les gloires, tout un quartier s’obstine à parfiler ! c’est-à-dire à un amusement plus stupide encore et plus digne du siècle poudré. » Alfred de Musset, « Revue fantastique », Le Temps, 7 mars 1831, dans Oeuvres complètes de Musset en prose (éd. Maurice Allemand et Paul-Courant), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 779.
-
[21]
Après 1863, la prédilection de la presse populaire pour le « petit fait vrai » renforce cette dévalorisation.
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[22]
Ferdinand Brunetière, Le roman naturaliste, Paris, Calmann-Lévy, 1883, p. 223-224.
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[23]
Jules Janin, « Le journaliste », loc. cit., p. 13.
-
[24]
Ibid., p. 14.
-
[25]
Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon livre Les discours du journal. Rhétorique et médias au xixe siècle (1836-1885), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, coll. « xixe siècle en représentation(s) », 2007, p. 120-121 notamment.
-
[26]
Charles Nodier, « Du style topographique », Revue de Paris, t. VI, septembre 1829, p. 242 (Nodier emprunte à Diderot ses réflexions sur le portrait).
-
[27]
Sir Joshua Reynolds, Discours sur la peinture, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1991 [1769-1790], p. 69.
-
[28]
Jacques Fontanille, « Quand le corps témoigne : voir, entendre, sentir et être-là », dans Myriam Boucharenc et Joëlle Deluche (dir.), Littérature et reportage, Limoges, PULIM, 2001, p. 92.
-
[29]
Honoré de Balzac, « Lettres sur Paris », Le Voleur, 9 janvier 1831, dans Oeuvres diverses (éd. Pierre-Georges Castex), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p. 934.
-
[30]
Victor Hugo, Les misérables (éd. Maurice Allemand), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 123.
-
[31]
Delphine Gleizes, « Victor Hugo en 1848 : la légitimité du discours », dans Hélène Millot et Corinne Saminadayar-Perrin (dir.), 1848, une révolution du discours, Saint-Étienne, Éditions des cahiers intempestifs, 2001, p. 160.
-
[32]
Jules Vallès, « Notre premier numéro », La Rue, 8 juin 1867, dans Oeuvres (éd. Roger Bellet), t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 940.
-
[33]
« L’événement n’a longtemps été que le fantôme du journal. Confiné dans les “nouvelles en trois lignes” d’un Félix Fénéon, disséminé dans les échos du jour, noyé dans la chronique littéraire et politique, c’est en vain qu’on l’aurait cherché dans les “nouvelles à la main”, fabriquées de toutes pièces. […] [C’était] un art de tourner autour de l’événement, de le diluer dans le commentaire, de le plier aux exigences de l’esprit et du style. » (Myriam Boucharenc, « Beau comme la rencontre de la littérature et du reportage », loc. cit., p. 113).
-
[34]
Honoré de Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 37.
-
[35]
À travers le personnage de Célius, premier journaliste « boulevardier » de la presse romaine, Janin rappelle que la petite presse pratique depuis toujours le commérage et l’emprunt : « Célius allait naturellement où il faut aller pour bien faire un journal, dans le salon ou dans la rue, s’informant des uns et des autres, acceptant la chronique scandaleuse au dedans et la bataille au dehors ; et, chose étrange, quand il n’avait rien de nouveau à dire au proconsul, il faisait, lui aussi, ce que font les journalistes de nos jours, il prenait ses nouvelles dans un autre journal. » (Jules Janin, « Le journaliste », loc. cit., p. 11)
-
[36]
Jules Vallès, « Notre premier numéro », op. cit., p. 941.
-
[37]
Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, dans Oeuvres (éd. Yves-Gérard Le Dantec), t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1963, p. 698-699.
-
[38]
Honoré de Balzac, « Lettres sur Paris », op. cit., p. 956.
-
[39]
Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale (éd. Stéphanie Dord-Crouslé), Paris, Garnier-Flammarion, 2001, p. 393.
-
[40]
Alain Vaillant, « Le journal, creuset de l’invention poétique », dans Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant (dir.), Presse et plumes : journalisme et littérature au xixe siècle, op. cit., p. 326-327. Dans le même volume, on consultera également l’article de Jean-Pierre Bertrand, « Une lecture médiatique du Spleen de Paris », p. 329-338. Marie-Ève Thérenty propose une éclairante synthèse sur les frontières entre chronique, fait divers et poème en prose dans La littérature au quotidien, op. cit., p. 260-266.
-
[41]
Jules Vallès, « Il neige au Creusot », La Rue, 29 mars 1870, dans Oeuvres, op. cit., p. 1150. Silvia Disegni a consacré à cet article une belle analyse dans son étude « Vallès et le poème en prose », Les amis de Jules Vallès, no24, juillet 1997, p. 81-105.
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[42]
Gérard de Nerval, op. cit., p. 109.
-
[43]
Honoré de Balzac, « Croquis », La Caricature, no5, 25 novembre 1830, dans Oeuvres diverses, op. cit., p. 821-822. On notera la tonalité pré-nervalienne de cette poésie du souvenir.
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[44]
Gérard de Nerval, op. cit., p. 78. Le narrateur commente justement un article de La Revue britannique sur l’écriture réaliste, étude intitulée La clef de la rue.
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[45]
C’est sur cette doxa que repose, d’après Roland Barthes, l’effet de réel : « La “représentation” pure et simple du “réel”, la relation de “ce qui est” (ou a été) apparaît ainsi comme une résistance au sens ; cette résistance confirme la grande opposition mythique du vécu (du vivant) et de l’intelligible ; il suffit de rappeler que, dans l’idéologie de notre temps, la référence obsessionnelle au “concret” (dans ce que l’on demande rhétoriquement aux sciences humaines, à la littérature, aux conduites) est toujours armée comme une machine de guerre contre le sens, comme si, par une exclusion de droit, ce qui vit ne pouvait signifier — et réciproquement. » (« L’Effet de réel », dans Littérature et réalité, Paris, Seuil, coll. « Points », 1982, p. 86-87).
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[46]
Jules Vallès, « Un chapitre inédit de l’histoire du Deux-Décembre », Le Courrier de l’Intérieur, 8 septembre 1868, dans Oeuvres, t. I, op. cit., p. 1066-1079. Désormais désigné à l’aide des lettres UCI, suivies du numéro de la page.
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[47]
Les jeunes républicains, vaincus de décembre, ont bel et bien été enterrés vivants : « Nous allâmes au cimetière […] comme étourdis d’un coup de maillet ! » (UCI, p. 1075).
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[48]
Delphine Gleizes, loc. cit., p. 164.
-
[49]
Myriam Boucharenc, « Beau comme la rencontre de la littérature et du reportage », loc. cit., p. 119.