Abstracts
Résumé
Dans cet article, les auteurs se penchent sur le lien entre tourisme et patrimoine dans la ville de Malacca, capitale de l’État du même nom de la fédération de Malaisie. En 2008, cette ville a été conjointement inscrite avec celle de George Town, la capitale de l’État de Penang, sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Leur réflexion s’inscrit dans une recherche plus large incluant les deux sites et portant sur la gestion de la diversité multiculturelle dans deux contextes sociologiques différents, tant sur le plan démographique et religieux que politique. Cet article est plus précisément consacré à la ville de Malacca, qui reçoit environ 15 millions de touristes dont une large majorité est composée de nationaux et de citoyens provenant de Chine et d’Asie du Sud-Est. L’essentiel de son argument est de montrer comment Malacca, en faisant la promotion d’un tourisme de masse orienté vers la promotion d’une identité essentiellement malaise, marginalise quelque peu la dimension du patrimoine immatériel qui est pourtant mise en avant dans le dossier de nomination destiné à sa candidature pour le patrimoine mondial, et qui se fonde notamment sur la coexistence harmonieuse des principales communautés malaise, chinoise et indienne composant la population. Cette situation produit plusieurs paradoxes que cet article tente d’expliciter en se basant sur une observation directe ainsi que sur l’analyse des politiques et des directives présidant à la mise en valeur touristique de la ville.
Abstract
In this article, the authors deal with the link between tourism and heritage in the city of Malacca, the capital of the state of the same name in the Malaysian federation. In 2008, this city was enrolled conjointly with George Town, the capital of Penang State, on the UNESCO world heritage list. Their impressions are recorded in a more extensive research project which includes both sites and concerns the management of the multicultural diversity in two different sociological contexts, in terms of demographics, religion and politics. This article is devoted, more specifically, to the city of Malacca, which welcomes some 15 million tourists, most of whom are nationals and citizens from China and southeast Asia. The central thesis aims to show how Malacca, by promoting a tourism of the masses directed toward encouraging an identity which is essentially Malaysian, marginalizes somewhat the dimension of intangible heritage which was, nonetheless, underscored in the nomination file intended for its candidacy for world heritage status and based especially on the harmonious co-existence of the main Malay, Chinese and Indian communities which make up the population. This situation results in several paradoxes which the present article attempts to outline based on direct observation as well as an analysis of the policies and directives which govern the touristic promotion of the city.
Article body
Introduction
Dans ce texte, nous nous penchons sur le lien entre tourisme et patrimoine dans la ville de Malacca (Melaka en malais), capitale de l’État du même nom appartenant à la fédération de Malaisie. En 2008, cette ville a été conjointement inscrite avec la ville de George Town, la capitale de l’État de Penang, sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO[1]. Notre réflexion s’inscrit dans une recherche plus large, menée depuis plusieurs années et incluant les deux sites[2]. Sa finalité est de saisir les enjeux de la patrimonialisation dans deux contextes multiculturels différents, tant sur le plan démographique, religieux, politique, que sur celui de la mise en valeur respective de ces caractéristiques (Graezer Bideau et Kilani 2009). Ce texte sera plus précisément consacré à la ville de Malacca, qui reçoit environ 15 millions de touristes, dont une large majorité est composée de nationaux et de citoyens provenant de Chine et d’Asie du Sud-Est[3]. L’essentiel de l’argument est de montrer comment Malacca, en faisant la promotion d’un tourisme de masse orienté sur la promotion d’une identité essentiellement malaise dénature quelque peu la dimension de patrimoine immatériel invoquée dans le dossier de nomination destiné à sa candidature pour le patrimoine mondial, et fondée notamment sur la coexistence harmonieuse des principales communautés malaise, chinoise et indienne composant la population. Ce faisant, le dossier de nomination et la promotion touristique qui s’ensuit s’enferment inexorablement dans plusieurs paradoxes.
Rappelons tout d’abord le contexte général de la Malaisie dans lequel s’inscrivent ces différentes questions, aussi bien pour la ville et l’État de Malacca que pour George Town et l’État de Penang. La gestion du patrimoine et le développement du tourisme, notamment culturel, constituent un enjeu multi-ethnique en Malaisie en général, et dans ces villes en particulier (Khoo et Jenkins 2008 ; Graezer Bideau et Kilani 2012). Le premier enjeu se situe au niveau de la représentation officielle de la Malaisie sur le plan interne, relativement au caractère multiculturel du pays et à la taxinomie ethnique qui en découle. Cette représentation a varié en fonction des circonstances et des politiques mises en place au niveau fédéral en vue d’assurer la cohésion nationale en Malaisie tout en faisant respecter les diversités ethniques et religieuses constitutives du tissu social du pays. Précisons que la subdivision officielle retient essentiellement trois groupes ethniques : les Malais, les Chinois et les Indiens. Les Malais, majoritaires, environ 60% de la population, sont essentiellement associés à l’islam et considérés comme les premiers habitants (Bumiputra ou « fils de la terre » en malais) et bénéficient de ce fait d’une politique de préférence au niveau fédéral, décidée en 1970 dans le cadre de la New Economic Policy. Les Chinois, 30% de la population, appartiennent à différentes confessions et sont majoritaires dans la ville de Malacca, tout comme dans l’État de Penang. Les Indiens, également de différentes confessions, constituent environ 10% de la population. Cette représentation officielle de la Malaisie, en termes de trinité, à l’exclusion d’autres groupes ethniques, linguistiques et religieux bien plus réduits en nombre et en importance pour être pris en considération, s’est successivement traduite à travers plusieurs formules : la « Rainbow Nation » (« Nation arc-en-ciel »), slogan datant de l’époque coloniale et repris par les nouvelles autorités malaisiennes de l’après-indépendance (Furnivall 1956 ; Giordano 2012), le « Wawasan 2020 » (« The Way forward – Vision 2020 ») du Premier ministre fédéral Mahathir bin Mohamad dans les années 1990 (Kahn 2008 ; Chappaz, Cretton et Graezer Bideau 2014), et plus récemment le slogan « One Malaysia » (« Malaisie unie ») du Premier ministre Najib Tun Razak, initié à partir de 2010[4].
Le deuxième enjeu se situe au niveau des stratégies de visibilité, d’identification et de reconnaissance mises en place par les différentes communautés malaise, chinoise et indienne dans leur compétition économique, politique et culturelle (Shamsul 2001 ; Hefner 2001 ; Graezer Bideau et Kilani 2012). Malgré les politiques fédérales et les législations qui s’ensuivent, l’équilibre entre les différentes communautés est en effet instable et doit en permanence être négocié sur le terrain, et à tous les niveaux – fédéral, État, ville –, par les parties en présence. Il faut préciser ici que l’inégalité de traitement entre les Malais et les autres communautés ne va pas sans conflits et revendications, aussi bien du côté des Malais qui estiment qu’ils demeurent globalement défavorisés économiquement, que du côté des Chinois ou des Indiens qui déplorent que tous les citoyens malaisiens ne soient pas traités sur un pied d’égalité par les pouvoirs publics, notamment sur le plan de la propriété du logement et de l’accès à la fonction publique. Le problème se pose également au niveau de la représentation politique, car le parti malais, l’United Malays National Organisation (UMNO), Ketuanan Melayu en malais, domine largement la coalition ou, plus précisément, la confédération de partis du Barisan nasional (Front national) au pouvoir, sur le plan fédéral et dans beaucoup d’États de la fédération depuis l’indépendance du pays. Outre le parti malais, cette coalition englobe un parti chinois, la Malaysian Chinese Association (MCA) et un parti indien, le Malaysian Indian Congress (MIC), qui sont de plus en plus marginalisés dans la participation au pouvoir.
Le tourisme dans la ville de Malacca
Dans la ville de Malacca, où les Chinois, rappelons-le, sont majoritaires, au contraire de ce qu’il en est dans l’État de Malacca où les Malais prédominent, on privilégie une approche qui permet d’aborder la ville essentiellement à travers le prisme d’un tourisme tablant d’emblée sur une identité, certes multiculturelle, mais à dominante malaise et privilégiant la dimension historique, et cela malgré ou peut-être à cause de la forte présence chinoise dans la région. De leur côté, George Town et l’État de Penang insistent davantage sur la dimension conviviale du patrimoine multiculturel dans lequel le tourisme ne joue qu’un rôle secondaire. À George Town, le touriste est invité à découvrir d’abord une culture vivante, et ensuite un patrimoine matériel, à travers une série de parcours thématiques (culinaire, artisanal, religieux, etc.) et d’événements culturels et artistiques (conférences, ouvrages grand public sur l’histoire et le patrimoine de Penang, bulletin mensuel, brochures d’information touristiques, marché ethnique, visites guidées de lieux patrimoniaux, festival annuel de commémoration de l’inscription sur la liste de l’UNESCO, etc.), initiés essentiellement par la très active ONG Penang Heritage Trust ou PHT[5] (Graezer Bideau et Kilani 2009 : 153-154) et l’officiel World Heritage Office George Town[6]. À Malacca, par contre, le visiteur est d’emblée confronté à un produit patrimonial déjà élaboré et balisé à travers des circuits touristiques appelant à une visite rapide et en l’absence, dans une certaine mesure, de démarches participatives et unificatrices de la part des acteurs concernés. De ce fait, cette politique n’a pas manqué d’être confrontée, surtout après l’inscription de Malacca sur la liste de l’UNESCO, à une vive tension entre la promotion d’un tourisme de masse et celle du patrimoine, et, dans une certaine mesure, de la culture vivante des communautés locales.
Nous avons nous-mêmes expérimenté cette tension lors de notre première visite dans la ville en 2010, soit deux ans après son inscription sur la liste de l’UNESCO. Elle nous a conduits à nous poser la question de savoir si le couple tourisme-patrimoine est un couple bien assorti. Lors de ce premier séjour, nous avons été frappés par la distinction établie, au sein même du périmètre protégé par le label de l’UNESCO, entre un circuit restreint à la vieille ville et un circuit de masse, constitué autour des musées concentrés sur la colline. La carte touristique délivrée par le centre d’information touristique en témoigne clairement. Elle sépare nettement une partie gauche (la vieille ville, appelée aussi « Vieux Quartier » [Old Quarter] ou China Town) et une partie droite (la « Civic Area » avec les musées).
Nos observations successives, en 2011 et en 2013, ainsi que nos entretiens avec plusieurs acteurs du patrimoine comme des architectes, des guides, des muséographes des différentes communautés, nous ont permis de saisir les contours et les enjeux de cette tension. (Nous nous contenterons ici de synthétiser la question sans recourir in extenso à des extraits d’entrevues ou de citations d’acteurs locaux, qui seront réservés à une publication ultérieure plus ample.) Dans l’esprit des promoteurs gouvernementaux, la mise en valeur d’un tourisme davantage orienté sur la culture immatérielle des différentes communautés, notamment chinoise, qui prédomine au centre-ville, devrait atténuer les effets négatifs d’un tourisme qui frappe par ses cohortes incessantes de visiteurs. Ceux-ci se déversent quotidiennement dans la ville, principalement dans l’espace dédié aux nombreux musées publics qui valorisent essentiellement l’élément malais et islamique et menacent l’environnement patrimonial, voire « l’exceptionnalité » du site, un argument central dans la classification de l’UNESCO.
Enjeux du schéma de développement touristique de la ville de Malacca
Le point de référence de la politique patrimoniale et touristique de la ville de Malacca est le dossier d’inscription et les recommandations (émanant essentiellement de l’ICOMOS) qui s’y trouvent[7]. Le schéma de développement touristique de la ville est construit, comme on l’a dit, sur une stricte distinction entre les deux zones touristiques mentionnées : la « Civic Area », ou l’espace muséal regroupant plus d’une dizaine de musées fermés, et le « Vieux Quartier », l’espace où s’exprime le plus la culture immatérielle des différentes communautés composant la ville. Grâce à ses apports financiers, la « Civic Area » permet d’entretenir les ressources culturelles et patrimoniales de la vieille ville. Elle constitue de ce fait un moyen efficace pour revitaliser le « centre historique ». Autrement dit, s’il ne s’agit pas de remettre en question ce tourisme-là, il est question de préserver, et cela de façon urgente, la « vieille ville » et d’en régénérer l’identité locale qui est menacée par plusieurs facteurs comme la dépopulation, la gentrification, la marchandisation, la perte d’authenticité, les difficultés de mobilité, les déficits au niveau de la règlementation sur les bâtiments, les menaces sur la culture vivante, etc. (Forum on Shared Built Heritage City of Melaka 2004[8] ; Chin et Jorge 2006).
Concrètement, du côté du « Vieux Quartier », il est question de préserver le centre historique, de diminuer la pression du tourisme sur ce quartier et d’inciter ainsi les anciens habitants à réinvestir les lieux ou d’encourager de nouveaux résidents (notamment artisans et artistes) à s’y établir. Du côté de la « Civic Area », il s’agit d’aménager l’espace de sorte à créer un « parc à thème patrimonial » [Heritage Theme Park] visant à mieux répondre aux attentes des touristes en matière patrimoniale, ainsi qu’à canaliser le flux en augmentation constante des visiteurs en provenance notamment des deux grandes métropoles de Singapour et de Kuala Lumpur.
En vue d’une gestion harmonieuse entre patrimoine, culture immatérielle et musées, l’idée a germé de promouvoir une vision commune entre les acteurs impliqués dans les différents secteurs. Parmi ceux-ci, on trouve d’abord les gestionnaires des ressources patrimoniales comme l’État et la ville de Malacca pour le secteur public (par exemple State of Melaka Tourist Promotional Unit), le « Badan Warisan » (Malaysia Heritage Trust), une ONG nationale fort active dans la préservation du patrimoine architectural en Malaisie, ou encore les programmes académiques de gestion du tourisme (Universiti Teknologi Mara, Alor Gajah Branch). Suivent l’industrie du tourisme, comprenant les hôteliers, les guides et les agences de voyage, et les autres secteurs économiques concernés, comme les entreprises et les bureaux d’architectes. Enfin, les résidents locaux sont impliqués à travers les associations de mosquées et de temples, les ONG locales comme le Mekala Heritage Trust (MHT), les associations d’artisans et de commerçants, ou encore les musées privés.
Dans cette mobilisation générale pour la promotion d’un tourisme orienté sur la culture immatérielle, deux catégories d’acteurs sont particulièrement ciblés : la population locale et les guides professionnels. Les habitants sont au coeur d’un schéma de développement qui cherche à encourager leur participation. Des « comités de résidents » sont mis sur pied afin de veiller à respecter la sensibilité de l’ensemble des habitants et à les impliquer dans les discussions et les prises de décision concernant la préservation et le dynamisme du quartier. Concrètement, il s’agit d’obtenir le consensus de tous les acteurs dans les processus de décision et d’éviter ainsi les vaines controverses sur la place publique, voire la perte de maîtrise du processus[9]. Il s’agit également d’impulser une nouvelle dynamique afin de revitaliser le tissu démographique urbain du Vieux quartier en favorisant l’installation ou le retour des artisans et des artistes qui investiraient les bâtiments abandonnés, ainsi que le développement de cafés et de boutiques hôtels tenus aussi bien par des Malaisiens que par des expatriés. Lors de notre dernier séjour en 2013, nous avons déjà observé un accroissement d’ateliers et de galeries appartenant à des artistes cosmopolites venus du Japon, de Corée, d’Asie du Sud-Est, du Proche-Orient et d’Europe. L’engagement de la population résidente est censé donner de la chair à l’offre touristique et produire l’authenticité recherchée.
Une formation continue est prévue à l’attention de la corporation des guides. Ces derniers sont, en effet, considérés comme des « passeurs de mémoire » (Ciarcia 2011) : ils doivent être capables d’interpréter l’histoire et le patrimoine de façon appropriée afin de ne pas « blesser » la sensibilité des communautés locales. À cet effet, un cycle de formation est dispensé une fois par mois. Sa structure recouvre les thèmes nécessaires à la compréhension du site : le rôle historique de chaque communauté dans la formation de l’État de Malacca ; le style de vie, la culture et les activités religieuses de chaque communauté ethnique ; le patrimoine architectural du vieux quartier ; les temples et cérémonies des lieux de culte ; enfin les indications sur la façon de se vêtir lors des visites des lieux sacrés. Un code éthique accompagne également cette formation. Les guides doivent d’abord rendre attractifs les circuits sur le site de l’UNESCO tout en respectant l’équilibre des cultures des communautés visitées, veiller ensuite à la bonne conduite du touriste lors des visites en respectant les recommandations énoncées dans la charte et enfin inciter les visiteurs à contribuer à l’économie locale en consommant, achetant et logeant « local ». Afin de protéger la profession, les guides indigènes bénéficient d’une priorité sur les guides extérieurs.
La nouvelle expertise des guides est censée assurer l’encadrement adéquat d’un touriste au profil idéal, qui s’intéresse au patrimoine immatériel, en fournissant à ce dernier l’information nécessaire et en lui apprenant à respecter et apprécier les diverses cultures locales qui forment le tissu multiculturel de Malacca. À cet effet sont créés des « centres d’interprétation » à base de storytelling [narration]. Le premier concerne le Vieux quartier et s’articule autour des notions de « tolérance » et d’« harmonie ». Les porteurs de ces centres sont des membres actifs des différentes communautés, installés dans leurs bâtiments religieux, commerciaux et artisanaux respectifs dans lesquels ils déploient leurs propres activités sociales, économiques et culturelles. Le second type de storytelling concerne la « Civic Area » et consiste à mettre en perspective l’histoire de Malacca et à l’exhiber dans les divers musées réservés à cet effet.
Le storytelling du « Vieux quartier » : une histoire de tolérance et d’harmonie
Commençons par le premier storytelling. Les parcours thématiques dans le Vieux quartier, qui correspond à la zone principale [core zone] de l’inscription sur la liste de l’UNESCO, permettent de construire et de diffuser l’histoire de Malacca auprès des touristes et de fournir en même temps un espace de réflexion et de convergence entre les résidents des différentes communautés. Le schéma insiste sur le caractère exceptionnel du patrimoine et de la culture de Malacca et sur l’harmonie et la tolérance entre les communautés, cela en accord avec les conventions de l’UNESCO de 1972 et de 2003. Ces deux caractéristiques ont été mises en exergue dans le projet soumis à l’agence culturelle internationale, conjointement avec la ville de George Town.
Les icônes emblématiques des différents centres interprétatifs des diverses communautés correspondent à des monuments soigneusement choisis, au titre de leur supposée représentativité (la question reste ouverte de savoir quels ont été les critères de sélection, nonobstant leur localisation sur « Harmony Street »)[10]. Elles sont au nombre de cinq. Le Temple du Nuage Vert (temple Cheng Hoon Teng) est le premier temple de la communauté chinoise sur la péninsule de Malaisie. Construit entre 1632 et 1677, il a également servi de bureau administratif et juridique au capitaine Cina, représentant de l’enclave chinoise sous l’occupation coloniale. Viennent ensuite deux mosquées construites au XVIIIe siècle avec des minarets en forme de pagode chinoise : la mosquée Hulu, édifiée en 1728, qui rassemble la communauté malaise de Malacca, et celle de Kampung Kling, bâtie en 1748, qui accueille les musulmans indiens. Le Sri Poyatha Moorthi est le plus ancien temple hindou de Malaisie, construit en 1781 par la communauté Chitty venue du Tamil Nadu. Enfin, le Chong Hoe Hotel, une ancienne maison commerciale [shop house] transformée en pension de famille [guesthouse], est censé représenter l’influence des Eurasiens et des Portugais à Malacca.
Des circuits [trails] sont organisés pour relier entre elles ces icônes. Il s’agit principalement de deux parcours thématiques multiethniques et multiconfessionnels synthétisant l’esprit multiculturel du lieu : le parcours de « Harmony Street » qui permet de voir les différents lieux de culte des différentes communautés situés sur la même rue, et celui de « l’artisanat en danger » [Endangered handcrafts[11]], situé dans son prolongement, qui permet de visiter et d’observer divers artisans travaillant le métal, le papier, le cuir, le tissu, la vannerie, etc., localisés dans le même périmètre. Ces deux circuits se complètent d’autres lieux propices à l’élargissement du champ de visites et à la multiplication des découvertes patrimoniales des différents groupes dans l’espace circonscrit. À l’intérieur de la zone principale, on trouve le Baba Nyonya Heritage[12] et le Cheng Ho Museum[13], deux musées privés qui confèrent une visibilité à la richesse et la diversité de la communauté chinoise installée depuis longtemps, au moins depuis le XVe siècle, dans la péninsule malaise (Levathes 1997) ; ainsi que les mausolées des guerriers Hang Jebat et Hang Kasturi, morts en héros lors du premier sultanat de Malacca, au début du XVe siècle, dont les tombes valorisent l’ancienneté et la qualité de la communauté malaise. Dans la zone tampon [buffer zone] ou à proximité, on trouve le Kampung Morten, ancien village malais récemment reconstruit, situé dans les méandres de la rivière Melaka que le touriste peut admirer depuis les bateaux de croisière, et dont il peut visiter les petits musées vivants comme la Villa Sentosa, représentant la modernité malaise de la fin du XIXe et du début du XXe siècles incarnée dans la figure de son propriétaire, un réformateur qui défendait l’éducation et le progrès pour les Malais ; les églises chrétiennes comme celles de St-Paul Hill remontant à l’époque portugaise, au début du XVIe siècle (1511) – et dont le village portugais, Medan portugis, situé hors de la zone urbaine centrale et ouvert à la visite, rappelle cette ancienne présence à Malacca –, et de Christ Church, datant de l’époque hollandaise, soit le milieu du XVIIe siècle (1641). Les deux édifices religieux témoignent de la place de la communauté eurasienne à Malacca. Enfin, plus loin encore, il y a le village Chitty et le musée qui le côtoie immédiatement pour marquer la présence historique d’une partie de la communauté indienne, par ailleurs peu représentée et peu visible sur le plan politique et patrimonial, à l’inverse des deux autres principales communautés.
À travers les circuits proposés [trails], il s’agit pour le touriste de prendre contact avec la diversité des groupes, de vivre et de ressentir l’harmonie qui les caractérise. Le but pédagogique en est la transmission de l’histoire, des valeurs et de la culture de ces communautés, à travers les passeurs culturels que sont les guides ou les personnels des temples. Le visiteur est invité à découvrir la « culture immatérielle » locale : aller voir et vivre comme des Chinois, des Peranakan ou Straits Chinese (Chinois des Détroits), des Malais, des Chitty ; expérimenter la culture vivante ; observer et apprécier la coexistence des religions et des traditions dans les lieux de cultes investis soit au quotidien, soit lors des fêtes et des festivals (Mouloud musulman, Nouvel An chinois, Taipusan hindou).
En résumé, l’offre touristique de cette zone consiste à vivre au rythme d’une ville « à portée de main », que l’on parcourt à pied et en quelques heures et où l’on prend plaisir à séjourner dans des hôtels appelés fréquemment, depuis l’inscription sur le site de l’UNESCO, heritage boutique hotels, dont la particularité est de se situer dans un environnement patrimonial avec des propositions d’activités de découverte de la diversité culturelle. Cette offre touristique est celle d’une ville « authentique » qui offre un certain savoir-vivre (nourriture, temples, associations de clans, artisanat et arts, cérémonies du thé, etc.) et des services (vêtements à la mode, magasins de souvenirs et d’accessoires, galeries touristiques, magasins d’antiquités, agences de voyage, spas, massages, marchés nocturnes, etc.). Dans ce lieu, le visiteur peut aisément se détendre et prendre du bon temps (boire une bière ou un thé, écouter des concerts, flâner dans les galeries d’art), fréquenter des musées vivants et interactifs, comme ceux de Cheng Ho ou des Peranakan[14], déjà mentionnés. Il peut également se promener à pied ou en bateau le long de la rivière Malacca qui prolonge la découverte de China Town par celle des autres villages ethniques déjà cités.
Le storytelling de la Civic Area ou le «Melaka Story» (l’histoire de Melaka)
La « Civic Area » a également son propre storytelling. Tout en continuant à valoriser la diversité des communautés, celui-ci insiste par-dessus tout sur la « grande histoire », telle qu’elle est surtout perçue du côté malais et plus précisément de la représentation officielle de l’État de Malacca. Cette histoire s’articule autour du sultanat malais, ancêtre de l’actuelle Malaisie, de la succession des différentes influences coloniales (portugaise, hollandaise et britannique), de l’accès à l’indépendance (Merdeka en malais) en 1957, enfin de l’importance historique du port de Malacca sur la « route des épices »[15]. À cet effet, il existe un projet d’élargir l’espace de la « Civic Area » au bord de la rivière et de sa marina, notamment à travers quelques autres lieux de mémoire, comme le Musée des douanes ou l’excavation du bastion Middleburg, datant de la période hollandaise. La « zone des musées » [Museum Area] jouxte les grandes surfaces commerciales et de loisirs (cinémas, boutiques et enseignes vestimentaires, fast-foods internationaux comme Starbuck et McDonald’s, etc.) qui sont très prisés autant de la population locale que des touristes de passage, ce qui renforce son attractivité.
Ce storytelling se traduit essentiellement par de nombreux musées publics et d’imposants monuments et bâtiments historiques : le Stadthuys (de construction hollandaise et actuel musée d’histoire et d’ethnographie) insiste sur le caractère multiculturel de la ville, notamment par des mises en scène réalistes de la vie quotidienne des différentes communautés, tout en en privilégiant la dimension malaise ; le Department of Museum Building, connu sous le nom de Museum and Antiquities Department, situé dans une ancienne maison de la Compagnie hollandaise des Indes orientales ; la Porta A Famosa, aussi appelée « Santiago Gate » (ruine du fort portugais) ; les églises déjà citées, St-Paul Church d’époque portugaise, et Christ Church d’époque hollandaise, et l’église Saint-François-Xavier datant, elle, de 1856, de l’époque des Britanniques qui ont pris la ville de Malacca aux Hollandais en 1824 ; les restes des remparts de la ville coloniale ; la fontaine de la reine Victoria, construite à l’époque britannique ; des mémoriaux et des musées qui marquent l’avènement de la Malaisie moderne (le mémorial de la Proclamation d’Indépendance de 1957 ; le Musée du Gouvernement démocratique ; le Musée de l’UMNO – parti malais majoritaire dans le pays, comme nous l’avons mentionné plus haut –, le Musée du Gouverneur). D’autres établissements insistent sur la forte empreinte de la civilisation malaise à Malacca, comme la réplique du Palais du Sultanat malais[16], le musée de l’Islam (Islamic Museum), le musée du Monde malais et musulman (Malay and Islamic World Museum), le musée de la Marine (Maritime Museum) ou encore la roue hydraulique (Melaka Malays Sultanate Water Wheel).
Un circuit ou trail principal réunit ces différents musées et monuments. Il relie Christ Church, juste à côté de la rivière Malacca et point de départ de l’excursion touristique, à St-Paul Hill, à mi-parcours, et, au-delà de la colline, aux différents édifices malais. Un tel circuit permet non seulement d’effectuer une visite complète des institutions muséales et mémorielles, mais également de jouir, depuis le sommet de la colline, d’une vue d’ensemble sur tout le site de la zone inscrite sur la liste de l’UNESCO, ainsi que sur la ville moderne de Malacca.
En résumé, l’offre touristique de cette zone permet au touriste de se pencher sur l’histoire « multiséculaire » de Malacca ; de découvrir les « us et coutumes » des différents groupes avec, toutefois, comme on l’a déjà dit, un accent sur l’apport malais ; enfin de s’instruire à travers les nombreux musées thématiques (éducation, littérature, démocratie, philatélie, islam, Coran, commerce, transports, armée, monde maritime). Cette offre transmet des connaissances selon un dispositif muséal des plus classiques et des plus formels, surtout axé sur la vision et la lecture avec très peu d’interactivité. Elle sied à un tourisme rapide et non flâneur. Une tension préside au tour organisé, qui est strictement fléché et minuté. Les touristes, en effet, débarquent en groupe d’autobus provenant directement soit des grandes métropoles, soit des hôtels de la périphérie de Malacca, le séjour moyen dans la ville variant entre un et deux jours.
Les paradoxes du tourisme à Malacca
À la suite de cette brève description du rapport entre tourisme et patrimoine à Malacca, nous pouvons relever au moins trois paradoxes relatifs à cette question, notamment lorsqu’il s’agit de promouvoir un tourisme à même de préserver la culture vivante des communautés locales.
Le premier paradoxe concerne justement le souci de revitaliser le tissu social du « Vieux quartier » et d’offrir en même temps aux touristes une culture vivante « authentique », à l’instar de celle qui prédomine à George Town. L’idéal d’« authenticité », renforcé par l’inscription sur la liste de l’UNESCO, a pour conséquence dans la pratique que les résidents se plient eux-mêmes à cette exigence en « gentrifiant » une partie du patrimoine bâti (notamment par des boutiques hôtels, des galeries, des musées privés, des maisons de thé de luxe, etc.) et en commercialisant leurs productions culturelles et artisanales (les créateurs rendent leurs produits attractifs en fonction de la demande touristique). Ces deux processus s’accompagnent d’une mise en scène de l’ethos culturel projeté. Celle-ci est censée attirer et satisfaire les cinq sens (boire, goûter, sentir, voir, écouter) ; le touriste est d’ailleurs appelé à y participer activement, voire à contribuer à sa perpétuation. Un projet de développement en cours pourrait illustrer ce point : il s’agit d’une boutique hôtel peranakan dont les hôtes seraient appelés à vivre pendant leur séjour la vie luxueuse et oisive des riches membres de ce groupe qui ont fait la fortune et la célébrité de Malacca. Cette communauté, on l’a vu, a développé un art de vivre à la jonction du monde chinois, malais et occidental, notamment britannique. Autrement dit, le développement touristique induit des effets parfois contraires à la volonté et à l’esprit de préservation de la vieille ville, de son tissu social et de sa culture matérielle et immatérielle.
Le deuxième paradoxe a trait à l’homogénéité du « Vieux quartier » invoquée par le schéma de développement touristique de Malacca. En effet, cette homogénéité est contredite par la plus grande complexité du tissu social, culturel et économique de cet espace, car au moins trois niveaux se dégagent de ce tissu, chacun d’entre eux présentant une caractéristique principale qui induit des formes de tourisme différentes : le premier correspond à ce que l’on pourrait qualifier de tourisme d’élite, le deuxième de tourisme de masse, le troisième de « tourisme culturel au sens strict ».
Trois grandes artères correspondent à ces niveaux. La première, Heeren Street (Jalan Tun Tan Cheng Lok), est celle qui est la plus rénovée, donc la plus gentrifiée. On y trouve des maisons peranakan, devenues aujourd’hui des résidences secondaires, y compris pour des gens habitant à Singapour, des boutiques hôtels de luxe, des galeries d’art prisées ou des musées privés. Autrement dit, c’est une rue destinée à un tourisme cher qui n’est accessible qu’à une élite aussi bien nationale qu’internationale.
La seconde artère est celle de Jonker Street (Jalan Hang Jebat), qui se trouve dans le prolongement, après la traversée du pont, de la « Civic Area ». Cette disposition topographique facilite et concentre le flux des touristes provenant du quartier des Musées. Le touriste moyen, celui principalement des tour opérateurs, adapte sa visite en fonction du temps qui lui est imparti (quelques heures généralement). De ce fait, il accentue nécessairement son profil de touriste de masse en fréquentant la rue qui offre le plus d’activités de ce type, à savoir Jonker Street ou Jonker Walk (dont le nom souligne le caractère d’artère d’attraction), au coeur même du « Vieux quartier ». Les touristes viennent s’y restaurer dans les fast-foods locaux et y acheter des objets et souvenirs produits en série, bon marché et pour tous les goûts. Ici, on assiste à une déambulation en groupe et à une sorte de consommation compulsive, à des comportements uniformisés qui correspondent plutôt à un tourisme de masse, pratiqué essentiellement le jour. En revanche, à la tombée de la nuit, la dynamique de cet espace change. Il accueille les vendredi, samedi et dimanche un marché de nuit fort animé qui attire, bien sûr, les touristes, mais en petit nombre, mais surtout beaucoup de locaux, en écrasante majorité chinois, qui y déambulent, y consomment de la nourriture et des boissons, y dansent dans des locaux tenus par des associations communautaires, y regardent des spectacles chantés sur une grande scène ouverte à la jonction de Temple Street, qui est dans le prolongement extrême de Harmony Street.
La troisième artère est connue justement sous le nom de « Harmony street ». Elle est en fait constituée de trois parties : Blacksmith Street (Jin Tukang Besi) ; Goldsmith Street (Jin Tukang Emas) ; Temple Street (Jin Tokong). Sa particularité est avant tout d’être véritablement multiethnique. Elle est aussi très diversifiée au niveau des activités qui s’y déroulent. On y trouve des résidents des différents communautés, des artisans actifs pour la consommation locale – notamment pour les cérémonies religieuses et les besoins quotidiens, comme l’habillement ou la cuisine – dont les produits peuvent intéresser aussi les touristes, des restaurants populaires, des guesthouses fréquentées par les routards [les backpackers, ceux qui voyagent avec un sac à dos], des espaces religieux actifs malgré leur iconicité dans le storytelling (« harmonie et tolérance »). Ici, même s’il y a rénovation – essentiellement de temples chinois –, il n’y a pas ou peu de gentrification. Par ailleurs, et même si cela peut paraître paradoxal, c’est la rue la moins parcourue par les touristes, non seulement parce que le plus grand nombre de ceux qui voyagent en groupe préfèrent s’attarder, comme on l’a vu, à Jonker Street, mais aussi à cause de la rhétorique de la « Civic Area » qui donne nettement la préférence à une vision malaise de l’histoire de la ville de Malacca, incitant les touristes à s’y attarder plus particulièrement.
Enfin, le troisième paradoxe a un rapport avec l’idée même de « Harmony Street ». Contrairement à ce que prétend le schéma de développement touristique et l’argument d’inscription sur la liste de l’UNESCO, la mise en oeuvre de ce concept, promouvant la diversité et la coexistence des communautés, demeure de ce point de vue un exercice difficile, sinon un voeu pieux dans la pratique. On veut se conformer à l’idéologie officielle de la « Malaisie unie », mais dans la pratique on ne s’en donne pas véritablement les moyens, valorisant plutôt un point de vue malais sur la ville. De plus, ce concept d’harmonie ne tient pas compte de l’hétérogénéité du tissu communautaire, notamment de la forte population chinoise habitant le vieux quartier et l’animant en grande partie du point de vue des commerces et des activités culturelles, mais ne bénéficiant pas par ailleurs d’une reconnaissance symbolique suffisante, aussi bien en regard du rôle économique qu’elle joue que de l’importance de son rôle historique dans la ville[17]. Ceci est probablement l’une des raisons pour lesquelles on recourt peu à la dénomination de « China Town » pour désigner le « Vieux quartier ». Ce quartier, composé des trois principales artères décrites ci-dessus, est pourtant entièrement bâti sur le principe des shop houses, style d’architecture typique des Chinois des Détroits de Malacca associant sur deux étages activité professionnelle et lieu d’habitation. Les Chinois, mais également les Indiens, sont également en butte à des contraintes administratives liées à l’entretien du bâti qui se dégrade et au peu de soutien financier qu’ils peuvent espérer des autorités publiques. Tout ceci provoque des tensions et des conflits d’intérêts entre les différents acteurs du secteur touristique : les habitants dans leur diversité, les commerçants, les hôteliers, les agents de voyage, les galeristes, enfin les différentes autorités politiques et administratives en charge de la gestion de la ville et de l’État de Malacca.
Dans ces conditions, le tourisme de consommation rapide, orienté sur la « Civic Area » et parallèlement sur Jonker Street, ou Jonker Walk, semble avoir de beaux jours devant lui. Autrement dit, pour régler le problème, celui d’équilibrer le flux des touristes entre les différentes zones, une des solutions serait de contrôler le flux dans Jonker Street en introduisant une taxe d’entrée, comme cela est d’ailleurs envisagé dans le schéma de développement. Or, si cette artère est source de nuisance, elle rapporte en même temps les ressources financières dont la ville a besoin pour préserver le « Vieux Quartier », ce qui est là le dernier paradoxe du schéma de développement touristique à Malacca.
Appendices
Notes
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[1]
Voir le dossier de nomination (UNESCO 2009). La Malaisie possède actuellement quatre sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Deux sites naturels, les parcs nationaux de Kinabalu au Sabah et Gunung Mulu au Sarawak sur l’île de Bornéo, inscrits en 2000, et deux sites culturels sur la péninsule malaise, les villes historiques de Melaka et de George Town et le Patrimoine archéologique de la vallée de Lenggong, inscrits respectivement en 2008 et 2012. Les villes de Malacca et George Town ainsi que deux zones protégées, les parcs nationaux de Langkawi et de Taman Negara en raison de leur faune et de leur végétation, sont les lieux les plus visités dans la Malaisie occidentale par le tourisme national et international. Pour une perspective comparative des sites classés sur la liste du patrimoine mondial en Asie du Sud-Est, voir King 2013.
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[2]
Cette recherche, initiée en 2006 dans le cadre d’un troisième cycle d’ethnologie-anthropologie des universités romandes (Fribourg, Lausanne, Neuchâtel), a bénéficié des soutiens financiers de la CUSO (Commission universitaire de la Suisse occidentale). Elle a ensuite été poursuivie dans le cadre d’une collaboration entre le Laboratoire d’anthropologie culturelle et sociale (LACS) de l’Université de Lausanne et le Centre for Area and Cultural Studies (CACS) de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui ont contribué aux financements des séjours sur le terrain entre 2009 et 2013.
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[3]
Statistiques officielles de l’État de Malacca pour 2014. Pour une mise en perspective historique du développement touristique à Malacca, voir Cartier 1998.
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[4]
Le slogan « One Malaysia » promeut l’unité nationale, la tolérance ethnique pour un vivre ensemble harmonieux et un gouvernement efficace. Tout comme dans le précédent (« Wawasan 2020 » datant de 1991), les valeurs mises en évidence dans ce nouveau programme sont la persévérance, une culture d’excellence, l’acceptation de la différence, la loyauté, l’éducation, l’humilité, l’intégrité et la méritocratie.
- [5]
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[6]
http://heritagegeorgetown.blogspot.ch/2010/03/world-heritage-office-george-town.html
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[7]
Voir le dossier de nomination (Gouvernement de Malaisie 2008, en particulier l’annexe, Conservation Management Plan for the Historic City of Melaka : 70-89).
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[8]
Voir plus particulièrement la section « Findings of the Shared Built Heritage Forum » : 19-24.
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[9]
Informations recueillies auprès d’acteurs du patrimoine tels que guides, conservateurs de musée, galeristes, antiquaires, hôteliers, en janvier 2013.
-
[10]
Voir « Main Heritage Assets » dans Forum on Shared Built Heritage City of Melaka, Malaysia (2004 : 7-14).
-
[11]
Pour une présentation de l’artisanat en danger, voir Bin Haj Hashim 2002.
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[12]
Les Baba Nyonya sont les Peranakan, pour utiliser un terme équivalent, ou Chinois des Détroits. Cette communauté correspond aux Chinois installés depuis longtemps dans les villes du Détroit de Malacca et synthétisant les trois influences chinoises, européennes et malaises. Les Peranakan sont à l’origine d’une culture et d’un style de vie original cosmopolite, notamment à Malacca et à Singapour. Mais depuis l’indépendance, ce groupe a quasiment disparu ; ne demeurent que les traces de leur culture, notamment les shop houses colorées.
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[13]
Ce musée est essentiellement centré sur la figure emblématique de l’amiral Cheng Ho qui a séjourné à plusieurs reprises à Malacca, entre 1405 et 1433, à la tête d’une énorme flotte. Lors de ses périples maritimes ouvrant la Chine sur l’Asie du Sud-Est et plus loin sur l’Afrique, il a multiplié les reconnaissances de type astronomique, maritime, botanique et zoologique.
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[14]
Pour Cheng Ho, voir, par exemple, Tan 2009, et pour les Peranakan, Suryadinata 2010.
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[15]
Pour une mise en perspective de la représentation de l’héritage malaisien avec un accent sur le caractère malais à Malacca, voir Worden 2001 et 2010. Pour la route des épices, voir UNESCO, n.d.
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[16]
Le Malay Sultanate Palace est une pièce centrale dans la représentation malaise de Malacca puisque, par sa situation, son volume et son contenu (la mise en scène de l’histoire royale et de son ancienneté, des personnages officiels, des moeurs et coutumes, des productions artisanales et artistiques des Malais, etc.), il concentre le plus le regard et attire le plus les visteurs. Son propos est de faire le lien entre l’origine de l’histoire malaise et l’identité malaise et malaisienne contemporaine.
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[17]
Notons qu’il existe à Malacca un site appelé Bukit China (la « colline chinoise » en malais). Ce lieu exceptionnel abrite un très ancien cimetière chinois du XVIe siècle situé sur une colline à l’extérieur de la ville, et au pied duquel se trouve le temple de la Précieuse Colline (temple Poh San Teng) dédié à Tua Pek Kong (dieu gardien de la terre et des 12 500 tombes de la colline). Ce temple est lié au fameux amiral Chen Ho qui a escorté depuis la Chine la princesse chinoise Hang Li Po qui allait épouser le sultan malais de l’époque, Mansoor Shah. Considéré comme le plus grand cimetière de stèles funéraires hors de Chine, il attire de nombreux pèlerins, notamment depuis le continent chinois. Et pourtant, ce site n’est intégré dans un aucun circuit touristique, à cause probablement de son caractère de patrimoine chinois qui viendrait concurrencer la dimension patrimoniale malaise. Il a même failli être détruit en 1984 et ce n’est qu’après une vive campagne (« Save Bukit China ») qu’il a été préservé.
Références
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