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La porte s’ouvrit. Dans l’entrebâillement parut une femme : la cinquantaine, brune, cheveux noirs mêlés de quelques cheveux blancs, de grands yeux.
Khoury 2000 : 166-170
Fawzi s’adressa à elle en hébreu.
– Pourquoi me parlez-vous en hébreu ? Parlez-moi en arabe ! dit la femme avec un accent libanais bien marqué.
[…] Avant qu’Oum-Hassân n’ait posé une seule question, l’Israélienne lui dit :
– C’est votre maison, n’est-ce pas ?
– Comment le savez-vous ? dit Oum-Hassân.
– Je vous attends depuis longtemps. Soyez la bienvenue. […]
Oum-Hassân racontait la même conversation chaque jour. Ajoutant un mot par-ci, supprimant un autre par-là, ravalant ses larmes.
Elle m’a demandé : « D’où venez-vous ? »
– De Kweykat. C’est ici ma maison. C’est mon pichet. C’est mon lit. Les oliviers aussi, les cactus, la terre, la source, tout.
– Non, non, je veux dire… Maintenant, où vivez-vous ?
– À Chatila.
– C’est où Chatila ?
– Au Camp.
– Où se trouve le camp ?
– Au Liban.
– Où au Liban ?
– À Beyrouth. Près de la Cité des Sports.
En entendant prononcer le nom de Beyrouth, la femme juive se redressa, retournée de fond en comble.
– De Beyrouth ! s’écria-t-elle. Les mots fusaient entre ses lèvres, les larmes jaillissaient de ses yeux. Écoutez-moi, dit-elle. Moi aussi je suis de Beyrouth. […] J’avais douze ans lorsqu’on m’a amenée ici. J’ai quitté Beyrouth pour venir dans cet endroit désolé. […]
– Vous êtes de Beyrouth ! dit Oum-Hassân avec surprise.
– Exactement. De Beyrouth.
– Comment est-ce possible ?
– Comment quoi ? C’est moi qui ne comprends plus rien. Vous vivez à Beyrouth et vous venez pleurer ici ! C’est à moi de pleurer. Allez-vous-en, mon amie, partez. Rendez-moi Beyrouth, et prenez toute cette terre désolée.
Dans cet extrait de « La porte du soleil », l’auteur libanais Elias Khoury dépeint avec force et sensibilité deux situations inextricables d’exils, entre une Palestinienne condamnée à vivre en éternelle déracinée dans un camp de réfugiés au Liban et une Juive du Liban qui vit son difficile présent en Israël dans la nostalgie de son pays et de son environnement humain perdus[1]. Si ces exils et les situations dont ils relèvent ne sont pas comparables du point de vue au moins de l’histoire, en dépit de leurs connexions, émergent dans le souvenir, dans les topoï mémoriels qui se façonnent autour d’eux – la maison restée intacte, les objets restés à leur place, l’attente du revenant –, dans les effets et dans les émotions qu’ils suscitent une troublante symétrie.
C’est à cette problématique des échanges de mémoires et des (en)jeux de la mémoire – entre modélisation, transfert, imitation, apaisements et silences – que ce numéro est consacré. Il s’attache à décrire certaines formes alternatives de médiation du passé dans le présent, dans des espaces et des temps où circulent et se sédimentent – par le biais des médias, d’Internet, de l’accélération et de la simplification des déplacements des hommes – des idées, des souvenirs, des valeurs et des modèles ou encore des fake news. Il s’intéresse plus spécifiquement aux reconfigurations des mémoires, des représentations et des histoires, à l’intersection de processus multiples, tant du point de vue des lieux que des logiques sociales et des enjeux, à partir de cas spécifiques : les sociétés postcoloniales, les sociétés dites « effondrées » (comme les pays postcommunistes) et celles en conflit passé ou encore présent (comme l’Espagne ou encore Israël).
Souvent caractérisées par une recomposition passée ou en cours des frontières entre groupes sociaux, par l’effritement, voire la disparition de certains d’entre eux, ces sociétés sont aussi marquées par la cristallisation d’héritages du passé « négatifs » (Wahnich 2011), dont témoignent pour partie la marginalisation ou la disqualification dans les espaces sociaux de départ et d’arrivée de certaines catégories de populations, tant d’un point de vue spatial qu’historique ou encore politique et économique. Dans certains des cas ici abordés, ces transformations ont suivi le principe de l’homogénéité ethnique et/ou religieuse, définissant des appartenances exclusives et donc excluantes (Hall 2008). Ce principe a été parfois énoncé sous forme d’argument politique comme le seul moyen d’assurer la paix et la stabilité (Ther 2001).
Les individus qui ne se reconnaissent pas dans le nouveau système ont été expulsés, ont quitté leur pays ou ont été marginalisés. Certains ont été marqués par la culpabilité collective, du fait de leur association à des crimes de guerre, au colonialisme ou à des violences. Ils ont vu aussi parfois leurs souvenirs réduits au silence et leur patrimoine détruit, laissé à l’abandon ou réinvesti pour d’autres usages. Après leur départ, les endroits vides ont été peuplés par d’autres populations, qui ne se sont pas identifiées à l’héritage précédent. Associés aux vaincus des conflits, à un héritage de colonisation et de décolonisation, à des systèmes politiques aujourd’hui effondrés, ils n’ont pas seulement « disparu » des espaces d’où ils sont partis, mais ils sont aussi parfois devenus invisibles dans les lieux où ils se sont réinstallés/où ils sont rentrés. Ils sont également, le plus souvent, restés longtemps en marge des histoires nationales, ou encore des débats académiques et sociétaux.
Les textes ici rassemblés traitent de ces temps et de ces lieux où l’on ne peut plus « bien vivre ensemble », sinon difficilement, dans tous les sens de l’expression (Derrida 2014). Que nous apprennent ces situations où l’on ne fait plus « ensemble » sur les processus d’exclusion et de marginalisation de l’histoire, sur la constitution de savoirs hégémoniques et sur les déficits d’appartenance ? Que nous révèlent leur rappel et leur éventuelle réévaluation dans des espaces publics à des moments précis, ou encore le maintien d’une transmission au sein des familles de ces passés marginalisés, sur la force des relations – formelles et informelles – dans leur capacité à « faire ensemble », à apaiser ou à délier ?
Ces questions n’attendent pas de réponses d’une reconstitution de la réalité du passé, pour peu qu’elle soit possible. Puisque le passé garde toujours sa propre intégrité, qu’il est marqué par l’absence et l’altérité, notre propos vise non pas à donner à voir et à savoir quelque chose de ce qu’il fut vraiment, mais à en saisir les traces et « ce qu’il devient (d’abord pour nous) » (Certeau 1994 : 51) dans le présent. Le silence et la marginalisation des expériences passées au sein des différents espaces qu’elles contribuent à relier encore (Israël, le Maroc, la Tunisie et la Pologne, la France et l’Espagne, le Portugal et l’Angola, la Slovénie et l’Italie) s’expliquent en partie par les mutations dans la politique globale de ces pays où la référence au passé et au style de vie antérieur devient anachronique et, dans certains cas, moralement indéfendable dans son intégralité. Un autre motif réside dans la nature même des récits, des idéologies et des imaginaires (Ansart 1981) qui ont soutenu les grands récits officiels légitimant certains régimes coloniaux et/ou autoritaires, aujourd’hui disqualifiés.
Comme le souligne avec justesse Andrea Smith à propos des colonisations,
[t]he creation of imperial imagined communities were projects of no less importance than their national counterparts described by Anderson (1991). Imperial master narratives were developed, propagated, interpreted and to varying degrees believed in by those in the colony. What happens to individuals when the wider narrative that gave meaning to their world can no longer be told? […] In many former colonial powers, an intense disdain for the colonial heritage grew with decolonization, a disdain that was easily transferred symbolically to the former colonists themselves, as Dembour reports for those returning to Belgium from the Congo in the 1960s […]. As a result, many people – politicians, historians and social scientists alike – have actively avoided this population and the national failure that they represent.
Smith 2003 : 27
Cette forme de disqualification ou de relégation élimine-t-elle pour autant, notamment dans les familles, l’expérience intime et un rapport au passé, vécus et/ou transmis, incorporés et réactivés dans les rapports sociaux ? Et entretenir un tel rapport revient-il forcément à chérir le souvenir de systèmes politiques antérieurs moralement condamnables ? Enfin, le fait d’avoir vécu en commun ces expériences passées constitue-t-il un facteur suffisant pour en déduire l’adhésion et l’existence de représentations partagées[2] ?
À travers les différents cas proposés ici, qui mobilisent des temporalités et des espaces distincts, il s’agit de décrire et d’analyser certaines de ces formes alternatives de médiation du passé – telles que la littérature, les sites Internet d’histoire publique, les souvenirs communs aux membres d’une même famille ou propres aux individus d’un même groupe familial, les manifestations commémoratives, les voyages de retour ou encore les activités de patrimonialisation. Ces formes alternatives constituent autant de lieux de déploiement des mémoires qui surgissent parfois de manière inattendue, des mémoires vives nichées « dans l’ailleurs, hors des discours publics » (Chivallon 2012 : 72) tenus sur elles, qui se distinguent de ces derniers ou coïncident parfois avec eux.
Si ces mémoires sont réinvesties par les acteurs sociaux, c’est qu’elles viennent, semble-t-il, compenser en partie un déficit de reconnaissance. Mais par-delà même cette question de la reconnaissance, la diversité des vécus individuels, se concrétisant par des pratiques sociales dans un temps donné de l’histoire, révèle aussi les imaginaires possibles et disponibles pour les acteurs, tels qu’internalisés par ces derniers, ainsi que le montre Katja Hrobat Virloget, dans son article intitulé « Istrian exodus. Between official and alternative memories, between conflict and reconciliation ». Elle offre ici une analyse fine, ancrée sur la longue durée, des tentatives politiques et artistiques qui permettent de donner un sens aux mémoires conflictuelles et au patrimoine culturel des régions situées entre l’ancienne Yougoslavie (Slovénie et Croatie) et l’Italie, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Elle explore la relation entre les souvenirs et les récits dominants, et ceux qui ont été passés sous silence, ainsi que les héritages hégémoniques et alternatifs, essayant de transmettre le point de vue à la fois italien et yougoslave. Elle aborde ce faisant les relations entre les formes de mémoire institutionnelles et alternatives, et l’interaction entre discours mémoriels contradictoires, à la fois conflictuels et visant l’apaisement.
De son côté, Dario Miccoli montre comment la littérature permet de faire accéder à des espaces publics les expériences passées marginalisées de certaines des communautés juives des pays d’Islam. Fondé sur un corpus de textes littéraires d’auteurs juifs nés en Afrique du Nord et en Égypte qui ont émigré dans les années 1950 et 1960 en Israël, en France ou en Italie, ou de descendants, son article fait émerger un imaginaire historique juif méditerranéen à partir duquel se repense un passé complexe, souvent conflictuel, ses effets et ses enjeux sur le présent et le futur dans un contexte dit « postcolonial ». Il analyse comment les récits d’expériences individuelles sont transformés, dans cette littérature de nostalgie, en un objet ayant une signification publique plus large. Il s’attache à mettre en évidence la manière dont cette littérature, empreinte de nostalgie, est le vecteur d’autres formes d’histoire qui, sans s’opposer à l’histoire chronologique des événements politiques et des processus davantage macro-historiques, complètent ou offrent un autre angle d’approche et de compréhension du passé et du présent, non linéaire, tenant compte des ruptures et des discontinuités entre les échelles sociales, temporelles ou spatiales.
À la lecture de ces lignes, on pourrait penser que l’histoire orale « passant toujours par la médiation de la mémoire, est le refuge des vaincus, à l’inverse de l’Histoire officielle, considérée comme le récit des vainqueurs » (Terzopoulou 2018). Notre parti pris est cependant différent : il ne s’agit pas ici de raisonner dans des termes d’opposition entre « vainqueurs » et « vaincus », « bourreaux » et « victimes », « mensonge » et « vérité », mais de sortir de certaines dichotomies dans lesquelles ces expériences sont prises et dont témoignent ces couples d’opposition. La première dichotomie, longtemps affirmée en France dans les sciences sociales, oppose histoire et mémoire. Issue d’un déjà long débat, elle distingue une discipline universitaire soumise à la nécessité de la preuve et de l’argument, et un phénomène social souvent disqualifié et dès lors tenu pour « subalterne » à l’histoire (Lavabre, à paraître). Dans cette ligne de partage ainsi tracée, la dimension sociale de la mémoire, telle qu’ancrée dans l’expérience « ordinaire » et quotidienne, disparaît, réduite aux manifestations les plus institutionnelles de l’usage du passé, et comme détachée de « l’organisation, la hiérarchisation et [des] aménagements des relations sociales et culturelles » (Confino 1997 : 1393). Tenant les mémoires vives pour absentes, elle omet donc pour partie la question du souvenir et des conditions sociales qui président à son élaboration et à son expression (Chivallon 2012). La seconde dichotomie catégorise les souvenirs des expériences vécues et/ou transmises soit comme mémoires stratégiques et nécessairement opportunistes, soit comme mémoires blessées et traumatiques, voyant dans leurs résurgences les effets d’une blessure mal refermée (Chivallon 2012 : 20). Les réduire ainsi à l’un ou l’autre versant, c’est oublier pourtant que ces rappels du passé engagent aussi « des souvenirs, des réactualisations de rapports historiques, des récits plus ou moins minorés et surtout des modes d’être qui témoignent de l›actualité de relations sociales » (20).
De telles dichotomies, qui relèvent d’une tentative d’organiser le monde « de façon claire et ordonnée », ne constituent pas « un bon véhicule pour l’explication historique (tout en étant une source exceptionnelle pour comprendre ce que les gens veulent croire » (Confino 2014 : 129, traduction libre). Le parti pris a donc été ici de désenclaver ces objets de recherche des perspectives idéologiques et politiques auxquelles les analyses les réduisent trop souvent. Une telle démarche ne revient pas à s’abstraire des enjeux politiques passés et actuels, mais à les réinscrire pleinement dans leurs dimensions sociales, historiques, économiques et culturelles. Elle n’entend pas non plus porter un jugement de valeur, éthique et moral, sur le caractère vrai ou mensonger des narrations, des pratiques et des milieux où circulent ces phénomènes mémoriels. Au contraire, cette approche essaie de les envisager pour ce qu’ils sont aussi, à savoir des « figures diverses de la mémoire », de voir comment ils ont été transformés en sens commun ou, au contraire, sont restés marginalisés.
L’approche développée dans ce numéro vise donc volontairement à dépasser l’évaluation morale des acteurs – qu’ils soient « bons » ou « mauvais », partisans d’un régime aujourd’hui effondré et disqualifié, farouches opposants ou individus indifférents aux injustices et aux violences, vainqueurs ou vaincus – pour comprendre les situations, les contextes, les logiques et les enjeux qui produisent ces « héritages » devenus négatifs. Une telle approche permet ainsi de mieux comprendre comment se transmet, dans certaines sociétés, comme la société israélienne d’aujourd’hui, des héritages complexes qui peuvent entrer de manière inattendue en opposition ou en concurrence, et reconfigurent contre toute attente, chez des individus qui ont connu à des degrés divers des expériences extrêmes, des formes de marginalisation et de hiérarchie. C’est le cas de Polonais ashkénazes qui ont expérimenté la Shoah et de Tunisiens catégorisés comme « Mizrahim », qui ont été déracinés de leur pays et qui, en arrivant en Israël, ont vécu des discriminations – historiques, politiques, économiques, spatiales, etc. – du fait de leurs origines. Giorgia Foscarini, à travers la problématique de la transmission des expériences du passé au sein de ces familles juives d’origines mixtes, ashkénazes polonaises et mizrahim tunisiennes, met ici en lumière le poids du contexte social extérieur, de l’éducation et des relations horizontales hors de la famille sur la transmission, ascendante et descendante, des héritages culturels polonais et tunisiens. Elle montre comment l’héritage le plus marginalisé ou passé sous silence dans la société israélienne – un élément non déterminant, voire disqualifiant de la composante israélienne, à savoir celui des populations juives originaires des pays d’Islam – semble paradoxalement avoir été le plus maintenu au sein des familles, au contraire de l’héritage polonais, totalement assimilé à la culture dominante du pays. Cependant, cette soi-disant assimilation n’a rien d’évident et révèle combien les mémoires du passé en Pologne sont également tues, ou effacées, fondues à l’intérieur du grand récit « sioniste ashkénaze », et plus tard de l’Holocauste. Pourquoi et comment cette force sociale active d’oubli et d’effacement a-t-elle rencontré l’adhésion des Juifs polonais et de leurs descendants alors qu’en diaspora, précisément, elle constitue l’un des topoï centraux du récit mémoriel autour de la Shoah et de l’extermination des Juifs d’Europe ? L’article aborde ainsi la question du modèle de la mémoire de l’Holocauste et de son intégration, aujourd’hui, dans d’autres récits pour homogénéiser une population aux origines et aux expériences passées très différentes ; question sensible dont les enjeux et les effets multiples touchent non pas seulement Israël et le Moyen-Orient, mais également les pays outre-Atlantique et l’Europe. Il fait enfin apparaître un point aveugle de ces mémoires et de ces dynamiques identitaires : l’affiliation et l’identification religieuses, pourtant centrales en Israël, qui ne sont que très rarement évoquées par les individus quand ils parlent de leur passé et de sa transmission.
Pour dépasser ces dichotomies pourtant bien installées, notre démarche emprunte aussi d’autres concepts, comme la notion d’extranéité, qui permettent de penser sous un autre angle les processus de marginalisation. L’extranéité ne concerne pas seulement la provenance géographique ou le territoire, mais est envisagée ici en termes de faiblesse de l’appartenance locale, et comme condition d’existence pouvant conduire un individu à être perçu comme étranger à un moment donné de sa vie, du fait de sa difficulté à accéder de plein droit aux ressources locales (Cerutti 2012). C’est à l’aune de sa capacité ou non à accéder à ces ressources « que se joue l’appartenance, qui est un processus, et pas un statut acquis pour toujours » (Marzagalli 2013). Le texte d’Emanuela Trevisan illustre bien cette problématique à travers la question du traitement différentiel des mémoires et des patrimoines des Juifs au Maroc, dont le départ au tournant des années 1950 et dans les années qui suivirent a signé la quasi-disparition d’une communauté ancrée dans le pays de longue date. Emanuela Trevisan dépeint, dans un contexte politique national qui affiche une ouverture au rappel de la présence actuelle et passée des Juifs dans le pays, l’ambiguïté et le malaise des politiques locales vis-à-vis de cette présence/absence. Elle montre la complexité des différentes attitudes à l’égard de ce patrimoine, valorisé dans certaines villes et passé sous silence dans d’autres, tel que Meknès. Animés par des enjeux, des intérêts et des attentes non symétriques, les acteurs se rejoignent dans leur position ambivalente face à des traces matérielles difficilement transformables en « biens communs » et intégrables dans des circuits touristiques, mémoriels ou non. En effet, ces traces rappellent des événements négatifs – des massacres, la disparition d’une communauté – et elles sont affectées, dans le présent, par leur association, chez une partie de la population, avec Israël. Ces deux éléments plaident finalement en faveur d’un « oubli social » tandis que, paradoxalement, les interactions ponctuelles entre juifs et musulmans font au contraire émerger la mémoire de liens quotidiens partagés qui se constate sur place par une incorporation ou « identification » par défaut à ce passé.
Comment et à quelles conditions des expériences, longtemps passées sous silence ou socialement discréditées, peuvent-elles être réévaluées, non seulement au sein de la transmission familiale mais aussi dans la sphère publique ? Cette revalorisation entraîne-t-elle un accès au statut de victime, avec tous les avantages inhérents à ce statut et la diffusion d’une lecture binaire et souvent simplifiée en termes de victime/auteur ? Permet-elle à des groupes ou des individus qui n’étaient plus capables de concevoir leur propre histoire, du fait des ruptures provoquées par des épisodes douloureux ou réduits au silence, de pouvoir lui donner un sens ? Ces questions sont abordées par Catherine Perron qui s’intéresse aux déplacements forcés d’une partie de la population allemande suite à la perte des territoires orientaux à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle aborde la littérature aujourd’hui produite par des personnes ayant expérimenté le déplacement forcé ou par leurs descendants, qui permet de dépasser le cadre étroit et revendicatif des associations d’expulsés des années 1950. Cette littérature traite de la question du retour dans ces territoires et, ce faisant, retisse un lien entre le nazisme, sa politique de réorganisation ethnique et la guerre d’extermination à l’Est, le déplacement forcé des Allemands vivant dans ces régions, et leur difficile intégration tant en RFA qu’en RDA. L’article décrit le cadre dans lequel se déploient, après 1989, ces reconstructions mémorielles portées par la littérature, introduisant ici la question européenne dans la lecture des déplacements forcés engendrés en Europe par la guerre. Cette dernière apparait comme un élément partagé et paradoxalement unificateur d’une mémoire européenne commune (Rousso 2016), fût-elle négative. L’article révèle néanmoins les écueils d’une telle reconstruction qui aboutit, tout aussi paradoxalement, à effacer les trajectoires particulières des expulsés et de leurs contextes singuliers – aujourd’hui englobés dans un récit plus large qui brouille les frontières entre bourreaux et victimes – et à légitimer in fine certaines des revendications portées par les associations d’expulsés. La description de ces mémoires et de leur mise sous silence pendant parfois des décennies permet de réfléchir sur le retour de certains passés toxiques dans le présent, et leur cristallisation sous des formes nostalgiques qui prennent parfois des formes radicales.
À travers les exemples mobilisés, les différents auteurs s’attachent ici à saisir la dimension dynamique, subjective et émotionnelle des liens avec le passé dans un présent fragile (Assmann 1999), dépassant ainsi les fausses oppositions pour rendre compte de la complexité des dynamiques d’identification, des pratiques, des actions et des motivations. Ils mettent au jour les coïncidences et les contradictions entre la narration collective, les normes, les valeurs socioculturelles et politiques, et les trajectoires individuelles, afin de faire émerger une réflexion plus large sur les effets des silences, des conflits violents, des expériences difficiles ou encore de la marginalisation – réelle ou ressentie – sur la transmission du passé.
Ainsi, Evelyne Ribert, dans son article intitulé « Tourisme républicain des racines en Espagne : vers un apaisement de la mémoire et une réconciliation ? » s’intéresse au développement du tourisme de mémoire au XXe siècle (dark tourism, tourisme patrimonial, tourisme de naissance, etc.). Elle aborde en particulier le cas du tourisme patrimonial parmi les descendants d’exilés espagnols qui ont fui en France pendant la guerre civile espagnole et la dictature franquiste. En prenant en considération la relation entre les articulations publiques et individuelles du passé, son objectif est d’analyser comment les récits officiels ont influencé les expériences individuelles, en particulier chez les personnes effectuant une sorte de voyage commémoratif ou des racines. De son côté, Irène Dos Santos, dans son article « Constructions mémorielles dans la post-dictature et le post-colonialisme : entre Lisbonne et Luanda, quel partage d’expérience ? », aborde les souvenirs des différentes générations d’enfants de retornados des colonies après la fin de la dictature au Portugal, en 1974. Elle analyse le rôle joué par leurs récits et leurs souvenirs dans la rupture avec le discours historique hégémonique du Portugal, et dans l’émergence d’une multiplicité de mémoires sociales, dont certaines sont politisées, au sein de l’espace public portugais. Elle dépeint ainsi la manière dont l’inclusion de souvenirs personnels et individuels dans l’espace politique portugais a permis de créer un « espace politique public » qui défie le récit hégémonique promu par l’État démocratique. Elle décrit les acteurs de ces nouveaux récits mémoriels en appréhendant leur expérience récente de retour en Angola.
À la lecture de l’ensemble de ces contributions, une dernière question émerge : comment restituer des récits qui soient plus nuancés et plus complexes, plus attentifs aux histoires et aux événements individuels, aux héritages historiques et aux enchevêtrements entre ces différents espaces ? Cette interrogation est au centre de l’article de Piera Rossetto, « Dwelling in contradictions: deep maps and the memories of Jews from Libya ». Elle aborde la question de la production des souvenirs et des identités parmi les Juifs de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), à travers l’exemple des Juifs d’origine libyenne. Elle prend en compte la production culturelle et mémorielle des Juifs originaires de la région MENA, en l’encadrant dans la perspective théorique des études de la mémoire. Pour relier de nombreuses sources hétérogènes (mémoires, romans, entretiens, etc.), elle propose l’utilisation du concept de « deep mapping » (cartographie en profondeur), emprunté au domaine des humanités numériques, afin de rendre cette complexité plus « lisible » et « visible » et de « penser spatialement » les performances des mémoires et des identités.
Le défi de ce numéro, on l’aura compris, est donc d’explorer les différents « espaces » sociaux (et leurs acteurs) où interagissent et se reconfigurent des discours, des pratiques et des sites mémoriels. Il propose de les envisager, de les écouter et de les entendre, autrement : « une façon d’écouter autrement qui met en suspens l’intraitabilité et les préconceptions du soi afin de recevoir les singularités de l’altérité de l’autre » (Lipari 2014: 185, traduction libre). Il nous invite à nous souvenir qu’oublier, effacer ou disqualifier les expériences passées de ceux et celles avec qui nous avons coexisté, ou avec qui nous partageons aujourd’hui un quotidien, équivaut au final non pas à nous délier de ces expériences mais au contraire à les intégrer, même en négatif, dans l’histoire, à les lier à notre présent et à notre futur de manière toujours plus inextricable.
The door finally opened. A woman appeared: about fifty years old, dark complexion, large eyes, black hair streaked with gray. Fawzi said something in Hebrew.
Khoury 2006: 158-166
‘Why are you speaking to me in Hebrew? Speak to me in Arabic,’ said the woman with a strong Lebanese accent (…).
Before Umm Hassan could open her mouth to ask a thing, the Israeli woman said, ‘It’s your house, isn’t it?’
‘How did you know?’ asked Umm Hassan.
‘I’ve been waiting for you for a long time. Welcome.’ (…)
Umm Hassan would relate the same conversation every day, adding a word here, deleting one there, choking back her tears. She asked me, ‘Where are you from?’
‘From al-Kweikat’, I told her. This is my house, and this is my jug, and this is my sofa, and the olive trees and the cactus and the land and the spring – everything.”
‘No, no. Where are you living now?’
‘In Shatila.’
‘Where’s Shatila.’
‘It’s a camp.’
‘Where’s the camp?’
‘In Lebanon.’
‘Where in Lebanon?’
‘In Beirut, near Sports City.’
When the Jewish woman heard the word Beirut, she gave a start and her manner changed completely.
‘You’re from Beirut?’ she cried, the words tumbling out of her mouth and her eyes filling with tears.
‘Listen, Sister,’ the Jewish woman said. ‘I’m from Beirut too (…). They brought me from there when I was twelve. I left Beirut and came to this dreary, bleak land.’ (…)
‘You’re from Beirut?’ Umm Hassan said in amazement.
‘Yes, Beirut.’
‘How did that happen?’
‘What do you mean, how did that happen? I’ve no idea. You’re living in Beirut and you’ve come here to cry? I’m the one who should be crying. Get up, my friend, and go. Send me to Beirut and take this wretched land back.’
In this extract from Bāb Al-Shams, the Lebanese writer Elias Khoury powerfully and sensitively portrays two desperate situations of exiles: one of a Palestinian woman condemned to live an eternally uprooted existence in a refugee camp in Lebanon, and the other of a Lebanese Jewish woman living with difficulty in Israel, as nostalgia carries her mind back to her country and to the people she left behind[1]. These two exiles, not comparable at least from an historical point of view, share a set of common topoi surrounding them: the house still intact, objects in their place, the expectation of a return – and introduce a troubling symmetry in terms of emotions generated in the protagonists.
This issue is thus devoted to shared memories, to the challenges they set and to their implications: simulations, transfers, imitations, appeasements and silences. Its aim is to portray how the past is translated and circulated in different forms, into a present, which is more and more connected thanks to cheaper flights and the capillary diffusion of communication technologies and social medias. Taking the cue from specific case studies such as post-colonial (e.g. Portugal) and “collapsed” societies (e.g. post-communist countries), or societies in conflict past and present (e.g. Spain and Israel), this number wants to address the various possible ways in which memories, narratives and histories are reconfigured. In particular, by considering social interactions and “memoryscapes” (Kapralski 2015) within a same society. Characterized by past or ongoing reconstruction of the boundaries between social groups, these societies are also defined by the crystallization of “negative” legacies from the past (Wahnich 2011). In many of the cases treated here, these transformations based on ethnic and/or religious categories, made belonging to the dominant social group exclusive and excluding (Hall 2008), as testified by the marginalization or disqualification from the social space of given sectors of the populations. The same principle of ethnic and/or religious homogeneity has, at times, been stated as a political argument, and as the only mean to ensure social peace and stability (Ther 2001). In some cases, individuals not recognizing themselves in the newly created system were, as a consequence, expelled, marginalized, or forced to leave this remodeled social space. After their departure, the spaces left empty are filled by other people, not identifying themselves with the heritage of their predecessors. In other cases, collective guilt fell upon those associated with war crimes, colonialism or violent acts. Others have seen their memories reduced to silence, their cultural heritage destroyed, neglected or used to fulfill a different identity agenda. Those associated with the defeated side in a conflict, or with political systems that have fallen apart, “disappeared” not only from the spaces they left behind, but, at times, they became invisible also in the places where they resettled, thus remaining on the fringe of national history and of academic and societal debates.The texts here presented all deal in different ways with situations, spaces and times where people can no longer “live well together”, in every sense of the term (Derrida 2014). Starting from these specific case-studies, what can be learned in terms of the mechanisms of exclusion and marginalization throughout history? What is to be discovered on the formation of a hegemonic knowledge and the shortcomings of identity politics? And what does the re-appearance and re-evaluation of these politics in the public arena tell us about the power relations within a society? What happens when marginalised memories and identities, that are passed on within families, are recalled and possibly re-evaluated in the public sphere in an attempt to “make together”, to appease and absolve?
These questions do not rely on a reconstruction of a past reality (assuming that this is possible) to attain some answers. Given that the past always remains unchanged and other with respect to the present, our intention is to seize the traces of the past in the present and to unveil “what it is becoming (first of all for ourselves)” (Certeau 1994 : 51). Thus, the silencing or the marginalization of past experiences, that still play a connecting role between different spaces in the present (between Israel, Morocco, Tunisia and Poland, France and Spain, Portugal and Angola, Slovenia and Italy), can be explained by two main reasons. The first one can be retrieved in the changes of the global politics in the countries involved, where references to the past, and to previous ways of life become anachronistic and, in some cases indefensible from a moral standpoint. Another reason for the suppression of past experiences can be found in the very nature of these narratives, ideologies and imaginaries (Ansart 1981), for that they have sustained the official narrative and justified colonial and/or authoritarian regimes, that are nowadays completely disqualified.
As Andrea Smith rightly points out regarding colonization:
The creation of imperial imagined communities were projects of no less importance than their national counterparts described by Anderson (1991). Imperial master narratives were developed, propagated, interpreted and to varying degrees believed in by those in the colony. What happens to individuals when the wider narrative that gave meaning to their world can no longer be told? (…) In many former colonial powers, an intense disdain for the colonial heritage grew with decolonization, a disdain that was easily transferred symbolically to the former colonists themselves, as Dembour reports for those returning to Belgium from the Congo in the 1960s (2000) (…). As a result, many people — politicians, historians and social scientists alike — have actively avoided this population and the national failure that they represent.
Smith 2003 : 27
However, does this kind of silencing and marginalization of past experiences suppress, especially within families, an intimate relationship and a connection to the past? One that is lived and transmitted, integrated and reintroduced within societies through family connections? And does developing an open relationship with the past necessarily equal to cling to the questionable legacy of a former political system? Lastly, is a shared set of past experiences a strong enough argument to believe in the existence of common and accepted group representations of the past?[2]
By presenting a number of different case studies that deal with just as many timeframes and places, the aim of this number is to describe and analyze alternative forms of mediating the past into the present such as: literature, public history websites, family memories, commemorative events and memory trips linked to a specific cultural heritage. All these activities, precisely by mediating the past into the present, constitute a rich field where to display unexpected memories: still dynamic and expanding “elsewhere, outside of the public discourse” (Chivallon 2012 : 72), and, at the same time, holding onto it or coinciding with it. In some cases, memories are restored by specific social actors, as a mean to make up for a lack of acceptance in the society they live in. In addition to that, the diversity of individual experiences – translating into specific social practices at given historical times – brings to light narratives that are possible for, and fit, different actors, as it is shown by Katja Hrobat Virloget in her article: “Istrian exodus. Between official and alternative memories, between conflict and reconciliation.” Here she offers an attentive and well-grounded analysis of the political and artistic attempts made throughout time to make sense of the conflictual memories and cultural heritage of the territories located between the former Yugoslavia (Slovenia and Croatia) and Italy, after the end of World War II. She explores the relationship between different kinds of memories: dominant or overlooked, as well as hegemonic and alternative heritages from the past, in an attempt to convey both the Italian and the Yugoslavian point of view, through the voice of the different actors involved. In doing so, she addresses the relationship between different expressions of institutional and alternative memory, and the interactions between contradictory memory discourses that may be at the same time conflictual and conciliatory. Along the same lines, Dario Miccoli shows how through literature it is possible to introduce past and marginalized experiences into the public sphere, by approaching the specific case of Jewish communities from Islamic countries. His work is in fact based on a corpus of literary texts of Jewish authors who were born, or whose family were originally from North Africa and Egypt, and who, in the 1950s and 1960s, emigrated to Israel, France or Italy. Hence, against a postcolonial background, Miccoli brings forward an imaginary that is at the same time Jewish and Mediterranean, and that allows for a reconsideration of a complex past, often conflictual, and of its impact on present and future time. He analyzes how individual narratives are transformed, in this literature of nostalgia, into an object with a broader public meaning. In so doing, he highlights how literature can be considered as a medium for other forms of history, without countering the chronological account of political events and of wider macro-historical processes. He thus offers a new, non -linear perspective and a deeper understanding of the relations between past and present, examining the ruptures and the discontinuities between social, temporal and spatial scales.
Hitherto, one could think that oral history “being always mediated by memory, is the refuge of the conquered, whilst, on the contrary, official History, is considered to be the narrative of the winner” (Terzopoulou 2018). Yet, here we decided not to proceed according to dichotomies: ‘winners’ and ‘losers’, ‘persecutors’ and ‘persecuted’, ‘lies’ and ‘truth’. In reverse, we chose to abandon a system of binary oppositions, usually deployed to describe experiences linked to memory and history, by discarding, firstly, the most traditional of oppositions within French social sciences, one that places history and memory at two opposite poles. This opposition identified history as an academic discipline, requiring proofs and argumentation, whilst it often disqualified memory as a social phenomenon, deemed as subordinated to history (Lavabre, forthcoming). As a consequence, the daily and social dimension of memory disappears, in favor of more institutionalized uses of the past, that are detached from “the organization, the hierarchization and the arrangements of social and cultural relationships (Confino 1997 : 1393). Considering living memories as ‘absent’ or as part of the past, history bypasses the question of memory and of the social conditions that govern its elaboration and enunciation (Chivallon 2012). Another dichotomy that we are to discard here is the one defining lived and transmitted memories either as strategic, and therefore necessarily opportunistic, or as traumatic, bringing with them the consequences of an untreated wound (Chivallon 2012 : 20). To inscribe memories in one category or the other, is to forget the role they play in engaging “recollections, revaluations of historical connections, narratives that have been degraded to some level, and, most of all, (in engaging) realities portraying the current state of social interactions” (20). Such dichotomies, that would otherwise constitute a tool to frame the world “in a clear and orderly way,” are not “a good vehicle for historical narrative (while being an extraordinary source to understand what people want to believe)” (Confino 2014 : 129). Accordingly, the aim here is to disentangle the objects of scientific research from the ideological and political perspectives, that so often characterize discourses relating to memory and history. This approach does not amount to a disengagement from past and current political concerns, but rather intends to fully reintroduce them in their social, historical, economic and cultural contexts. All the same, it is not the purpose of this work to express a judgment – be it in terms of values, ethics and morality, or in terms of truthfulness – on the practices and the contexts where these memory-related phenomena are to be found. On the contrary, we strive to present them for what they are, namely “different sides of a same memory event”, and to see how they have been reformulated within everyday narratives or, on the contrary, if they have been relegated to a side and marginalized. As a result, the stance advanced in this issue intentionally seeks to go beyond a moral judgment of the actors involved – be them ‘good’ or ‘bad’, winners or losers – with the purpose of understand the different contexts, stakes and logics that produced the ‘negative legacies’ here portrayed.
Such an approach helps us to better appreciate, for instance, a society as complex and multifaceted as the Israeli society today, where different heritages compete and clash with one another in shaping Israel’s memory landscape. This is the case portrayed by Giorgia Foscarini’s article: “Collective memory and cultural identity: a comparative study of the politics of memory and identity among Israelis of Polish and Tunisian descent”. In her contribution she considers two different groups: Israelis of Polish origin, whose ‘memoryscape’ is characterized for the most part by the traumatic experience of the Holocaust; and Israelis of Tunisian origin, who, uprooted from their country, lived a different kind of trauma by experiencing a series of discriminations: upon their arrival to Israel (political, economic, historical and spatial), mainly because of their different cultural background. By focusing on the issue of the transmission of cultural heritage in mixed families, she highlights the influence social context, education, and horizontal relationships have on the passing on of different cultural traditions in today’s Israel. She points out how, paradoxically, a marginalized and overlooked heritage in the Israeli social makeup, such as the Tunisian/Mizrahi one, is retained and passed on within families to a higher degree with respect to the Polish/Ashkenazi one, seemingly assimilated to the mainstream dominant culture of the country. However, the supposed assimilation of the Polish cultural substratum to the Israeli one is not obvious and, if further analyzed, reveals to what extent the memories of the Polish past as well have been silenced, erased and dissolved into the in the all-encompassing Zionist, Ashkenazi, and Holocaust narratives. Why and how, the ‘Zionist-Ashkenazi’ narrative, leading to the obliteration of any previous cultural heritage was embraced by Polish Jews in Israel, whilst, in diaspora, it was precisely what constituted the central topos of the narrative linked to the Holocaust and the extermination of European Jewry? The article also tackles how Holocaust memory was integrated in Israel’s national narrative, and how it was deployed to homogenize a population with very different backgrounds and histories. Finally, this paper sheds light on a blind spot of these memories and multiple identities, namely: religious affiliation and identification. Being religion a central issue in the definition of Israel’s identity, the fact that it is only seldomly mentioned by the people interviewed about their past and their cultural heritage, is somehow telling.
Once more with the aim of going beyond long time established dichotomies, our approach will also make use of other concepts, such as the idea of foreignness, to tackle marginalization processes from another point of view. Foreignness here is not only conceived in relation to geographical origin or territory, but it is also considered in relation to a community, by reason of someone’s limited access to local resources (Cerruti 2012). It is, in fact, in the light of the ability, or lack thereof, to access given local resources that “depends the belonging (to a community). This belonging being considered as a process, rather than a status acquired once and for all” (Marzagalli 2013). These issues of foreignness and belonging are well delineated in Emanuela Trevisan’s contribution on the treatment of Jewish cultural heritage and memories in Morocco. The majority of Moroccan Jews in fact, left the country during the 1950s, marking the almost complete disappearance of a community that lived there for centuries. Trevisan delineates the recent inclusion of Jewish heritage, both modern and past, in Morocco’s national history and ‘memoryscape’ (Kapralski 2015), vis-à-vis a clearly ambiguous attitude towards it on a more local level: cultivated in some cities and silenced in others. The complexity of the different positions towards this heritage is here well portrayed in addressing the case of the city of Meknès. Driven by unbalanced interests and expectations, the actors involved have an unclear stance when it comes to the preservation of material remains that cannot easily be transformed into a “common heritage”, and thus integrated into touristic itineraries. In fact, some of those traces bring back to memory negative historical events such as massacres and the disappearance of an entire community – or that, by some, are associated to Israel. Such associations with a traumatic past and a problematic present speak in favor of a “social forgetfulness”, whereas, on the other side, the limited interactions happening between Jews and Muslims nowadays, bring to light memories of a shared past life, leading, by default, to an identification with that same past.
How can experiences long silenced or discredited by a society be re-evaluated, not only from the point of view of family transmission, but also within a broader public context? On one hand, does this reassessment aim to promote a binary “victim vs perpetrator” interpretation of history, with all the consequences that such a view entails? Or on the other, does it allow to disadvantaged and minority groups to make sense of their own history, including its more painful and traumatic chapters? Catherine Perron deals with these issues in her article that, through literature, faces the topic of forced migration during the later stages of War World II and the post-war period, in Eastern and Central European countries. This literature is written by people of German ancestry who lived in first person forced displacement, or by their descendants, thus allowing to bypass the oppositional and narrow framework of the associations gathering those expelled in the 1950s. By dealing with the return in the present to the eastern territories of those who were forced to leave them only few decades ago, this literature re-establishes a link between Nazism, its policy of ethnic reorganization and the war of extermination in the East, the forced displacement of Germans living in those regions, and their difficult integration into both the Federal Republic of Germany and the German Democratic Republic. The article also traces the context in which, after 1989, these memories, conveyed by literature, unfolded and introduced the European question into the reading of forced migrations brought about by war in Europe. These memories, however negative, are considered to be nowadays a shared and, paradoxically unifying, element in European memory (Rousso 2016). The article reveals nonetheless the pitfalls of such a reconstruction, that ends up in erasing individual trajectories, in favour of a broader narrative that dims the boundaries between persecutors and victims – and ultimately legitimizes some of the claims put forward by the associations of those expelled. The representations of these memories and their silencing, over decades, allow us to think critically about their comeback in the present under the form of some nostalgic or radical revindications.
Through the case studies here presented, the contributors attempt to grasp the dynamic, subjective and emotional scope of the connections with the past, in a fragile present (Assmann 1999). This makes possible to go beyond misleading dichotomies and to present the complexities inherent to identity and memory dynamics, their practices, actions and motivations. All the papers in this number uncover the correlations and the contradictions occurring between collective narrations, sociocultural and political values and individual trajectories, with the aim to come up with broader considerations on the transmission of memories relating to silenced conflicts, traumatizing experiences and marginalization. Along these lines, Evelyne Ribert in her article “Tourisme républicain des racines en Espagne : vers un apaisement de la mémoire et une réconciliation?” delves into the development of memory-related tourism in the 20th century (black tourism, heritage tourism, birthright tourism, etc.). She addresses, in particular, the case of heritage tourism among the descendants of Spanish exiles who fled to France during the Spanish Civil War and the Franco dictatorship. By taking into consideration the relationship between public and private expressions of the past, her aim is to analyze how official narratives influenced individual experiences, especially in the case of people who are making some sort of heritage or root tourism. Likewise, Irène Dos Santos, in her article “Constructions mémorielles dans la post-dictature et le post-colonialisme: entre Lisbonne et Luanda, quel partage d’expérience?”, focuses on the memories of different generations of children of “retornados” from the colonies, after the end of the Portuguese dictatorship in 1974. She analyzes the role played by their narratives and memories in breaking with Portugal’s historical hegemonic discourse, and in the emergence of a number of social memories, some politicized, within Portuguese public space. Accordingly, she portrays how the inclusion of individual memories in Portugal’s political arena made possible the creation of a “public political space”, thus challenging the hegemonic narrative promoted by the democratic State. She talks about the actors of these new, memory-related narratives by capturing their recent experience of return to Angola.
Many interrogations emerge from all the contributions here presented: how can we render memory narratives more nuanced and complex? How can we create narrations that are more attentive to individual narratives, to historical legacies and to the intersections between all these spaces? These questions are at the heart of the article by Piera Rossetto, “Dwelling in contradictions: deep maps and the memories of Jews from Libya”. Here, she addresses the issue of the production of memories and identities among Jews hailing from the Middle East and North African (MENA) region, presenting the case of Jews of Libyan origin. She considers the cultural and memory-related production of this group, by framing it against the theoretical background of memory studies. To connect numerous heterogeneous sources (memoires, novels, interviews etc.), and to frame intangible “substances” such as memories and group representations, she advances the use of the concept of space to make this complexity more ‘readable’, and as a consequence ‘visible’. Taking inspiration from the field of digital humanities, she proposes to ‘think spatially’ the performances of memories and identities through the concept of deep mapping.
The challenge faced in this issue is thus to explore the various social “spaces” where different discourses, practices and places linked to memory are reconfigured and interact. We propose here to see these “spaces”, to listen and to consider them in a different way; a sort of “listening otherwise that suspends the uncompromising will and preconceived ideas in order to welcome the peculiarities of different others” (Lipari 2014: 185). By doing so, our aim is to remember that in forgetting, erasing or discrediting the past experiences of those who lived side by side with us, sharing with us their lives on a daily basis, finally equals to include them, even in a negative way, in our history, and to intertwine their story, more and more, to our present and to our future.
Appendices
Notes
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[1]
Ce numéro s’inscrit dans le cadre d’un programme financé : Labex Les passés dans le présent, Investissement d’avenir, réf. ANR-11-LABX-0026-01
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[2]
Voir l’ensemble des travaux de Marie-Claire Lavabre ; voir aussi Lavabre et Gensburger (dir.), 2012 ; Lavabre et Gensburger dans Müller 2005 ; et Gensburger 2010.
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[1]
This issue is part of a funded program: Labex Les passés dans le présent, Investissement d’avenir, réf. ANR-11-LABX-0026-01
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[2]
See the works of Marie-Claire Lavabre. See also Lavabre and Gensburger (2012) ; Lavabre and Gensburger in Müller (2005), and Gensburger (2010).
Références
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