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Introduction

La question d’expliciter les savoirs issus de la pratique et de les formaliser constitue d’emblée un projet de rencontre entre deux réalités fondamentalement étrangères l’une à l’autre (de Champlain, 2013). Mais le processus de leur validation sociale par la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) crée une situation où la disciplinarité elle-même constitue un problème central (de Champlain et al., 2020). En effet, la RAC se doit d’être centrée sur le plan disciplinaire si elle veut remplir son rôle, notamment par l’émission de diplômes (Rémery, 2017). Pourtant, c’est cette même centration qui constitue l’un de ses principaux obstacles dans le contexte de plus en plus complexe dans lequel elle doit opérer (Chanoux & Laurin, 2013; Comité interministériel sur la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes, 2017).

C’est en ce sens que notre projet de recherche sur la reconnaissance universitaire des acquis extrascolaires adopte une posture résolument transdisciplinaire au sens où l’entend Nicolescu (1996). Le projet est d’aborder une réalité complexe et systémique (Morin, 1990) impliquant divers niveaux de réalité qui se traduisent notamment par la mise en dialogue (Lafont, 2009; Lainé, 2006; Mayen & Métral, 2008) de diverses cultures : disciplinaires, universitaires, épistémologiques, sociales, économiques et personnelles. Cette démarche se réalise en demeurant à l’affût des manifestations du tiers inclus chez le sujet transdisciplinaire, c’est-à-dire le candidat à la RAC en projet de formation et en transition de vie (Ballet, 2009; de Champlain, 2019a, 2019b).

Ce texte propose de détailler comment l’approche transdisciplinaire permet d’aborder un projet de recherche sur la RAC du point de vue de la collecte des données, de leur analyse et des résultats qui en découlent. Bien que le projet vise essentiellement la reconnaissance des acquis de l’expérience ou extrascolaires (RAE), des références seront aussi fréquemment faites à la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) qui est plus générale et qui englobe la RAE.

1. Problématique

Il n’est sans doute pas si étrange que les idées les plus fondamentales concernant le monde de l’éducation soient aussi celles qui sont les plus difficiles à mettre en oeuvre (Meirieu, 2003). Lorsque la Commission internationale sur l’éducation pour le vingt et unième siècle a déposé son rapport à l’UNESCO (Delors, 1998), celle-ci affirmait le rôle central de « l’éducation tout au long de la vie » à la fois comme exigence démocratique et comme exigence pour faire face aux mutations de la société et de l’éducation elle-même. Cet appel à revoir les systèmes éducatifs à la lumière des tensions existant entre l’éducation formelle et la formation au sens large n’était, en effet, pas une nouveauté. On pense notamment à l’école comme frein à l’éducation (Illich, 1970), à l’hégémonie de l’hétéroformation (Pineau & Marie-Michèle, 1983) ou encore « le divorce entre l’école et la vie » (Parent, 1964, p. 12).

Le projet de l’éducation tout au long de la vie vise à dépasser « la distinction traditionnelle entre l’éducation première et l’éducation permanente [… à] ouvrir les possibilités de l’éducation à tous, pour des fins multiples, qu’il s’agisse d’offrir une deuxième ou une troisième chance » (Delors, 1998, p. 109). La reconnaissance et la validation des acquis se sont rapidement imposées comme une composante incontournable de ce projet (UNESCO, 2002). Cependant, la mise en oeuvre de ce projet transdisciplinaire (UNESCO, 2021) s’est restreinte à une vision purement disciplinaire. Cette dérive n’a rien d’étonnant. S’il est relativement aisé de s’entendre sur la valeur formative des expériences de vie, il est beaucoup moins évident de les reconnaître socialement, et l’on conçoit aisément la difficulté pour les experts et expertes de contenus chargés de valider ces acquis sous forme de crédits de formation, voire de diplôme, de composer avec la dimension transdisciplinaire de la reconnaissance des acquis.

Quoi qu’il en soit, restreindre la reconnaissance des acquis à sa dimension disciplinaire n’est pas sans conséquences, lesquelles se trouvent exacerbées par les mutations économiques et sociales, notamment la mondialisation du marché de l’emploi (Comité interministériel sur la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes, 2017; Conference Board of Canada, 2017; Grant, 2016). Les systèmes et dispositifs de reconnaissance des acquis répondent difficilement aux besoins des personnes issues de l’immigration, et même un parcours menant à un diplôme ne permet pas toujours de mener à un emploi. En effet, la dimension disciplinaire de la RAC tend à ne pas tenir compte des compétences non techniques (soft-skills) qui constituent un écart important entre la formation initiale et les attentes du milieu professionnel (Cukier et al., 2015). En même temps, l’obtention du diplôme par la personne immigrante ne permet pas nécessairement de rassurer l’employeur potentiel quant à la capacité de la personne à s’intégrer dans le milieu de travail (Chanoux & Laurin, 2013). Le paradoxe est à son comble si l’on considère que la diversité est reconnue pour constituer un avantage important pour la compétitivité des entreprises et pour leur capacité à s’adapter et à innover (Cukier, 2007). Ces angles morts participent tous au phénomène de déqualification des personnes immigrantes (Bellemare, 2015).

Dans ce panorama, l’université québécoise ne fait pas seulement office de parent pauvre, elle joue le rôle de parent absent (Comité interministériel sur la reconnaissance des compétences des personnes immigrantes, 2017). Ce n’est pas que la reconnaissance des acquis y soit absente, mais sa mise en oeuvre demeure très peu structurée. On peut expliquer une partie des problèmes par l’absence de financement adéquat (Shaffer & Groupe de réflexion et d’action sur la RAC, 2010) et ses modes de gouvernance (Gobeil, 2000), mais les causes sont plus profondes. Les universitaires sont en grande partie réfractaires à l’idée que la compréhension théorique et conceptuelle associée à la formation universitaire puisse être compatible avec toute autre forme d’expérience préalable (Landry, 1986), de même qu’à l’idée de ne pas contrôler toutes les modalités d’apprentissage et d’évaluation, à l’instar d’un cours universitaire ou d’une étude scientifique (Denis, 1986). Or, ces deux freins épistémologiques sont eux-mêmes profondément ancrés dans la culture disciplinaire sous-jacente aux programmes universitaires.

1.1 Une approche transdisciplinaire à la reconnaissance universitaire des acquis extrascolaires

Puisque la problématique nous apparaissait fondamentalement disciplinaire, nous avons opté pour une approche résolument transdisciplinaire. Le fait que la RAE doive composer avec des savoirs de natures différentes n’est pas nouveau (Clot & Prot, 2003), mais nous proposons que la transdisciplinarité permette d’aborder la formation de façon plus globale (Go, 2017). Pour Nicolescu (1996), cela implique d’aborder le phénomène dans sa dimension systémique et complexe (Morin, 1990), en tenant compte de différents niveaux d’abstraction de la réalité et du principe du tiers inclus. Nous ne souhaitons pas ici développer les fondements de la transdisciplinarité et leur application dans le domaine des sciences humaines, puisque nous avons déjà abondamment traité ces sujets (de Champlain, 2019a, 2022; de Champlain & Mallowan, 2017). Nous allons toutefois aborder la question du rapport existant entre l’objet transdisciplinaire et le sujet transdisciplinaire.

L’objet transdisciplinaire, observé dans ses multiples niveaux de réalité, ne peut exister que par le sujet transdisciplinaire qui pose son regard sur ces multiples niveaux. C’est en ce sens que la transdisciplinarité, malgré son apparente complexité, vise à développer une vision profondément humaine de la connaissance, une vision où l’expérience humaine n’est non seulement jamais réduite à une discipline, mais transcende et déborde l’ensemble des disciplines. C’est pourquoi une approche transdisciplinaire doit nécessairement aborder plusieurs niveaux de réalité, mais doit aussi les considérer comme tous égaux, sans hiérarchie. Ce qui importe, c’est de distinguer les niveaux de réalité que ces données permettent d’éclairer.

Nous avons donc développé (de Champlain, 2019a, 2019b) un cadre théorique transdisciplinaire pour une approche intégrée de la reconnaissance des acquis extrascolaires (RAE), illustré à la Figure 1. Ce cadre place en son centre le sujet en transition, c’est-à-dire la personne candidate à la RAE qui se doit de composer avec les divers niveaux de réalité qui composent cette expérience. On retrouve parmi ces niveaux les trois pôles de l’autoformation, les trois rapports par lesquels la personne se forme : soi, les autres et le monde (Pineau & Marie-Michèle, 1983). Ces trois pôles sont liés aux trois dimensions (disciplinaire, interculturelle et transdisciplinaire) à travers lesquelles la personne candidate doit se former. La dimension disciplinaire correspond aux acquis qu’elle souhaite se faire reconnaître ainsi qu’au diplôme visé. La dimension interculturelle se rapporte au croisement à réaliser entre deux cultures professionnelles, sociales, ou autres. La dimension transdisciplinaire renvoie à ce qu’on pourrait nommer le projet de vie de cette personne, au moment de la demande de RAE. Ce projet peut être de divers ordres, mais est généralement le résultat de contraintes, lesquelles peuvent être très importantes. Finalement, ces trois pôles correspondent aux trois parcours de la reconnaissance élaborés par Ricoeur (2009).

Figure 1

Cadre théorique transdisciplinaire pour une approche intégrée de la RAE.

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Encore une fois, nous ne souhaitons pas répéter des éléments ayant fait l’objet d’autres publications, mais il importe de préciser que ce projet transdisciplinaire, malgré ce que peut sembler suggérer la Figure 1, ne peut être porté uniquement par la personne candidate (Cherqui-Houot, 2009). L’objectif est ici de développer un dispositif global de RAE qui a la possibilité d’accueillir et d’accompagner les multiples dimensions qui composent l’expérience de la RAE.

1.2 Objectifs

L’objectif général de cette recherche est de mettre à l’épreuve ce cadre transdisciplinaire selon des niveaux de réalité multiples. Des objectifs spécifiques se déclinent pour chaque pôle :

  1. Comprendre les besoins de reconnaissance des acquis et des compétences en contexte universitaire (reconnaissance de soi);

  2. Développer une plateforme transdisciplinaire adaptée à la RAE universitaire (reconnaissance-identification);

  3. Contribuer au développement d’un dispositif compréhensif de RAE universitaire (reconnaissance mutuelle).

C’est ce troisième objectif qui fait l’objet du présent texte, lequel vise plus spécifiquement à rendre compte de la dimension transdisciplinaire de cette démarche et à démontrer l’intérêt de la transdisciplinarité pour la RAE de façon générale.

2. Méthodologie

La mise en oeuvre du troisième objectif a résulté d’un financement du ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le cadre d’un appel à projets inédits en éducation, lequel a mené à des projets de développement de la reconnaissance des acquis pour la formation à l’enseignement et de création d’un nouveau cheminement à temps partiel pour le baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire (BEPEP), dont la première cohorte a démarré à l’automne 2020. La synergie de ces deux projets complémentaires constituera le moteur de la recherche-action présentée ci-dessous.

2.1 Une recherche-action en sciences de l’éducation

Comme le cheminement du programme à temps partiel du BEPEP avait été mis sur pied très rapidement et que le dispositif de reconnaissance des acquis était encore à l’état d’ébauche au départ du programme, la rentrée de la première cohorte s’est faite dans un climat de grande incertitude et d’insécurité pour les étudiantes et étudiants. Nous avons ainsi rapidement écarté l’idée de les inclure à titre de participantes et participants à l’étude, car il nous a semblé qu’une telle démarche allait ajouter une couche de complexité à une situation déjà assez difficile à appréhender et que cela n’était pas justifiable sur le plan éthique. Cette décision a été facilitée par le fait que nous avions déjà une étude quantitative et qualitative en cours concernant l’expérience des étudiantes et étudiants relativement à la RAC universitaire, correspondant à l’objectif numéro un énoncé ci-dessus.

Nous reconnaissons toutefois dans ce travail que

[l]’objectif principal de la recherche-action est de fournir un cadre aux investigations qualitatives effectuées par les enseignants et les chercheurs en situations complexes […] Cette méthodologie est destinée à avoir des retombées autant dans la pratique que dans la théorie

Catroux, 2002

Dans ce contexte, les données recueillies seront, d’une part, la recherche documentaire et réflexive des acteurs de ce projet de développement andragogique et, d’autre part, la production matérielle et conceptuelle issue de cette démarche de développement. De ce fait, la démarche est assez proche de ce qu’Henri Desroches qualifiait de « recherche action intégrale […] celle qui fait interagir l’explication, l’application et l’implication » (Goyette & Lessard-Hébert, 1987, p. 26, l’italique est dans l’original). Cette approche rejoint aussi l’idée de la recherche-action comme démarche de création d’un système apprenant (Chevalier et al., 2013).

Bien que la recherche-action constitue une démarche très flexible, toujours finement adaptée à son contexte de mise en oeuvre (Catroux, 2002), elle opère à partir d’une structure relativement stable (Barbier, 1996) :

  1. Étape initiale d’exploration, d’analyse et de définition du problème;

  2. Étape itérative de mise en place d’éléments à expérimenter dans l’action;

  3. Étape itérative d’analyse des effets dans l’action;

  4. Étape finale d’analyse et de rédaction.

On comprend que les étapes itératives peuvent être répétées de nombreuses fois avant d’aboutir à l’étape finale.

2.2 Étape initiale

Notre démarche a consisté en une recension des dispositifs de RAC existant dans des ordres professionnels québécois, les universités québécoises et les programmes en enseignement au sein du réseau de l’Université du Québec. Une analyse de la documentation accessible publiquement a d’abord été réalisée auprès de divers ordres professionnels (N=40) puis des entrevues d’approfondissement ont été menées auprès de représentants et représentantes de certains d’entre eux (N=5) présentant davantage de points communs avec la profession enseignante, comme les conseillères et conseillers en orientation et les psychologues. Un exposé approfondi de ce travail fera l’objet d’une publication autonome (Lepire, soumis). Un travail de cartographie curriculaire a aussi été entamé en vue d’établir la concordance entre les divers cours du BEPEP et les compétences professionnelles de la formation à l’enseignement (Ministère de l’Éducation, 2001). Les plans de cours et autres documents de programme ont été analysés en ce sens, puis un questionnaire a été soumis au corps professoral qui enseigne au BEPEP (N=37). Finalement, un travail d’analyse des règlements de l’UQAM et de diverses politiques québécoises en matière de RAC a été réalisé.

2.3 Phase itérative

Le travail itératif s’est amorcé à l’automne 2020, lors du démarrage du cheminement à temps partiel du BEPEP. Six cycles de mise en oeuvre et d’analyse impliquant divers acteurs ont été complétés, dont certains ont été réalisés de manière concomitante :

  1. Version initiale du dispositif de reconnaissance des acquis extrascolaires (RAE) en collaboration avec la direction du BEPEP;

  2. Création d’une plateforme de gestion de la RAE en collaboration avec le Carrefour technopédagogique;

  3. Création des fiches de cours en collaboration avec le corps enseignant;

  4. Mise en place d’une base de données de reconnaissance des acquis scolaires commune aux divers programmes de la Faculté des sciences de l’éducation en collaboration avec la direction du BEPEP et le Service de l’audiovisuel;

  5. Création et adoption d’une politique facultaire de RAC en collaboration avec la Faculté, les directions de neuf programmes de formation à l’enseignement et le Bureau des études;

  6. Révision majeure du dispositif pour y inclure des démarches différenciées et des outils d’aide à la mise en preuve.

La phase finale d’analyse et de rédaction a été complétée à l’automne 2021.

2.4 Principes d’analyse des données

Le cadre théorique transdisciplinaire pour une approche intégrée de la RAE (Figure 1) constitue la principale référence, ainsi que le point d’entrée pour l’analyse des données. Toutefois, il apparaît important de ne pas escamoter pour autant la logique d’action mise en oeuvre. En effet, les acteurs impliqués ne l’étaient pas dans un souci de production de connaissances, mais bien dans un projet de mise en oeuvre de principes fondamentaux de la RAC et de la RAE ainsi que de résolution de problèmes dans cette mise en oeuvre. Cette logique implique nécessairement un travail de définition et de redéfinition de la situation, au sens de l’interactionnisme symbolique (Hess & Weigand, 1994). Cette logique d’action sera abordée plus spécifiquement dans le sens où l’entend Lefebvre (2010), par la construction d’un « moment » de la RAC. Dans ce paradigme, le « moment » constitue un condensé symbolique exprimant le potentiel de la situation tel que perçu par l’acteur, « un ensemble de perceptions, de représentations, de projets actuels, s’inscrivant dans une appropriation des passés individuels et projections que chacun construit de son futur » (Hess & Weigand, 1994, p. 112). La construction du moment sera analysée dans sa dimension systémique en vue de représenter le point de départ de chaque étape et les actions qui en découlent.

3. Résultats

Les résultats sont présentés selon la logique temporelle de la recherche-action, de l’étape initiale aux six cycles itératifs subséquents. Les résultats pour chaque étape seront présentés à partir du moment de départ de cette étape, des actions clés qui en découlent ainsi que des conclusions qui en sont tirées. Puis, chaque étape se termine par une synthèse transdisciplinaire. Les résultats de l’ensemble de la démarche seront finalement présentés d’une manière intégrée afin de mettre en évidence la transversalité des dimensions abordées et des liens entre les diverses étapes.

3.1 Étape initiale

L’étape initiale est le Moment de rencontre. Nous n’avons à cette étape qu’une connaissance fragmentée de la RAC, théorique en grande partie et pratique dans le contexte très particulier du baccalauréat d’enseignement en formation professionnelle et technique et des règlements de l’UQAM. Il faut créer une équipe pour aller à la rencontre de diverses conceptions de la RAC et poser des repères.

L’étape initiale a consisté à dresser un état des lieux de la RAC, en commençant par les universités québécoises, les ordres professionnels (N=40), puisque plusieurs sont liés de façon bilatérale à un programme universitaire (Gobeil, 2000), ainsi que les directions de programmes québécois de formation à l’enseignement (N=37). Les résultats montrent des situations assez contrastées. Du côté des ordres professionnels, l’accent est définitivement et sans grande surprise placé sur la dimension disciplinaire de la RAC. Ceci est cohérent avec la vocation des ordres professionnels, qui est de définir et valider les critères de reconnaissance-identification à la profession. Les universités québécoises présentent surtout la RAC en termes de formation au dispositif par des explications et des procédures. La reconnaissance mutuelle, l’ouverture à l’expérience préalable des étudiantes et étudiants, est soit exprimée de façon minime, soit exprimée davantage sous la forme d’outils de recrutement. Ceci est cohérent avec le principe de la RAC universitaire. Celle-ci se déroule en effet toujours après l’admission à un programme et relève principalement de la direction de ce programme. Ceci fait en sorte qu’il est pratiquement impossible pour l’institution universitaire de trop s’avancer. Finalement, les pratiques de RAC répertoriées dans les programmes de formation à l’enseignement montrent une très grande variabilité d’une institution et d’un programme à l’autre. Il importe de préciser que l’étude de chacun de ces trois groupes a utilisé des méthodes et des outils différents et que les résultats ne peuvent donc être considérés comme comparables. Quoi qu’il en soit, le développement de RAC mené par les divers ordres professionnels tend à montrer que l’information écrite envoyée aux personnes candidates ne suffit pas et qu’un accompagnement individualisé demeure souvent incontournable. Autrement dit, le pôle de la reconnaissance de soi ne peut être uniquement du ressort de la personne candidate à la RAC.

À la suite de ces recensions de pratiques, la cartographie curriculaire a été envisagée comme un lieu de rencontre idéal. Elle ressortait comme un médiateur privilégié entre la pratique professionnelle et la formation universitaire, mais aussi entre les différents programmes partageant ce référentiel. Toutefois, même si nous continuons à croire à l’intérêt de cette approche, elle a néanmoins été rapidement mise de côté, car la structure des programmes fait qu’on doit ultimement reconnaître des cours, qui demeurent l’unité de base des formations, et que le principe de reconnaître une ou des compétences professionnelles mène rapidement à une impasse. Le problème est analogue à celui des ordres professionnels, puisque la formation initiale n’est pas élaborée selon une logique pratique, mais plutôt selon une logique disciplinaire. Le pont entre la reconnaissance de soi et la reconnaissance-identification y est possible, mais relève d’une démarche trop complexe pour être abordée à cette étape-ci.

Finalement, trois documents ont été ciblés comme fondateurs à la démarche en raison de leur nature. D’abord, la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue (Ministère de l’Éducation, 2002), qui demeure à ce jour le principal document de référence relativement aux fondements et principes de la RAC au Québec. Deux autres documents accompagnent celui-ci : le rapport du Conseil supérieur de l’éducation (Gobeil, 2000), qui a mené à la politique nommée précédemment, et celui du Groupe de réflexion et d’action sur la RAC (Shaffer & Groupe de réflexion et d’action sur la RAC, 2010), ayant mené à un projet de charte et de cadre technique de la RAC pour l’Université du Québec. Ces documents soutiennent tous les principes d’autoformation et de reconnaissance de soi : « […] le caractère pluridimensionnel d’une éducation des adultes et d’une formation continue qui englobent la personne dans toutes ses dimensions » (Ministère de l’Éducation, 2002, p. 3, l’italique est dans l’original). La RAC y est présentée comme un droit et une exigence du développement individuel et social. On y décèle clairement l’engagement du Québec à appuyer la vision de l’UNESCO (2002). Mais comme nous le mentionnions aussi en introduction, ces principes fondamentaux sont difficiles à mettre en oeuvre, de sorte que c’est l’approche disciplinaire qui a été favorisée à tous les niveaux (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005; Ouellette, 2006).

On comprend donc que la RAC universitaire existe bel et bien dans les trois pôles de la reconnaissance et du sujet en formation, mais que les ponts entre ces pôles restent à créer (Figure 2).

Figure 2

Perspective transdisciplinaire du Moment de rencontre.

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3.2 Phase itérative

La phase itérative comprend les six étapes de mise en oeuvre, d’expérimentation et d’analyse qui ont débuté avec la mise en place des bases du dispositif de reconnaissance des acquis lors du démarrage du cheminement à temps partiel du BEPEP à l’automne 2020 et qui se sont poursuivies jusqu’à la mise à jour du dispositif en août 2021.

3.2.1 Version initiale du dispositif

Cette étape est le Moment du premier rendez-vous. Tous les acteurs concernés étaient présents, mais il restait à savoir si le rendez-vous allait être manqué ou réussi. Au début du programme de cheminement à temps partiel, le dispositif de RAE était loin d’être prêt à l’expérimentation en raison du bouleversement qu’a amené le confinement du mois de mars 2020. L’ambiance était donc à l’urgence et à l’action rapide, les étudiantes et étudiants nouvellement inscrits souhaitant obtenir rapidement des informations claires sur les modalités de la RAE. Il y avait là une occasion de synergie et le besoin pressant a orienté le travail mieux que toute planification antérieure n’avait pu le faire.

En collaboration avec la direction du BEPEP, nous avons donc élaboré et défini, dans l’ordre, des règles pour encadrer la RAE, puis des modalités pour le dépôt des demandes et un formulaire à utiliser par les personnes candidates. Nous avons également fixé à deux années à temps plein ou l’équivalent l’expérience minimale nécessaire pour soumettre une demande de RAE, établi des critères généraux d’évaluation des demandes, correspondant à la taxonomie des apprentissages visés par le cours à reconnaître, et dressé une liste des cours non admissibles à la RAE en raison de leur nature structurante pour le programme ou de règles émanant du Ministère relativement à la formation pratique (stages). Mais lorsque ces documents ont été présentés aux étudiantes et étudiants de la première cohorte, l’accueil a été mitigé et ils ont surtout contribué, de prime abord, à accroître leurs frustrations et leur insatisfaction.

Comme le montre la Figure 3, le pôle de la formation initiale a alors été complètement laissé de côté. L’accent a été mis avant tout sur la formation au dispositif avec le souci que les étudiantes et étudiants puissent ainsi avoir la marge de manoeuvre nécessaire pour faire valoir leurs acquis.

Figure 3

Perspective transdisciplinaire du Moment du premier rendez-vous.

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3.2.2 Création d’une plateforme de gestion des demandes RAE

Cette étape est le Moment de communication. Elle passe par la mise en place d’une plateforme informatique Moodle pour la diffusion de l’information et la gestion des demandes. Dans une première section, on y a inséré la documentation et ajouté un court préambule expliquant les divers types de reconnaissance d’acquis, ainsi qu’une liste de vérification. Nous avions en effet remarqué que plusieurs demandes confondaient les catégories et que plusieurs étaient incomplètes.

La seconde section de la plateforme est une collection de boîtes de dépôt pour chaque cours éligible à la RAE, classés par sigle de cours (ASS, DDD, etc.). Trois forums de discussion sont inclus :

  1. Annonces, pour pouvoir facilement informer des nouveautés les étudiantes et étudiants inscrits à la plateforme;

  2. Questions et réponses, pour constituer une base de connaissances;

  3. Demande d’ajout de cours, afin de prioriser la création des fiches de cours en fonction des demandes (cela sera décrit dans la prochaine section).

La création de cette plateforme a constitué une étape très importante du processus de RAE puisqu’elle a permis de gérer efficacement le dépôt des demandes tout en nous offrant la possibilité de constituer un historique des demandes. Toutefois, Moodle n’a clairement pas été conçu pour un tel usage où les boîtes de dépôt sont non seulement très nombreuses comparativement à un cours typique, mais peuvent aussi être utilisées dans n’importe quel ordre, de sorte que le suivi des demandes et l’historique des évaluations y demeurent pratiquement impossibles. Néanmoins, la Figure 4 montre comment cette plateforme constitue une première étape en vue de créer des ponts entre les trois pôles : un dispositif structuré et mieux documenté, des liens directs avec les cours du programme et un espace où les étudiantes et étudiants peuvent poser des questions et éventuellement échanger.

Figure 4

Perspective transdisciplinaire du Moment de communication.

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3.2.3 Création de fiches de cours

Cette étape est le Moment de concertation. Nous étions conscients que le descripteur officiel des cours dans l’annuaire officiel de l’Université ne pouvait permettre aux personnes candidates de faire valoir leurs acquis de manière suffisante, mais la solution n’était pas évidente, sachant que nous avions déjà écarté l’approche par compétences. L’approche préconisée a donc consisté à rencontrer individuellement la professeure ou le professeur responsable de chaque cours afin de créer une fiche de cours détaillant le profil de sortie pour chaque activité de formation.

On déclara en début d’entretien que l’objectif était de déterminer les critères de reconnaissance du cours et que seule la personne responsable du cours (le professeur ou la professeure) était en mesure de le faire, tout comme elle seule pouvait déterminer les critères de réussite de ce cours. On recadra ensuite la démarche du point de vue de la RAE, au sens où l’on devait dissocier les apprentissages durables des modalités de formation qui encadrent et orientent leur évaluation dans le cours. La professeure ou le professeur responsable de chaque cours a ensuite été invité à détailler les critères de reconnaissance du cours et à proposer des exemples de preuves qui pourraient permettre à la personne candidate de démontrer l’atteinte de ces critères. Cette étape s’est avérée être une coconstruction à divers degrés, puisque la personne qui menait les entretiens avait le souci d’atteindre une certaine homogénéité entre les fiches des divers cours, mais la validation finale appartenait toujours à la personne responsable du cours.

Ce travail s’est révélé être d’une importance capitale, non seulement pour colliger les informations nécessaires à la constitution d’une demande par une personne candidate, mais parce que cela a permis à chaque personne responsable de cours de poser ses questions, de nommer certains a priori et de mieux comprendre les fondements de la RAC. Par exemple, certaines professeures et certains professeurs responsables auraient souhaité préciser comme critère la nature ou la quantité des expériences requises, alors que la RAC vise justement à dissocier les acquis des conditions de leur acquisition. Mais, plus que tout, cet exercice a permis de vérifier que chacun demeurait partie prenante de la rigueur du processus.

À cette étape, il pourrait sembler que l’accent ait été mis sur la formation initiale et la reconnaissance-identification en vue d’enrichir la formation au dispositif, mais il appert en fait que c’est beaucoup plus la reconnaissance de soi de chaque responsable de cours qui a été la clé du succès de cette démarche. Nous avons même été en mesure de remarquer un certain isomorphisme (Legault & Paré, 1995), par exemple quand les personnes les plus réfractaires à la RAC en début d’entrevue amenaient des éléments de discours dans lesquels ils faisaient le constat que leurs cours n’étaient pas reconnus à leur juste valeur au sein de l’institution ou du programme. On voit se faire, à la Figure 5, un très intéressant changement de niveau, avec l’idée d’un tiers inclus où la reconnaissance de l’autre, même dans un dispositif aussi objectif et rigoureux que possible, demeure intimement liée à la reconnaissance de soi.

Figure 5

Perspective transdisciplinaire du Moment de concertation.

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3.2.4 Mise en place d’une base de données commune

Cette étape est le Moment de transparence. Le constat a rapidement été fait que la reconnaissance des acquis scolaires (RAS) constitue généralement un problème, tant pour les directions de programmes, qui n’ont que peu ou pas de connaissances à ce sujet lorsqu’elles arrivent en poste, que pour le personnel administratif de chaque programme, qui travaille en vase clos. L’idée de créer un outil, une base de données commune, permettant de partager le fruit du travail de RAS de chacun, entre programmes et au sein d’une même faculté, voire de manière interfacultaire, apparaît comme une excellente idée, sachant que plusieurs programmes se partagent plusieurs cours au sein de leur cursus.

On remarque également que beaucoup de temps et d’énergie sont consacrés à évaluer de telles demandes, mais que très peu de détails sur ce travail sont conservés, en fait uniquement le fait qu’elles sont acceptées. Une autre action est donc menée en vue de mieux documenter l’historique des équivalences de cours. Cette tâche s’éloigne de la RAE, mais participe à la cohérence générale du processus, surtout que plusieurs demandes de RAE s’appuient sur des équivalences partielles (le cours seul ne suffit pas à démontrer une équivalence) ou périmées (le cours a été réussi il y a plus de 10 ans).

Cette action nous amène à un autre niveau du travail, purement administratif, où la personne étudiante est complètement mise de côté. On y trouve des points communs avec la plateforme Moodle de RAE qui vise, mais ne réussit que de façon très partielle, à documenter l’historique des demandes et des décisions, mais cet outil-ci, cette base de données commune, va beaucoup plus loin en vue de consolider le travail fait par les divers acteurs de la RAC. Une ouverture demeure toutefois vers l’étudiante ou l’étudiant, puisqu’il est prévu qu’on puisse éventuellement y ajouter une interface publique permettant aux futurs étudiants et étudiantes de consulter à l’avance les informations pertinentes en vue d’un changement de programme. Ici aussi, à la Figure 6, le pôle de l’autoformation est central, mais cette fois-ci par un autre déplacement au niveau administratif de la RAC.

Figure 6

Perspective transdisciplinaire du Moment de transparence.

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3.2.5 Interlude

À ce stade du processus, de nombreuses actions arrivaient à maturité. Vers la fin du mois de janvier 2021, la plateforme de RAE contenait toutes les fiches de cours requises dans leur version définitive. Les règles et modalités de la RAE étaient stabilisées. Une base de données partageant des équivalences de cours était en place avec des règles de fonctionnement claires. Le sentiment d’urgence était définitivement derrière nous. Le projet en était donc arrivé à une étape cruciale, la création d’une politique facultaire.

3.2.6 Création et adoption d’une politique facultaire de RAC

Cette étape est le Moment de consolidation. Elle avait été anticipée depuis le début du projet, sachant que la mise en oeuvre de la RAE universitaire demeure encore peu développée et que ses pratiques sont, au mieux, instables. De plus, comme il s’agissait d’un projet facultaire, il semblait important que ses retombées soient partagées entre les départements et les programmes et que les pratiques soient formalisées si l’on voulait les pérenniser. L’enjeu de la création de cette politique était donc de partager la réflexion pratique qui nous animait depuis un peu plus d’un an pour en arriver à une vision commune sur le plan institutionnel.

Un groupe de travail, regroupant les directions ou directions adjointes de neuf programmes de formation et auquel a aussi été invitée la conseillère en RAC de l’UQAM, a ainsi été constitué. La première rencontre visait à établir les besoins de chaque programme, dans l’idée que la politique soit en mesure de répondre de façon équitable et satisfaisante à l’ensemble des besoins des personnes présentes. Des modalités de fonctionnement ont rapidement été mises en place, permettant d’accueillir et d’intégrer une grande variété de points de vue et de couvrir l’ensemble des aspects de la RAC à un niveau de détail très élaboré. La politique (Faculté des sciences de l’éducation, 2021) affirme les valeurs qui sous-tendent la RAC, établit les modalités générales et spécifiques à la reconnaissance des acquis scolaires (RAS) et extrascolaires (RAE), mais sans empiéter sur le rôle des directions de programme. Elle propose plutôt la création d’un comité facultaire et d’un poste de conseiller RAC permanents pour la faculté.

Cette double proposition est importante à nos yeux, puisqu’elle donne aux instances des moyens pour développer l’expertise nécessaire en RAC et prévoit des ressources pour appuyer autant les personnes étudiantes que les programmes. Il semble donc que cette politique ait atteint, dans son état actuel, un équilibre intéressant entre les trois pôles de la RAC, comme le montre la Figure 7. Elle considère d’abord que tant les personnes déposant une demande que les personnes devant les traiter sont dans une démarche de formation et d’appropriation; elle offre également des ressources permettant cette appropriation et le développement du dispositif; finalement, elle respecte l’expertise disciplinaire propre à chaque programme à qui revient toujours le dernier mot, ainsi qu’à chaque département qui est représenté au sein du comité.

Figure 7

Perspective transdisciplinaire du Moment de consolidation.

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3.2.7 Révision du dispositif

Le dispositif de RAE n’est pas parfait; des problèmes subsistent en son sein. En effet, les demandes déposées au fil des derniers mois démontrent qu’il reste encore du chemin à faire pour construire le pont entre les exigences de reconnaissance-identification du programme et de reconnaissance de soi de l’expérience professionnelle des personnes candidates à la RAE. Ce pont à construire correspond à la dimension interculturelle de la RAE, au sens où la culture universitaire et la culture de la pratique professionnelle doivent se rencontrer, mais aussi au sens où la personne issue de l’immigration doit généralement composer avec une seconde barrière culturelle qui s’ajoute à cette première, déjà fort complexe. Cette étape est le Moment de la traduction, illustré par la Figure 8.

Figure 8

Perspective transdisciplinaire du Moment de traduction.

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Puisqu’il subsiste toujours de la confusion quant aux demandes, un premier constat a été fait : le formulaire de demande est mal adapté aux différents types de demandes – expérience, expérience appuyée par un cours crédité, formation continue, etc. Les règles et modalités générales ont donc été extraites et versées dans un document à part, puis un guide et un formulaire ont été créés spécifiquement pour chaque type de demande, de manière à mettre en évidence les aspects à démontrer et la meilleure manière de le faire.

Ensuite, la version initiale des fiches de cours prévoyait une certaine souplesse relativement aux preuves demandées, sachant que des expériences professionnelles variées pouvaient mener à des preuves de nature diverses pour démontrer l’atteinte d’un même critère. Cette souplesse demeure, mais elle a dû être reformulée de façon à insister davantage sur l’importance de la preuve et de sa pertinence.

Finalement, on a remarqué que les types de preuves demandées demeuraient encore trop abstraits. Des gabarits ont donc été ajoutés à la plateforme pour les principaux types de preuves : analyse de production d’élève, étude de cas, planification ou tâche, réflexion critique, texte démonstratif, etc.

3.3 Regard transdisciplinaire sur la démarche

Nous allons maintenant revoir l’ensemble de la démarche en insistant, pour chaque pôle, sur les trois dimensions transdisciplinaires : la dimension systémique, les différents niveaux de réalité et le principe du tiers inclus.

3.3.1 La reconnaissance-identification

Ce pôle constitue à la fois le point de départ et le point d’arrivée de toute démarche de reconnaissance des acquis et des compétences. D’un côté, il y a la personne qui souhaite se faire reconnaître un diplôme ou une compétence professionnelle. De l’autre, il y a l’institution experte, responsable de la validation de ce diplôme, de cette compétence. Ce pôle est capital puisqu’il détermine la légitimité de la RAC, tant du point de vue de l’institution que de la personne candidate. Mais c’est en même temps le pôle qui invalide la compétence lorsque celle-ci s’est développée hors des sentiers battus (Baujard, 2020; Pineau, 2017), selon une logique praxéologique (Argyris & Schön, 1992) et en incorporant une expertise pratique qui dépasse la formation initiale et la dimension prescrite de l’activité professionnelle (de Champlain et al., 2020). C’est sans doute la plus grande contradiction et le plus grand défi de la RAE universitaire : la formation universitaire propose des bases sur lesquelles la personne sera en mesure de développer sa pratique professionnelle, alors que le développement de la pratique professionnelle ne mène pas à ces bases. Ceci vient valider le constat que la RAE commande nécessairement des changements de la part de l’institution et de ses politiques puisque ces dernières sont implicitement liées à un modèle de transmission des connaissances incompatible avec la RAE (Bessette, 2013; Cherqui-Houot, 2009).

La solution se trouve peut-être dans l’approche que propose Vermersch (2012) lorsqu’il est question de dévoiler ce qu’une situation pratique peut avoir d’implicite : questionner ce qui se passe avant le début et après la fin. Avant la demande de RAE, il y a une personne en transition, en situation d’instabilité et de précarité, en recherche d’un « savoir-passer » (Lesourd, 2009). Après la RAE, même réussie, il y a cette même personne, parfois toujours en transition, maintenant munie d’un diplôme. Mais cette situation de réussite pour une personne issue de l’immigration ne lui donne pas nécessairement d’avoir les clés du marché de l’emploi (Chanoux & Laurin, 2013). Donc, en quoi l’institution a-t-elle changé entre avant et après la RAE? Est-ce son rôle de demeurer imperméable aux réalités alternatives de la formation ou, au contraire, est-elle appelée à devenir un système apprenant (Chevalier et al., 2013) et à être elle-même transformée par ces réalités (Sirois, 1986)?

3.3.2 La reconnaissance de soi

Ce pôle est sans doute le lieu des plus grands étonnements au regard des résultats de ce projet. Il est généralement reconnu par toutes les personnes ayant été impliquées de façon sérieuse dans la RAC qu’une des clés de ce processus est une reconnaissance de soi par la personne candidate. Une capacité à reconnaître en soi les compétences qui sont présentées comme objectives et extérieures d’une part, et à reconnaître les éléments spécifiques qui forment de façon effective sa compétence d’autre part (de Champlain, 2019a; Lainé, 2006; Sansregret, 1986).

Il s’avère que les acteurs de tous les niveaux s’y croisent. Tous et toutes, qu’il s’agisse de la personne candidate, de la personne experte au sein de l’institution ou de l’institution elle-même, doivent se sentir reconnues pour être en mesure de reconnaître, comme l’a si bien démontré Honneth (2015). Mais cette reconnaissance est sans cesse mise en tension entre l’identité ipse et l’identité idem (Ricoeur, 1990). On a besoin de l’Autre pour être reconnu, et cette reconnaissance peut effectivement être renforcée par les dimensions juridiques, normatives et politiques (Honneth, 2015). Mais le processus de reconnaissance des acquis semble nécessairement impliquer le Soi, cette identité qui n’inclut l’Autre que de manière réflexive. On perçoit ici le lien direct entre l’identité ipse et l’autos, ce principe interne de l’autoformation qui amène une personne à se former selon un principe qui lui est propre (Pineau & Marie-Michèle, 1983), qui dure dans le temps et qui lui permet de se reconnaître au-delà des changements (Ricoeur, 1990). Nous sommes même tentés d’ajouter qu’il doit exister un niveau de réalité où, malgré les apparences, toutes les personnes sont égales face à la reconnaissance, et que ce principe constituerait une source majeure des réticences observées envers la RAC chez les acteurs institutionnels.

3.3.3 La reconnaissance mutuelle

Pour Ricoeur (2009), la reconnaissance mutuelle constitue le degré le plus élevé de reconnaissance. C’est également le point focal de toute démarche de RAC. Il faut d’abord développer et mettre en place un dispositif global qui tient compte des normes de la profession et qui est en mesure d’accueillir les expériences de vie dans un dialogue productif de sens commun. La RAE doit ainsi agir à titre de médiateur entre deux réalités qui ne sont pas faites pour se rencontrer, qui procèdent selon des logiques incompatibles à la base (de Champlain, 2013). C’est en ce sens que le dispositif ne peut suffire à lui seul et que la ou les personnes expertes en RAE doivent agir à titre de traducteurs ou de médiateurs entre ces deux mondes (Mayen & Métral, 2008). C’est sans doute ce qui fait la force du système européen de validation des acquis de l’expérience (Lainé, 2006; Rémery, 2017), c’est-à-dire de fonder le dispositif sur le dialogue et le discours. C’est aussi le sens d’utiliser la communauté de pratique (Wenger, 2008) comme levier pour la RAE (Van Kleef & Werquin, 2013). C’est ce qui nous amène à proposer que la RAE constitue une transdiscipline, un lieu qui dépasse la dimension disciplinaire de l’exercice pour accompagner la personne en transition sur le chemin de son actualisation, mais aussi pour jouer un rôle d’analyseur (Riondet, 2017) et ainsi amener l’université à revisiter ses fondements, sa mission (Cherqui-Houot, 2006). Car, en définitive, le plus important n’est pas l’évaluation positive de la demande, mais la possibilité pour la personne candidate d’avoir eu une réelle chance de faire valoir son expérience et sa compétence dans le contexte d’une démarche rigoureuse (Cooper et al., 2017).

Conclusion

Pour donner suite au constat de la problématique engendrée par la conception disciplinaire de la reconnaissance des acquis et des compétences, nous avons envisagé de quelles façons une posture transdisciplinaire peut constituer une piste de solution, et ce, plus particulièrement pour la reconnaissance des acquis de l’expérience ou extrascolaires (RAE) qui sont beaucoup plus complexes. Il en a découlé un cadre théorique transdisciplinaire pour une approche intégrée de la RAE que nous avons souhaité mettre à l’épreuve dans différents contextes.

Il a été ici question d’une recherche-action menée à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM sur une période de près de deux ans. Au moment d’écrire cette conclusion, nous en sommes à l’étape de mise en oeuvre de la politique facultaire en RAC à plus grande échelle, le Moment de vérité pourrions-nous dire. La mise en place de manière progressive et itérative d’un dispositif de RAE pour l’enseignement nous a menés à constater l’intérêt de la transdisciplinarité. Il apparaît clairement que la RAE ne peut être réfléchie sur un seul niveau de réalité et que les croisements entre ces niveaux par le sujet transdisciplinaire permettent de poser un regard neuf sur certains phénomènes déjà bien documentés, tels que les réticences et l’engagement des acteurs institutionnels, les critères de rigueur du dispositif et les modalités de mise en dialogue des savoirs d’action et des savoirs académiques.