Abstracts
Résumé
Bien que la réflexion collective soit souhaitée et souhaitable, elle s’avère souvent difficile à réaliser pour les équipes de direction des établissements du réseau de la santé qui sont aux prises avec des changements importants et constants. Cet article illustre que la recherche-action, et plus précisément la méthodologie du parcours collectif d’apprentissage organisationnel (PCAO), peut contribuer à soutenir cette réflexion collective. L’analyse des données tirées d’un projet de recherche mené auprès de cinq établissements de santé et de services sociaux du Québec permet d’établir de quelles façons. Plus concrètement, cet article explique comment se construit la réflexion collective des équipes de direction à travers les différentes étapes du PCAO. En démontrant que cette réflexion mène à un véritable apprentissage organisationnel, les résultats de l’étude positionnent le PCAO comme une méthode de recherche-action non seulement utile du point de vue de la recherche, mais aussi comme approche de développement organisationnel.
Mots-clés :
- Parcours collectif d’apprentissage organisationnel (PCAO),
- recherche-action,
- réflexion collective,
- équipe de direction,
- changement organisationnel
Article body
Introduction : contexte et problématique de l’étude
Dans les organisations du secteur de la santé et des services sociaux, les défis sont nombreux et les changements se succèdent à un rythme effréné (Spaulding, Kash, Johnson, & Gamm, 2017). Allouer du temps à la réflexion constitue un défi de taille pour les dirigeants de ces organisations. En effet, bien que les équipes de direction passent beaucoup de temps ensemble en réunions de toutes sortes, peu de temps est consacré à une véritable réflexion collective sur les principaux changements organisationnels en cours, les considérations opérationnelles occupant une grande partie de ces rencontres. Cette réflexion collective est pourtant nécessaire pour assurer une cohérence entre les objectifs de l’organisation, ses activités et les multiples changements en cours.
La recherche-action peut soutenir une telle réflexion, en suscitant des discussions entre les participants à chaque itération des cycles d’investigation (Prévost & Roy, 2015). Cependant, peu d’études ont exposé la contribution de la recherche-action à la réflexion collective (Ripamonti, Galuppo, Gorli, Scaratti, & Cunliffe, 2016), particulièrement au sein d’une équipe de direction en contexte de changement organisationnel. C’est à cette lacune que s’intéresse le présent article, dont l’objectif consiste à démontrer, à partir des perceptions de cinq équipes de direction, comment une recherche-action utilisant la méthodologie du parcours collectif d’apprentissage organisationnel (PCAO) a contribué à leur réflexion collective en pleine période de changement organisationnel.
Les résultats présentés sont issus du projet de recherche IRSC-Planetree, qui a pris place de 2011 à 2015 dans cinq établissements de santé membres du Réseau Planetree Québec[1], tous engagés dans la mise en oeuvre d’une approche de gestion, de soins et de services centrée sur la personne et inspirée du modèle Planetree. Développé aux États-Unis à la fin des années 1970, le modèle Planetree vise à mettre en place des ressources, des programmes et des outils pour favoriser le mieux-être et la santé globale de la clientèle et du personnel au sein des organisations de santé et de services sociaux (Frampton & Charmel, 2009). Le groupe Planetree forme un réseau international de plus de 700 établissements, principalement aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas, au Brésil, au Japon, en Australie, en France, au Danemark et en Turquie. En choisissant Planetree, les cinq établissements participants au projet souhaitaient améliorer à la fois l’expérience des usagers et l’expérience de leurs employés (Frampton & Charmel, 2009).
La première partie de l’article explique la méthodologie du PCAO et son évolution au fil des ans, en mettant l’accent sur sa contribution à la réflexion collective. La deuxième partie expose la méthodologie utilisée pour cette étude. Dans la troisième partie, les résultats issus de l’analyse des données entourant les types de contributions du PCAO à la réflexion collective au sein des équipes de direction participantes sont présentés. Dans la quatrième partie, la discussion met en évidence la contribution du PCAO en matière d’apprentissage organisationnel, ses contributions managériales en contexte de changement organisationnel, de même que quelques leçons apprises sur les facteurs de réussite et les défis de cette méthode de recherche-action.
1. Contexte théorique
La méthodologie du PCAO s’inscrit dans les approches inductives de la recherche qualitative (Amidon, 2008). Elle fait partie intégrante des méthodes de recherche-action participative (Roth & Bradbury, 2008) et est considérée comme une approche fondamentale en développement organisationnel (Bradbury, Roth, & Gearty, 2015).
Depuis sa création il y a vingt-cinq ans, la méthodologie du PCAO a suscité l’intérêt de chercheurs de partout dans le monde. Afin de compléter les recensions d’écrits déjà exposées dans des articles précédents (Béliveau, Corriveau, Leclerc, Gagnon, & Giroux, 2013; Béliveau, Parent, & Roch, 2006), l’évolution de la méthodologie du PCAO au fil des ans est présentée ici, en insistant particulièrement sur la contribution du PCAO à la réflexion collective.
1.1 Évolution de la méthodologie du PCAO au fil des ans
La méthodologie du parcours collectif d’apprentissage organisationnel (PCAO), ou learning history, a été développée en 1994 au Center for Organizational Learning du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Bien que cette approche ait été conçue à l’origine pour favoriser le transfert des apprentissages entre les projets d’une organisation (Roth & Kleiner, 1998) et pour contribuer à créer des organisations apprenantes (Senge, 1991), elle est de plus en plus utilisée pour soutenir les initiatives de changement (Bradbury et al., 2015).
Le PCAO permet aux parties prenantes de tirer des leçons de leurs expériences passées et d’engager un dialogue sur les actions à entreprendre, en leur offrant un récit qui reflète leur parcours (Gearty & Coghlan, 2018). Caractéristique unique de l’approche, ce récit prend la forme d’un document PCAO en deux colonnes, inspiré par l’outil ethnographique de van Maanen (1988) appelé jointly-told tale (Bradbury & Mainemelis, 2001; Roth & Kleiner, 1998). La colonne de droite contient des extraits d’entrevues individuelles avec les participants décrivant leurs perceptions, leurs réflexions, leurs préoccupations, leurs attitudes et leurs interrogations à l’égard du changement en cours dans l’organisation. Quant à la colonne de gauche, elle contient les commentaires analytiques proposés par l’équipe de collaborateurs internes et externes (qui jouent conjointement le rôle d’historiens de l’apprentissage), ainsi que des questions destinées à susciter une réflexion collective (Roth & Kleiner, 1998). Ces analyses sont associées aux commentaires des participants. Elles sont conçues pour rendre le processus éditorial transparent et pour stimuler les réactions et la réflexion des lecteurs à l’égard des dimensions informelle et tacite liées à l’intégration du changement dans l’organisation. Le document PCAO constitue alors un artéfact, qui aide les parties prenantes à faire la transition entre leur situation actuelle et le futur qu’ils désirent (Bradbury et al., 2015).
Par ailleurs, la véritable valeur du PCAO ne vient pas uniquement du document lui-même, mais surtout du processus de consultation dans lequel il s’inscrit. Au sein de groupes de discussion, les participants sont appelés à approfondir leur compréhension du changement que vit leur organisation ainsi qu’à construire ensemble un sens collectif à leur expérience (Roth & Kleiner, 1998). Ces groupes de discussion servent également à valider les interprétations de l’équipe de recherche. Enfin, ils sont l’occasion de discuter avec les participants des pistes d’amélioration possibles pour assurer la pérennité de la démarche de changement dans leur organisation.
Bien qu’elle soit considérée comme une approche en émergence (Amidon, 2008), la méthodologie du PCAO est mise en application dans différents domaines d’intervention à travers le monde (Gearty, Bradbury-Huang, & Reason, 2015). En effet, on trouve dans les écrits, des études pilotées par des chercheurs provenant non seulement des États-Unis, le berceau de cette méthodologie, mais aussi de l’Angleterre, de l’Australie, de la Belgique, du Canada, de l’Espagne, du Kenya, de l’Irlande, des Pays-Bas et de Hong Kong. À partir d’une recherche documentaire dans les banques de données ABI/INFORM, Academic Search Complete, CAIRN, Emerald Management Xtra et Sage Knowledge, 30 articles qui ont publié une étude ayant utilisé le PCAO comme méthode de recherche ont été répertoriés depuis 2005. Ceci révèle un certain engouement envers cette méthode, puisque seulement 10 articles mentionnaient avoir utilisé le PCAO comme méthode de recherche avant 2005. Le Tableau 1 fournit 12 exemples d’études recensées depuis 2005 qui ont utilisé le PCAO, de façon à illustrer l’éventail des domaines d’application du PCAO à travers le monde.
Depuis ses débuts dans les années 1990, la méthodologie du PCAO a été adaptée par différents chercheurs, faisant varier son nombre d’étapes entre quatre (Bradbury & Maimemelis, 2001) et neuf (Roth, 2000). À ce sujet, un des créateurs de la méthodologie (Roth, 2007) affirme que les méthodes et les approches développées pour favoriser l’apprentissage ne sont pas immuables. Selon lui, elles doivent être testées et modifiées afin de favoriser des innovations méthodologiques susceptibles de les bonifier.
À titre d’exemple, Burnett, Grinnall et Williams (2015) proposent d’ajouter une troisième colonne au document PCAO pour faire ressortir encore davantage les leçons d’apprentissage. De son côté, Gearty (2015) remplace le document PCAO par des récits numériques, en version court métrage. Comme la méthode a été conçue pour des études intraorganisationnelles (Gearty et al., 2015), des chercheurs l’ont également adaptée de façon à pouvoir l’appliquer à des contextes interorganisationnels (Boucher & Fallon, 2014 ; Gearty et al., 2015). Gearty et al. (2015) ont appelé leur adaptation open systems learning history (ou PCAO dans un contexte de systèmes ouverts). La recherche dépasse alors les frontières organisationnelles et vise à orchestrer une série d’espaces de dialogue interorganisationnels. Dans cette étude, Gearty et al. (2015) produisent aussi des versions plus courtes et plus flexibles de plusieurs documents PCAO, associées à des documents multimédias. Enfin, dans le projet de recherche IRSC-Planetree dont il est question dans cet article, l’utilisation de métaphores au moment des groupes de discussion a été ajoutée, ainsi qu’une rencontre de feedback avec la direction de l’organisation participante à la fin de chaque boucle de PCAO (Béliveau et al., 2013).
1.2 La contribution du PCAO à la réflexion collective
Dans une économie du savoir où le rythme d’apprentissage d’une organisation doit être égal ou supérieur au rythme de changement de son environnement externe (Drucker, 1999), la réflexion collective devient un levier d’apprentissage organisationnel incontournable (Argyris & Schön, 2002).
Il est toutefois difficile de consacrer du temps à la réflexion collective étant donné l’intensité de la vie organisationnelle au quotidien (Cotter, 2014; Roth & Kleiner, 1998). Ainsi, un des chaînons manquants dans le processus d’apprentissage des organisations est souvent l’absence d’infrastructures pour la réflexion (Argyris & Schön, 2002). Les membres d’une organisation réfléchissent et apprennent de façon isolée ou en petits groupes, sans nécessairement avoir accès à des espaces communs pour développer et tester leurs idées (Roth & Bradbury, 2008).
Un des avantages du PCAO est justement de fournir une expérience commune d’apprentissage qui peut être discutée et analysée à différents moments et endroits (Gearty, 2008; Verdonschot, 2006). D’ailleurs, selon les auteurs qui ont utilisé le PCAO comme méthode de recherche (voir Tableau 1), la principale contribution de cette approche consiste à susciter une réflexion collective sur l’action en cours. En fait, Bradbury et al. (2015) affirment que la réflexion collective se situe au coeur de l’approche du PCAO. Ultimement, cette méthode vise deux principaux objectifs : développer la capacité des membres d’une organisation à réfléchir collectivement (ce qui mène à des apprentissages collectifs) et à découvrir des principes d’apprentissage organisationnel qui pourront être transférés au-delà de l’organisation étudiée (Lyman et al., 2018).
Bref, comme le mentionnent Prévost et Roy (2015), la stratégie de recherche-action du PCAO :
a l’avantage de mettre largement l’accent sur l’apprentissage collectif des parties prenantes dans leur tentative d’introduire des changements au sein de leur système. Elle permet d’accorder un temps important à la réflexion parmi les membres du milieu, ce que l’on trouve rarement dans les stratégies conventionnelles de recherche
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2. Méthodologie
Afin de comprendre comment s’intègre l’approche Planetree dans le réseau de la santé et des services sociaux du Québec, une recherche-action participative dans cinq établissements en utilisant la méthodologie du parcours collectif d’apprentissage organisationnel (PCAO) a été menée. Deux boucles de PCAO ont été réalisées dans chaque établissement participant, sur une période de quatre ans.
Chaque boucle de PCAO comporte cinq étapes : 1) les entrevues semi-dirigées, enregistrées sur bande audio et transcrites intégralement (verbatim); 2) l’analyse conjointe des données et la production du document PCAO; 3) la dissémination du document PCAO auprès des participants; 4) les groupes de discussion, enregistrés sur bande audio et transcrits intégralement (verbatim); 5) la rencontre de feedback auprès de la direction.
La partie suivante présente une synthèse des principales considérations et étapes ayant guidé la collecte et l’analyse des données de l’étude.
2.1 L’échantillon
Les cinq établissements qui ont participé au projet l’ont fait sur une base volontaire. Dans chaque établissement, 30 participants ont été sélectionnés. Cet échantillon par choix raisonné (Patton, 2002) se voulait représentatif des divers niveaux hiérarchiques ainsi que de la variété des responsabilités et des postes occupés par le personnel. De façon à garantir la participation volontaire des participants, leur recrutement s’est fait en plusieurs étapes. D’abord, la direction de l’établissement a été invitée à identifier 60 participants potentiels selon 2 principaux critères : 1) avoir la capacité de s’exprimer sur le changement en cours, peu importe que cette personne soit en accord ou non avec le changement ; 2) être disponible pour participer aux deux boucles de PCAO du projet de recherche. À partir de ce bassin de participants potentiels, l’équipe de recherche a sélectionné, de façon aléatoire, 30 participants, à qui elle a fait parvenir une invitation de participation par courriel ou par la poste. Les participants représentaient tous les échelons de l’organisation, incluant des membres de l’équipe de direction. La participation au projet est demeurée volontaire, du début à la fin.
2.2 La collecte de données
Dans le cadre de ce projet, quatre méthodes de collecte de données ont été utilisées : 1) des entrevues individuelles semi-directives avec chacun des participants à l’étude; 2) des groupes de discussion, par niveaux hiérarchiques; 3) l’observation participante pour assurer la triangulation des données; 4) des rencontres de feedback avec la direction, auxquelles participaient tous les membres de l’équipe de direction des établissements participants. Cette rencontre, précédée par l’envoi du document PCAO final, durait environ deux heures et servait à discuter des résultats de la démarche et des pistes d’améliorations à mettre en place. Il s’agissait d’un moment charnière puisqu’il permettait de maximiser les retombées de la démarche PCAO dans la planification des prochaines étapes de mise en oeuvre et de pérennisation du changement dans l’organisation.
Au total, 314 entrevues, 42 groupes de discussion et 10 rencontres de feedback ont été réalisés pour les deux boucles de PCAO du projet de recherche IRSC-Planetree.
2.3 L’analyse et l’interprétation des données
L’approche PCAO, à l’instar des autres méthodes de recherche qualitative, génère une quantité importante de données. Afin d’en tirer l’interprétation la plus riche possible, l’analyse a été réalisée en quatre grandes phases. D’abord, à la suite des entrevues semi-directives, une première analyse et synthèse des données a été effectuée. Cette phase, dite de distillation (Kleiner & Roth, 1996; Roth & Bradbury, 2008), comporte deux étapes : une analyse de contenu, sans grille d’analyse préalable, réalisée avec le logiciel Atlas TI, suivie d’une analyse conceptuelle à partir du codage obtenu avec Atlas TI. Ces étapes permettent la production du document PCAO en deux colonnes, qui devient le coeur des échanges lors des groupes de discussion et des retours à la direction. Le Tableau 2 fournit un extrait d’un document PCAO tiré du projet de recherche IRSC-Planetree.
Une fois toutes les étapes de collecte de données complétées, et suivant les préceptes de la théorisation ancrée (Strauss & Corbin, 2004), une nouvelle phase de codification a été réalisée dans le but d’effectuer la condensation des données et de dégager des patterns (thèmes clés) enracinés dans ces données (Kleiner & Roth, 1996). Finalement, les données ont fait l’objet d’analyses intra et intercas. L’analyse intracas a permis de comparer les résultats obtenus lors des deux boucles de PCAO d’un même établissement, de manière à retracer l’évolution du changement au cours de cette période. Ensuite, l’analyse intercas a permis de comparer les parcours des établissements participants entre eux pour en tirer des apprentissages plus généraux sur l’implantation d’une approche telle que Planetree.
Puisque cet article vise à déterminer si, et comment, du point de vue des membres des équipes de direction participantes, la méthodologie du PCAO peut contribuer à la réflexion collective, des analyses intra et intercas à partir des données obtenues auprès de ces individus uniquement (entrevues individuelles, groupes de discussion et rencontres de feedback avec la direction) ont été réalisées. Concrètement, ceci signifie que le corpus à la base de la production du présent article s’appuie sur 52 entrevues, 10 groupes de discussion et 10 rencontres de feedback. Pour effectuer l’analyse intracas, les données de chaque cas ont été codifiées afin d’identifier les différentes contributions du PCAO pour chaque équipe de direction participante. L’analyse en profondeur de chaque cas a été complétée par une analyse intercas de façon à dégager les tendances, les similarités et les différences entre les cinq cas (Gagnon, 2005). Pour ce faire, des matrices descriptives et d’observation pour analyser chacun des cas et des matrices comparatives, ou métamatrices, pour effectuer l’analyse intercas ont été utilisées (Miles & Huberman, 2003).
3. Résultats
Cette section présente une synthèse des résultats obtenus auprès des membres des équipes de direction lors de la seconde boucle de collecte de données (entrevues individuelles, groupes de discussion, retours à la direction), alors qu’ils ont été interrogés sur leur expérience du PCAO. Les résultats sont présentés de manière à partager le plus fidèlement possible l’expérience du PCAO telle que vécue par les équipes de direction participantes. L’organisation de cette section reflète les principales familles de codes qui ont émergé lors des analyses intracas et intercas. Ainsi, la section est divisée en quatre sous-sections, qui représentent les types de contributions du PCAO à la réflexion collective au sein des équipes de direction participantes, soit : 1) un portrait du changement en cours; 2) un processus d’expression, d’échange et de réflexion entre les membres de l’organisation; 3) un soutien à la démarche de changement; 4) une source d’apprentissage.
3.1 Un portrait du changement en cours
Pour les membres des équipes de direction participantes, le document PCAO constitue une source d’information riche puisqu’il offre une représentation fidèle de ce qu’ils voient et de ce qu’ils entendent dans l’organisation à l’égard de la mise en oeuvre de l’approche Planetree. Même pour les organisations disposant de résultats de sondages et d’enquêtes variés, le document PCAO constitue une valeur ajoutée en confirmant ces données, tout en donnant accès à de l’information qui serait autrement inaccessible, ce que plusieurs ont nommé le « pouls informel » du changement en cours dans l’organisation. Ce document devient en quelque sorte un diagnostic ancré dans la réalité de l’organisation, telle que vécue par ses membres au quotidien :
Avoir un mini-diagnostic, une photo de comment les gens comprennent ça, comment les gens ont vécu ça, comment ils l’ont vu, pour valider : est-ce que c’est moi tout seul qui le vivait d’une certaine façon, est-ce que ma lecture de l’environnement était bonne?
A1[2]
Ce portrait offert par le document PCAO n’est toutefois pas statique. Par la présentation de citations textuelles des membres de l’organisation, ainsi qu’avec la réalisation de deux boucles de PCAO, le document constitue un témoin de l’évolution de l’organisation à travers son changement, comme en fait foi un membre d’une équipe de direction : « J’ai bien aimé l’évolution qu’on voit, de voir l’image au départ, ce que c’était Planetree pour les gens versus ce que c’est aujourd’hui » (C4). Par exemple, dans plusieurs cas les deux boucles de PCAO ont permis de voir l’évolution de la compréhension des objectifs poursuivis par le changement et son degré d’appropriation par différents groupes au sein de l’organisation. En outre, comme le changement génère un mouvement dans l’organisation, le PCAO offre « une lumière au fur et à mesure qu’on avance » (C6) et met en évidence le chemin parcouru à divers niveaux de l’organisation.
En ce sens, plusieurs affirment que le document PCAO permet de faire le point, de prendre du recul en offrant une lecture intégrée de la situation, qui va au-delà « des bruits de fond ». Même lorsque le document confirme ce que les dirigeants pensaient, il est toujours source de précision :
Je pense qu’en effet, ça reflète vraiment notre réalité […], mais j’ai quand même fait des apprentissages qui m’ont étonné à la lecture de ça. […] C’est des choses qu’on sent, qu’on entend, mais là, ça se précisait dans ma compréhension et ça m’apparaissait de façon encore plus claire
B1
Pour de nouveaux dirigeants qui arrivent dans l’organisation, le document PCAO permet de comprendre l’historique du changement et d’embarquer plus rapidement dans le train en marche.
Bien que les membres des équipes de direction aient reconnu la richesse du document PCAO comme source de rétroaction sur ce qui se passe dans leur organisation, plusieurs ont admis avoir trouvé sa lecture parfois difficile. Il faut une bonne dose d’humilité et de courage pour accepter que le changement ne se déroule pas nécessairement de la manière dont on le souhaiterait, ou encore que sa pertinence soit remise en cause par certains groupes de l’organisation. Le document oblige parfois à reconnaître qu’il reste du chemin à parcourir pour démontrer la valeur ajoutée du changement, en comprendre les objectifs et les moyens afin de pouvoir y donner un sens. Cette réflexion d’un directeur l’illustre bien : « On l’a eu en plein dans la face. Les gestionnaires […] voient ça souvent comme une surcharge de travail. […] je trouve ça difficile. J’aurais voulu que ça sorte mieux, mais c’est ça le constat » (B3). À cet égard, le fait que le PCAO soit piloté par des chercheurs facilite cette ouverture des membres de la direction, les intermédiaires étant considérés comme neutres et rigoureux : « Je trouve que le fait d’être accompagné par le PCAO, ça nous a aidés avec l’approche humaniste, […ça permettait d’objectiver quelque chose qu’on avait observé » (D1).
Enfin, que les résultats présentés dans le document PCAO illustrent des gains ou des défis dans la mise en oeuvre du changement, les membres de la direction ont généralement trouvé mobilisant le fait de pouvoir retracer le chemin parcouru et de lire l’engagement des parties prenantes, qui sentent à travers le PCAO que leur voix est importante et considérée par l’organisation.
3.2 Un processus d’expression, d’échange et de réflexion entre les membres de l’organisation
Que ce soit lors des entrevues individuelles, lors de la lecture du document PCAO et des questions qui y sont posées, lors des groupes de discussion, ou par la présentation d’une métaphore, l’approche du PCAO offre plusieurs occasions aux membres de l’organisation de s’exprimer, d’échanger entre eux et de réfléchir ensemble.
Dans un premier temps, elle leur permet de ventiler, de nommer ce qu’ils vivent : « Il y a quelque chose de thérapeutique, entre guillemets, dans cette démarche-là » (A1). Dans un second temps, elle jette les bases d’un dialogue entre les divers niveaux de l’organisation : « Il faut présenter cette information […] et demander aux gens impliqués leurs idées pour la suite, et comment ils veulent continuer à cultiver ce jardin » (E2). Ce dialogue est favorisé lorsque la direction est prête à entendre ce que le personnel a à dire et à accueillir les critiques : « On est prêt à entendre, les équipes aussi, tant dans le positif que dans le négatif. Ça c’est important, d’accueillir puis de reconnaître. […] C’est un facteur de succès. Sinon, ce n’est pas crédible comme démarche » (D4).
Les multiples occasions d’échange fournies par l’approche du PCAO ont été le déclencheur de réflexion personnelle pour plusieurs membres des équipes de direction interrogés :
Ça m’a permis d’amener du sens […] Le fait d’être dans le projet de recherche […] c’est un éveil, je dirais. Un éveil puis une conscience qu’on est en train de changer les choses, puis le comment on le change. Je n’étais pas juste en train de le vivre, mais j’avais comme la tête au-dessus. J’étais comme au balcon pour dire : bien voici comme organisation comment on y est arrivé. Alors que si on n’avait pas été dans un projet de recherche, je l’aurais vécu, mais je ne me serais pas vu le vivre
D8
Se faire questionner sur le changement ou participer à des échanges sur le sujet amène les membres des équipes de direction à considérer d’autres points de vue, à remettre en question leur perspective et à nuancer certaines perceptions.
Puisque cette réflexion individuelle s’alimente des discussions, elle se transforme rapidement en réflexion collective. C’est particulièrement vrai au moment du feedback à la direction, qui devient un moment privilégié pour les équipes de direction d’échanger de manière transparente. Ce moment incite à « parler des vraies affaires », à poser les vraies questions et à faire face aux enjeux présents dans l’organisation. Dans l’ensemble, l’approche PCAO permet aux équipes de direction de s’arrêter afin de prendre le recul nécessaire pour garder le sens du changement :
Le PCAO, ça nous permet de prendre du recul par rapport aux choix qu’on a faits, de pouvoir voir nos bons coups […] et comment on peut diviser ça pour continuer à cheminer. […] On peut vouloir se réorienter au besoin
B1
Ces moments de réflexion collective ont été l’occasion, pour plusieurs équipes de direction, de réaliser qu’elles prennent trop peu souvent le temps de s’arrêter pour réfléchir. L’effet de cette pause, dans certains cas, a été d’unifier l’équipe et de s’ancrer plus solidement pour assurer la suite du changement, en partageant une vision et un langage communs.
En outre, le PCAO a été utilisé par certaines organisations comme un outil de communication qui démontre que la direction accorde de l’importance au changement et qu’elle s’investit dans un véritable processus d’écoute, de réflexion et d’ajustement :
Si on fait une présentation de ces conclusions-là, ça serait peut-être le moment […] de faire un état d’avancement des travaux, de tous les processus qui sont en cours ou réalisés et tous les gens impliqués dans chacune des directions avec nos équipes
D2
D’autres documents issus de l’approche PCAO, tels que les présentations PowerPoint des groupes de discussion ou des affiches préparées en vue d’un symposium de transfert de connaissances, ont aussi été utilisés comme outils de communication, par exemple afin de partager une synthèse de la situation avec le conseil d’administration.
En bref, le PCAO a été perçu comme une approche de recherche utile pour faire ressortir la dimension sociale de l’organisation, et créer des espaces de dialogue, jugés essentiels pour permettre aux membres des équipes de direction d’échanger, entre eux, mais aussi avec les membres de l’organisation, sur l’approche et de réellement se l’approprier. C’est grâce à ces échanges qu’une compréhension commune peut s’établir entre les membres de l’organisation.
3.3 Un soutien à la démarche de changement
Par le portrait qu’il présente, le document PCAO est perçu par plusieurs membres des équipes de direction comme une occasion de suivre l’évolution et de repositionner le changement en cours. Dans un premier temps, il permet de faire le suivi du changement à travers le temps de manière structurée. Ensuite, il permet d’identifier les obstacles, les leviers et les solutions au changement qui sont perçus comme tels par les parties prenantes et de faire les ajustements en conséquence : « Je pense qu’il faut, de ce document-là, de ces commentaires-là, aller chercher les principaux leviers et continuer à travailler avec ça et avec les gens » (E1). En ce sens, le PCAO incite aux remises en question, au recadrage du changement, et soutient la prise de décision pour la suite. De manière bien concrète, le PCAO amène les membres de l’organisation à proposer des pistes de solutions, souvent novatrices, qui alimentent le plan d’action du changement. Ainsi, non seulement le PCAO nourrit la réflexion de la direction, mais il contribue également à amorcer l’action.
L’approche PCAO constitue aussi un outil de développement et de soutien aux pratiques de gestion du changement des équipes de direction : « On a un levier pour repartir. Le défi c’est le plan de communication, comment on va l’expliquer, le communiquer, le transmettre, notre désir, notre motivation de poursuivre. Ça nous donne vraiment des beaux outils pour redémarrer » (B4). À titre d’exemple, les documents issus du projet de recherche, comme des tableaux synthèses et des schémas, sont considérés comme des outils pratiques pour expliquer les rôles de chacun dans la gestion du changement. Le fait que le PCAO s’appuie sur une démarche scientifique rassure aussi les équipes de direction sur la fiabilité des résultats, et l’accompagnement des chercheurs est apprécié des milieux participants : « Je me suis dit : il y a quelqu’un qui va nous guider et nous apprécier, et c’est super. C’est un cadeau qu’on se donne de participer à un projet de recherche » (E3).
Ce cadeau comporte cependant des défis. Par exemple, les résultats du PCAO peuvent générer une certaine pression sur l’organisation compte tenu de la diversité des solutions proposées. Le défi demeure de prioriser en fonction de ses objectifs et de ses moyens : « Ça me stresse parce que je me dis : “Ah, mon dieu, on a-tu les moyens de toutes ces ambitions-là?” » (C3.) La pression provient aussi du fait que les parties prenantes se sont exprimées, et qu’elles s’attendent à ce que leurs propos soient pris en compte dans la suite du changement. En réponse à ces défis, un dirigeant concluait que la coresponsabilisation des parties prenantes est nécessaire :
Je n’ai pas honte de nos résultats, c’est des occasions de s’améliorer. Si on s’est planté, on va se dire oui, on s’est planté, maintenant on va essayer de faire mieux, mais on va essayer de faire mieux ensemble par exemple. Si l’information tout le monde l’a, tout le monde devient aussi responsable de faire quelque chose avec
A1
3.4 Une source d’apprentissage
L’approche PCAO, à travers ses diverses étapes, a été une source d’apprentissage pour les organisations participantes. D’abord, à travers le récit détaillé du parcours réalisé dans le cadre de son changement, l’organisation bénéficie d’une recension structurée de ses actions, de ses décisions et de leurs impacts, ce qui lui permet de tirer des leçons sur ses bons et moins bons coups : « On a intérêt à utiliser l’expérience qu’on a vécue, et c’est recensé avec le parcours. […] On a comme un livre de recettes, et l’outil devrait servir pour le prochain passage » (C4). Ces apprentissages peuvent ensuite être réinvestis dans la poursuite du changement en cours.
Certains membres des équipes de direction interrogées vont plus loin en affirmant que le PCAO a eu un « effet pédagogique », qui a non seulement permis d’en apprendre sur le changement en cours, mais qui servira également de processus de référence pour le suivi et la conduite de futurs changements, par exemple lors de fusions d’établissements : « Je suis convaincu que l’on peut faire un processus comme ça [le PCAO] sur plein de choses dans l’organisation » (A1). Notamment, l’importance du dialogue avec le personnel afin de connaître ses perceptions, ses préoccupations et ses suggestions est un des apprentissages concrets tirés par une organisation. Le PCAO est alors perçu comme une approche puissante ayant permis de nombreux apprentissages et une remise en question en profondeur quant à la manière de conduire un changement.
Faire partie d’un projet de recherche impliquant plusieurs établissements a aussi été vu comme une opportunité d’apprendre des autres, notamment afin de ne pas répéter les mêmes erreurs ou en ayant accès aux meilleures pratiques éprouvées dans d’autres milieux. Certains ont aussi été heureux d’être une source d’apprentissage pour d’autres en contribuant à l’émergence d’un modèle de mise en oeuvre d’une approche centrée sur la personne qui pourra servir à d’autres établissements.
Finalement, le PCAO a fait prendre conscience à un dirigeant de ce qu’est véritablement une organisation apprenante, en expérimentant le processus d’apprentissage qui se tisse à mesure que l’organisation avance dans son projet de changement : « Je pense qu’on vient de vivre quelque chose de concret où on va tous être en train d’apprendre quelque chose » (C2). Comme le résume bien un autre dirigeant : « C’est vraiment un parcours collectif d’apprentissage » (D3).
4. Discussion
Les résultats présentés témoignent de la richesse de l’approche PCAO, autant comme méthode de génération de connaissances que comme méthode d’accompagnement et de développement organisationnel. Afin d’approfondir la discussion sur cette approche et ses retombées, ces résultats sont ici croisés avec les écrits sur la réflexion collective afin de mettre en évidence les contributions de chacune des étapes de la méthodologie du PCAO. Les contributions managériales du PCAO en contexte de changement organisationnel sont aussi présentées, de même que quelques leçons sur les facteurs de réussite et les défis de cette approche.
4.1 La construction de la réflexion collective à travers les étapes du PCAO
Si à première vue l’approche du PCAO peut paraître complexe, compte tenu de ses nombreuses étapes, les résultats de ce projet de recherche mettent en évidence que chacune de ces étapes contribue à alimenter une réflexion, d’abord individuelle, puis collective, qui se transforme finalement en apprentissage organisationnel. À leur tour, ces apprentissages sont réintroduits dans le système et alimentent un nouveau cycle de réflexion. C’est ce qu’illustre la Figure 1.
Ainsi, les entrevues individuelles sont le point de départ de ce processus puisqu’elles invitent chaque participant, individuellement, à prendre un temps d’arrêt et à réfléchir au projet de changement. Les questions des chercheurs les incitent à prendre du recul, à revenir dans le passé et à formuler le sens qu’ils attribuent à ce changement (Gearty & Coghlan, 2018; Roth & Kleiner, 1998). Cette réflexion individuelle ne se termine pas avec la fin de l’entrevue : les questions posées amènent les participants, dont les membres des équipes de direction, à observer différemment leur environnement par la suite (Gearty, 2008). La lecture du document PCAO pousse cette réflexion individuelle à un deuxième niveau. En prenant connaissance des perceptions d’autres membres de son organisation, chaque participant est à même de comparer sa propre vision des choses, de la nuancer ou encore de la confirmer (Ferguson-Amores et al., 2005). Ces deux premières étapes du processus du PCAO offrent donc la possibilité aux individus participants à la recherche de clarifier leur position quant au changement, et souvent de la faire évoluer par la prise en considération de celle des autres (Bradbury & Mainemelis, 2001; Gearty & Coghlan, 2018; Stam et al., 2014).
S’ensuivent les groupes de discussion et les feedbacks à la direction, où les participants sont réunis, généralement par niveau hiérarchique, pour discuter du portrait dressé par le document PCAO. La réflexion individuelle se poursuit toujours, mais les groupes de discussion invitent à dégager les consensus et les contradictions ainsi qu’à proposer des pistes de solutions pour l’avenir (Bradbury et al., 2015). À ce niveau, les divers groupes s’approprient le portrait de la situation et en font le canevas de leur plan de route pour la suite. La réflexion devient collective et mobilise les parties prenantes qui sentent qu’elles ont dorénavant un pouvoir sur la situation, une possibilité de l’influencer et d’y contribuer (Wildemeersch & Ritzen, 2008). À cette étape, elles ne réfléchissent plus uniquement au changement, mais elles se remettent en question comme organisation quant à ses buts, ses valeurs et ses pratiques. Ce processus favorise un apprentissage par rétroaction double, soit un apprentissage plus enraciné et durable puisqu’étant à l’origine d’une véritable remise en cause des principes fondamentaux de l’organisation (Argyris & Schön, 2002).
L’ensemble de ces étapes laisse des traces du parcours réalisé par l’organisation (Wildemeersch & Ritzen, 2008). Ces artéfacts comprennent bien sûr le document PCAO, mais aussi des documents synthèses, des affiches scientifiques, des schémas, qui sont des témoins des apprentissages réalisés par l’organisation, tant sur le plan du changement que des processus qui animent ce changement. Transformés en outils de communication, de consultation et de conduite du changement, ils deviennent de nouvelles références pour l’organisation qui, en les adoptant, se transforme à nouveau (Amidon, 2008; Gearty, 2008).
Argyris et Schön (2002) ont mis en évidence que l’absence d’infrastructures pour la réflexion nuit à l’apprentissage organisationnel. L’analyse des résultats de cette recherche démontre que le PCAO est bien davantage qu’une méthodologie de recherche : chemin faisant, il fournit à l’organisation participante cette infrastructure de réflexion en même temps que le contenu qui en fera l’objet. Chaque étape de l’approche contribue à susciter une réflexion, qui alimente ensuite les étapes subséquentes, générant une véritable boucle de rétroaction, essentielle à un apprentissage organisationnel durable et transformateur (Argyris & Schön, 2002). En outre, il brise l’isolement des membres de l’organisation et de l’équipe de direction en créant des espaces communs de réflexion (Roth & Bradbury, 2008). En ce sens, le PCAO contribue à une transformation sur deux plans : celui du changement auquel il s’intéresse, et celui de l’organisation comme telle, en l’amenant à se questionner sur ses pratiques en général. Il devient alors une véritable stratégie de développement organisationnel (Bradbury et al., 2015).
4.2 Les contributions managériales du PCAO en contexte de changement
Au-delà des impacts du PCAO sur la réflexion collective et l’apprentissage organisationnel, les équipes de direction participantes ont aussi relevé des impacts managériaux bien concrets en matière de gestion du changement.
Premièrement, l’approche s’est révélée comme un véritable processus de pilotage du changement en offrant des outils et des moments qui ont permis de prendre du recul, de faire le point, de recentrer le projet de changement autour de ses objectifs, tout en tenant compte de la réalité vécue par les différentes parties prenantes de l’organisation. Une des lacunes les plus fréquentes en matière de gestion du changement est souvent d’occulter la perception des destinataires (Bareil, 2004 ; Collerette, Lauzier, & Schneider, 2013), ce qui mène des équipes de direction à croire le changement implanté, alors que les parties prenantes ne se le sont pas encore approprié ou sont encore réfractaires à certaines dimensions. Le document PCAO et les groupes de discussion contribuent d’une part à illustrer où se situent les personnes par rapport à ce changement, et d’autre part, à mettre en évidence ce qui est souvent implicite, voire caché (Roth, 2000). Si les résultats du PCAO ne sont pas toujours faciles à recevoir pour les équipes de direction (Béliveau et al., 2006), ils permettent de mieux comprendre la situation et d’y apporter les correctifs nécessaires.
Deuxièmement, l’approche du PCAO semble être un vecteur de mobilisation important dans les organisations participant à un tel projet de recherche. D’abord, tout le processus de consultation et d’inclusion des parties prenantes sur lequel repose le PCAO leur offre une reconnaissance, condition de base à la mobilisation (Brun & Dugas, 2005; Tremblay & Simard, 2005). En demandant aux gens leur opinion, en leur donnant une voix, en les faisant contribuer à la réflexion et à l’identification de pistes de solutions, la direction reconnaît la valeur, la connaissance et l’expertise des membres de l’organisation. Ensuite, tout le processus de réflexion mis en oeuvre par l’approche du PCAO positionne les parties prenantes pour prendre des initiatives, se responsabiliser par rapport au changement et à leur organisation d’une manière plus générale. Cette possibilité d’intervenir, avec le soutien de la direction, contribue aussi significativement à accroître la mobilisation collective au sein d’une organisation (Tremblay & Wils, 2005).
4.3 Leçons apprises
Du point de vue des chercheurs, la principale leçon apprise dans le cadre de ce projet de recherche touche à l’encadrement des attentes des équipes de direction participantes. En effet, il est essentiel de bien leur expliquer les étapes d’une boucle de PCAO et de préciser la nature des livrables à chaque étape, de façon à bien cadrer leurs attentes. Par exemple, lors d’un groupe de discussion de la première boucle de PCAO, une des équipes de direction s’attendait à avoir déjà en mains des recommandations pour la suite de leur parcours et des comparaisons avec les PCAO des autres établissements. Certains ont été déçus de constater que l’étape des groupes de discussion vise d’abord à valider et à enrichir le document PCAO et à discuter des prochaines étapes. En outre, afin d’éviter toute ambiguïté dans les attentes de la direction envers les chercheurs, il importe de bien expliquer leur rôle d’historiens de l’apprentissage (Béliveau et al., 2006) et de facilitateurs de la démarche, l’identification des actions futures émanant du milieu, au fil qu’il progresse dans ses réflexions et ses apprentissages. À cet égard, le PCAO est véritablement une approche d’« empowerment » de l’organisation (Kleiner & Roth, 1996).
Par ailleurs, le PCAO est exigeant pour le terrain de recherche. Il faut préparer les équipes de direction à ces exigences, qui impliquent de leur part du temps, des coûts, mais aussi une ouverture à recevoir ce qui ressortira des diverses collectes de données et qui pourrait leur réserver des surprises (Milam, 2005; Roth & Kleiner, 1995).
Finalement, le PCAO est exigeant pour les chercheurs, qui doivent à la fois piloter les dimensions méthodologiques du projet, tout en assumant les rôles d’historiens de l’apprentissage, de facilitateurs et de présentateurs (Gearty & Coghlan, 2018).
Conclusion
Considérant les défis auxquels ils font face, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux ont besoin, plus que jamais, d’accroître leur compréhension des divers changements organisationnels qu’ils traversent, tout en libérant du temps pour la réflexion collective et l’apprentissage organisationnel. Les approches de recherche inductives, qui placent les données en priorité pour ensuite faire appel aux savoirs constitués dans un processus de coconstruction des connaissances, et qui donnent une voix aux acteurs du terrain afin de leur permettre de partager leur vécu et de participer activement à la recherche (Burnett et al., 2015), peuvent répondre à ces besoins. C’est ce qu’illustre le projet de recherche ayant fait l’objet de cet article. Plus particulièrement, il démontre que la méthodologie du PCAO met en place un véritable processus de réflexion collective, dont les apprentissages contribuent au développement de l’organisation. En outre, cette réflexion favorise la mobilisation des personnes ainsi que le recadrage du changement.
Bien entendu, les résultats présentés dans cet article ne reflètent que le point de vue des équipes de direction au terme de la seconde boucle de collecte de données du projet Planetree-IRSC. Il serait avantageux de documenter, avec le recul, les véritables apprentissages qui ont émergé de cette démarche, ceux qui ont réellement modifié la trajectoire de l’organisation. En outre, il serait intéressant de connaître le point de vue des autres parties prenantes de l’organisation sur la question. Néanmoins, cette recherche laisse croire que, sous l’angle du management, la méthodologie du PCAO permet de relever le défi de contribuer à la fois à l’avancement des connaissances scientifiques et à l’amélioration des pratiques de gestion dans les organisations (Gearty & Coghlan, 2018; Prévost & Roy, 2015).
Appendices
Remerciements
Les auteures souhaitent remercier les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour leur soutien financier dans le cadre de ce projet de recherche, subventionné grâce au programme de Partenariats pour l’amélioration des systèmes de santé (PASS), numéro de la demande : 238 597.
Elles remercient également les cinq établissements participants à la recherche pour leur soutien financier et leur participation active dans le cadre de ce projet : le Centre gériatrique Maimonides Donald Berman, le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement de Chaudière-Appalaches, le Centre de réadaptation en déficience physique InterVal, le Centre de santé et de services sociaux de La Mitis, le Centre de santé et de services sociaux de Québec-Nord.
Notes
-
[1]
Le Réseau Planetree Québec (RPQ) s’appelle désormais le Réseau Planetree francophone (reseauplanetree.org).
-
[2]
Dans cette section, afin de préserver l’anonymat des participants cités, les sources de données sont codées. La lettre indique l’établissement d’appartenance du répondant. Le chiffre qui suit permet de distinguer les répondants issus de chaque établissement participant.
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