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Introduction et problématique

Au Canada, en mars 2018, George et Shirley Brickenden, âgés respectivement de 95 et 94 ans, sont décédés ensemble après avoir obtenu l’aide médicale à mourir (AMM). En effet, les deux partenaires remplissaient les critères d’admissibilité durant la même période. Plusieurs journaux ont rapporté la nouvelle : « Alors que la vieillesse et les infirmités les dépassaient, par une belle journée de printemps, après 73 ans de mariage, ils ont porté un toast avec leur famille, se sont tenu la main et sont partis doucement, ensemble » (TVA Nouvelles, 2018).

Des histoires similaires ont d’ailleurs été rapportées dans d’autres pays où l’AMM est légalisée. Cette dernière inclut l’euthanasie, soit l’administration d’une substance létale par un professionnel de la santé à la demande d’une personne compétente, et le suicide médicalement assisté, qui se distingue de l’euthanasie par le fait que l’individu absorbe la substance létale donnée par le médecin (Radbruch et al., 2016). Au Canada, il est possible d’obtenir l’AMM sous certaines conditions, dont celles d’avoir au moins 18 ans, d’être apte mentalement, d’avoir un problème de santé grave et irrémédiable et de donner son consentement éclairé (Gouvernement du Canada, 2022).

Actuellement, il n’existe pas de données statistiques sur les décès par AMM administrée au même moment à des conjoints. Toutefois, des données sont disponibles quant à l’ensemble des décès par AMM. Au Canada, en 2021, 83,3 % des décès par AMM concernaient les personnes de 65 ans et plus (Santé Canada, 2022). Des pourcentages similaires sont observés ailleurs dans le monde (Dierickx et al., 2020; Steck et al., 2018). Étant donné que les personnes âgées sont celles qui ont davantage recours à cette pratique, ce groupe d’âge a été retenu dans les critères de sélection des articles de journaux.

Plusieurs études ont examiné les caractéristiques des personnes âgées ayant fait une demande d’AMM ou y étant favorables. De manière générale, ces dernières sont plus jeunes, ont un haut niveau d’éducation, un statut socioéconomique élevé et sont divorcées ou veuves (pour une recension systématique, voir Castelli Dransart et al., 2019). Parmi les variables psychologiques, ces personnes valorisent l’autonomie, sont peu religieuses (c’est-à-dire qu’elles accordent peu d’importance à la religion dans leur vie) et ont une attitude âgiste (c’est-à-dire qu’elles ont une attitude négative envers le vieillissement et considèrent que les personnes âgées sont un fardeau pour la société; Castelli Dransart et al., 2019).

Par ailleurs, bien que de nombreuses études se soient intéressées aux caractéristiques des personnes âgées favorables à l’AMM, peu d’entre elles se sont intéressées à la couverture médiatique de la problématique (Johnstone, 2013; van Wijngaarden & Sanders, 2022) et rares sont celles qui ont examiné la situation des couples. À notre connaissance, une seule étude a examiné le double suicide médicalement assisté d’un éminent couple suisse et sa médiatisation (Frei et al., 2003). Il serait donc important d’avoir une meilleure compréhension des demandes d’AMM synchrones chez les couples d’aînés, puisqu’il est envisageable qu’ils soient de plus en plus nombreux à en faire la demande. En effet, la population canadienne est vieillissante (Statistique Canada, 2021), le nombre de décès médicalement assistés tend à augmenter (Santé Canada, 2022) et les critères d’admissibilité à l’AMM tendent à s’élargir, permettant à des personnes souffrant de diverses conditions d’y avoir accès (Downie & Schuklenk, 2021). Il serait ainsi important de comprendre ce qui amène un couple à demander l’AMM conjointement, notamment le rôle des facteurs psychosociaux. Cela permettrait aux intervenants du système de la santé d’avoir une meilleure connaissance des enjeux afin d’être préparés à faire face à ces demandes.

Bien que la mort synchrone chez les couples ait peu été étudiée dans le contexte de l’AMM, des chercheurs se sont penchés sur les pactes de suicide chez des personnes âgées. Ces pactes sont définis comme une entente mutuelle entre deux individus voulant mourir au même moment et, le plus souvent, au même endroit (Cohen, 1961). Contrairement aux personnes ayant recours à l’AMM, les personnes impliquées dans les pactes de suicides ne s’engagent pas dans une démarche encadrée par la loi et elles utilisent plutôt leurs propres moyens pour mettre fin à leur vie. Les principales motivations évoquées par les participants pour mettre fin à leur vie ensemble dans un pacte de suicide sont le soulagement de conditions éprouvantes sur les plans physique et mental, la présence d’incapacités physiques, les impacts négatifs du vieillissement, un sentiment d’aliénation par rapport à leur corps et leur identité, un sentiment de vide grandissant à la suite de la perte d’activités et de contacts, le sentiment que le futur est sans espoir et la peur de devenir un fardeau pour les autres (Le Bihan & Bénézech, 2006; Mehta et al., 1978; Prat et al., 2013; van Wijngaarden et al., 2016). Par ailleurs, les pactes de suicide sont souvent dépeints de manière romantique, que ce soit par la presse (van Wijngaarden et al., 2016) ou dans des observations cliniques portant sur quelques cas (Le Bihan & Bénézech, 2006). Cela s’expliquerait par la croyance selon laquelle les individus mourant ensemble sont réunis après la mort pour l’éternité (Cohen, 1961; Le Bihan & Bénézech, 2006; van Wijngaarden et al., 2016). Mourir ensemble apparaîtrait donc comme une solution à la peur d’être séparé de l’être aimé (Brown & Barraclough, 1999; Pridmore & Reddy, 2010; Rosen, 1981; van Wijngaarden et al., 2016). Il est intéressant de noter que van Wijngaarden et al. (2016) appellent ces pactes de suicide chez les couples âgés des « doubles auto-euthanasies », faisant référence ici à un acte intentionnel, réfléchi et rationnel de terminer sa vie, pour les distinguer des suicides qui sont habituellement associés à la maladie mentale.

Dans le cas de l’éminent couple suisse ayant fait l’objet de l’attention médiatique, Frei et al. (2003) indiquent que la principale raison évoquée par le mari pour mourir conjointement par suicide médicalement assisté avec sa femme était l’impossibilité d’envisager une vie sans son épouse. Les autres raisons évoquées par le couple étaient la détérioration de la santé de l’épouse et la difficulté à faire face au vieillissement chez le mari. Dans la région où le décès du couple a eu lieu, les chercheurs ont observé une augmentation significative des décès de ce type au cours des deux années subséquentes à la médiatisation du décès du couple, comparativement au nombre de décès avant l’événement (Frei et al., 2003). Les auteurs ont fait l’hypothèse que la manière dont les journaux ont rapporté la nouvelle, notamment par la glorification de leur choix, et ce, de manière « presque enthousiaste », avait pu induire un effet de contagion appelé aussi l’« effet Werther », comme cela a pu être observé dans des cas de médiatisation de suicides (Niederkrotenthaler et al., 2012).

Ce dernier résultat est cohérent avec ceux d’autres études ayant examiné le contenu d’articles de journaux portant sur l’AMM. Effectivement, les chercheurs observent un constant biais positif en faveur de l’AMM (Atwood-Gailey, 1999; Craig, 2002; Johnstone, 2013; Kalwinsky, 1998; Smith, 1994; van Wijngaarden & Sanders, 2022). Les articles de journaux rapportent souvent des histoires personnalisées sur l’administration de l’AMM, qui sont combinées à un discours héroïque dans un cadre dramatique, ce qui suscite la sympathie des lecteurs (McInerney, 2006; Seale, 2010). En effet, l’information véhiculée dans les journaux n’est pas neutre, mais refléterait plutôt les croyances sociales ou les idéologies du média rapportant la nouvelle ou du groupe ciblé par l’information (Dany et al., 2006).

Ainsi, l’information dans les articles de journaux serait organisée de façon à rendre certains aspects ou événements plus ou moins saillants (Entman, 1993). Il a également été suggéré que l’exposition aux médias influence les croyances, les attitudes et les comportements des individus (Lagacé et al., 2011; Potter, 2018). D’ailleurs, cette influence serait plus importante lorsqu’il est question de sujets sur lesquels le lecteur a peu de connaissances ou d’expérience, comme c’est le cas de la plupart des individus pour l’AMM et les pratiques médicales de fin de vie (Atwood-Gailey, 1999; Boivin et al., 2019; Chapman & Lupton, 1994; Da Silva, 2021; Gallagher, 2001; Marcoux et al., 2007; Silveira et al., 2000). De plus, outre leur influence sur le public, les médias joueraient également un rôle dans les débats publics et l’adoption de politiques gouvernementales (Tan & Weaver, 2007). Considérant que les politiques concernant l’AMM ont tendance à évoluer rapidement, cela souligne l’importance d’examiner le contenu présenté dans les journaux.

L’objectif général de cette étude qualitative est donc d’examiner les thèmes véhiculés dans les articles de presse rapportant des cas d’AMM synchrones chez les couples d’aînés. Étant donné qu’il s’agit d’un phénomène peu étudié et que les coupures de journaux sont les seules données actuellement accessibles sur le sujet, il s’agit d’une première étape pour appréhender ce sujet nouveau afin que le domaine de la psychologie puisse l’examiner subséquemment de manière plus approfondie. Plus précisément, l’étude vise à répondre aux deux questions suivantes : comment les journaux présentent-ils ce nouveau phénomène de l’AMM en couple et quelles sont les raisons exprimées par les couples pour justifier leur souhait de mourir ensemble en utilisant cet acte médical? Une approche inductive a été privilégiée pour répondre aux questions de recherche.

1. Méthodologie

La méthodologie comporte trois sections. La première décrit la stratégie de recherche par mots-clés qui a été employée afin de repérer les articles qui rapportent des cas d’aide médicale à mourir chez des couples d’aînés. La deuxième section précise les critères qui ont déterminé le choix des articles pertinents pour atteindre les objectifs de l’étude. Finalement, la troisième section décrit les étapes qui ont été effectuées pour analyser le contenu des différents articles retenus.

1.1 Stratégie de recherche et mots-clés

Le moteur de recherche Google News, qui présente des articles de journaux en provenance de sources sur le Web, et la base de données multidisciplinaire Eureka, qui donne accès à des revues et des journaux d’actualité du monde entier, ont été ciblés afin de repérer les articles de presse portant sur l’AMM synchrone de personnes âgées. La stratégie de recherche visait à combiner deux groupes de mots-clés, l’un se référant à l’AMM et aux termes associés, l’autre se rapportant aux couples. Seuls les articles en français qui contenaient les mots-clés suivants dans le titre ont été retenus : « suicide assisté » OU « aide médicale à mourir » OU euthanasie OU « mort médical* assistée » OU « décès médical* assisté » OU « suicide médical* assisté » ET couple OU mari* OU épou* OU partenaire OU conjoint* OU amoureu* OU ensemble. La recherche d’articles a été effectuée entre le 14 septembre 2021 et le 26 juillet 2022.

1.2 Critères d’inclusion et d’exclusion

Pour être sélectionnés, les articles de journaux devaient répondre aux critères suivants : 1) rapporter des cas d’administration ou de planification d’AMM synchrone chez des couples âgés; 2) les partenaires devaient être âgés de 65 ans ou plus; 3) l’AMM devait être légale dans le pays où les décès ont eu lieu; 4) les articles devaient être rédigés en français. Les articles étaient exclus s’ils : 1) n’avaient pas pour sujet principal des cas d’AMM de couples d’aînés (p. ex., le sujet principal de l’article n’est pas l’AMM conjugale, mais un autre sujet, comme la dénonciation de la pratique de l’AMM, et ne fait que mentionner un cas pour appuyer son argumentation); 2) étaient republiés; 3) constituaient une copie ou un résumé d’un autre article sans ajouter d’éléments nouveaux.

1.3 Analyse des données

L’examen et l’analyse des thèmes abordés dans les coupures de presse ont été faits avec une approche inductive (Denis et al., 2019) et plus précisément, une analyse thématique. Celle-ci a pour but de « dégager les éléments sémantiques fondamentaux en les regroupant à l’intérieur de catégories » (Negura, 2006) et consiste à lire les données qualitatives brutes plusieurs fois et d’effectuer une synthèse systématique des propos (Paillé & Mucchielli, 2021).

Les données brutes ont d’abord été préparées en copiant le contenu intégral de chaque article sélectionné dans un document Word distinct, pour ensuite exporter tous ces documents vers le logiciel NVivo. L’équipe de recherche a ainsi pu faire une première lecture des articles, puis une deuxième en annotant des passages. Lors de la troisième lecture, des segments des articles ont été copiés afin de les coller dans un seul document. Ils ont été regroupés en fonction de différents thèmes émergents. Lors de la quatrième lecture, le contenu des coupures de journaux a été résumé dans un document distinct afin d’en faire ressortir sa structure (ordre des idées). Ensuite, lors de la cinquième lecture, la fonctionnalité d’encodage du logiciel NVivo a été utilisée pour encoder les passages correspondant aux thèmes qui avaient précédemment été identifiés. Une sixième lecture a été faite afin d’encoder des passages supplémentaires et de vérifier l’encodage qui avait été fait lors de la cinquième lecture.

À la suite de la sixième lecture, un total de 18 thèmes avaient été identifiés. L’utilisation du croisement matriciel a permis d’identifier sept thèmes moins prévalents dans les coupures de journaux (c’est-à-dire présents dans quatre coupures de journaux ou moins). Avant de retirer ces thèmes, chacun des segments qui y étaient associés a été lu. Certains segments de thèmes peu prévalents ont été encodés dans d’autres thèmes. Il restait 11 thèmes à l’analyse thématique. La présence de liens sémantiques entre des thèmes a permis le raffinement de ceux-ci. En effet, des thèmes ont été fusionnés (p. ex., « la bonne mort » et « les derniers instants ») ou regroupés sous forme de sous-thèmes (p. ex., les thèmes « autodétermination », « consentement », « la réflexion » et « la certitude » sont devenus les sous-thèmes du thème « une décision personnelle »).

2. Résultats

La présentation des résultats se divise en deux sections. La première mentionne les caractéristiques descriptives principales des articles retenus, tandis que la seconde dévoile les sept thèmes qui se dégagent de l’analyse des portraits rédigés par les journalistes de la presse écrite francophone sur les couples ayant demandé une aide médicale à mourir synchrone.

2.1 Analyses descriptives

Au total, 12 coupures de presse répondant aux critères d’inclusion ont été repérées grâce à la consultation des bases de données sélectionnées; l’une d’entre elles a été trouvée en appuyant sur un lien URL dans un article repéré sur Google News. Les articles avaient été publiés entre 2006 et 2021 dans quatre pays : Belgique, Canada, France et Suisse. La longueur des articles variait entre 61 et 2528 mots. Ils rapportaient les histoires de neuf couples différents qui habitaient l’un des cinq pays suivants : Belgique, Canada, France, Suisse et Royaume-Uni. Les caractéristiques descriptives (nom du journaliste, date et pays de publication, noms et âges des partenaires, pays de résidence du couple, pays où les décès ont eu lieu, date des décès, nombre de mots de l’article et base de données où l’article a été trouvé) de chaque article sont détaillées dans le Tableau 1.

2.2 Analyse thématique

L’analyse thématique a permis d’identifier sept thèmes, soit : un amour fort, des personnes appréciées par leur entourage, une décision personnelle, l’appui des proches, les motifs qui conduisent au choix de mourir ensemble par AMM, la bonne mort et la transmission d’informations au public.

Tableau 1

Caractéristiques descriptives des articles de journaux inclus dans l’analyse thématique

Caractéristiques descriptives des articles de journaux inclus dans l’analyse thématique

Note : Nb : Nombre; F : Femme; H : Homme

1 Âges non disponibles.

2 RU : Royaume-Uni.

3 Âges exacts non spécifiés.

4 URL dans un article trouvé avec Google News.

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2.2.1 Un amour fort

L’amour partagé par les partenaires est souvent décrit de manière idyllique. Les partenaires partagent un « amour absolu » (Joly, 2006), sont « follement amoureux » (Hachey, 2019; Lacroix, 2020), et cet amour est aussi fort qu’au premier jour (Stadler, 2021). Dans le même ordre d’idées, la relation est décrite comme fusionnelle : ils sont très proches et ont toujours été ensemble depuis le début de leur relation (Archambault, 2019; Hachey, 2019; Joly, 2006), ils sont inséparables (Stadler, 2021), complémentaires (Humo, 2015) et ont besoin l’un de l’autre (Humo, 2015). Même les personnes extérieures à la famille et du réseau d’amis constatent l’intensité de cet amour :

Toute l’équipe de cet institut, depuis le kiné qui passait les voir trois fois par jour pour soulager leurs douleurs jusqu’aux infirmières qui leur racontaient des blagues, tous savaient à quel point ils s’aimaient et étaient inséparables. Ils avaient un surnom, d’ailleurs, à l’hôpital : Roméo et Juliette

Stadler, 2021

De plus, les partenaires sont décrits comme ayant vécu heureux durant toute la durée de leur relation. Toutefois, il est à noter que, chez un couple, ce bonheur avait été mis à l’épreuve par le décès de leur bébé; cette perte n’a pas pour autant compromis leur amour, ils « se sont aimés, malgré le deuil et la maladie » (Joly, 2006). La durée de la relation est presque toujours indiquée dans les articles (neuf articles sur douze) et varie de 30 ans (Lacroix, 2020) à 73 ans de vie commune (TVA Nouvelles, 2018). Également, les partenaires ont toujours pris soin l’un de l’autre, se préoccupant de leur état et de leurs besoins respectifs, et ce, surtout à l’arrivée de la maladie (Archambault, 2019; Hachey, 2019; Joly, 2006; Stadler, 2021).

2.2.2 Des personnes appréciées par leur entourage

Les coupures de presse décrivent les partenaires comme des personnes appréciées par leur famille et leur entourage. Par exemple, un article mentionne que « leurs petits-enfants les appelaient affectueusement Papouche et Mamouche » (Stadler, 2021). Par ailleurs, il est régulièrement précisé que les couples ont été entourés et accompagnés jusqu’à leur décès par leur famille ou leurs amis proches. Cinq articles précisent l’emploi des partenaires, ce qui permet de personnaliser les protagonistes. Ainsi, il y a un chef d’orchestre renommé, une ancienne danseuse de ballet, un chirurgien, une enseignante, une secrétaire chez un notaire, un vendeur de machines et un artisan-carreleur (AFP, 2009a; Hachey, 2019; Humo, 2015; Joly, 2006; Montréal Métro, 2009).

2.2.3 Une décision personnelle

L’analyse de contenu des articles de presse permet de constater que leurs auteurs tentent de qualifier de diverses manières la prise de décision des couples de faire appel à l’AMM pour mourir ensemble. L’accent est mis sur le fait qu’il s’agit d’une décision éminemment personnelle qui se caractérise par quatre facettes distinctes : l’autodétermination, la réflexion, le consentement et la certitude.

  1. L’autodétermination : Dans la majorité (10) des articles, l’autodétermination des partenaires, c’est-à-dire l’action de décider librement, par soi-même, avec l’objectif de prendre sa vie en main (Lachapelle et al., 2022) ressort clairement. En effet, dans plusieurs articles, les auteurs emploient précisément les mots « choix », « décision » ou « volonté » (AFP, 2009a; Archambault, 2019; Gentile & Boily, 2019; Humo, 2015; Joly, 2006; Lacroix, 2020; Montréal Métro, 2009; Stadler, 2021). Une des partenaires mentionne d’ailleurs qu’il est nécessaire qu’ils fassent preuve d’autodétermination et passent à l’action : « Si vous laissez le destin faire son oeuvre, l’un des deux finit toujours seul » (Humo, 2015).

  2. La réflexion : Dans cinq articles, il est précisé que la décision d’avoir recours à l’AMM est mûrement réfléchie. En effet, les couples songent ou discutent de cette option avec leurs proches depuis plusieurs mois ou plusieurs années. La préparation de leur demande d’AMM peut également s’échelonner sur plusieurs mois. Dans les autres coupures de presse, il n’est tout simplement pas question du processus de réflexion ayant mené à la décision.

  3. Le consentement : L’aspect du consentement de chacun des partenaires par rapport à l’administration de l’AMM est également mis de l’avant. Ainsi, dans certains articles, l’accent est notamment mis sur les démarches exigées pour prouver leur aptitude à consentir à l’AMM, c’est-à-dire leur niveau de compréhension de la situation et des renseignements transmis par les professionnels de la santé, ainsi que leur aptitude à prendre des décisions. Il doit s’agir d’un consentement éclairé. Il est donc précisé que chaque partenaire doit compléter des documents certifiant sa volonté et son intention d’avoir recours à l’AMM, ou encore d’accepter d’être évalué par un psychologue afin d’expliquer sa décision. Chaque partenaire doit avoir la capacité de donner son consentement, et les articles précisent qu’ils peuvent changer d’idée jusqu’à la fin. Il faut tout de même noter qu’à l’exception de trois articles (Humo, 2015; Joly, 2006; Stadler, 2021), les articles mentionnent rarement comment les partenaires se sont informés sur l’AMM et les démarches à entreprendre pour l’obtenir. Le caractère « libre » du consentement est également mis de l’avant. En effet, étant donné que les partenaires souhaitent mourir ensemble, l’équipe de soins doit s’assurer qu’aucune pression n’est mise sur l’un des partenaires et qu’il s’agit bien de leur volonté propre. D’ailleurs, lors d’une entrevue, le fils d’un couple est questionné sur la volonté de chacun de ses parents à mourir par AMM : « Et c’était clair, ils le voulaient tous les deux. Cette question a d’ailleurs aussi été abordée dans leurs entretiens avec le psychologue et le psychiatre » (Humo, 2015).

  4. La certitude : L’analyse du contenu des coupures de presse indique que les partenaires souhaitent profondément mourir ensemble par AMM. À aucun moment ils ne doutent ou regrettent leur décision. Peu de temps avant leur décès, les partenaires se disent prêts à mourir, ont « hâte d’en finir » (Hachey, 2019) et semblent sereins. Toutefois, une des partenaires a dit avoir besoin d’un peu plus de temps avant de choisir la date du décès, puisqu’elle trouvait très difficile de quitter ses petits-enfants (Stadler, 2021). Également, pour un autre couple, mourir ensemble était tellement inéluctable qu’ils avaient déjà planifié et préparé leur suicide avant que leurs enfants ne leur proposent l’option de l’AMM (Humo, 2015). Par ailleurs, une des partenaires a menacé de se suicider si on ne lui permettait pas d’obtenir l’AMM avec son mari (Citroni, 2020). De plus, deux articles signalent que les couples craignaient que l’un des partenaires ne meure avant d’obtenir l’AMM, ce qui aurait entravé leur plan de mourir ensemble (Humo, 2015; Stadler, 2021).

2.2.4 L’appui des proches

L’analyse montre que les coupures de presse rapportent fréquemment que les proches soutiennent la décision des couples d’avoir recours ensemble à l’AMM. En effet, la famille et les amis démontrent leur appui en acceptant leur décision et, dans certains cas, en leur offrant de l’aide dans leurs démarches (Hachey, 2019; Humo, 2015; Stadler, 2021). Les coupures de presse précisent que, pour les proches, l’acte est perçu comme beau ou même courageux (Archambault, 2019; Humo, 2015; Joly, 2006). Aucun des articles n’évoque une quelconque désapprobation de ce choix et, dans le pire des cas, l’entourage se borne à respecter la décision :

Ma tante m’a dit « c’est bien, ils ont réussi leur coup ». Mais j’ai vu toutes les nuances de réactions, selon les principes et croyances de chacun. De ceux qui se réjouissent pour mes parents et trouvent l’histoire d’amour si belle, à ceux qui se contentent de « respecter leur geste »

Stadler, 2021

D’ailleurs, ce soutien est présent malgré la tristesse et le deuil que vivent les proches. Toutefois, l’analyse permet de constater que la tristesse n’est pas l’émotion dominante dans les articles; elle est toujours contrebalancée par des sentiments positifs ou une expérience de vie unique et bénéfique. En effet, les proches oscillent entre la tristesse et des sentiments de joie ou de soulagement à l’idée que les partenaires soient délivrés de leurs souffrances. Les propos du fils d’un des couples illustrent bien cette dualité : « C’est difficile, je viens de perdre mes parents. Mais, c’est la plus belle chose qu’il ne peut pas y avoir pour mes parents, qui voulaient arrêter de souffrir » (Archambault, 2019).

2.2.5 Les raisons de vouloir mourir ensemble par AMM

Les articles soulignent les raisons ayant amené les couples à vouloir mourir ensemble par AMM. Certaines de ces motivations ont été soulevées dans plusieurs coupures de presse, alors que d’autres ont seulement été mentionnées dans un article. Ces différentes motivations ont été séparées selon quatre catégories : les problèmes de santé et la souffrance physique, la détérioration de la qualité de vie, la peur de la séparation et les autres motivations.

  1. Les problèmes de santé et la souffrance physique : Dans tous les articles, la détérioration de la santé physique des partenaires est un élément majeur. Effectivement, les partenaires ont de graves problèmes de santé, des handicaps ou des maladies qui menacent leur vie. Dans quelques articles, l’âge avancé des partenaires est également mis en lien avec la détérioration de leur santé (Archambault, 2019; Humo, 2015; TVA Nouvelles, 2018). De plus, ces problèmes leur font vivre d’importantes souffrances physiques. Par exemple, le fils d’un des couples commente l’état de son père : « Lui aussi agonisait, au point que, pour la première fois, il ne retirait plus aucun bonheur de la vie. Que des souffrances » (Hachey, 2019). Toutefois, malgré la maladie et les souffrances, l’analyse des articles montre que les partenaires sont présentés comme des personnes combatives qui ont lutté longuement contre la maladie. En effet, avant de se tourner vers l’AMM, elles ont épuisé toutes leurs ressources et options. Les articles font ainsi souvent mention de nombreuses années de combat pour rester en vie et de l’utilisation de tous les traitements possibles : « Cette fois, elle savait qu’il n’y avait pas d’issue. Mais elle a suivi tous les traitements, même expérimentaux. Elle tenait le coup et savait donner le change, malgré la douleur, devenue insupportable » (Stadler, 2021). Néanmoins, il est important de noter qu’un article spécifie que, pour un couple, leurs problèmes de santé, bien que douloureux, ne constituaient pas une menace imminente à leur vie (Humo, 2015) et qu’un autre article signale que la partenaire « se portait bien » (Citroni, 2020).

  2. La détérioration de la qualité de vie : Les maladies et les souffrances physiques évoquées précédemment nuisent à la qualité de vie des partenaires. Pour certains, cela se manifeste par une incapacité à travailler (Hachey, 2019), à faire des activités qu’ils aimaient (Humo, 2015), ou par une perte d’autonomie importante (Hachey, 2019; Humo, 2015; Lacroix, 2020). Les coupures de presse signalent que certains couples ne retirent plus aucun bonheur de la vie (Hachey, 2019; Humo, 2015) et appréhendent que leur situation se détériore davantage dans le futur (Humo, 2015; Lacroix, 2020; Stadler, 2021). Leur vie actuelle offre un contraste important avec l’existence qu’ils ont menée, puisque plusieurs couples sont décrits comme ayant eu de belles vies qui les ont comblés (Hachey, 2019; Humo, 2015; Lacroix, 2020; TVA Nouvelles, 2018).

  3. La peur de la séparation : Dans un autre ordre d’idées, l’une des raisons évoquées pour vouloir mourir ensemble est la peur de la séparation. Comme présenté dans le thème « Un amour fort », les partenaires sont complémentaires. Il est ainsi impensable pour eux de vivre l’un sans l’autre et ils appréhendent les conditions de vie pour le survivant. L’un des partenaires témoigne de cette peur de la séparation :

    Il est impensable que l’un parte sans l’autre. Tant pour elle que pour moi, cela représenterait la fin. Aujourd’hui, même quand nous faisons des courses, nous y allons à deux, car la peur est toujours là que l’un parte et ne revienne plus

    Humo, 2015
  4. Autres motivations : Trois motivations à utiliser l’AMM en couple n’ont été mentionnées que dans un seul des articles (Humo, 2015). Le couple au coeur de l’article dit vouloir mourir ensemble par AMM pour des raisons économiques, étant donné qu’il n’aurait pas les moyens financiers de vivre dans une bonne maison de retraite. Les partenaires croient également que leurs enfants ne pourraient pas venir s’occuper d’eux chaque jour et que, puisque selon eux la Terre est surpeuplée, il serait bénéfique qu’ils puissent mourir. Il faut noter qu’il s’agit du seul couple qui n’était pas en fin de vie, ce qui peut expliquer ces motivations particulières.

2.2.6 La bonne mort

Le sixième thème révélé par l’analyse du contenu des coupures de presse est celui de la bonne mort, lequel comprend quatre sous-thèmes différents : une vision positive de l’AMM, une mort sereine, une mort romantique et une dernière célébration.

  1. Une vision positive de l’AMM : Les articles dépeignent l’AMM comme une mort idéale. Cette vision positive de l’AMM se manifeste par la manière dont cette dernière est décrite : l’AMM est présentée comme une option salvatrice pour faire face à une situation insupportable qui permet aux partenaires de mourir rapidement et sans douleur. Les articles indiquent que pour les couples, il s’agit d’une « bénédiction », d’une « chance exceptionnelle » ou d’une « délivrance » de pouvoir mourir ainsi (Archambault, 2019; Hachey, 2019; Lacroix, 2020; Stadler, 2021). Pour certains, la possibilité d’y avoir accès est associée à un soulagement. Par exemple, un des couples qui avait préparé son suicide vivait dans l’abattement jusqu’au moment où il a su que les deux pourraient mourir par AMM :

    Quand on nous a annoncé que nous pourrions quitter la vie ensemble, en douceur, nous étions sur notre petit nuage. C’était comme si nous avions passé tout ce temps dans un tunnel et que, soudain, nous revoyions la lumière

    Humo, 2015

    Également, bien que des mots à connotation « neutre » soient employés pour désigner l’AMM ou le décès du couple (p. ex., « euthanasie », « suicide assisté », « mort »), l’analyse relève l’utilisation de certaines expressions à connotation positive ou des euphémismes. Par exemple, l’AMM est décrite comme une « solution […] élégante » (Humo, 2015) ou un « soin » (Archambault, 2019), et « mourir » est remplacé par « partir », « voyage » (Humo, 2015) ou « doucement vous endormir » (Humo, 2015).

  2. Une mort sereine : En ce qui concerne l’expérience vécue par les couples, ces derniers sont décrits comme sereins, et ce, à la fois durant les préparatifs, peu avant leur décès et au moment de leur mort. Leur décès est ainsi dépeint comme paisible et s’étant effectué en douceur. Les coupures de presse indiquent que, pour certains, il s’agit d’une manière de mourir dans la dignité (Hachey, 2019; Joly, 2006; Stadler, 2021). Il est intéressant de noter que dans les 10 articles où le décès avait eu lieu et dont le sujet principal était l’histoire personnalisée d’un couple, sept mentionnaient que les partenaires avaient été accompagnés par leurs proches jusqu’à la mort (Archambault, 2019; Gentile & Boily, 2019; Hachey, 2019; Joly, 2006; Lacroix, 2020; Stadler, 2021; TVA Nouvelles, 2018). Dans les trois articles où l’accompagnement jusqu’au décès n’était pas mentionné (AFP, 2009a, 2009b; Montréal Métro, 2009), cette absence peut s’expliquer par le fait qu’ils rapportent l’histoire de couples du Royaume-Uni où le fait d’aider un proche à accéder à l’AMM dans un autre pays était passible de 14 ans de prison au moment de la publication.

  3. Une mort romantique : La mort vécue par les partenaires est dépeinte de manière romantique. Notamment, l’accent est mis sur le fait qu’ils ont pu mourir ensemble, côte à côte, enlacés ou main dans la main. Dans un des articles, la description de cette union se poursuit d’ailleurs jusqu’à la mise en terre : « Aujourd’hui, Odette et Roger reposent au cimetière de Saint-Usuge. Dans le caveau familial. Tout près l’un de l’autre. Comme au premier jour de leur amour » (Joly, 2006). Cette romance est également présente dans le contexte entourant le décès. Par exemple, des articles décrivent la dernière déclaration d’amour d’un des partenaires à sa femme (Archambault, 2019; Gentile & Boily, 2019; Hachey, 2019), alors qu’un autre article décrit une scène touchant l’imaginaire du lecteur : « Par une belle journée de printemps, un couple, qui était marié depuis 73 ans, s’est éteint, main dans la main, après avoir obtenu l’aide médicale à mourir » (TVA Nouvelles, 2018).

  4. Une dernière célébration : Les derniers instants des couples sont décrits comme ayant été vécus dans la joie. Plusieurs coupures de presse révèlent que les couples avaient décidé de faire une dernière célébration ou un rassemblement à l’hôpital. Lors de ces événements, les partenaires sont décrits comme heureux, rayonnants, joyeux, de bonne humeur et blagueurs : « La veille, à midi, en bons Français, nous avons mangé une raclette chez eux. Nous avons débouché une très vieille bouteille de porto qu’ils gardaient depuis longtemps. Ma mère donnait toujours le change. C’était joyeux » (Stadler, 2021). Toutefois, dans un article publié alors que le couple n’était pas encore décédé, on mentionne au contraire que les partenaires ne veulent pas faire de célébration : « Nous n’avons pas de projets pour organiser un dîner d’adieu somptueux ou quelque chose de ce genre. Il y a des gens qui font une dernière fête, mais je trouve cela un peu exagéré » (Humo, 2015).

2.2.7 La transmission d’informations au public

Le dernier thème a trait à la transmission d’informations aux lecteurs sur différents aspects de l’AMM. Notamment, les articles contiennent beaucoup d’informations sur les aspects légaux de cette pratique médicale. Par exemple, des articles mentionnent des pays où l’AMM est légalisée ou non, les critères d’admissibilité et le processus auquel doivent se soumettre les patients pour l’obtenir. Il est d’ailleurs indiqué les étapes par lesquelles les couples sont passés, ce qu’ils devaient inscrire dans leurs demandes, les difficultés rencontrées, le fait que leurs demandes aient été évaluées séparément, les évaluations psychologiques effectuées et la manière dont ils sont décédés. Également, les articles offraient de l’information sur les différentes associations qui fournissent des renseignements concernant la fin de vie ou, dans les pays concernés (comme la Suisse), sur les associations qui offrent le suicide médicalement assisté. Les articles intègrent aussi différentes statistiques sur le nombre de cas d’AMM. Finalement, il est important de signaler que les définitions de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté étaient seulement présentées dans les deux articles les plus anciens (AFP, 2009b; Joly, 2006).

3. Discussion

Cette étude avait pour objectif général d’examiner les thèmes véhiculés dans les articles de presse rapportant des cas d’AMM synchrones chez les couples d’aînés. Plus précisément, il s’agissait de savoir comment les journaux présentaient ce nouveau phénomène et quelles étaient les raisons mentionnées par les couples qui avaient choisi de mourir ensemble par AMM. L’analyse du contenu des coupures de journaux a permis de répondre à ces questions. Un total de sept thèmes a émergé de cette analyse : l’amour intense réciproque des partenaires, l’estime et l’affection de l’entourage pour le couple, leur décision personnelle d’avoir recours à l’AMM, l’appui de leurs proches dans leur démarche, les raisons justifiant leur choix de mourir ensemble, leur perception de l’AMM comme étant la mort idéale et la transmission d’informations au public.

Il est intéressant de noter plusieurs similarités et divergences entre le contenu des coupures de presse sur l’AMM synchrone et la littérature sur les pactes de suicide. Parmi les éléments de comparaison, on retient d’abord la relation entre les partenaires. Dans les études portant sur les suicides de couples – lesquels ne sont pas uniquement des partenaires âgés, faut-il le préciser –, les conjoints sont souvent décrits comme étant fusionnels, dépendants, très proches et dévoués l’un à l’autre (Brown & Barraclough, 1999; Brown et al., 1995; Le Bihan & Bénézech, 2006). Ces qualificatifs caractérisent également la relation des partenaires dans les articles de journaux portant sur l’AMM conjugale synchrone.

Un élément divergeant est l’importance de la vie après la mort. Cet aspect a été brièvement abordé dans une seule coupure de presse portant sur l’AMM en couple. En effet, en parlant de son mari, l’une des partenaires mentionne qu’elle « allait le remettre au boulot, là-haut » (Stadler, 2021). Considérant que la poursuite de l’union après la mort est un thème récurrent lorsqu’il est question de pacte de suicide, il est inattendu que cet aspect n’ait pas été davantage présent dans les coupures de journaux.

Un autre élément de comparaison se rapporte à l’entourage des couples et à son acceptation de la situation. D’un côté, les couples qui demandent l’AMM sont décrits dans les coupures de presse comme étant bien entourés et appréciés de leurs proches, alors que de l’autre, les partenaires impliqués dans des pactes de suicide sont plutôt décrits comme étant socialement isolés (Cohen, 1961; Le Bihan & Bénézech, 2006). Il pourrait cependant s’agir d’un biais de publication des articles dans les cas d’AMM, étant donné que la plupart des personnes interviewées acceptent de médiatiser l’histoire des membres de leur famille et semblent souhaiter en donner une image positive.

De plus, puisque l’AMM est présentée de manière positive dans les médias (Johnstone, 2013; van Wijngaarden & Sanders, 2022), des proches pourraient être réticents à exprimer leur non-soutien. D’autre part, Dees et al. (2013) ont relevé qu’un manque de soutien de la part des proches a été associé à une prise de décision difficile quant au fait de mourir par AMM. Ainsi, le fait d’être entouré et soutenu pourrait ne pas représenter la réalité de tous les couples décidant de mourir de manière synchrone par AMM.

Le dernier élément comparatif concerne la raison motivant les couples âgés à choisir de mourir ensemble par AMM ou dans le contexte d’un pacte de suicide. La présence de maladies et d’affections physiques invalidantes constitue une raison fréquemment mentionnée par les deux groupes (Castelli Dransart et al., 2019; Le Bihan & Bénézech, 2006; van Wijngaarden et al., 2016). Il faut rappeler ici que les raisons justifiant le choix de mourir ensemble par AMM ne sont que celles qui ont été retenues et exprimées par les journalistes et qu’il est impossible d’avoir accès aux témoignages complets des couples ainsi qu’aux questions de l’entrevue. Il pourrait donc également y avoir un biais sur ce plan.

Dans un autre ordre d’idées, l’autodétermination est l’élément central de la majorité des coupures de presse sur l’AMM conjugal, ce qui n’est pas surprenant puisque le droit de choisir et d’exercer sa volonté est fondamental pour les partisans de l’AMM, bien qu’il soit sujet à de multiples débats lorsqu’il est question de pression sociale, d’aptitude à consentir lorsque la souffrance est intolérable ou de l’ambivalence face au choix de vivre ou de mourir (Castelli Dransart et al., 2022; Van Den Noortgate & Van Humbeeck, 2021). De plus, le désir d’avoir le contrôle sur la manière dont se déroulera la fin de sa vie et la peur de perdre la lucidité nécessaire pour faire ce choix sont fréquemment mentionnés parmi les motivations pour avoir recours à l’AMM pour hâter sa mort (Dees et al., 2011; Lamers & Williams, 2016; Rodríguez-Prat et al., 2017).

La plupart des articles présentent l’AMM comme la mort idéale. Cette conception appuie les critiques de plusieurs chercheurs québécois qui reprochaient à l’État l’emploi d’euphémismes dans la Loi concernant les soins de fin de vie, comme l’expression de mourir dans la dignité pour décrire l’AMM, alors qu’il est aussi possible de mourir dignement grâce à l’accompagnement personnalisé offert par les soins palliatifs (Boivin et al., 2017; Marcoux et al., 2007; Mishara & Weisstub, 2013, 2015; Vachon, 2013). Les chercheurs concluaient que l’emploi de cette expression pour désigner l’AMM influence la perception et la position des individus à son égard et diminue la validité des études sur le consensus social autour de la question, surtout lorsque les personnes interrogées ont peu de connaissances sur le sujet et confondent les différentes pratiques de fin de vie.

Finalement, bien que les journalistes aient transmis des renseignements sur l’AMM, des informations fondamentales sont absentes. Boivin et al. (2019) rapportent que la population générale a peu de connaissances sur les pratiques de fin de vie et qu’elle exprime un besoin d’informations, mais, comme il a déjà été mentionné, seuls les deux articles les plus anciens, datant respectivement de 2006 et 2009, définissent l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté. De plus, des chercheurs de l’Université Laval ont observé que seulement 45 % des 966 participants avaient été en mesure de distinguer l’AMM de la sédation palliative continue (c’est-à-dire le fait de provoquer un sommeil ininterrompu chez une personne en fin de vie; Da Silva, 2021), tandis que dans une autre étude, 72 % des 991 participants confondaient l’euthanasie et le suicide médicalement assisté (Marcoux et al., 2007). Par ailleurs, aucun journaliste ne fait mention des autres options qui auraient pu s’offrir à ces couples, dont la majorité était en fin de vie. En effet, l’AMM est présentée comme la seule solution pour mourir dans la dignité et aucun article ne mentionne les soins palliatifs, dont l’objectif principal est de soulager les souffrances sur les plans physique, psychologique, existentiel et social (Vachon et al., 2009).

Conclusion

L’analyse thématique de 12 articles de journaux francophones sur des couples décédés ou ayant planifié leurs décès synchrones par AMM a révélé sept différents thèmes véhiculés dans les médias. Parmi eux, la relation entre les partenaires, leurs motivations à utiliser l’AMM en couple et leur perception de cette pratique comme étant la mort idéale, de même que le sous-thème de l’autodétermination, sont des aspects qu’il serait intéressant d’étudier davantage dans un cadre psychologique. Entre autres, il serait intéressant d’examiner jusqu’à quel point les éléments dépeints dans les journaux sont réellement représentatifs des individus favorables à l’AMM en couple, car l’échantillon de l’étude n’offre que la perspective de couples bien entourés et soutenus dans leurs démarches. De plus, l’analyse des coupures de journaux a permis de constater une lacune dans la transmission d’informations au public. Il serait donc recommandé aux journalistes traitant de ce sujet de définir l’AMM et d’aborder les autres options de fin de vie afin de permettre aux lecteurs de se forger une opinion sur la base d’informations plus complètes sur le sujet.

Cette étude est l’une des rares s’intéressant à l’AMM en couple et la première ayant examiné la manière dont ces événements sont rapportés. La force de cette étude réside dans l’utilisation de l’approche inductive comme méthode pour relever les thèmes principaux. Toutefois, cette étude comprend des limites. En effet, les articles ont été obtenus uniquement grâce aux moteurs de recherche en ligne, ce qui a limité le nombre d’articles accessibles. Il est aussi envisageable que les nouvelles sur l’AMM synchrone soient rapportées différemment selon le mode de diffusion (p. ex., journaux télévisés). De plus, l’analyse ne comportait que des articles francophones et il est possible que les thèmes véhiculés varient en fonction de la langue de publication. Ainsi, il serait intéressant que de prochaines études portant sur l’AMM synchrone de couples d’aînés s’intéressent à la manière dont ces cas sont rapportés dans d’autres médias de communication en français et dans d’autres langues. Également, il serait pertinent de s’intéresser aux liens entre la manière dont les coupures de journaux abordent l’AMM conjugale synchrone et l’attitude du public par rapport à cette possibilité.