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La recherche-action participative Grandir avec la nature en Lozère vise à étudier les pratiques pédagogiques d’« école dehors » au regard des effets sur les élèves en termes de stratégies didactiques, d’apprentissages disciplinaires et de développement des compétences psychosociales. Dix classes situées en zone hyper-rurale[1] ont participé au dispositif, pratiquant « l’école dehors » entre une demi-journée par semaine à une journée par mois selon les projets pédagogiques. La recherche s’est déroulée de juillet 2018 à juin 2022 avec l’engagement de neuf enseignantes et enseignants accompagnés de cinq éducateurs et éducatrices à l’environnement, que nous nommerons les pédagogues-chercheurs. Réunis au long d’un processus de quatre ans, ils ont été invités par deux accompagnateurs-chercheurs à tenir un journal de pratiques réflexives, à partager le fruit de leurs pensées, à cultiver leur réflexivité, à faire évoluer leurs pratiques et postures à la faveur des boucles de rétroaction mises en place, ainsi qu’à témoigner de l’évolution de leurs postures et pratiques pédagogiques. Ils ont ainsi œuvré à la définition de leur question de recherche et de leur dispositif pédagogique avant de co-analyser et co-interpréter les données collectées pendant 2 ans et demi (observations, entretiens collectifs de classe, entretiens individuels avec certains élèves, dessins explicités). Les pédagogues-chercheurs ont également participé à l’écriture en mettant à disposition des lecteurs leurs journaux de pratiques commentés. Ce faisant, ils ont découvert et documenté la pratique de l’« école dehors », alimentant la connaissance tout en ayant vécu un processus trans-formateur des élèves, d’eux-mêmes, conscientisant l’intérêt de prendre en compte l’écoformation dans les missions d’enseignement et d’éducation.

Rattachés à la recherche nationale du même nom, le collectif lozérien partage avec l’ensemble des territoires participants au programme, l’hypothèse selon laquelle le contact avec la nature et les pratiques d’éducation au sein de celle-ci sont indispensables au développement de la personne dans sa relation à elle-même, aux autres et au monde ; par ailleurs, pour qu’un processus d’écoformation puisse s’installer, il faut mobiliser, entre autres, des pratiques pédagogiques offrant une mise en relation sensible de l’élève avec la nature et un retour réflexif et dialogique de l’expérience. Dans cette perspective, la question suivante a été formulée collectivement laissant toute liberté à chacun d’investiguer plus particulièrement un aspect : « Quels sont les effets identifiables des différents paramètres : approches pédagogiques, forme de nature et durée de l’action sur le développement de l’enfant dans un contexte scolaire, et dans ses multiples dimensions (cognitive, affective, comportementale, existentielle) ? »

Les hypothèses formulées par le groupe Lozère reflètent la diversité des questionnements au niveau national. L’école dans la nature favoriserait le développement des capabilités personnelles comme la confiance et l’estime de soi, et des compétences psychosociales telles que la communication interpersonnelle, la coopération, la pensée critique et la créativité. Elle aurait un impact positif sur les apprentissages, pour leur contextualisation, améliorant la motricité, offrant une expérience vécue sensible capable d’enrichissement du langage, stimulant l’observation, la curiosité, suscitant l’envie d’apprendre et modifiant positivement la relation aux apprentissages des élèves, ayant un ou des effets rebonds sur les activités pédagogiques en salle. « L’école dehors » pourrait faire évoluer la perception et la représentation de la nature des élèves, donc leurs relations à celle-ci. Des stratégies pédagogiques spécifiques permettraient une prise en compte de la dimension écoformative dans les apprentissages.

Nous expliciterons ici en quoi la démarche mise en place en Lozère procède de la découverte de l’écoformation par les pédagogues-chercheurs et leurs élèves, et en quoi elle a généré et formalisé des connaissances, que nous présenterons, sur les pratiques et les postures pédagogiques ayant trait à cette école dehors émergente en France.

Justification sociale

Aux origines de la recherche-action

Le terme d’écologie prend sa source en 1866 avec le biologiste allemand Ernst Haeckel comme « la science des relations des organismes avec le monde environnant […], la science des conditions d’existence ». Dans le même pas de temps, des auteurs progressistes du XIXe à l’origine des diverses pensées socialistes contemporaines, déploient une écologie politique (Audier, 2017) dans leurs ouvrages. La documentation des pollutions liées à l’impact des activités de l’être humain prend son essor post-seconde guerre mondiale, au cours du XXe siècle, début de la phase toxique de l’histoire de la pollution (Jarrige et Le Roux, 2017). Des travaux d’écologues, de biologistes lanceurs d’alerte telle Rachel Carson[2], émergent une prise de conscience des citoyens et le développement d'une écologie politique qui se traduit par une volonté d'engagement en faveur de la préservation de la nature. L’avènement des parcs nationaux, régionaux, des réserves naturelles et des zones natura 2000, illustre les réponses politiques à ces nouveaux enjeux. Entre protection de l’environnement, sensibilisation et développement territorial, les modalités de gestion de ces espaces sont multiples, de la sanctuarisation au libre accès selon les cas. Dans le même temps, la population française de plus en plus urbaine est en demande d’espaces de loisirs et de nouveaux usages de la nature voient le jour, tel l’essor important des pratiques sportives et de loisirs de plein air.

Cependant certaines pratiques sociales d’interactions avec la nature décroissent depuis les années 1960 : en témoignent la baisse de la fréquentation des camps de vacances et des activités en pleine nature (Clech, 2020), et la diminution du nombre et de la durée des classes de découvertes (Pavy, 2004), amenant Robert Pyle à nous interpeller quant aux incidences de l’extinction de l’expérience de nature en 1978. La relation intime à la nature qui constitue une part de notre identité s’appauvrit par manque d’occasions de la vivre. L’identité environnementale de l’adulte est plus faible ; celui-ci l’intègre moins dans son quotidien (Prévot, 2015) et il est difficile à engager dans la préservation de l’environnement. L’amnésie environnementale générationnelle (Khan, 2002 ; Miller, 2005) explique que chaque génération jauge la dégradation de la nature à partir de l’état connu dans sa jeunesse, qui devient sa référence. L'incapacité des générations successives à se rendre compte de l'état de dégradation progressif des milieux fait que l’ampleur des pollutions et plus largement, des impacts anthropiques est relativisée, sous-estimée.

En parallèle au développement de la connaissance des impacts de la pollution sur l’environnement, le domaine de la santé étudie les impacts de la nature sur la santé et pose le contact avec la nature comme un besoin vital pour notre santé globale : physique, mentale et sociale (Frumkin, 2001 ; Tzoulas et coll., 2007). Richard Louv, journaliste, compile ces études et suggère le concept de « syndrome de manque de nature » (Louv, 2005) pour décrire les troubles relatifs au manque de contacts avec cette dernière. Si les réponses politiques aux enjeux de préservation écologique sont timides, ces études ont un fort écho médiatique et l’appât d’une santé de qualité pousse une partie de la population à s’y intéresser.

La santé-environnement en France est un jeune domaine, impulsé par le premier Plan National Santé Environnement (PNSE1 – 2004-2008) (Sauvant-Rochat et coll., 2017). En santé publique, le terme d’environnement regroupe les facteurs pathogènes externes biologiques- auxquels l’individu est exposé de façon volontaire ou non -, sociaux et économiques, les deux derniers pouvant conduire à des niveaux différents d’exposition aux facteurs chimiques, biologiques ou physiques (Ibid.). Or cette approche est principalement tournée vers les risques liés à la nature pour les humains. De nombreuses thématiques apparaissent (qualités de l’air, de l’eau, exposition au radon, arthropodes à risques sanitaires, plantes invasives et/ou allergisantes…), où l’environnement devient le lieu de tous les dangers, légitimant le déclin de certaines pratiques de nature auprès du grand public. Ces dernières années, la santé-environnement publique s’ouvre aux bienfaits de la nature pour l’humain.

Dans le secteur de l’éducation à l’environnement, au-delà des dérives idéologiques du développement durable (Bader et Sauvé, 2011), des professionnels constatent que ce concept et ses thématiques afférentes (énergies, mobilité, alimentation…) ont transformé les pratiques professionnelles, éloignant encore un peu plus les publics du contact avec la nature. En 2008, des adhérents du REN (Réseau École et nature, devenu le FRENE en 2021) se mobilisent et créent la Dynamique Sortir[3]. Elle regroupe principalement des éducateurs à l’environnement, d’activités physiques de pleine nature, des animateurs d’espaces naturels protégés et des enseignants et conseillers pédagogiques de l’Éducation nationale. Elle poursuit quatre objectifs : I. Valoriser les richesses pédagogiques de l’éducation dehors ; II. Mettre en synergie les acteurs de l’éducation dehors ; III. Défendre l’éducation dehors comme enjeu de santé publique ; IV. Permettre l’accès pour tous à l’éducation dehors.

Les rencontres annuelles du réseau Sortir rassemblent une centaine de personnes chaque année, et sont l’occasion pour les participants d’explorer leur propre rapport à la nature et d’échanger leurs pratiques via des activités d’immersion thématique d’une journée et demie qui débutent chaque session. Des ateliers dont les thèmes sont choisis collectivement (réglementation, formations, éducation populaire, enseignement, santé, ...) fournissent un travail sur trois jours qui est restitué au collectif. En fin de semaine, les priorités de l’année et à plus long terme sont arrêtées par le groupe. De nombreuses actions sont nées de ces ateliers tels les Coins nature, une conférence théâtralisée sur le syndrome de manque de nature ou des guides pour des praticiens comprenant des trucs et astuces de la vie collective en plein air, destinés aux formateurs aux Brevets d’Aptitude à la Fonction d’Animateur (BAFA/BAFD) et à la Fonction de Directeur. Chaque rencontre est l’occasion de nourrir les réflexions par des apports de chercheurs ou experts de domaines tels que la psychologie, la sociologie, l’écologie, la communication et autres.

En 2016, la Dynamique Sortir fait le constat que la recherche en sciences de l’éducation se préoccupe peu de cet objet qu’est le rapport à la nature. Alors que les éducateurs développent intuitivement des stratégies et des pratiques pédagogiques qui cherchent à favoriser une relation humain-nature sensible, positive ; des questions émergent qui cherchent des réponses quant à leur efficience. Quelles pratiques pédagogiques favorisent la relation humain-nature ? Quelles compétences transversales sont réellement développées ? Comment ? Comment les enseignements disciplinaires peuvent-ils en bénéficier ? Quel(s) type(s) de nature ? Quelle régularité, durée ? …

Ainsi naît l’idée de développer une recherche-action adoptant un processus participatif dans la lignée des valeurs portées par le réseau. Celle-ci se fonde sur l’idée que l’interaction avec la nature implique une contextualisation et offre une source pertinente d’apprentissages formels et informels, de même que la possibilité de travailler l’identité écologique des élèves, leur permettant de conscientiser les liens d’interdépendance entre soi, les autres et le monde, et de prendre pleinement leur place dans l’écosystème planétaire. Les approches sensorielle, sensible, dialogique, symbolique sont pressenties comme des pratiques pertinentes pouvant alimenter un processus d’écoformation.

Un ancrage théorique pluridisciplinaire en sciences humaines

L’épistémologie de l’écoformation comme cadre de compréhension et la phénoménologie comme approche

Les travaux de Dominique Cottereau, où l’engagement du corps est le premier médiateur avec l’environnement (Cottereau, 2012), ont fortement contribué à l’intérêt du monde de l’éducation à l’environnement français pour l’écoformation. Inspiré par Rousseau, qui présente la nature, les hommes et les choses comme « les trois maîtres de l’éducation » (Rousseau, 1762), Gaston Pineau a formulé la théorie tripolaire de la formation où l’écoformation interagit avec l’auto et la socioformation dans le processus de mise en forme de l’individu (Pineau, 1991). La formation est considérée ici comme un « processus vital et permanent de mise en forme de la personne par ses interactions entre soi (auto), les autres (socio) et le monde (éco) » (Galvani, 2020). L’expérience est au cœur des apprentissages. L’autoformation implique une réflexivité de la personne quant à son expérience. La socioformation est le processus de formation par l’interaction sociale et culturelle, et l’écoformation se fait en interaction avec les milieux de vie, impactant les niveaux sensori-moteur, imaginaire et cognitif de l’individu. Le processus d’écoformation transforme nos rapports aux autres, au monde et à nous-mêmes. Pour être effective, l’écoformation nécessite la prise de conscience par la personne des dynamiques formatrices en jeu dans ses relations écologiques (Cottereau, 2017).

Les professionnels de l’éducation à l’environnement ont trouvé ici un paradigme pouvant expliciter ce qui se joue quand ils emmènent des publics en nature, un cadre pour comprendre et évaluer leurs expérimentations. Ils intègrent de nouvelles pratiques d’immersion, cherchant à relier, « à connecter » les participants avec la nature, à leur faire vivre des émotions positives en son sein pour un éveil de leurs attitudes pro-environnementales (Müller et coll., 2009).

Les compétences psycho-sociales, un cadre réducteur : vers des capabilités écopsychosociales ?

Le milieu de l’éducation à l’environnement, situé dans le champ de l’éducation non formelle, est un des espaces de développement des compétences psychosociales de la personne. Introduite en 1994 par l’Organisation Mondiale de la Santé (World Health Organization, 1994) elles se définissent comme la capacité d'une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux défis de la vie quotidienne par la mobilisation d’un ensemble de ressources pertinentes dans une situation précise. Elles sont classées en trois grands domaines de compétences : sociales (savoir communiquer, avoir de l’empathie pour les autres), émotionnelles (gérer son stress, ses émotions) et cognitives (résoudre des problèmes, prendre des décisions, être critique, être créatif). Inscrites dans les programmes scolaires depuis 2013 par l’Éducation nationale, elles sont intégrées dans le socle commun des connaissances en 2015 (ministère de l’Éducation nationale, 2015), prenant notamment en compte l’importance des émotions dans les apprentissages dans le but d’allier bien-être et réussite scolaire. Cependant, fortement mobilisées dans le monde de l’entreprise, l’assujettissement des compétences psychosociales au seul bénéfice économique fait craindre une dérive capitaliste au détriment du projet émancipateur de l’individu. D’autre part, dans un contexte de crise écologique, elles ne font pas le lien entre bien-être des personnes et celui des écosystèmes (Bischoff, 2022), qui sont pourtant indissociables.

La psychosociologie, en tant que discipline qui porte autant sur les pratiques d’intervention que sur la recherche, nous a inspirés par sa visée interdisciplinaire, son intérêt pour les rapports entre l’individu et le collectif, et son approche phénoménologique des relations où le chercheur est impliqué dans son étude.

Partant de ces constats, Orane Bischoff propose, dès lors, l’émergence de capabilités écopsychosociales qui allieraient la prise en compte à la fois du rapport à soi, aux autres et au monde dans les curriculums (Bischoff, 2022).

Contexte de la recherche

Nous avons adopté un processus de recherche participatif, légitimité des questions explorées et garantie de l’appropriation par les acteurs

À l’échelle nationale, les intentions des membres du comité de pilotage se situaient entre recherche, recherche-action et action. Le processus devait s’inscrire dans l’optique de participer au développement d’une science par et avec les citoyens, de comprendre les rouages d’un enseignement et d’une éducation dehors pertinents et efficients, et d’agir en réflexivité. Il était essentiel d’être tout à la fois attentifs au fond et à la forme, dans une visée émancipatrice de l’individu par le faire ensemble.

Cette recherche a été ancrée dans une démarche participative dans l’objectif d’établir un partenariat apprenant d’éducation et de recherche (Zwang et coll., 2022). Plusieurs raisons doivent être ici évoquées. En premier lieu, la culture de travail du FRENE forgée par sa proximité avec l’éducation populaire, relève, comme beaucoup de réseaux d’éducation à l’environnement et à la nature, de la participation active (Thibault et coll., 2000) des acteurs. Parmi les méthodes et démarches utilisées, le travail inductif des acteurs fait émerger des questions des praticiens, directement en prise avec leurs expériences de terrain. D’autre part, la participation des pédagogues à l’ensemble du processus offre non seulement une réflexion collective autour des pratiques, mais elle permet également d’examiner leurs capacités à pouvoir parler des résultats dans leur entourage, à communiquer et partager leurs expériences. Nous souhaitions la constitution d’un chercheur collectif au sens de René Barbier où « le chercheur agit dans le groupe et est agi par le groupe » (Barbier, 1996). Le comité de pilotage avait pour seule vocation d’accompagner, de rassembler et d’organiser la matière, d’animer le processus de recherche-action et garantir la participation de toutes et tous à chaque étape.

Méthodologie

Cadrage et outillage à l’échelle nationale : garantir un processus de recherche et révéler les communs

Pour sa mission d’accompagnement du chercheur collectif, le comité de pilotage a suggéré comme cadre de travail le triptyque : espaces de pratique, pratiques pédagogiques, effets sur les élèves. À partir de ces éléments, les pédagogues-chercheurs (enseignant.es et éducateur.trices à l’environnement) ont été invités à faire émerger individuellement leurs questionnements, puis avec la technique d’animation de la boule de neige, les ont partagés pour co-construire la problématique de recherche-action lors du séminaire de lancement, et notamment la question de recherche commune (telle qu’évoquée en introduction).

Devant la diversité des effets à documenter pour lesquels des centralités se dessinaient et le nombre de projets qui s’annonçaient, le comité de pilotage a proposé de réaliser une analyse au niveau national à partir des éléments du triptyque, agrégeant les résultats des études locales et les complétant par des données collectées à l’échelle globale (typologies des espaces de nature et des approches mobilisées ainsi que leurs agencements dans les séances) (Zwang et coll., à paraître). Ainsi, il y aurait des résultats de recherche locaux et nationaux.

Suite au premier séminaire, chaque participant.e a défini librement son projet pédagogique et de recherche-action à partir de la problématique, en précisant les différents éléments de son triptyque. Au-delà de l’aide méthodologique à l’avancée des projets locaux par des techniques d’animation qui permettent à chacun de bénéficier du retour réflexif du collectif, les séminaires suivants (2 en présence et 3 à distance), ont été concentrés sur la construction des outils pour évaluer les liens interactifs entre les éléments du triptyque. L’élaboration d’un lexique des principaux mots englobants utilisés (pédagogie, stratégie, méthode/démarche, approche, pratique, geste, posture), avec des définitions amenées par chacun et discutées collectivement en plusieurs étapes, a été le socle d’un langage commun sur lequel s’appuyer dans la recherche. La notion d’approche a été considérée comme l’intention centrée sur ce que fait l’élève. Chaque approche correspond à la fois à un choix de forme d’intervention pédagogique et répond à un (ou parfois à plusieurs) objectif(s) éducatif(s). Les échanges de pratiques ont abouti à la formalisation d’une nomenclature des différentes approches mobilisées (discursive, sensorielle, personnelle, par la liberté, la verbalisation, le questionnement et la curiosité, l’enquête, l’imaginaire, la coopération, le rituel, et le corps en mouvement), en en définissant les contours et les composantes saillantes. Certaines approches peuvent paraître proximales, mais les nombreuses discussions ont amené à les distinguer en raison des intentions pédagogiques qui président à leurs utilisations. Les espaces de pratique de « l’école dehors » ont également été caractérisés à l’aide d’un outil spécifique sous la forme d’un diagramme de Kiviat, assorti d’une description du lieu et d’une photo.

Par la création et la mise en œuvre de tels outils, et l’analyse des données ainsi collectées, il s’agissait de pouvoir croiser les éléments du triptyque issus des expériences de chaque classe ; ici, l’échelle nationale semble plus pertinente pour voir se dessiner une tendance. La complémentarité des résultats aux niveaux local et national se joue donc sur des paramètres et des échelles différentes. Tandis que les projets locaux ont particulièrement documenté les changements de posture, les stratégies, les gestes pédagogiques et leurs effets, la production nationale se situe à un méta-niveau. Elle a permis de caractériser les approches et les espaces mobilisés dans les intentions et les pratiques d’écoformation en milieu scolaire, en sus d’avoir confirmé un certain nombre des affirmations mises en avant dans les territoires concernant les nouvelles postures et pratiques des pédagogues et leurs effets sur les élèves.

Une recherche dans une recherche

En janvier 2018, un appel à manifestation d’intérêt est lancé auprès des écoles primaires du département et des adhérents du RéeL-CPIE de Lozère. Dix-huit enseignant.es et dix éducateurs et éducatrices à l’environnement répondent dont cinq enseignant.e.s et trois éducateur.ices qui participent au séminaire de lancement en juillet 2018.

Au final, dix classes d’établissements publics du bassin de vie de Florac ont été accompagnées sur quatre ans par 9 enseignant.e.s et 5 éducateur.ices à l’environnement pour expérimenter «  l’école dehors  » (Tableau 1). Un peu plus de cent cinquante élèves ont fait classe dehors (voir le nombre d’élèves participant la première année dans le tableau suivant). À part quelques rares changements en cours d’année, les enfants étaient quasiment les mêmes d’une année à l’autre, excepté pour une enseignante qui a changé d’école la deuxième année et une classe à niveau unique. En effet, en contexte rural et montagnard, les classes sont souvent multi-niveaux ; la plupart regroupent l’ensemble des niveaux liés soit à la maternelle, soit à l’élémentaire. Tous les cycles de l’école primaire sont représentés. Cinq des espaces de pratiques de « l’école dehors » sont des vergers, quatre des jardins pédagogiques. A noter la proximité de rivières pour cinq d’entre eux.

Tableau 1

Classes engagées, rythmes de sortie et espaces de nature investis[4]

Classes engagées, rythmes de sortie et espaces de nature investis4

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L’accompagnement d’une classe est organisé sous forme de binômes enseignant.es et éducateur.rices à l’environnement. Les missions de ces derniers consistaient en l’aide à la définition et la mise en œuvre des projets pédagogique et de recherche de la classe, à la collecte, à la mise en forme et l’analyse des données, et à la formalisation par écrit des résultats obtenus. Un autre rôle consistait à aider l’enseignant.e à prendre du recul sur les dispositifs mis en place et à expliciter les situations vécues. Dans une perspective d’enrichissement et d’hybridation des pratiques, les éducateur.rices ont également animé des activités d’éducation à l’environnement, et d’autres favorisant un lien sensible, émotionnel avec la nature.

Une première rencontre en décembre 2018 permet de faire connaissance, de partager d’une part, la genèse de la recherche, son organisation, son objet et le vécu du séminaire national, et d’autre part, d’échanger sur les contextes, les représentations de la recherche-action et de « l’école dehors », les expériences, les questions pédagogiques, éducatives, institutionnelles que chacun.e se pose, tant sur l’objet que sur les besoins méthodologiques de la recherche. La rencontre est animée avec des outils qui mettent chacun en mouvement physiquement et mentalement, et qui offrent la possibilité d’interagir. Une première bibliographie est mise à disposition, qui sera enrichie par toutes et tous au fil des rencontres. Chacun repart avec pour consignes de réfléchir et formaliser le projet pédagogique et de recherche de la classe qu’il accompagne d’ici la prochaine rencontre.

Entre journal de bord et analyse des moments de réussite, des outils pour amener chacun.e à identifier une donnée potentielle

En avril 2018, après une mise en commun des projets, une proposition de cadre théorique et d’outils de collecte de données par les deux accompagnateurs méthodologiques à la recherche (Pascal Galvani et Marie-Laure Girault) est discutée et adoptée. Deux types de données seront à croiser : d’une part, celles qui se centrent sur l’enseignant : son ressenti, les pratiques pédagogiques de médiation entre l'enfant et la nature et les dispositifs ; et d’autre part, celles qui se focalisent sur les effets produits sur les élèves à partir de leur perception et de leur vécu. L’outil proposé est le journal de bord, ou journal de pratique réflexive, couplé avec un processus d’émergence des gestes opportuns et décisifs réalisés au bon moment, l’atelier des kaïros (Galvani, 2020).

Outre date, lieu et durée, le journal comprend les pratiques pédagogiques, les questionnements du pédagogue, le dispositif de médiation enfant-nature, son évolution, la raison du changement, la description du lieu et du milieu, la météo, la surprise du jour, les observations sur les relations enfants-nature, le meilleur moment du jour, les difficultés, les retours spontanés d’élèves... Il est assorti d’outils de recueil du point de vue des élèves sur la séance, tels que les cercles de parole, l’écriture d’un texte ou le partage à l’oral du meilleur ou mauvais moment, une description phénoménologique, la symbolisation par le dessin explicité (ou autre activité). Certains pédagogues-chercheurs ont enregistré les discussions et les explicitations des élèves en groupe classe, voire ont procédé à des entretiens individuels avec certains d’entre eux ; d’autres ont pris des notes de ces paroles d’élèves. Quelques-uns ont sollicité, sans grand succès, les parents afin de recueillir leur point de vue.

Les postures et activités demandées par le processus de recherche aux membres du groupe diffèrent de celles qui sont habituellement adoptées et effectuées par les pédagogues, changement renforcé par un sentiment de ne pas savoir faire. Aussi ont-ils éprouvé une difficulté à identifier dans leurs journaux ce qui pouvait constituer des points d’attention en lien avec leur objet de recherche. Si la lecture partagée des journaux bruts a aidé par le regard extérieur, en particulier lorsque les situations et constats résonnaient avec ce que les auditeurs vivaient au sein de leur expérience propre, elle a contribué au repérage de ce qui était saillant et à leur catégorisation. Cependant c’est l’atelier des kaïros qui a permis de s’affranchir définitivement de cette difficulté. Faire le bon geste au bon moment, saisir l’instant décisif où un geste juste détermine la réussite, l’atteinte de l’objectif. Il s’agit avec l’atelier des kaïros de révéler l’intelligence de l’agir des praticiens souvent incorporée et semi-consciente, de rendre visible le savoir en action des pédagogues pour qu’ils le conscientisent et puissent en faire une description phénoménologique comprenant non seulement les gestes, les actions, mais aussi les émotions, les pensées, et les perceptions qui les traversent. Une fois décrits, les kaïros de chacun.e sont co-interprétés par une mise en dialogue collective, dans une intention compréhensive et de formalisation des apprentissages (Galvani 2020).

Le processus d’auto-formation au sein du collectif à partir de l’évolution en trois étapes du journal de pratique (brut, élaboré, commenté) emprunte à la méthode de la recherche-formation expérientielle (Galvani 2022). Au total, en Lozère, seize rencontres ont été l’opportunité d’impulser des boucles de rétro-actions entre théorisation et expérimentation, les pédagogues-chercheurs réinvestissant dans leurs pratiques les acquis émergents des réflexions collectives, en affinant à chaque aller-retour leurs conditions de mise en œuvre optimale. La formalisation des résultats présentés ici est l’aboutissement de ce processus réflexif. Pour clôturer l’analyse des boucles de rétro-actions, chacun a rédigé une demi-page de bilan sur ce que le processus de recherche a généré à un niveau personnel et comme changement dans ses pratiques pédagogiques.

Résultats : une expérience trans-formatrice des adultes et des élèves

Les résultats de l’analyse croisée collective des journaux commentés des praticiens peuvent se présenter sur deux axes : les postures, pratiques et gestes des pédagogues, et leurs effets sur les élèves selon les trois grands pôles de la formation : l’auto, le socio et l’écoformation. Gestes et effets sont liés et ont été analysés dans une approche systémique. Aussi, ce cloisonnement artificiel pour les besoins de la présentation n’exclut pas la mise en relation des effets induits sur les élèves avec les pratiques décrites des pédagogues. Nous les exposerons avec un centre d'intérêt et un angle de vue différents.

Postures, pratiques et gestes des pédagogues

Une ingénierie spécifique pour des conditions favorables

Pour rendre possible « l’école dehors », les enseignants développent une ingénierie spécifique. Plusieurs activités l’illustrent. Une sensibilisation est déployée en direction de la hiérarchie, des parents, des élèves, des collègues et des autres personnels éducatifs et d’assistance. La recherche d’un lieu adapté nécessite anticipation des potentiels pédagogiques, attention au cadrage institutionnel et réglementaire et gestion de l’entretien du lieu. Il faut revoir l’emploi du temps pour dégager des moments de sortie et transformer la programmation de l’enseignement. Vient le temps de penser la démarche, les séances pédagogiques, les outils et techniques d’animation, la recherche de collaborations pour l’encadrement et l’organisation matérielle (communication, matériel personnel et collectif, logistique…). Dans certaines configurations de lieux ou activités, une préparation et un enrichissement de l’espace naturel d’immersion est à prévoir. La somme des éléments à penser et à anticiper pour rendre possible et sécuriser la sortie rend la tâche complexe.

Des stratégies complexes, des démarches pédagogiques métissées et de nouveaux gestes professionnels

Les pédagogues ont initié des démarches pédagogiques dans lesquelles ils ont métissé les approches pédagogiques dans des stratégies complexes combinant des activités sensorielles, sensibles et symboliques avec des démarches inductives d’apprentissages.

Ces stratégies ont été élaborées dans l’intention de médiatiser et doser progressivement l’immersion des élèves dans la nature. Chacun d’entre eux ayant des pratiques familiales dans la nature d’intensités diverses, les élèves n’ont pas la même appréhension ni la même aisance dans la nature. Par exemple, en début de dispositif, des élèves n’osent pas toucher la terre ou s’y asseoir parce qu’elle est sale, tandis que d’autres n’hésitent pas à s’allonger au sol et montrent une motricité alerte. Chaque élève possède une relation à la nature préexistante qui lui est propre, et le chemin à parcourir pour son développement n’est pas le même pour toutes et tous.

L’analyse des démarches mises en place a fait apparaître une forme d’hybridation des pratiques et des activités de l’éducation à l’environnement et de l’enseignement formel. Cette hybridation est au bénéfice non seulement de l’enseignement, mais également du travail de la relation des élèves au monde autre qu’humain. Les approches sensibles et sensorielles sont souvent mobilisées pour permettre aux élèves d’avoir de la matière vécue à partir de laquelle travailler les compétences disciplinaires. Par exemple, l’activité Le photographe, où un élève en guide un autre les yeux bandés, pour imprimer dans la mémoire de son camarade une image qu’il aura cadré en le positionnant à sa guise, est utilisé en préambule de la production écrite (texte, haïku, poème) ou orale dans le but de développer l’usage du vocabulaire et des adjectifs dans le domaine du langage et de l’expression. Il s’agit pour les élèves de s’imprimer avant de s’exprimer (Vaquette, 2002), d’avoir de la matière pour dire par la suite. Dans une démarche consciente, les pédagogues détournent les activités sensorielles de l’éducation à la nature pour les apprentissages des fondamentaux en sus d’une médiatisation de la relation avec la nature. « L’école dehors » ne se résume pas à la seule contextualisation des apprentissages en nature.

Certaines activités ont été adoptées par l’ensemble des pédagogues, sans que cela soit concerté. Le concert de nature sert souvent à ouvrir une séance. Il consiste en une écoute silencieuse de l’environnement pendant 1 à 3 minutes selon l’âge des enfants. Il est suivi d’un cercle de parole où les enfants expriment ce qu’ils ont entendu, comment ils ont vécu le moment d’écoute, ou encore les pensées qui les ont habitées. Pour certaines classes, il était systématique. Il a été aussi le support d’activités naturalistes via l’évolution des sons de la nature au fil des saisons.

Mon moment à moi est un temps pour lequel l’élève choisit un endroit où il est libre de dessiner, rêver, jouer, lire, écrire, dormir… Les seules consignes à respecter sont de ne pas entrer en interaction avec les autres et de rester dans son lieu. À plusieurs reprises, des élèves ont réinvesti des techniques vues en classe pour écrire un haïku, un poème, faire une construction… Ce temps individuel au milieu du collectif a un effet bienfaiteur, apaisant, comme en ont témoigné plusieurs élèves au cours d’entretiens individuels et collectifs. Accompagné d’activités de réflexion, cet espace-temps a pu être un moment d’introspection pour certains élèves.

Beaucoup de pédagogues-chercheurs souhaitaient expérimenter un temps d’activités libres. Si le lâcher-prise sur le contrôle de la situation et de la transmission pédagogique, contraire au modèle de la classe, n’a pas été aisé pour eux, ils ont eu l’occasion d’observer leurs élèves, de repérer des qualités et compétences non exprimées en classe, qui leur ont ouvert de nouvelles voies de médiation pédagogique et didactique. Ce changement de posture a amené une disponibilité intérieure, mise à profit par certains élèves, parfois discrets, pour entrer en dialogue avec l’enseignant avec pour conséquence, une découverte mutuelle et une évolution positive du regard de l’élève sur l’enseignant et vice-versa, et par la suite, de leur relation.

La ritualisation est très présente dans les pratiques des enseignants en classe. Elle est d’autant plus importante en nature qu’elle sécurise et offre des repères aux élèves par une appropriation de la structuration du temps qui engendre leur autonomisation. Les rituels comme Mon moment à moi, le concert de nature et le cercle de gratitude (l’élève remercie qui/ce qu’il souhaite) permettent un contact sensoriel et sensible avec le milieu que les élèves voient évoluer. Cette observation fine sur un temps long est un facteur d’appropriation de leur environnement. Les démarches sensorielles d’intériorisation mises en place deviennent des rituels d’accompagnement de chaque enfant dans sa relation à la nature qui préfigure un développement de l’empathie et une attitude plus inclusive. Il y a un enthousiasme à être dehors ensemble que catalysent les rituels en pleine nature. Les moments de cheminement et de rassemblement sont des moments partagés où règne souvent la joie et marquent les mémoires. Les pédagogues s’appuient sur une alternance de rituels qui émaillent « l’école dehors » pour rythmer les énergies, gérer les états émotionnels (peur ou excitation, par exemple) et harmoniser les liens du groupe. La régulation de l’état énergétique et physique des élèves passe par des pauses "grignote et tisane" systématisées. Ces rituels revêtent souvent une dimension bien-être. Les élèves eux-mêmes inventent des rituels, par exemple pour saluer un arbre sur le bord du chemin avec qui ils ont tissé une relation au fil de leurs passages, dire au revoir au lieu quand ils le quittent où remercier la nature, le propriétaire des lieux...

La réflexivité et la dialogique font partie des pratiques repérées pour développer les apprentissages, les compétences psychosociales et la relation à la nature des élèves. Mobilisées à plusieurs titres, elles ont contribué à faire expliciter aux élèves ce qu’ils avaient vécu et d’y réfléchir, à favoriser la conscientisation et l’ancrage des apprentissages et du vécu, à les amener à prendre confiance en eux et à développer leur capacité à prendre la parole en groupe. Plusieurs formes ont été relevées telles que les cercles de parole après Mon moment à moi, ou les concerts de nature pour exprimer les ressentis, des cercles de conscientisation des apprentissages et de remédiation, des ateliers philo, des conseils de classe ou pour la Terre, pour prendre du recul, réfléchir et décider collectivement, des cercles de gratitude envers le milieu naturel pour prendre conscience des beaux moments et les partager… Les consignes pour animer ces démarches varient selon l’objectif principal de l’activité. Dans certains cas, elles ont pu mener l’élève vers l’introspection.

Fonder l’apprentissage du monde sur l’observation et la fascination spontanée des élèves fait partie des démarches pédagogiques efficientes en ce qu’elles utilisent la richesse de l’expérience de nature et le désir des enfants de l’exprimer. C’est une opportunité pour déclencher des projets d’apprentissages formels à partir d’une stratégie inductive de questionnement de l’élève. Ce dernier attribue plus d’attention à l’objet d’apprentissage, est plus engagé dans les activités et mémorise plus facilement.

Cette capacité des pédagogues à être opportuniste, à saisir les occasions pour dérouler les apprentissages et à accorder de l’importance aux observations des élèves, s’est affirmée au cours de la recherche et a été rendue possible par la posture d’observation participante qu’ils ont adoptée. Ils ont dénommé spontanément ce geste professionnel par ‘Faire avec l’émergent’. Une des incidences des boucles de rétroaction mises en place sur trois ans est le développement chez les pédagogues d’un savoir ‘faire face’ immédiat, une capacité à saisir l’opportunité, dont nous avons esquissé les contours.

Une nouvelle posture déstabilisante et créatrice : entre liberté et sécurité

Nous constatons une transformation de la posture des enseignant.e.s et des éducateurs et éducatrices. Ils ont évolué de la transmission vers l’accompagnement de l’enfant au cœur de ses apprentissages, et vers la médiation entre l’élève, le groupe et le monde naturel. Ils sont passés de la focalisation sur les contenus à enseigner, à la centration sur les processus d’apprentissages, de la posture de contrôle à celle d’observation participante, et d’une organisation préétablie à une capacité à saisir l’émergent (lâcher-prise). Ils ont pris en compte dans les objectifs d’apprentissage la relation de l’élève avec la nature et ont mis en place des stratégies alliant apprentissages expérientiels et apprentissages formels.

Les pédagogues témoignent d’une préoccupation majeure, celle du dosage constant entre la liberté d’explorer des élèves, au sens physique comme au sens cognitif, leur sécurité et le sentiment de sécurité de l’éducateur.

Rapports à soi, aux autres et au monde : des effets multidimensionnels chez les élèves

Des effets sur les élèves ont été donnés à voir comme conséquences des pratiques des pédagogues dans la partie précédente. Nous nous contenterons d’en faire un résumé ici, et nous préciserons ceux qui n’auraient pas été déjà abordés.

Les principaux apports des démarches dans la connaissance de soi et le rapport à soi émotionnel, affectif, symbolique des élèves sont le dépassement, le développement de la capacité à s’émerveiller, la richesse de l’expérience source d’apprentissages cognitifs et psycho-sociaux, et un changement de rapport aux savoirs. L’« école dehors » offre une expérience nouvelle face à un imaginaire négatif à propos de la nature. La progressivité des démarches d’immersion amène les élèves à un dépassement de leurs peurs, inhibitions et croyances en leur faisant vivre une expérience sécurisée avec le milieu. Une enseignante évoque un effet plein air qui amène des élèves à se révéler dehors. Cette confrontation à l’inconnu et la richesse de l’expérience qui en découle sont source de questionnements à tous les âges. L’immersion nourrit le vécu, notamment par les canaux sensoriels et sensibles. Les élèves sont invités et accompagnés dans l’identification et la verbalisation de leur expérience, de leurs questionnements, de leurs émotions. Cette fertilité de l’expérience dehors leur permet d’avoir matière à s’exprimer et développe le langage.

Couplée au passage d’une posture de transmission didactique descendante à l’accompagnement de l’apprentissage auto-dirigé, l’« école dehors » transforme le rapport aux savoirs des élèves et donne du sens aux apprentissages cognitifs. Il s’agit là d’un processus d’autoformation cognitive à partir de l’apprentissage par expérience.

Les observations des pédagogues se recoupent sur les développements des capacités à s’émerveiller, de la curiosité. Les élèves ont une meilleure connaissance d’eux-mêmes et peuvent même être en capacité d’introspection (vivre la solitude sereinement, habiter le silence, développer un monde intérieur).

Les élèves sont plus engagés dans l’apprentissage dans la nature, y compris pour l’apprentissage du français ou des mathématiques. Enseignant et éducateurs à l’environnement hybridant leurs pratiques pédagogiques ont inventé et proposé des activités cognitives plus ludiques. Cette collaboration enseignant-éducateur a aussi eu pour effets chez les élèves de démultiplier leurs questionnements naturalistes, autour des sciences plus globalement et de stimuler leurs appétences pour les apprentissages. L’école dans la nature permet de révéler aux élèves les liens entre nature et connaissances.

Le rapport aux autres des élèves qui pratiquent « l’école dehors » est modifié. Un apaisement du climat de classe s’explique par une moindre pression sonore et spatiale et une diversité des lieux et matières à investir. Les relations entre élèves sont fluides et les situations de conflit sont en baisse. Nous observons des actes coopératifs spontanés plus nombreux et une gestion autonome des collaborations. Ce développement de pratiques coopératives est induit par la diversité des compétences nécessaires en nature qui amène chacun, avec ses différences, à trouver sa place dans le groupe. La transformation des relations élèves-pédagogues est liée au changement de posture des enseignants documentés ci-dessus. La confiance réciproque augmente, et cette évolution des relations est favorable à l’efficience des apprentissages.

Les démarches centrées sur l’appréhension du milieu naturel par l’élève avaient pour objet de travailler son rapport au monde. La gradation de la médiation avec le monde naturel a stimulé leur curiosité. Passé la phase d’apprivoisement, les élèves sont attirés par les zones sauvages, les moins aménagées, les plus variées. La répétition des expériences fait évoluer la relation à la nature des élèves de la curiosité jusqu’au développement d’une empathie envers le monde autre qu’humain pour certains.

Discussions

Limites

Si le temps long de la recherche a permis un travail d’aller-retour entre la réflexion et l’action au bénéfice des pratiques pédagogiques et de leurs effets sur les élèves, il a pu aussi provoquer un essoufflement lors de la formalisation des résultats. Ce dernier peut être expliqué également par une non-reconnaissance institutionnelle du travail fourni et un fort bénévolat des enseignants. Des données collectées n’auront pu être étudiées plus avant, tels certains entretiens individuels et collectifs, qui nous auraient sans doute permis d’affiner nos résultats. La Lozère ayant été un territoire précurseur de la recherche-action nationale, en inspirant d’autres, a testé des outils et les a fait évoluer. Ces circonvolutions ont été intéressantes, enrichissantes et chronophages. Souvent en attente de connaître les besoins de la recherche au niveau national, par exemple en termes de types de données, de formats de résultats, nous avons longtemps avancé sans autre repère que le triptyque Pratique-Nature-Effet, le processus s’outillant, nous outillant tout en se vivant. Le manque de temps et un sentiment d’imposture des pédagogues-chercheurs auront été des freins à la participation de chacun à toutes les étapes de la recherche, qui s’est notamment fait ressentir lors de l’écriture du rapport plutôt porté par les accompagnateurs-chercheurs.

Mise en perspective des résultats

Si la totalité des questions de départ n’était pas partagée par toutes les classes, les observations se rejoignent et la démarche inductive et dialogique a permis l’émergence d’autres effets documentés collectivement. Les résultats font écho à ceux d’études internationales, dont 200 ont été analysées dans la revue de littérature de Kuo, Ming et Barnes (2019) concernant les effets de la nature sur les apprentissages : entre autres, le développement des compétences psycho-sociales en communication, coopération, créativité (Mirrahimi et coll., 2011), considérées comme les compétences nécessaires pour le 21e siècle par l'UNESCO ; l’aide à la gestion du stress et à l'estime de soi (Bølling et coll., 2019) ; l’accroissement de la motivation scolaire et de l’engagement des élèves  ; les capacités personnelles (motricité, curiosité, attention/concentration) ; l'acquisition de savoirs en langues, en sciences et en mathématiques (Otte et coll., 2019).

Un des intérêts de cette étude réside dans la mise en perspective des pratiques pédagogiques avec les effets auprès des élèves. Il s’en dégage que ce n'est pas seulement le cadre naturel d'immersion qui produit les effets, mais bien la pratique de médiation mise en œuvre par le binôme enseignant/éducateur. Fonctionnant par approches successives entrecoupées de temps collectifs réflexifs, les pédagogues-chercheurs se sont appuyés sur les convergences et les divergences de leurs résultats, inventant tout en expérimentant pour résoudre les difficultés et les questionnements qu’ils ont rencontrés et favoriser une relation élève-nature positive. Il faut ici clarifier le fait que les élèves avaient connaissance de l’objet de la recherche et de la démarche, expérimentant avec les adultes, conscientisant leur propre relation à la nature.

L’observation des élèves par les pédagogues a mis au jour les relations affectives à certains éléments biogéophysiques et/ou au lieu de pratique de « l’école dehors », valable pour les adultes également. Les pédagogues ont dû identifier de nouveaux indicateurs pour évaluer - dans le sens donner de la valeur - l’évolution de la relation à la nature des élèves, tout en vivant eux-mêmes un changement. Les élèves comme les pédagogues ont vécu des expériences de mises en forme et en sens de soi qui témoignent du processus heuristique d’écoformation. Cette trans-formation expérientielle multidimensionnelle de leurs rapports aux savoirs et à l’apprentissage, de leurs liens élève-pédagogue et élève(s)-élève(s), est le résultat d’un processus traversant, mettant en résonance dans le même temps l’auto, l’éco et l’hétéro formation de la personne. Ces résultats ont été possibles par la double présence des éducateurs et des enseignants et la mise en dialogue de leurs pratiques. Le processus d’écoformation par des approches pédagogiques sensorielle, sensible, symbolique, dialogique et le jeu libre, combinées avec la didactique, permet donc de renforcer les apprentissages et d’améliorer le cadre de leur émergence, tout en travaillant l’identité écologique de chacun.

Ce que la recherche-action participative a suscité pour le développement professionnel et personnel

Outre les transformations pédagogiques opérées par les pédagogues-chercheurs, la recherche a été un lieu de découverte réciproque des mondes professionnels de l’enseignement et de l’éducation à l’environnement et de leurs valeurs incarnées. La collaboration entre les métiers a participé à l’enrichissement de chacun.

La plupart des pédagogues ont exprimé un sentiment de légitimité et de sécurité du fait de l’existence d’un cadre de recherche et d’un processus d’évaluation collective des pratiques et des effets. Les rencontres du groupe ont eu plusieurs fonctions. En sus d’un lieu d’analyse des pratiques, il a été un espace-temps d’écoute (professionnel, sociétal), de soutien, de régulation, et de motivation pour oser faire école dehors, lâcher-prise, expérimenter...

En réalisant un pas de côté, en cherchant à comprendre, les pédagogues-chercheurs ont développé leurs compétences. Ils ont acquis une expertise non seulement de la pratique de « l’école dehors », mais leur réflexivité s’étant accrue, ils peuvent l’appliquer dans d’autres aspects de leur vie professionnelle. Tous souhaitent poursuivre « l’école dehors » si les conditions sécurisantes sont en place.

Si mon moi d’aujourd’hui pouvait s’adresser à mon moi d’hier, j’aimerais qu’il lui dise de ne pas avoir peur : cette intuition te fera toi aussi grandir tant personnellement que professionnellement. (Marion, enseignante)

Après trois séminaires riches en rencontres et en expériences partagées, et deux années de classe dehors, je comprends qu’il se joue là quelque chose d’absolument fondamental pour notre société : garder un lien avec la nature, avec le vivant, savoir s’allonger sur le sol et regarder plus haut les arbres danser. (Aurore, enseignante)

Perspectives pour la pratique

L’inclusion de l’objectif d’améliorer la relation au monde non-humain des élèves dans l’enseignement nécessite de varier nos objets d’observation et de prendre d’autres critères et indicateurs que ceux qui sont mobilisés actuellement. À l’avenir, il s’agira de poursuivre la capitalisation et la valorisation des expériences, et de favoriser les échanges de pratiques professionnelles via un travail en réseau dans une visée évaluative des résultats obtenus.

Les besoins en accompagnement se font de plus en plus prégnants tant l’« école dehors  » est médiatisée et fait écho aux préoccupations de citoyens. Des formations à accompagner ou à faire école dehors voient le jour un peu partout. Pour harmoniser les contenus et poser les principes d’une formation pertinente et efficiente, l’élaboration de référentiels nous semble incontournable. Faut-il aller jusqu’à une certification à l’accompagnement ou la pratique de « l’école dehors » ?

Des pistes de travail s’ouvrent quant à la caractérisation des espaces de nature, l’identification de leur potentiel pédagogique et des aménagements à y apporter pour qu’ils conservent leurs intérêts et continuent à susciter la curiosité des enfants. D’autre part, il semblerait que ce soit l’inscription dans la durée de la pratique d’école dehors qui rend possible un cheminement vers une écoformation en profondeur. Cependant la question de la fréquence et de la durée des séances pour des résultats optimums reste sans réponse, bien que sans doute la qualité pédagogique de la mise en relation élève-nature est un paramètre nettement plus prégnant.

Perspectives pour la recherche

Cette étude est exploratoire. Il reste à approfondir la caractérisation des postures, des démarches, des stratégies mises en place, des gestes professionnels, et à documenter en quoi l’école du dehors améliore la motivation, la compréhension, et développe les compétences transversales nécessaires à l’avenir. Il faudrait travailler à la définition de critères et indicateurs pour apprécier l’état de la relation au monde autre qu’humain des élèves. Les pédagogues pourraient ajuster leurs pratiques, individualiser les parcours. Les didacticiens pourraient explorer le potentiel de la nature dans l’enseignement des disciplines aux côtés des spécialistes de la forme scolaire qui étudieraient l’alternance pédagogique intérieure / extérieure.

Le point de vue des praticiens est maintenant relativement documenté. Mais quelle(s) vision(s) les parents, les enfants, les municipalités et les autres membres de la communauté éducative ont-ils de l’« école dehors » et de ses impacts ? Quelles postures ? Quels freins ?

Des expériences dans l’enseignement secondaire éclosent. Comment et à quelles conditions faire cours dehors, contraints par des emplois du temps et des espaces à première vue inadaptés ? Cela questionne la forme scolaire et amène à la transdisciplinarité. Comment articuler programmes et enseignement dehors ? Et dans l’enseignement supérieur ?

« L’école dehors » est une nouvelle pratique qui révolutionne la conception de l’enseignement et de l’éducation. Dans un contexte de crises multiples, où le sentiment d’urgence domine, la perspective d’une école publique médiatisant la relation à la nature dans l’optique de favoriser des attitudes pro-environnementales, mérite un croisement de regards des disciplines scientifiques comme la sociologie, la psychologie et les sciences cognitives, de même que des différentes branches des sciences de l’éducation. Vers une étude transdisciplinaire ?