Article body

Introduction

L’organisation étudiée[1] a vécu une crise sans précédent où une grande portion de ses membres se sont réunis afin de convoquer une assemblée générale extraordinaire ayant pour but principal d’évincer le président du conseil d’administration en poste à cette époque. Après observation et analyse du discours du représentant des membres et du président du conseil d’administration, il est intéressant de constater que tous deux ont exactement le même discours; ils se reprochent mutuellement un manque d’écoute ainsi qu’un désir de s’organiser pour effriter la partie adverse. Comment des gens en interaction peuvent-ils être en « guerre » tout en exprimant les mêmes craintes et interrogations? Il nous est également apparu impressionnant que cette situation ait pu créer la mobilisation, que nous nommons participation active ou communication active dans le présent article, de près de 300 personnes alors que les efforts d’encouragement à la participation se soldent généralement par une faible participation.

Historiquement, l’organisation étudiée est en restructuration, se mondialise et s’adapte à l’environnement de plus en plus concurrentiel, et ce, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a donc rien de nouveau à ce qu’une organisation agisse comme toute entreprise désirant éviter le déclin (Rousseau & Levasseur, 1995). Alors, dans cette optique, pourquoi est-elle tant dénoncée à l’égard de ses pratiques? Est-ce parce qu’étant une grande organisation, elle promeut l’inclusivité dans son discours, mais que, paradoxalement, les processus et résultats reflètent plutôt une forme d’exclusion? Y a-t-il une dichotomie entre le discours et les actes?

1. Problématique

Les organisations tentent, tant bien que mal, d’encourager la participation de toutes ses parties prenantes pour de multiples raisons, tant pour assurer la pérennité de l’organisation à moyen et à long termes que pour permettre le fonctionnement à court terme, soit au jour le jour. Une des raisons majeures d’encourager la participation est de pouvoir survivre et prospérer dans un contexte capitaliste. Les organisations et les entreprises cherchent à améliorer l’impact de leurs activités sur les environnements économique, politique, social, etc. (Girard & Sobczak, 2010). Pour ce faire, la participation de tous les protagonistes entourant l’organisation, tant les membres que les gestionnaires, les clients, les employés et les actionnaires, est primordiale.

Toutefois, les organisations sont aux prises avec des résistances à la participation tant sur le plan macro que sur le plan micro. Les premières (de niveau macro) sont relatives aux contraintes d’exploitation politiques et sociales. La situation idéale serait un juste équilibre entre le politique, l’économique et le social. Toutefois, cette vision sociologique est plutôt orientée vers le « consumérisme », soit une vision plus capitaliste de la participation (Cheney & Cloud, 2006; Stohl & Cheney, 2001). Dans le même ordre d’idées, le marché, la bureaucratisation des processus et les nouvelles idéologies de gestion (Taylor, 1994) influencent également la nature de la participation dans les organisations. Les secondes (de niveau micro) concernent des structures d’autorité qui apparaissent et se reproduisent dans le langage et la vie de tous les jours (Cooren, 2000; Taylor & Van Every, 2000). Notons, à titre d’exemple, que la participation ne sera pas semblable dépendamment du style de leadership, des réactions à l’autorité, ou encore des interactions informelles jugées comme étant formelles (Cheney & Cloud, 2006; Stohl & Cheney, 2001).

En France, dans des organisations comparables ayant un modèle similaire à l’organisation étudiée dans cet article, Girard et Sobczak (2010) dénotent un problème global de participation, soit une diminution du nombre de sociétaires et une diminution de l’implication dans la gouvernance. Ces diminutions s’expliquent par les trop grands changements dans les règlements et par l’augmentation de la concurrence avec les organisations privées offrant les mêmes services et les lois du marché (Richez-Battesti, 2006).

Pour pallier ces problèmes, les grandes organisations utilisent des campagnes de communication qui auraient l’effet inverse :

cette [forme de] communication se révèle souvent insuffisante et peut générer de nouveaux risques liés à des questions sur la légitimité de leur gouvernance. De ce fait, l’un des enjeux actuels pour les grandes organisations est d’augmenter très fortement le nombre de sociétaires et de renforcer leur engagement en les faisant évoluer d’un statut passif à une participation plus active.

Girard & Sobczak, 2010, p. 165

L’engagement, tel que décrit et étudié en gestion ou en sociologie, renvoie vers le concept de participation, notion qui nous intéresse.

2. Objectifs

L’objectif premier de cette recherche est de faire ressortir les principes théoriques utilisés, notamment les thèmes, pour aborder les paradoxes de la participation dans une grande organisation. En fait, le repérage de ces thèmes permet d’exposer les différents mécanismes et modes d’expression de la participation présents dans une grande organisation.

Le second objectif serait d’être en mesure de répondre à diverses questions telles que : est-ce qu’une grande organisation peut être exempte de paradoxes de la communication? En quoi est-il pertinent, pour les organisations, de se concentrer sur ce phénomène? Les paradoxes de la participation sont-ils à la source des principaux problèmes organisationnels? En effet, nous avons cette prétention d’affirmer que toutes les organisations présentent des paradoxes de la participation à plus ou moins grands degrés. Est-ce vrai? Autrement dit, nous souhaitons que les conclusions que nous tirerons de cette étude puissent être transférables à d’autres organisations.

3. Cadre théorique

La présente section permet de faire un tour d’horizon des principes théoriques utilisés pour expliciter l’état de la question. Rappelons que nous nous intéressons à l’analyse de la communication des parties prenantes d’une grande organisation. Les personnes s’expriment à l’extérieur des murs de l’organisation, donc en marge de celle-ci, par divers médiums tels que des forums de discussion en ligne. Ainsi, nous définirons le concept de participation, comme mode communicationnel, en ce qu’elle est soit normée, soit consensuelle. Par la suite, nous établirons le lien entre la participation et la notion de paradoxes de la participation.

3.1 La participation

En quoi la participation est-elle si importante? Selon Stohl et Cheney (2001), dès qu’on sort des paradoxes de la participation (que nous verrons plus en détail dans la section suivante), nous ouvrons des possibilités d’accroître la créativité, l’innovation et une certaine effervescence. Les organisations et les entreprises cherchent à améliorer l’impact de leurs activités sur les environnements économique, politique et social (Girard & Sobczak, 2010). Il est alors indéniable que toute organisation qui veut assurer sa pérennité doit éviter de stagner. Pour ce faire, on instaure des programmes de participation, par exemple. Mais ces programmes s’essoufflent et les organisations doivent être constamment en position de rallumer la flamme de la participation.

Cette notion d’engagement, définie par Girard et Sobczak (2010), se rapproche de la définition que nous avons de la participation. Les auteurs nuancent deux types d’engagements, soit l’organisationnel et le sociétal. Le premier peut être considéré comme un processus d’apprentissage et être le lien entre l’entreprise et ses parties prenantes, amenant celles-ci à croire en les normes, les valeurs et les objectifs de l’entreprise « […] à faire des efforts pour son compte et à souhaiter rester en relation avec celle-ci, quel que soit le type de relation » (Girard & Sobczak, 2010, p. 161). Le second, l’engagement social, se concentre sur les valeurs et les principes de la responsabilité globale (Girard & Sobczak, 2010).

Chênevert et ses collègues (2009) se concentrent sur la participation dans les organisations et utilisent le concept de mobilisation. La mobilisation représente la « manifestation de comportements discrétionnaires » (Chênevert et al., 2009). Les auteurs définissent la participation comme une mobilisation initiée par l’empowerment et déterminent en outre un pont entre l’empowerment structurel et la mobilisation par le biais de l’empowerment psychologique (Chênevert et al., 2009). En fait,

ce qui compte vraiment c’est l’expérience d’empowerment, confirmant ainsi l’idée selon laquelle ni les bonnes intentions du management, ni les efforts au niveau du design de l’emploi, ne peuvent assurer les résultats si les employés n’ont pas le sentiment ou la perception qu’ils vivent une expérience d’empowerment.

Corsun & Enz, 1999, cités dans Chênevert et al., 2009

Cette expérience devient essentielle « en matière d’influence comportementale au travail et principalement à l’égard des comportements de mobilisation » (Tremblay & Simard, 2005, p. 66). Pour générer une meilleure participation, les organisations doivent se concentrer sur le sens qui est donné au travail :

les gens ne se contentent plus d’avoir simplement un emploi; ils veulent un emploi gratifiant qui leur permet d’effectuer une variété de tâches qui leur donnent un sentiment d’avoir une réelle contribution de manière à retrouver un sens à leur travail; pierre angulaire de tout changement.

Chênevert et al., 2009, p. 13

Ceci permet aux employés de participer activement aux décisions, notamment par un processus de consultation. Toutefois, Chênevert et al. (2009) reprennent les propos de Forrester (2000) et de Hardy et Leiba-O’Sullivan (1998) comme quoi déléguer à des employés sans réel pouvoir n’est que le chemin vers l’échec. Les employés y détectent une forme de manipulation qui démotive et amenuise le désir de performer. Ce qui reviendrait à dire que les organisations doivent tenir compte de l’empowerment structurel, mais également de l’empowerment psychologique pour réussir une participation de qualité.

La « participation définit une relation intérieure des hommes qui pensent, décident, agissent dans la communauté et sous son impulsion mais aussi pour elle et en son nom. Hors de celle-ci, l’homme n’a aucune identité » (Moscovici & Doise, 1992, p. 77). Ces derniers auteurs définissent deux principaux types de participation : la participation consensuelle et la participation normalisée. Cette dernière est marquée par une grande quantité de règles et de processus définis. L’ordre et la discipline règnent en ayant pour effet d’abaisser le degré d’implication collective. La participation consensuelle, en plus d’augmenter le degré d’implication collective, fait converger les membres vers le pôle des valeurs déjà partagées par eux avant de prendre part à une décision.

Moscovici et Doise (1992) mentionnent que les niveaux de participation ne sont pas exclusifs. Les participants naviguent d’un type vers l’autre sur le continuum de la participation. Selon divers critères, situations, contextes ou environnements, ils passeront d’une participation normalisée vers une participation consensuelle ou vice-versa. À la suite de la lecture des divers auteurs sélectionnés et selon la terminologie respective utilisée pour les types de communications étudiés (Tableau 1), nous distinguons deux tendances : une participation régie par les règles, les procédures, les codes et les textes (structure, organisation, normalisation), et une autre marquée par le désir d’un consensus (valeurs, conversation).

Tableau 1

Terminologie de la participation selon la vision des auteurs étudiés

Terminologie de la participation selon la vision des auteurs étudiés

-> See the list of tables

Autrement dit,

la participation, qu’elle soit promue par les instances gouvernementales ou par le secteur communautaire, transporte avec elle une forte valeur symbolique. Elle est associée à la prise en compte, à la reconnaissance, à l’émancipation, au pouvoir d’agir, au bien-être, bref à l’idée d’un monde plus solidaire et plus égalitaire, un monde où les rapports hiérarchiques s’atténueraient.

Pelchat, 2010, p. 116

La participation s’effectue dans les délibérations encadrées et segmentées, dirigées par des codes ou des normes de procédure qui permettent à tous de s’exprimer sur une question, mais ces codes sont critiqués en ce qu’ils engendrent « l’incapacité de susciter la coopération et le consensus. Ces codes, selon plusieurs critiques, sont obsolètes. De plus, les participants ne comprennent pas les tenants et les aboutissants des décisions prises, ne s’engagent pas dans les décisions prises » (Robert, 2007, p. 199) et ils finissent par abandonner le processus.

Finalement, une nuisance à la participation provient des expériences négatives vécues. En effet, il semble que d’un côté, l’organisation croit encourager la participation par le partage d’informations jugées pertinentes et porteuses de projets mais sans possibilité de dialogue, donc une communication à sens unique. Cependant, de l’autre côté, le public (les membres, les usagers, les clients, les employés) ne veut que dialoguer et être entendu. Ces situations génèrent de la frustration et de la déception.

3.2 Les paradoxes de la participation

Rappelons que la « participation définit une relation intérieure des hommes qui pensent, décident, agissent dans la communauté et sous son impulsion mais aussi pour elle et en son nom. Hors de celle-ci, l’homme n’a aucune identité » (Moscovici & Doise, 1992, p. 77). En outre, depuis une vingtaine d’années, Georges Cheney et ses collègues tentent de faire le tour de la question de la participation et plus particulièrement des paradoxes de la participation. Ils établissent notamment le constat selon lequel les paradoxes et les contradictions rendent la communication pathologique, au sens comparable à celui défini par l’école de Palo Alto (Watzlawick et al., 1972).

En effet, si la participation se mesure par le bien-être des employés et la productivité, Cheney et Cloud (2006) constatent que la productivité prend maintenant plus de place dans l’équation de la participation, au détriment des valeurs humaines. Il y a un débalancement dans ce qui est censé être une démocratie. On l’appellera toujours démocratie, mais elle prendra une saveur plus capitaliste que sociale. Il y a une distorsion entre les idéaux et les pratiques qui crée les paradoxes tels que décrits par Stohl et Cheney (2001) (voir Tableau 2). Nous retenons de tous ces paradoxes reliés à la participation le « clash »[2] entre ce qui est perçu et ce qui est compris des différents acteurs (tant managers que sociétaires et participants de tout acabit). Un des exemples très parlants de ces auteurs est de suggérer aux participants de créer, de participer, d’être intuitifs en toute liberté, mais cette liberté se trouve réglementée par la structure et les règlements, les codes et les processus de l’organisation. Ceci a pour effet de créer une double contrainte, le tout générant de la frustration, de l’ironie, une perte d’identité et possiblement une baisse de participation consensuelle (Moscovici & Doise, 1992; Stohl & Cheney, 2001; Watzlawick et al., 1972). La crise identitaire est donc l’élément déclencheur de la recherche de participation. Elle oblige les entreprises à retrouver leurs valeurs fondatrices qui les différencient des autres entreprises. C’est d’ailleurs sur la réactualisation du système des valeurs que se base la participation, comme l’énonce Richez-Battesti. En effet,

la mobilisation du sociétariat […] repose sur la combinaison de trois dynamiques : connaître, informer, mobiliser, [et ce, avec] la formalisation d’un grand nombre d’instruments d’observation et d’évaluation du sociétariat, et notamment un observatoire du sociétariat ainsi qu’une politique volontariste d’animation.

2006, p. 5

Paradoxalement, la communication se voit entravée par la participation. La participation est souhaitée si intensément par diverses techniques participatives, règles, normes, etc., qu’on en vient à brouiller son authenticité et son aspect consensuel en la transformant en participation normée. En d’autres termes, les contradictions et les paradoxes modulent la communication par la participation avec pour corollaire la perte d’identité des participants. La participation normée s’installe petit à petit à force de formalisation et de processus qui, paradoxalement, contribuent à castrer la participation qui devient dès lors exempte d’innovation et de créativité.

Dans ce contexte, les participants ne peuvent pas converser sans se conformer aux règles établies par les personnes en position de pouvoir. De plus, s’ils n’ont pas les connaissances ou le niveau de la discussion en cours, ils en sont exclus (Deetz, 1992). Ainsi, « imposer un accord tout en demandant d’y adhérer entraîne des conséquences indésirables » (Moscovici & Doise, 1992, p. 171). L’exclusion s’installe au fur et à mesure de la mise de côté des opinions du participant afin qu’il s’ajuste à l’opinion de l’organisation qui se travestit face aux environnements à force de répondre aux requêtes externes. Les opinions, le discours et les valeurs des participants deviennent similaires à ce qui est partagé par l’organisation et, pour être plus spécifique, avec ceux qui sont en position de pouvoir.

Tableau 2

Les paradoxes de la participation tels que décrits par Stohl et Cheney (2001)

Les paradoxes de la participation tels que décrits par Stohl et Cheney (2001)

Tableau 2 (continuation)

Les paradoxes de la participation tels que décrits par Stohl et Cheney (2001)

-> See the list of tables

Nous présentons ici les divers paradoxes avancés par Stohl et Cheney (2001) qui sont, au bout du compte, des situations aliénantes, des doubles contraintes, des situations qui contredisent le désir de participer (voir Tableau 2). Par exemple, en milieu de travail, la participation est valorisée, mais en réalité, elle est obligatoire.

  • Les paradoxes de structure : Ces paradoxes concernent l’architecture de la participation et de la démocratie dans l’organisation. Il est demandé aux participants d’être créatifs, spontanés, confiants, mais le tout selon la planification et les règles imposées par l’organisation ou la hiérarchie en place. Ainsi, l’abus de type structurel (hiérarchie) se constate par exemple lorsqu’un employé propose quelque chose et qu’au moment où il doit faire entériner ses actions, on lui fait sentir que ce qu’il apporte n’a pas réellement de sens. Trop de lois, de règlements, d’ordres encadrant la façon de participer dans les organisations engendrent de la frustration pour ceux qui sont désillusionnés par le manque de reconnaissance de leur participation. Cette catégorie inclut les paradoxes de design, d’adaptation, de ponctuation et de formalisation. Par exemple, le paradoxe de ponctuation devient un biais à la participation; c’est le cas lorsque l’organisation cherche à prendre des raccourcis pour accroître l’efficacité, mais qu’un ou plusieurs participants constatent que ces procédures, censées être plus rapides, sont en réalité des ralentisseurs. En effet, cette situation conduit le groupe à accentuer son sentiment d’impuissance par rapport aux variables externes. Il y a résistance à travailler et à s’impliquer, ce qui amène, en fin de compte, une désorganisation et une implication décroissante dans les tâches à accomplir. La participation est alors perçue comme une grande perte de temps à discuter autour de problèmes plutôt que de les résoudre. Les gestionnaires font face à de la résistance et, malgré des tentatives de recentrer la réunion vers la tâche à accomplir, il semble que cela ne se termine qu’en d’inlassables discussions. Il en résulte des frustrations tant de la part des employés que des gestionnaires;

  • Les paradoxes d’agentivité : Cette catégorie comprend les paradoxes de responsabilité, de coopération, de sociabilité et d’autonomie. Il est question ici de l’efficacité individuelle au sein du système en place. D’un côté il est demandé aux employés de participer comme le reste de la collectivité ou du groupe, et de l’autre de se différencier en le faisant. Autrement dit, l’organisation prône une dynamique collective mais demandera des comptes individuellement. En outre, ces paradoxes créent un sentiment d’ambivalence qui, à force d’être vécu, atteint la capacité d’agir. La personne sent qu’elle doit suivre le groupe même elle pense autrement. Un exemple serait de sacrifier la vie de famille pour le gain de l’organisation, créant une participation forte pour l’entreprise, mais une participation négligente pour d’autres sphères de la vie.

  • Les paradoxes d’identité : Les paradoxes d’identité se concentrent sur les questions d’inclusion, de frontières et d’adhésion. Ils suggèrent que les participants doivent avoir leurs propres opinions et être capables d’argumenter et d’exprimer leur désaccord. Par contre, lorsqu’un consensus est bloqué afin d’exprimer une opinion, c’est finalement perçu comme un manque de loyauté et de mauvaise foi. D’un côté on demande de s’exprimer ouvertement et avec confiance, de l’autre, mais de l’autre il ne faut pas trop parler et bien adhérer à l’opinion de la direction. Cette classe de paradoxes inclut les trois paradoxes suivants : l’engagement, la représentation et la compatibilité.

  • Les paradoxes de pouvoir : Le contrôle, le leadership et l’homogénéité sont les trois paradoxes du pouvoir. La nature et les spécificités du pouvoir en place dans l’organisation sont scrutées dans cette catégorie. Ces paradoxes dénoncent un surplus de bureaucratie, notamment dans les groupes promouvant la participation active consensuelle; ces derniers en viennent à contrôler, à codifier, à réglementer la participation et à rejeter toutes opinions différentes. Le pouvoir n’est partagé qu’en apparence et il y a une fausse impression de contrôle. Ultimement, les plus hauts managers décident, tout en suggérant que les employés peuvent exprimer leur résistance et la partager avec l’organisation.

Lorsque les participants se conscientisent aux divers paradoxes possibles, ils peuvent alors s’adapter et moins s’emporter. Et puisque les paradoxes tels que définis par Stohl et Cheney (2001) sont rarement évitables, il faut vivre avec et trouver des façons de les pallier. Les organisations au fait de ces paradoxes peuvent encourager la proximité des participants en créant, par exemple, des comités de quartier ou des espaces publics locaux. La création de jurys, de conférences citoyennes, de forums, etc., peu importe la forme, permet la consultation directe (Sintomer, 2003). En effet, se parler « favorise la tolérance, la création du consensus, la prise en compte des besoins des uns et des autres » (Sintomer, 2003, p. 138). Finalement, toutes les parties prenantes peuvent entendre les points de vue des autres, encourager la politisation des problèmes et renforcer l’adhésion (sentiment qu’une personne est écoutée et que sa décision est importante) (Blau, 1964; Sintomer, 2003; Stohl & Cheney, 2001).

4. Méthodologie

Pour cette recherche, nous avons choisi l’analyse thématique comme méthode d’analyse qualitative des données puisqu’

elle enclenche le processus de réduction ou de synthèse du corpus; elle permet d’y repérer de manière appropriée pour le chercheur les objets sur lesquels vont s’appliquer les analyses intermédiaires : par exemple, les dires et les faits permettent d’identifier et d’extraire du corpus des relations entre acteurs, des thèmes et des dispositifs de communication.

Katambwe et al., 2014, p. 251

Autrement dit, la réduction et la synthèse du corpus étudié permettent de réduire la quantité des données afin que l’essentiel en soit extrait et que la quantité soit gérable (Katambwe & Genest, 2013). Ce travail de réduction, de synthèse et d’extraction sous le thème principal des paradoxes de la participation correspond à une étape préliminaire qui servira à d’autres recherches sur la communication dans les organisations qui nous permettront de déterminer des pratiques médiationnelles visant à l’amélioration de la participation dans les organisations.

Plus précisément, l’analyse thématique consiste à extraire les paradoxes de la participation – établis par Stohl et Cheney (2001), qui seront détaillés dans la section suivante – dans divers articles et forums de discussion concernant la grande organisation étudiée, puisque

les échanges y sont facilités, comme par exemple au téléphone, lorsque les interlocuteurs sont encouragés à exprimer des choses qu’ils n’oseraient pas dire en face, ils ne se sentent pas retenus par un geste, une mimique, une réaction d’humeur. Les ratés sont mis sur le compte du bruit, les malentendus sur celui de l’éloignement.

Moscovici & Doise, 1992, p. 203

Ce type de communication, à caractère consensuelle, a pour effet de « supprimer tous les indices dénotant une hiérarchie – vêtements, attitudes sociales, posture d’autorité, etc. […] Les personnes communiquent à travers un réseau [et] ressentent moins la différence de rang, la pression de l’organisation et elles s’expriment plus librement » (Moscovici & Doise, 1992, p. 203). En somme, l’idée d’étudier les forums de discussion ou d’analyser les commentaires en fin d’articles ou de blogues permet d’avoir accès aux opinions franches, voire colorées, des participants à l’égard de l’organisation.

Initialement, pour l’extraction des paradoxes, l’objectif était d’utiliser le logiciel NVivo (logiciel d’analyse quantitative utilisée lors de recherches antérieures utilisant la méthodologie de la théorisation enracinée). Toutefois, pour le repérage, nous avons plutôt choisi une lecture sur support papier des échanges parus sur les forums. Ainsi, les paradoxes ont été repérés sur papier puis colligés un après l’autre dans un tableau Excel qui reprend le format du Tableau 2 et qui classifie les thèmes du discours en lien avec un paradoxe précis. Qui plus est, l’utilisation principale de cette grille a grandement permis de simplifier le classement par thèmes et la comptabilisation des énoncés analysés en lien direct avec les thèmes à l’étude.

5. Résultats de recherche

La présentation des résultats se décline en deux parties. Tout d’abord, nous exposons les constatations préliminaires émergeantes des données étudiées. Puis nous faisons état de notre analyse des données en interprétant les résultats qui ont permis de faire ressortir les deux principaux paradoxes influençant la communication d’une organisation, soit celui de la perte d’identité et celui de l’excès de formalité.

5.1 Constatations préliminaires

Cent soixante-trois (163) paradoxes ont été extraits des douze (12) forums et articles analysés (voir Tableau 3), dont un peu plus de la moitié entre dans la catégorie des paradoxes de structure. Dans cette catégorie, près de la moitié se classent dans les paradoxes d’adaptation, ce qui en fait le type de paradoxe le plus fréquent dans l’étude. Deux arguments reviennent sans cesse : l’organisation étudiée a perdu son identité profonde (1) et elle ne se démarque plus des autres organisations. Elle se disait sociale mais elle agit comme une organisation privatisée (2).

Mentionnons que les paradoxes ne sont pas cloisonnés et qu’il n’est pas rare d’en retrouver plusieurs pour une seule situation (Stohl & Cheney, 2001). Prenons par exemple le commentaire suivant relié à l’identité de l’organisation : « La [compagnie] à la papa […] c’est terminé depuis longtemps, mais le mythe est soigneusement entretenu par les dirigeants du groupe, le folklore des fondateurs… » (Extrait forum 12); la perte d’identité s’expliquerait ici par un contrôle de la hiérarchie, et ce paradoxe aurait pu également être noté dans la section des paradoxes de design (catégorie de la structure) puisque le reproche de la perte d’identité est associé à un contrôle imposé par la hiérarchie. Nous aurions pu également le catégoriser dans l’un des paradoxes du pouvoir, plus particulièrement sous celui du leadership, puisque les dirigeants sont représentés comme des leaders charismatiques.

Tableau 3

Dénombrement des paradoxes émergeants des données étudiées

Dénombrement des paradoxes émergeants des données étudiées

-> See the list of tables

Par ailleurs, sur la totalité des paradoxes relevés, nous en avons trouvé moins de cinq (5) positifs à l’égard de l’organisation étudiée.

Ceux qui ne sont pas contents ont juste à se créer leur propre organisme. Ils payeront 5 $/transaction et ça sera leur problème. Moi en tant que membre j’approuve la stratégie actuelle à 100 %, même si ma succursale a fermé.

Extrait du forum 4

Le paradoxe identifié dans l’extrait précédent en est un d’autonomie (catégorie agentivité), en raison du fait que le participant accepte la fermeture de la succursale où il est membre, et ce, pour le bien de l’organisation.

Le second type de paradoxe le plus documenté est celui de la formalisation :

Avez-vous déjà vu une décision de 400 $ prise par 12 experts qui font 4 réunions d’une heure trente? Vous verrez ça si vous y travaillez!

Extrait du forum 8

C’est un monstre de politique qui a une vision long terme de 6 mois !!!!!!!!!! Parfait pour fonctionnaires et politiciens. DANGEREUX POUR « INTRAPRENEURS » ET « CONSULTANTS »!!!!!!!

Extrait du forum 8

L’entreprise procède à d’interminables réorganisations de la structure organisationnelle… ce qui en plus d’être le symptôme d’une organisation malade, provoque un grand stress chez les gestionnaires

Extrait du forum 8

35 hrs/semaine, français écrit à la perfection même au détriment de la productivité et de l’efficience. La maladie : les réunions non organisées et surtout le manque de formalisme

Extrait du forum 8

Je pense exactement comme vous. Elle [l’organisation] se comporte de façon aussi vulgaire. Il y a des frais pour tout. Tellement que bientôt on va nous charger des frais de franchissement parce qu’on est entré dans [le bâtiment]. Ça l’air exagéré mais on en est presque rendu là

Extrait du forum 10

Ces quelques exemples dénotent que pour assurer le bon fonctionnement de l’organisation, cette dernière instaure des processus encourageant la participation. Toutefois, la lourdeur nuit à l’efficacité. Le désir d’institutionnaliser la démocratie perpétuerait une perte de spontanéité (Stohl & Cheney, 2001). Paradoxalement, l’acte de s’organiser se finalise par une désorganisation.

Les deux paradoxes de la participation les moins représentés sont ceux de la sociabilité (agentivité) et de la représentation (identité). Dans l’extrait ci-dessous, le paradoxe de sociabilité exprime une tension entre l’encouragement à se dépasser et la motivation qui, au contraire, est à son plus faible niveau.

Les objectifs sont organisés de façon à encourager la concurrence malsaine entre les employés et… ENTRE LES [SUCCURSALES] ELLES-MÊMES. Perpétuelles réunions pour nous rentrer dans la tête que tout va bien madame la marquise, que tous les employés sont heureux (ils décident ça pour nous : brain washing), que nous allons devenir la meilleure [succursale] alors que la fusion n’est qu’un échec total inavoué de la part de la direction. La motivation est rendue nulle, la reconnaissance tout autant

Extrait du forum 8

5.2 Interprétations préliminaires

Nous avons constaté dans la section précédente que les tensions et paradoxes extraits des forums rassemblent les mêmes types de tensions relatives à la perte de l’identité de l’organisation. Cela s’explique par « […] l’existence d’une représentation commune [qui] se traduit par l’émergence d’une série de catégories d’opinions et de jugements plus fréquemment utilisés » (Moscovici & Doise, 1992, p. 256). En effet, les discussions tournent autour du sujet principal, si bien que lorsqu’est exposée une situation, la suite des discussions se polarise autour de cette idée. De plus, les participants interpellés personnellement par le sujet participent davantage (Moscovici & Doise, 1992).

À la suite de la lecture des forums, qui sont des traces interprétables, nous posons comme hypothèse que dans l’organisation étudiée, la participation est normalisée. L’interprétation d’une situation s’effectue par l’acte de communiquer. Or la communication c’est de l’organisation (Taylor & Van Every, 2000). Ces forums seraient alors un reflet de l’organisation, car

[…] les typifications du langage sont précisément la manière dont la standardisation est accomplie à travers les situations pour produire les organisations sociales complexes avec lesquelles nous sommes familiers, et, par conséquent, le local n’est jamais qu’un échantillon du global[3] [traduction libre].

p. 75

En conséquence, une nuisance à la participation consensuelle se produit lorsque des expériences partagées se sont soldées par la déception, la frustration, voire l’impuissance, en raison des antagonismes, des différends qui existent entre les protagonistes sur le but même de la participation, laquelle peut aller de la manipulation au contrôle direct (Barbier, 2005). Le différend peut provenir d’une dissonance de perception et d’attitude. En effet, d’un côté, l’organisation croit encourager la participation en partageant des informations porteuses de projets. Cependant, le dialogue n’est pas possible, il s’agit exclusivement d’une communication à sens unique qui permet de transmettre de l’information. Puis, de l’autre côté, il y a le public (les employés, les clients) qui veut « juste être écouté, entendu et pris au sérieux » (Barbier, 2005, p. 261). Cette dissonance décelée dans les paradoxes crée de l’ambiguïté, car elle est « subjectivement perçue, interprétée et ressentie »[4] [traduction libre] (Weick, 1995, p. 92). En effet, « les gens jugent les évènements comme étant ambigus si ces évènements paraissent moins clairs, très complexes ou paradoxaux »[5] [traduction libre] (Weick, 1995, p. 92). Toutefois, l’un des principaux avantages des conversations informelles sur les forums, autour de l’ambiguïté, est qu’elles favorisent « […] la divergence, puis le débat, par l’hétérogénéité des individus, leur appartenance à des professions distinctes, la distance entre les positions individuelles; par une moindre cohésion des groupes ou une confiance accrue entre leurs membres, on polarise le consensus » (Moscovici & Doise, 1992, p. 113). Ainsi, nous constatons qu’il y a deux visages à la cohésion, celle qui encourage la discussion et celle qui la décourage.

L’analyse nous a permis de mettre en évidence deux éléments constitutifs de la participation dans la grande organisation soit la perte d’identité et l’excès de formalités.

5.2.1 Perte d’identité

Les grandes et très grandes organisations vivent une perte d’identité qui est assujettie au dérapage ou au changement d’optique lorsque les grandes organisations privilégient la rentabilité du service au détriment de son utilité. Elles perdent leur identité propre en copiant d’autres organisations de grande envergure et, pour retrouver leur identité, elles optent pour la mobilisation des partenaires sociétaires, participants ou ressources, autour d’un projet (Richez-Battesti, 2006). Le participant ou le sociétaire serait-il alors perçu par l’organisation et ses dirigeants comme un mal nécessaire puisqu’imposé ou obligatoire au regard des desiderata de la démocratie (Richez-Battesti, 2006)?

Pour une meilleure participation, il est nécessaire

de souligner l’importance de l’information et de sa diffusion dans la mobilisation des sociétaires et leur implication dans un projet collectif. En effet, la participation existe si elle est motivée par un projet, notamment c’est ce qui permet la reconquête identitaire.

Richez-Battesti, 2006, p. 7

Nadine Richez-Battesti précise d’ailleurs qu’il y a réciprocité entre l’identité participative et la reconquête du sociétariat et de son identité. Cette dernière « s’évalue par la reconnaissance de la place qu’occupe le participant sociétaire; actuellement, elle est davantage contractuelle formelle relevant d’une convention d’usage qui reconnaîtrait la fonction d’acteur du participant » (Richez-Battesti, 2006, p. 9).

Le sujet de l’identité de cette organisation reste ambigu et mobilise l’opinion à l’extérieur de l’enceinte même de cette organisation, notamment sur les forums. Selon la théorie des organisations de Weick (1995), nous constatons un rapport entre les niveaux d’équivoqualité, les règles d’assemblage et les cycles de communication. Plus un individu rencontre d’autres personnes, plus ses interactions le confrontent à différentes façons de percevoir les choses. « Les identités sont constituées à travers le processus interactionnel » (Weick, 1995, p. 20). En d’autres termes, le participant fait face à plus d’équivoqualité, cela en raison du plus grand nombre de définitions rencontrées. Pour une participation consensuelle, au sens de Moscovici et Doise (1992), il faut moins de règles. Ce phénomène se produit lorsque l’équivoqualité est élevée. En effet, lorsqu’il y a moins de règles, il est plus facile pour un plus grand nombre de personnes de s’exprimer, ce qui engendre une grande quantité d’interactions, plus de cycles de communication et forcément d’interprétations obligeant les participants à chercher un consensus. Ce processus semble d’ailleurs se réaliser dans les forums.

5.2.2 Excès de formalités (formalisation)

Les paradoxes extraits des forums ont fait ressortir la grogne et les tensions relatives à un surplus de règlements et de bureaucratisation. Les lourdeurs administratives et la pléthore de formalités sont instaurées pour améliorer les processus, toutefois elles entravent l’effort de participation et génèrent, en fin de compte, plus d’ambiguïté. Effectivement, « […] les sociétés qui ont semé l’harmonie et l’entente à tout prix ont récolté la discorde et le désaveu des individus » (Moscovici & Doise, 1992, p. 112). Une hypothèse avancée est que la direction entend les tensions exprimées, mais y répond en augmentant la quantité d’informations, d’où la création de campagnes médiatiques se voulant transparentes; toutefois, « ceux qui réduisent la confusion par des médias trop riches peuvent créer de nouveaux problèmes qui empêchent la création de sens »[6] [traduction libre] (Weick, 1995, p. 99). Cela pourrait être la conséquence d’un manque de distinction entre la confusion (reliée à l’ambiguïté) et l’ignorance (reliée à l’incertitude) (voir Tableau 4). Dans la situation présente, les participants sont davantage dans la confusion que dans l’ignorance; ils ont accès à une grande quantité d’informations, ce qui répond à l’ignorance, toutefois ils nécessitent une information différente provenant de médias plus riches (Weick, 1995). Un excès d’informations viendrait alors brouiller les pistes et générerait une trop grande quantité de sens. En effet,

pour réduire les significations multiples, les gens ont besoin d’accéder à plus d’indices et à des indices plus variés, et c’est ce qui se produit lorsque des médias impersonnels riches tels que les réunions et les contacts directs prennent le pas sur des médias impersonnels moins riches tels que les systèmes d’information formels et les rapports spéciaux[7] [traduction libre].

Weick, 1995, p. 99

Tableau 4

Comparaison entre les notions d’ambiguïté et d’incertitude

Comparaison entre les notions d’ambiguïté et d’incertitude

-> See the list of tables

Conclusion

Rappelons l’idée de Stohl et Cheney (2001) que la participation, en tant que processus organisationnel, est fondamentalement liée aux expériences et aux connaissances de chaque employé. « La participation en milieu de travail est enracinée dans l’idée que les travailleurs individuels peuvent faire la différence, que leurs expériences de travail et leurs connaissances uniques sont fondamentales pour améliorer les processus organisationnels »[8] [traduction libre] (Stohl & Cheney, 2001, p. 370).

La « mortification », la victimisation et la reformulation sont les trois façons de réagir aux paradoxes de la participation. « La troisième est l’option la plus souhaitable […] car elle empêche la dégénérescence des conflits et peut élever les participants à un niveau de compréhension nouveau et plus productif »[9] [traduction libre] (Stohl & Cheney, 2001, p. 370).

Ainsi, l’utilisation des forums pourrait permettre de sortir de la victimisation et de la mortification en permettant un endroit où s’exprimer et laisser la chance de « reformuler » (reframing) la participation (Stohl & Cheney, 2001).

De manière générale, les auteurs, dont Stohl et Cheney (2001), Cheney (1995), et Sintomer (2003), affirment que l’aplatissement de la hiérarchie favorise la participation. Donner de l’empowerment aux employés, leur permettre d’exprimer leurs opinions, leur offrir et recevoir de la reconnaissance pour leurs idées, leurs opinions et leurs actions sont également des méthodes qui ont fait leurs preuves. La participation tend à devenir une pratique, quasi obligatoire, plutôt qu’une qualité individuelle. Elle se dépersonnalise alors et on parlera davantage de système de participation (p. ex., le Kaizen, le TQM, Lean, etc.) plutôt que de comportements participatifs. Lorsque le pouvoir est décentralisé et partagé, la participation augmente. Paradoxalement, cette liberté ne devrait pas s’exercer au prix d’un laisser-aller qui ferait perdre la cohésion et le caractère distinctif, l’originalité (la « distinctiveness ») (Cheney, 1995).

Lors de cette étude, nous avons pris conscience de l’ampleur de la présence des paradoxes de la participation dans la communication des grandes organisations. En effet, nous présumons qu’il y a pléthore de grandes organisations aux prises avec ces paradoxes qui nuisent au climat organisationnel. La plus grande limite de cette recherche, selon nous, se situe sur les plans macro et micro. Or, cette limite est la problématique inhérente à la grande organisation vue comme une entité; toutefois, cette dernière est analysée à travers l’interprétation du vécu des parties prenantes. Un autre axe possible d’analyse pourrait être de considérer l’organisation comme une entité propre, de l’anthropomorphiser volontairement et voir si sa communication paradoxale ici étudiée ressemble à ce que Genest (2019) qualifie de harcèlement systémique, soit une communication basée sur la participation passive qui conduit à un climat organisationnel toxique. Cette recherche fait émerger bien des questions : la communication paradoxale est-elle la panacée de la plupart des organisations? La grande organisation y est-elle condamnée dès qu’elle fait des démarches organisationnelles? Nous considérons que la recherche auprès des personnes en position de pouvoir dans la grande organisation nous aiderait à continuer la réflexion sur les écarts interprétatifs de toutes les parties prenantes. Il reste toutefois difficile, voire impossible, d’aborder le sujet d’un climat toxique basé sur la structure de l’organisation sans que les personnes impliquées se sentent concernées. Expliquer que l’organisation est toxique par définition, en excluant l’individu de l’équation, est particulièrement délicat. D’où l’importance de travailler sur le concept afin de le vulgariser au point où les parties prenantes comprennent qu’on s’adresse à l’entité et non aux individus, même si ceux-ci la constituent. Donc, une des limites de la recherche est principalement de n’avoir eu accès qu’à une certaine catégorie d’individus impliqués et ne provenant pas de tous les niveaux structurels de l’organisation.

Quoi qu’il en soit, cette étude s’est concentrée sur la communication paradoxale dans une grande organisation et nous amène à conclure que ce type de communication est impossible à éviter. Nous pouvons l’imaginer comme un balancier où les acteurs naviguent entre la participation active, qui conduit à de l’innovation, laquelle est ensuite formalisée pour la maintenir. Cette formalisation devient peu à peu sédimentée à travers diverses règles et la participation devient alors normalisée. Une organisation consciente du processus d’innovation et de créativité qui se produit dans les allers-retours entre la participation active et passive saura reconnaître les indices d’une communication passive. Cette reconnaissance se produit par l’autoréflexivité, soit la capacité d’avoir un retour sur soi, sur les pratiques, sur la façon dont on communique. Cette stratégie s’appelle la métacommunication, soit le fait de communiquer sur la communication elle-même. Donc le balancier peut continuer de fonctionner au lieu de stagner dans la zone inactive de la participation.

Une communication trop stagnante dans la zone de la participation passive fait en sorte que les parties prenantes ne peuvent plus s’exprimer adéquatement, faute d’espace pour le faire, ou encore faute d’écoute réelle. Souvent, ces tentatives de communications se soldent par des échecs puisque le propre de la participation passive est de promouvoir le statu quo et d’éviter un nouveau déséquilibre, vers la participation active et innovante. Un paradoxe qui ne se brise que par la prise de conscience volontaire des acteurs en jeu. Si les vecteurs de changements ne peuvent s’exprimer au centre, où le font-ils? En périphérie, en marge.

Finalement, notre étude sur les paradoxes de la participation nous laisse croire en la possibilité d’une communication organisationnelle dynamique hors des murs de l’organisation même. Nos prochaines recherches viseront à déterminer la nature de cette communication organisationnelle située à l’extérieur de l’organisation. Comme elle se situe en marge, nous l’appellerons communication marginale. La suite des recherches sur ce sujet nous permettra éventuellement de trouver une forme de communication médiationnelle pertinente répondant aux divers problèmes de la participation dans les organisations.