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Introduction

Durant les années 60-70, les pratiques d’analyse de documents se sont faites de plus en plus courantes en classe d’histoire au secondaire. Le développement de ces pratiques est à remettre dans le fil de l’évolution des modèles d’enseignement de l’histoire, notamment au Québec et en Belgique.

1. Le document en classe d’histoire

Utilisé dans un sens strict par les historiens de métier, le terme document l’est dans un sens beaucoup plus large s’agissant de la discipline scolaire qu’est l’histoire. En effet, en classe, élèves et enseignants désignent un grand nombre de matériaux avec ce vocable.

1.1 Qu’est-ce qu’un « document »?

Pour les historiens, un document est une source primaire qui a valeur de témoignage : laissé volontairement ou involontairement par les humains qui ont vécu hier, il livre des informations, des perceptions… à propos de leur vie, dont il conserve des traces, d’où l’expression trace du passé parfois utilisée pour désigner ces documents au sens strict (Jadoulle, 2018). Par contre, dans le contexte de l’enseignement de l’histoire, le terme document désigne tous les supports d’informations sur la base desquels les élèves peuvent développer leurs connaissances. Ces documents sont de type textuel, iconographique, audiovisuel, oral, matériel, statistique, cartographique, schématique… (Jadoulle, 2018; Martel, 2018). Certains ont valeur de témoignages et correspondent donc à la définition que l’historien donne des sources; d’autres, appelées parfois sources secondaires ou tertiaires (Martel, 2018)[1], consistent en des reconstitutions réalisées dans un but scientifique (travail d’historien…), informatif (article de presse…), didactique (manuel scolaire…) ou récréatif (roman, film de fiction, bande dessinée…).

1.2 Analyser des documents : pourquoi?

Le recours au document peut se justifier tant sur le plan épistémologique que sur le plan pédagogico-didactique.

L’exploitation de sources est constitutive du processus de la connaissance historienne. En effet, celle-ci est nécessairement une connaissance médiate. Contrairement à la plupart des scientifiques qui bénéficient d’un accès moins médiat[2] à leur objet d’étude, l’historien est dans l’impossibilité d’accéder de manière immédiate à ce qui mobilise son effort de compréhension, à savoir la vie des humains autrefois. Pour s’en construire une représentation, il est contraint de se fier, jusqu’à un certain point, aux traces que ces humains ont laissées. C’est à travers leur examen critique, leur confrontation et leur interprétation qu’il s’efforcera de se représenter ce que furent leurs gestes, leurs perceptions… Si ce travail s’enrichit au contact de la lecture des travaux rédigés par d’autres historiens, les sources premières constituent le matériau premier de la connaissance historienne.

C’est donc par isomorphisme avec le métier d’historien que le recours au document a été promu par les didacticiens, dès les années 60-70. Ils y voyaient le moyen, à côté des apprentissages centrés sur des connaissances déclaratives, de développer l’apprentissage de connaissances procédurales en lien avec la méthode historique. Actuellement, il nous paraît que l’argument de l’isomorphisme peut trouver, dans le projet de faire apprendre la pensée historique, un soutien de poids. Théorisée par plusieurs auteurs (Seixas & Morton, 2013; Seixas & Peck 2004; Wilschut, van Straaten & van Riessen, 2013), la pensée historique ou historienne[3] peut être définie comme l’articulation de la méthode et de la perspective historiennes (Jadoulle, 2018).

La méthode ou la démarche historienne désigne les étapes que l’historien franchit dans l’élaboration de sa recherche : il s’agit de la problématisation, de l’heuristique, de la critique, de l’herméneutique et de la communication. Ces étapes supposent la maîtrise d’habiletés ou de savoir-faire comme ceux liés à l’analyse et à la critique de documents. La construction de la connaissance historienne exige toutefois bien plus que la mise en oeuvre d’une méthode : elle mobilise des manières de penser qui sont en partie spécifiques à l’historien et constituent la perspective historienne. C’est en les mobilisant lors de sa démarche que l’historien, et à sa suite l’élève, exerce la pensée historienne. Celle-ci les conduit à développer leur conscience historique, c’est-à-dire à prendre conscience qu’ils sont eux-mêmes acteurs de l’histoire qui se fait aujourd’hui (voir la Figure 1). Pour développer cette pensée et cette conscience, l’élève ne peut donc opérer autrement que l’historien et aller à la rencontre de documents.

Figure 1

Pensée historienne et conscience historique (Jadoulle, 2018, p. 42)

Pensée historienne et conscience historique (Jadoulle, 2018, p. 42)

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Le recours au document se justifie aussi au regard de l’approche sociocognitive de l’apprentissage. Née sur les bases du constructivisme piagétien puis des critiques socioconstructivistes, cette approche se nourrit également des travaux de la psychologie culturelle, dont ceux de Vygotski et Bruner. Elle défend l’idée que « l’acquisition de connaissances est le fruit d’un acte créatif où l’enfant, confronté à des problèmes d’adaptation à son environnement, est engagé dans un processus d’élaboration active de sa pensée » (Crahay, 1999, p. 207) qui opère en mobilisant les outils de la culture. Cette posture théorique nécessite, si l’on veut l’incarner, en classe d’histoire, le recours aux documents, particulièrement aux sources primaires. Ce n’est en effet que par leur truchement que l’enseignant peut organiser une rencontre entre les apprenants et l’« environnement » qu’il leur revient de comprendre, à savoir le passé humain et le présent, éclairé par ce passé.

1.3 Analyser des documents : pour que faire?

S’il faut attendre respectivement les années 50-60 puis la fin des années 60 et le début des années 70 pour voir émerger, dans les propositions des « didacticiens »[4] puis dans les programmes, l’invitation à pratiquer l’analyse de documents avec les élèves, le recours au document est de mise dans l’enseignement de l’histoire depuis plusieurs siècles, en tout cas depuis le XVIIe (Bruter, 1997). Cependant, l’usage préconisé le réduisait à une fonction illustrative : en appui du discours du maître, il venait apporter la preuve de sa véracité et le concrétiser.

Les manuels scolaires – depuis les « abrégés » d’histoire (Bruter, 1997) qui en sont les ancêtres jusqu’aux livres scolaires d’histoire publiés dans les années 50-60 – confirment le rôle illustratif dévolu aux documents : en petit nombre et reproduits aux marges du récit, ils sont essentiellement de nature iconographique, cartographique ou généalogique, soit des types de documents qui peuvent aisément être utilisés en illustration du récit du manuel et du professeur.

Ce modèle, que nous avons qualifié d’exposé-récit et que nous avons mis au jour à travers l’étude des programmes et des manuels en Belgique francophone (Jadoulle, 1994, 1998, 2009, 2018) est ordonné à des finalités de type patrimonial ou culturel d’une part, civique d’autre part. Il a marqué également l’enseignement de l’histoire au Québec et en France (Cardin & Tutiaux-Guillon, 2007; Lautier & Allieu-Mary, 2008; Martineau, 2010; Tutiaux-Guillon, 2008). Il en est de même des deux modèles qui lui succèderont et qui modifieront la fonction du document : le discours-découverte et l’apprentissage-recherche.

En Belgique francophone, le discours-découverte (Jadoulle, 2018) émerge au tournant des années 70-80, à la faveur de nouveaux programmes dont les auteurs recommandent aux enseignants l’analyse, par les élèves, de documents. À côté des matières qui sont progressivement allégées, ces programmes comportent l’énoncé de savoir-faire à exercer au départ des documents. De la même manière, au Québec, le Rapport Parent (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 1963-1964), initie un tournant tant sur le plan des finalités, qui évoluent dans le sens de la formation intellectuelle des élèves (Martineau, 2010), qu’au plan méthodologique :

[Désormais], les faits du passé sont toujours au programme, mais ils ne sont plus présentés comme des vérités révélées à mémoriser, mais comme un matériau à apprendre à travers une démarche plus active où, en complément des exposés magistraux de l’enseignant, l’élève manipule des documents et fait des recherches sur le passé, contribuant ainsi à former chez lui le sens critique, un attribut essentiel des citoyens dans une société démocratique

Cardin, 2014, p. 77

Il faudra toutefois attendre le début des années 80 pour que ce changement de modèle didactique se concrétise, et ce, d’abord dans le cadre de programmes conçus dans la perspective de la pédagogie par objectifs (Cardin, 2014; Martineau, 2010).

Se met ainsi en place, en Belgique francophone et au Québec, un modèle d’enseignement de l’histoire que nous avons qualifié de discours-découverte. Le document s’y trouve promu au rang de matériau d’apprentissage premier de l’élève. Plutôt que de transmettre un récit, l’enseignant le « masque » par un ensemble de documents qui, délivré à l’élève progressivement, lui permet de découvrir pas à pas les contenus qui composent le récit du professeur et donc ce récit lui-même. L’élève est amené à s’engager dans des activités d’analyse de documents dont la vocation n’est plus seulement illustrative. Outre lui permettre de mettre au jour les connaissances clés identifiées comme telles par l’enseignant, ces activités l’amènent à développer la maîtrise de savoir-faire liés au traitement de la documentation et, plus fondamentalement, à la méthode historienne. Comme nous l’avons relevé dans le cas du Québec, mais il en est de même en Belgique francophone, ces apprentissages sont considérés comme essentiels dans le cadre d’un cours d’histoire qui met progressivement en avant les finalités intellectuelles et non plus seulement patrimoniales, ainsi que les finalités citoyennes en lieu et place des finalités civiques. L’ambition devient en effet non plus seulement de former un individu informé de ses droits et ses devoirs, et conforme à l’ordre établi, mais un citoyen capable de prendre distance critique et d’oeuvrer à la transformation de la société.

La production de manuels scolaires telle qu’elle s’est développée depuis les années 1970 révèle l’affirmation du discours-découverte : tandis que la part du récit se contracte, un grand nombre de documents, de genres très variés, y apparaissent. La toute grande majorité de la production de manuels scolaires demeure marquée par ce modèle (Jadoulle, 2007, 2009).

Le modèle du discours-découverte nous semble avoir durablement marqué les conceptions des enseignants et leurs pratiques. Une étude réalisée en 2008 en Belgique francophone indique qu’environ un tiers des professeurs d’histoire s’affiliaient à ce modèle pour leurs conceptions (Bouhon, 2009). Plus récemment, une recherche nous a permis de mettre en évidence que, quelles que soient les conceptions des enseignants, les pratiques d’usage du manuel d’histoire Construire l’Histoire (Jadoulle & Georges, 2005-2008/2014-2016) étaient très majoritairement marquées par les attendus du discours-découverte, lequel nous apparaît donc comme l’inspirateur premier des pratiques dominantes en classe d’histoire dans le système éducatif belge francophone (Jadoulle, 2015).

Au Québec, selon Yelle (2016), dressant la synthèse de plusieurs recherches, les pratiques enseignantes resteraient encore marquées par le modèle de l’exposé-récit. Plus récemment, résumant les recherches d’autres didacticiens québécois, Martel confirme que

le paradigme de l’enseignement qui semble encore dominant en classe d’histoire est […] celui d’un enseignant qui transmet le savoir à apprendre à des élèves qui […] sont trop rarement (voire jamais) confrontés à des activités qui intègrent une démarche historique d’enquête et de critique

Martel, 2018, p. 33

En France, les recherches suggèrent la prédominance de ce qui nous apparaît comme une forme de pratique hybride, inspirée à la fois des modèles de l’exposé-récit et du discours-découverte, à savoir le cours magistral dialogué[5]. Celui-ci procède par un jeu socratique de questions-réponses prenant, à l’occasion, appui sur l’analyse, sinon la seule lecture de documents.

Enfin, à l’échelle européenne, l’enquête Youth and History (Angvik & von Borries, 1997) tend, elle, à montrer la persistance, particulièrement dans les pays d’Europe de l’Est et du Sud, mais aussi en France, d’un modèle qui s’organise autour du récit du professeur et de la lecture du manuel (von Borries, 2000). Cardin (Cardin & Tutiaux-Guillon, 2007) et Martineau (2010) mettent en évidence l’existence de pratiques semblables au Québec : elles se déploient autour du récit du professeur et d’exercices réalisés, par les élèves, dans des « cahiers d’activités ».

La percée relative du discours-découverte dans les pratiques ne doit pas amener à en masquer les limites. Il faut souligner notamment (Jadoulle, 2018) le caractère souvent très peu complexe des activités d’analyse de documents proposées aux élèves. Cette faible complexité nous semble inhérente au modèle lui-même, son intention fondatrice étant de « faire dire le savoir » au document. Pour y parvenir, le recours à des documents peu complexes et univoques, analysés souvent un à un et de manière très guidée, s’indique. L’élève est rarement amené à examiner un ensemble documentaire complexe, a fortiori sans ou avec peu de guidance.

La critique du discours-découverte nous a conduit à proposer aux enseignants la mise en oeuvre de démarches d’un troisième type : elles relèvent de ce que nous avons appelé l’apprentissage-recherche (Jadoulle, 2018). Elles se caractérisent d’abord par une mise en problématique des savoirs à enseigner. Celle-ci passe par l’analyse de documents qui, pour qu’ils puissent déboucher sur la production par les élèves d’un objet de recherche, sont choisis pour leur caractère plurivoque, contradictoire sinon peu fiable. Sur la base de cet objet de recherche, les élèves sont conduits dans une dynamique d’enquête qui leur offre des espaces d’analyse documentaire d’une certaine complexité. Ils sont censés développer des habiletés liées au traitement de la documentation qui dépassent le simple repérage d’informations et la simple exercisation de savoir-faire. Enfin, dans l’optique de l’apprentissage-recherche, le but du travail d’analyse de documents n’est plus uniquement de faire découvrir le récit préétabli par l’enseignant, mais de permettre collectivement à la classe, et individuellement aux élèves, de construire son/leur récit.

En francophonie, les échos que ce modèle recueille dans les programmes varient d’un système éducatif à l’autre. Au Québec, les auteurs du programme d’Histoire et éducation à la citoyenneté précisent que, pour amener l’élève à interpréter les réalités sociales, il faut l’amener à « répondre aux questions qu’il se pose en émettant des hypothèses […] Il expérimente des stratégies de recherche qui lui permettent de comprendre la réalité sociale à l’étude » (Ministère de l’Éducation du Québec, 2003, p. 342). En Belgique francophone, les auteurs du programme d’histoire dans le réseau officiel[6] invitent l’enseignant à « sortir de la démarche socratique faite de questions-réponses » (Ministère de la Communauté française, 2000, p. 7) et à endosser un nouveau rôle, celui « d’imaginer des situations d’apprentissage qui mettent l’élève en activité » (Ministère de la Communauté française, 2000, p. 5).

De leur côté, les auteurs du programme en vigueur dans le réseau catholique (2008) invitent les enseignants à veiller

à ce que les ressources (c’est-à-dire les savoirs et savoir-faire) que l’élève doit mobiliser de manière autonome et active dans le cadre des situations d’intégration qui lui sont soumises, aient été apprises dans des situations actives et sur base documentaire

Fédération de l’Enseignement Secondaire Catholique, 2008, p. 25[7]

La mise en activité de l’élève sur une base documentaire est explicitement référée au discours-découverte ou à l’apprentissage-recherche[8].

En France, par contre, les programmes et le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture (2006)[9] sont très avares en prescriptions méthodologiques.

Certains textes officiels mettent toutefois en question le cours magistral […] et même le cours magistral dialogué devenu la pratique dominante depuis les années 1970. Certains rapports de l’Inspection générale font de même. Mais le corps des inspecteurs en charge du contrôle et du guidage des enseignants du secondaire est davantage partagé; les conseils et les préconisations les plus usuelles font comme si un exposé clair suffisait à faire apprendre, ou au moins à donner les conditions d’un apprentissage efficace. […] Si des formateurs sont plus critiques sur le cours magistral dialogué, et incitent à construire d’autres situations d’enseignement où les interactions entre élèves sont privilégiées et où des questionnements orientent la construction de savoirs, sont-ils les plus nombreux? Quant aux travaux de didactique de l’histoire (ou de la géographie), ils ont proposé une critique implicite des pratiques existantes, en argumentant vigoureusement en faveur d’autres activités, en décrivant nettement, et peut-être cruellement, les cours ou en examinant les apprentissages des élèves souvent décevants au regard des intentions. Nombreux mais dispersés, ils sont souvent méconnus ou méjugés et peuvent autant aboutir à une résistance des enseignants du secondaire qu’à l’évolution des pratiques de certains. Au total, les critiques au nom de l’épistémologie, au nom de la psychologie des apprentissages, au nom de la didactique, etc., semblent avoir peu d’impact

Cardin & Tutiaux-Guillon, 2007, p. 46

L’étude de l’évolution des modèles didactiques et les recherches sur les pratiques enseignantes permettent donc de mettre en évidence une double évolution sur le plan de l’analyse des documents. Cette évolution n’est pas entièrement concordante. Sur le plan des modèles, la fonction du document évolue : illustration du discours du professeur, le document devient le matériau premier de l’apprentissage de l’élève. Cette évolution se fait en deux temps. Dans le cadre du discours-découverte et nonobstant son potentiel de formation en ce qui a trait aux savoir-faire, le document est considéré essentiellement pour sa capacité à faire dire le récit de l’enseignant; ce n’est que dans le cadre de l’apprentissage-recherche qu’il est envisagé comme le vecteur du développement d’habiletés de traitement de l’information à plus haute valeur taxonomique et le moyen d’amener l’élève à construire un récit, et non plus à découvrir le récit du professeur. Mais, sur le plan des pratiques, le passage vers l’apprentissage-recherche semble peu se concrétiser, les deux modèles antérieurs demeurant les références.

2. Apprendre aux élèves à analyser des documents en classe d’histoire : une compétence complexe

Concevoir et mettre en oeuvre des démarches d’analyse documentaire avec et par les élèves est donc devenu une compétence professionnelle essentielle pour les enseignants d’histoire. Comment les y former?

2.1 Qu’est-ce qu’une activité d’analyse documentaire de qualité?

Pour amener les futurs enseignants d’histoire au secondaire à la maîtrise de cette compétence, nous avons mis au point un certain nombre de propositions didactiques. Elles ont été élaborées en fonction de deux objectifs de formation prioritaires.

Le premier objectif vise à rendre les étudiants capables de choisir les documents pertinents. Différents critères de choix ont été identifiés (Jadoulle, 2018) et proposés aux étudiants, à savoir : 1) l’adéquation du document avec l’objet de recherche qui sous-tend l’enquête; 2) l’adéquation du document avec les objectifs d’apprentissage; 3) la richesse informative du document; 4) le potentiel formatif de celui-ci au regard de la complexité des démarches cognitives qu’il peut permettre de mobiliser; 5) la variété des documents au plan de leur nature; 6) la validité testimoniale du document et la possibilité qu’il offre de développer une démarche d’appréciation critique; 7) la fonction du document dans la séquence d’apprentissage (poser un problème pour énoncer un objet de recherche, nourrir l’enquête et apporter des éléments de réponse, concrétiser un savoir découvert ou transmis, évaluer les apprentissages). Pour permettre aux étudiants de s’approprier ces critères[10], le formateur d’enseignants[11] a procédé en présentant des exemples et des contre-exemples.

Le deuxième objectif concerne la capacité des étudiants à concevoir une activité d’analyse de documents. Les critères de qualité de ce type d’activité (Jadoulle, 2018) sont les suivants : 1) la présence des données d’identité du document (auteur, nature, date de production, destinataire…); 2) la prise en compte de ces données afin de prendre distance critique avec le contenu du document; 3) l’anticipation des modalités de lecture du document; 4) l’anticipation des difficultés de lecture du document; 5) la variété des injonctions (questions et consignes); 6) le niveau d’attente au plan cognitif ou le niveau taxonomique de ces questions ou consignes; 7) la clarté de ces questions ou consignes; 8) les possibilités offertes par le document de répondre aux questions ou consignes; 9) la qualité de la phase d’approche ou d’entrée[12] dans le document; 10) la cohérence entre les activités proposées et les objectifs de maîtrise qui sous-tendent la séquence d’apprentissage; 11) la variété des dynamiques de travail (individuel, en petits groupes, avec toute la classe); 12) l’implication des élèves dans l’identification et la hiérarchisation des informations clés à dégager au terme de l’analyse documentaire. Pour permettre aux étudiants de s’approprier ces critères de qualité, le formateur a proposé à ses étudiants des exemples et des contre-exemples ainsi que des ateliers au cours desquels ils étaient amenés, en petits groupes, à élaborer des activités qui pourraient être destinées à des élèves, celles-ci faisant ensuite l’objet d’une discussion collective et d’une évaluation orale par le formateur.

2.2 Une compétence complexe

La conception des activités d’analyse documentaire constitue, aux yeux des personnes chargées de superviser les étudiants[13], une difficulté récurrente. L’évaluation formative des préparations des étudiants confirme les lacunes soulevées par ces différents intervenants. Les entrevues permettent aussi de constater que ces lacunes ne sont pas ou peu identifiées comme telles par les étudiants. La compétence à concevoir des activités d’analyse documentaire par les élèves constitue donc une compétence complexe en ce sens qu’elle est source de difficultés d’apprentissage pour un grand nombre de futurs enseignants.

Pour asseoir ces perceptions, nous avons réalisé une étude qualitative à caractère exploratoire. Elle se base sur l’examen d’un corpus de 19 analyses documentaires conçues par 19 étudiants dans le cadre de leur dernier stage d’enseignement, au terme de leur formation en 2016-2017 à l’Université de Liège. Quand les étudiants ont élaboré et mis en oeuvre plusieurs séquences d’enseignement, nous avons choisi l’une d’elles de manière aléatoire; chaque séquence comprenant toujours plusieurs activités d’analyse de documents, une d’entre elles a également été choisie aléatoirement. Quand un document faisait l’objet d’une analyse conjointe avec d’autres, réunis dans un corpus, l’activité analysée est celle qui portait sur l’ensemble du corpus.

L’examen que nous avons réalisé portait donc sur des activités appréciées au départ de ce qui, au stade préactif, a été anticipé et préparé par l’étudiant. Il ne prend donc pas en compte la mise en oeuvre concrète de l’activité, au stade interactif. Il convient de noter que les étudiants ont l’obligation d’anticiper les activités d’analyse de documents. Celles-ci ont été examinées sur la base de la grille ci-dessous, sans double codage (voir le Tableau 1). La grille reprend les critères afférents aux deux objectifs énoncés ci-dessus, à l’exception de deux critères[14] qui supposeraient, pour être examinés, de travailler sur un nombre important de préparations d’activités, et non une seule par étudiant.

Tableau 1

Grille d’évaluation des activités d’analyse de documents préparées par des étudiants futurs enseignants (1 = pas du tout; 2 = partiellement oui; 3 = partiellement non; 4 = tout à fait)

Grille d’évaluation des activités d’analyse de documents préparées par des étudiants futurs enseignants (1 = pas du tout; 2 = partiellement oui; 3 = partiellement non; 4 = tout à fait)

Tableau 1 (continuation)

Grille d’évaluation des activités d’analyse de documents préparées par des étudiants futurs enseignants (1 = pas du tout; 2 = partiellement oui; 3 = partiellement non; 4 = tout à fait)

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L’examen des activités d’analyse documentaire permet de mettre en évidence que les difficultés rencontrées par les étudiants concernent davantage la qualité de la conception des activités que le choix des documents (voir le Tableau 2).

En ce qui concerne le choix des documents, tous les critères recueillent un score moyen supérieur à 2 sur 4 et quatre d’entre eux dépassent le score de 3 sur 4. Les critères de qualité les moins satisfaisants concernent le potentiel formatif du document en termes de démarches cognitives et son potentiel au regard du développement de l’esprit critique.

Tableau 2

Scores moyens obtenus après l’évaluation des activités d’analyse de documents préparées par les étudiants futurs enseignants en 2016-2017 (n = 19)

Scores moyens obtenus après l’évaluation des activités d’analyse de documents préparées par les étudiants futurs enseignants en 2016-2017 (n = 19)

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Même si les choix opérés par les étudiants sont donc globalement de qualité, ces derniers paraissent peu s’orienter vers des documents qui permettent le développement d’habiletés d’un niveau d’attente élevé au plan cognitif, dont l’évaluation critique. Cet état de fait est à rapprocher des scores moyens nettement inférieurs que recueillent plusieurs critères relatifs à la qualité de la conception de l’activité documentaire, surtout en ce qui concerne le niveau d’attente, au plan cognitif, des questions ou consignes (2,26/4) et, plus encore, l’utilisation par l’élève des données d’identité pour prendre distance critique avec le contenu du document (1,15/4). Alors que ces données d’identité sont presque toujours fournies avec soin (3,57/4), les futurs enseignants n’amènent que très rarement l’élève à les mobiliser dans une perspective critique. Peut-être est-ce en partie parce que le développement de démarches d’appréciation critique ne constitue pas un point d’attention prioritaire pour eux? Le fait que ce critère soit relativement peu pris en compte (2,36/4) au moment du choix du document le suggère.

Le souci de développer les habiletés critiques des élèves (1,15/4) de même que l’anticipation des modalités (1,47/4) et des difficultés de lecture (1,57/4) des documents, quelle que soit leur nature[15], constituent les éléments les moins pris en compte par les étudiants. La qualité de la phase d’entrée dans le document fait également problème (2,05/4) : quand elle n’est pas absente, elle se borne souvent à la prise de connaissance des données d’identité du document, l’élève étant rapidement amené vers des questions d’analyse, voire de synthèse. Les entrevues régulières avec les étudiants nous donnent à penser que ce manque d’attention accordée à l’entrée dans le document est à rapprocher de leur préoccupation, très prégnante, d’amener les élèves à extraire l’information contenue dans le document. Le manque de variété dans les consignes (2,15/4), soit la primauté des questions sur les consignes, renvoie, selon nous, au même souci, les questions étant davantage orientées vers la collecte de l’information, sans préoccupation de favoriser le développement de savoir-faire. Le faible degré d’implication des élèves dans l’identification des informations clés à dégager au terme de l’analyse (2,15/4) est le signe, lui, de la propension des étudiants à procéder eux-mêmes à l’institutionnalisation ou à l’intégration du savoir, plutôt que de la confier aux élèves.

L’ensemble de ces données convergent donc pour suggérer que la préoccupation dominante des étudiants dont nous avons examiné un échantillon aléatoire de productions est de « faire dire le savoir historique » à travers l’analyse de documents. Ce constat rejoint différentes études qui attestent que, quand ils pratiquent l’analyse de documents, les enseignants sont prioritairement préoccupés d’en extraire les informations (Audigier, 2018; Audigier, Crémieux, & Mousseau, 1996; Lautier & Allieu-Mary, 2008; Martel, 2014; Tutiaux-Guillon, 2008). La préoccupation informative domine donc sur la préoccupation formative, quitte à faire l’impasse sur le développement d’habiletés cognitives comme l’esprit critique.

Il faut souligner que ce constat porte sur la qualité des activités d’analyse de documents réalisées par des étudiants au terme de leur formation, soit, pour la toute grande majorité d’entre eux, à la veille de leur entrée dans la vie professionnelle. La conception d’activités d’analyse de qualité, au sens où nous l’avons défini, demeure donc, pour un très grand nombre d’étudiants et jusqu’au terme de la formation, un point faible sur le plan de leurs compétences professionnelles. Les échanges que nous avons eus avec eux, souvent à trois reprises avec chacun d’eux durant leur année de formation, nous confirment également la persistance de cette faiblesse et la difficulté que les étudiants rencontrent pour progresser dans la maîtrise de cette compétence. Nous avons également souligné, plus haut, que, lors des entretiens avec les étudiants, ceux-ci identifient très difficilement les lacunes observées par leurs formateurs.

3. Apprendre aux élèves à analyser des documents en classe d’histoire : un verrou d’apprentissage?

Ces difficultés d’apprentissage nous ont amené à nous interroger afin de cerner leurs origines possibles et les pistes de solutions probables. Nous avons trouvé, dans la théorie des « verrous » ou des « goulots (bottelneck) d’apprentissage » de Pace (2017) des éléments qui nous ont semblé pertinents.

3.1 Decoding the Disciplines

L’approche Decoding the Disciplines, développée à partir de 1998 par Pace en collaboration avec Middendorf[16], se définit comme « une méthode pour déterminer ce dont les étudiants doivent être capables pour réussir dans les différentes disciplines et un modèle qui les aide à maîtriser ces opérations mentales »[17] [traduction libre] (Pace, 2017, p. 3). Il en résume la nature en ces mots :

une exploration systématique des obstacles à l’apprentissage de la discipline et des types d’opérations mentales que les étudiants doivent maîtriser pour surmonter ces obstacles. Les manières de procéder sont alors expliquées et font l’objet d’une modélisation pour les étudiants, qui se voient offrir aussi des occasions de pratiquer ces opérations ou compétences et reçoivent des rétroactions; les obstacles émotionnels potentiels à l’apprentissage sont également pris en compte et traités[18] [traduction libre]

Pace, 2017, p. 4

L’approche de Pace est donc centrée sur l’identification des obstacles ou des « verrous » ou « goulots (bottelneck) d’apprentissage ». Un verrou d’apprentissage est défini comme une difficulté qui concerne une opération intellectuelle inhérente à une expertise disciplinaire : elle relève donc d’un savoir procédural et non déclaratif. En outre, elle a fait l’objet d’un enseignement : la difficulté ne provient pas du fait que cette opération intellectuelle n’aurait pas été enseignée. Elle pose pourtant un problème à un grand nombre d’étudiants et est l’objet d’une forme de malentendu entre ce que les étudiants pensent qu’ils doivent faire et « ce qu’il convient de faire » dans le champ disciplinaire. La difficulté ainsi rencontrée suscite une réaction assez émotive de nombreux étudiants, car la voie qui leur est proposée attente à leurs conceptions.

Pace et ses collaborateurs posent comme hypothèse fondatrice que ces difficultés sont la résultante, chez l’enseignant, d’une forme d’automatisation des opérations fondamentales de sa discipline. Cette automatisation entraîne un manque de conscience de ces opérations, lesquelles demeurent peu transparentes dans son enseignement. Si certains étudiants parviennent à décoder des opérations non enseignées explicitement, nombreux sont ceux qui peinent à les identifier ou à cerner les moyens de les apprendre. Le postulat induit donc une technique de « dépliage » cognitif de différentes opérations mentales.

Ces verrous d’apprentissage peuvent être de différents types selon qu’ils renvoient à des difficultés à : 1) cerner la nature d’un problème de telle sorte que les procédures mobilisées ne sont pas correctes ou pas mobilisées dans un ordre approprié; 2) mettre en oeuvre une procédure disciplinaire spécifique organisée en étapes; 3) transférer une procédure d’un domaine à un autre ou évaluer même si ce transfert est nécessaire; 4) mettre en relation des situations concrètes et des modèles; 5) synthétiser en un ensemble cohérent des données mémorisées; 6) changer d’échelle temporelle, spatiale; 7) cerner la genèse des savoirs.

Pour « déverrouiller » ces difficultés, Pace propose une procédure en plusieurs étapes, celles-ci pouvant évidemment être combinées de manière souple et variable. En effet, comme le souligne l’auteur :

Decoding the Disciplines n’est pas une technique qui peut simplement être reprise et appliquée dans un certain nombre de contextes différents. […] [Il s’agit] d’un cadre d’analyse dans lequel on peut faire des choix stratégiques clairs et conscients en choisissant et inventant des techniques qui sont particulièrement appropriées à la situation particulière[19] [traduction libre]

Pace, 2017, p. 14

Une fois le verrou d’apprentissage identifié (1), Pace propose de cerner finement les opérations mentales (2) qui sont mises en oeuvre par un expert, l’enseignant d’abord, et qui lui permettent de mettre en oeuvre la tâche qui pose problème. Ensuite, ces différentes opérations doivent être modélisées sous le regard des étudiants (3), de telle sorte qu’ils puissent cerner de la façon la plus explicite les différentes tâches que l’expert-enseignant accomplit pour les mettre en oeuvre. Les étudiants seront alors en mesure d’exercer ces tâches et les opérations sous-jacentes : pour cela, il convient que l’enseignant leur propose une gamme variée d’activités individuelles ou collectives (4). Pour soutenir ces apprentissages, l’enseignant devrait prévoir aussi différents dispositifs pour motiver et soutenir ses étudiants (5), y compris les aider à dépasser un certain nombre de blocages de type émotionnel ou afférents à leurs préconceptions. Enfin, il convient d’évaluer les apprentissages des étudiants, et ce, dans une perspective formative (6), c’est-à-dire en vue de leur fournir, ainsi qu’à l’enseignant, des informations sur l’état des apprentissages en cours et ainsi être en mesure de réguler le dispositif d’enseignement. Ces observations doivent enfin être analysées et communiquées (7).

3.2 Decoding the Disciplines : un levier pour « déverrouiller » la compétence à concevoir des activités d’analyse documentaire en classe d’histoire?

Pour explorer les voies possibles pour « déverrouiller » cette difficulté, nous avons fait appel à une équipe de l’Institut de Recherche et de Formation en Enseignement Supérieur de l’Université de Liège. Deux entretiens semi-dirigés ont été réalisés entre deux chercheurs de cet Institut et nous-mêmes[20] et les résultats exposés ci-dessous ont été mis à jour par leurs soins et avec mon concours.

3.2.1 La nature du verrou en jeu

Les difficultés d’apprentissage rencontrées par les étudiants rejoignent la définition que Pace donne d’un verrou d’apprentissage : elles ne sont pas relatives à la maîtrise de connaissances déclaratives, mais sont afférentes à une compétence qui, certes, engraine des connaissances de cet ordre, mais relève d’une opération procédurale complexe. Elles semblent relever, au regard de la typologie de Pace, d’une procédure disciplinaire spécifique organisée en étapes que les étudiants peinent à mettre en oeuvre. Ce verrou a fait l’objet d’un enseignement et, malgré les efforts déployés par l’enseignant, il demeure « verrouillé » pour un grand nombre d’apprenants. De plus, les entretiens conduits avec les étudiants indiquent une forme de mécompréhension de ce qui est attendu d’eux. Cette mécompréhension semble la conséquence de préconceptions relatives aux finalités de l’analyse documentaire; elle suscite parfois des réactions affectives qui compliquent l’apprentissage.

3.2.2 Un verrou plus attitudinal que cognitif?

L’entretien avec l’enseignant appuie l’hypothèse que les difficultés d’apprentissage des étudiants engagent une ou des préconceptions de l’enseignement de l’histoire. Celles-ci concernent vraisemblablement les finalités de cet enseignement. Nous ferons l’hypothèse qu’un certain nombre, sinon la plupart des étudiants qui se heurtent à ce verrou, partagent une conception de ces finalités qui fait la part belle à la fonction informative ou aux finalités culturelles; à l’inverse, les étudiants qui font preuve d’une meilleure maîtrise de la compétence à concevoir une activité d’analyse documentaire seraient davantage orientés dans le sens de la fonction formatrice et des finalités intellectuelles de l’enseignement de l’histoire. Cette hypothèse, si elle était démontrée, pourrait rejoindre le travail d’Araújo-Oliveira (2012) qui a mis en évidence que les pratiques d’enseignement d’une cohorte d’étudiants finissants se préparant à enseigner les sciences humaines au primaire demeuraient prioritairement teintées par les finalités patrimoniales et civiques, et non par les finalités intellectuelles et critiques. Ce résultat a été confirmé par Lanoix (2015) pour un échantillon d’enseignants du secondaire. L’existence supposée de ces préconceptions à la source du verrou suggère des pistes de solutions qui pourraient prendre la forme d’une explicitation, par le formateur d’enseignants, des finalités formatrices et intellectuelles qui sous-tendent le type d’analyse documentaire qu’il promeut et la mise en débat, avec les étudiants, de ces finalités. Il pourrait également être intéressant de distinguer des types d’activités d’analyse de documents différents afin d’envisager la possibilité de donner droit de cité aux activités de nature plus patrimoniale ou informative auxquelles les étudiants adhèrent et d’en débattre.

3.2.3 Opérationnaliser et critérier

Par ailleurs, bien que la compétence qui consiste à choisir un document semble mieux maîtrisée que celle concernant l’élaboration d’une activité d’analyse documentaire, notre recherche a mis en évidence que deux critères de choix d’un document sont néanmoins peu pris en compte dans les productions des étudiants. Ils concernent la richesse des documents au plan formatif, c’est-à-dire la complexité des démarches cognitives qu’ils permettent de mobiliser, et la possibilité qu’ils offrent de développer une démarche d’appréciation critique. Il serait pertinent d’opérationnaliser davantage les opérations mentales qui président au choix d’un document, au regard de ces deux critères, et de proposer aux étudiants des activités qui leur permettent de se les approprier. On peut faire l’hypothèse que, dès lors qu’ils seront capables d’élire des documents qui satisferont ces critères, ils devraient être davantage en situation de concevoir des activités à valeur formatrice.

L’entretien avec le formateur a également permis de mettre en évidence un certain déficit d’opérationnalisation en ce qui concerne la phase d’entrée dans le document, la fixation des questions ou consignes aux élèves à un niveau d’attente suffisant au plan cognitif et leurs modalités d’implication dans la hiérarchisation et l’institutionnalisation des informations clés. Il conviendrait notamment que l’enseignant-formateur puisse expliciter davantage les connaissances conditionnelles qu’il mobilise lui-même pour choisir parmi les différents scénarios proposés aux étudiants pour « entrer » dans un document (Jadoulle, 2018). Les étudiants pourraient également être davantage impliqués, par exemple dans des activités de production et de confrontation de leurs propres préparations et l’explicitation de leurs décisions.

Enfin, sur le plan de l’évaluation, les critères qui président à l’appréciation des préparations des étudiants gagneraient à être précisés. La grille d’évaluation proposée ci-dessus en nomme un certain nombre, mais ils demanderaient à être opérationnalisés en termes d’indicateurs, de telle sorte que les étudiants puissent disposer de repères plus sûrs pour l’apprentissage. Le formateur pourrait également inviter les étudiants à expliciter leurs choix, ce qui lui permettrait de prendre en compte dans son évaluation, outre la qualité du produit, celle du processus de décision et, ce faisant, l’amener au besoin à modifier son regard sur les productions des étudiants.

Conclusion

Cette recherche tend à mettre en évidence que la promotion de l’analyse de documents, qui va de pair avec l’affirmation des finalités intellectuelles et citoyennes de l’enseignement de l’histoire, se heurte à la difficulté, pour les futurs enseignants, de développer la compétence ad hoc. Les données dont nous disposons indiquent en effet que les activités qu’ils préparent demeurent organisées dans une optique davantage informative que formative. Nous faisons l’hypothèse que cet état de fait renvoie à la prédominance de conceptions où les finalités culturelles dominent sur les finalités intellectuelles. Le passage des premières aux secondes constituerait donc l’enjeu fondamental des difficultés d’apprentissage auxquelles sont confrontés les étudiants s’agissant de concevoir des activités d’analyse documentaire.

Ces difficultés nous ont semblé trouver, dans le cadre théorique de Pace, un éclairage particulièrement suggestif. Elles nous paraissent en effet correspondre très précisément à la définition que cet auteur donne d’un verrou d’apprentissage. La procédure proposée par Pace suggère également des pistes de solution éclairantes.

Il conviendrait toutefois d’approfondir cette étude qui n’a de valeur qu’exploratoire. L’échantillon des productions des étudiants gagnerait à être étendu et leurs conceptions des finalités de l’enseignement de l’histoire à être cernées de manière soignée. Il serait ainsi possible de vérifier dans quelle mesure ces conceptions sont à la source du verrou et dans quelle mesure un dispositif pédagogique mettant en oeuvre l’ensemble du modèle de Pace serait à même de le « déverrouiller ». L’évaluation des activités préparées par les étudiants pourrait également être affinée en prenant en compte la manière dont elles sont concrètement mises en oeuvre, en phase interactive. Nous avons en effet constaté que, en classe, certains étudiants orientent leur préparation et la font bonifier.

Outre les pistes d’amélioration de la formation des enseignants qui ont été mises en évidence grâce aux propositions de Pace, il nous semble qu’une attention particulière pourrait être apportée à former les futurs enseignants à l’exploitation de documents, non pas un à un, mais réunis dans des corpus. Cette manière de procéder nous paraît en effet particulièrement riche en termes de développement d’habiletés cognitives de haut niveau, notamment les habiletés critiques. Former les étudiants à l’élaboration de situations-problèmes à fort potentiel critique mais aussi problématique (Dalongeville, 2000; Dalongeville & Huber, 1989; Jadoulle, 2018) pourrait donc constituer un moyen efficace d’orienter leurs pratiques dans les directions peu empruntées que révèle la présente recherche.