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INTRODUCTION

L’éducation inclusive est l’un des grands défis auxquels font face les systèmes scolaires à travers le monde (Ainscow, 2020; Conseil supérieur de l’éducation [CSE], 2017). Elle est notamment considérée comme une réforme qui soutient, accueille et reconnait la diversité parmi tous les élèves et leur offre des occasions d’apprendre ensemble, peu importe leurs différences individuelles (Ainscow, 2020, 2023). Elle est donc basée « sur les principes d’acceptation et d’inclusion de tous les élèves » (Bergeron, 2020, p. 5). En effet, au fil des années, la notion d’éducation inclusive a évolué, passant de l’objectif d’intégrer des élèves en situation de handicap appréhendés comme ayant des besoins particuliers ou rencontrant des difficultés d’apprentissage, à un contexte élargi prenant en compte, d’une part, la diversité sociale et ethnoculturelle dans les milieux scolaires (Audet et Gosselin-Gagné, 2023; Magnan et al., 2021) et, d’autre part, la reconnaissance et la valorisation des différences et des besoins des élèves (Donnelly et Watkins, 2011).

En matière d’éducation inclusive, l’école tend à « s’adapter a priori à la diversité des élèves dans leur ensemble […] à développer le plein potentiel de chacun selon ses aptitudes et ses champs d’intérêt, dans une perspective d’apprentissage tout au long et au large de la vie » (CSE, 2017, p. 5). Ce ne sont pas les élèves qui doivent s’adapter à l’école ou au système éducatif en général, mais c’est l’école qui a la responsabilité de s’adapter à leurs besoins (Borri-Anadon et al., 2020; Ramel, 2015) et de leur garantir l’accessibilité des savoirs, quelles que soient leurs différences et leurs difficultés (Issaieva et Scipion, 2020). Comme le mentionne Gardou (2020), l’école, comme toute organisation sociale, est dite inclusive « lorsqu’elle module son fonctionnement, se flexibilise pour offrir, au sein de l’ensemble commun, un "chez soi pour tous" » (p. 37). Plus largement, les milieux scolaires inclusifs sont perçus comme étant des établissements où plusieurs actrices et acteurs interagissent quotidiennement dans l’objectif de favoriser la réussite de tous les élèves, qu’ils rencontrent ou non des difficultés (Gosselin-Gagné, 2018). Ainsi, un processus de changement engageant tous les acteurs et toutes les actrices scolaires s’établit (Borri-Anadon et al., 2015), responsabilisant davantage le personnel enseignant qui sera appelé à collaborer et à ajuster ses pratiques afin de pouvoir répondre aux besoins de ses élèves (Tremblay, 2020). En effet, valoriser la diversité des élèves et reconnaitre leur droit à une participation complète sont les bases de l’éducation inclusive pour tenir compte de la diversité scolaire dans une perspective d’égalité des chances (Conus, 2021). De manière concrète, il s’agit de mettre en place, à l’intérieur de la classe, des méthodes d’enseignement qui répondent aux différences individuelles (Ainscow, 2020), qui prennent en compte la culture des élèves et qui luttent contre les formes de discrimination (Farmer et al., 2021).

Au Québec, comme dans toute société d’accueil, l’arrivée des élèves issus de l’immigration transforme la composition sociodémographique de la société ainsi que l’hétérogénéité à l’école. D’ailleurs, depuis les années 1960, la réforme éducative aboutissant à la modernisation et à la démocratisation de l’éducation a instauré les bases d’une éducation accessible à tous, dans une visée de réussite scolaire à tous les niveaux (Rocher, 2004). Ce phénomène, qui a changé le visage de l’école, a été accompagné par des mesures précisant les modalités de la fréquentation de l’école par les élèves allophones issus de l’immigration (Mc Andrew et al., 2021). Ainsi, la mise en place des classes d’accueil en 1969 et les applications de la Loi 101 en 1977 – qui a promulgué le français comme langue officielle d’enseignement (Pagé et Lamarre, 2010) – ont permis à un nombre accru d’élèves d’origine immigrante d’accéder aux écoles francophones, même s’ils ne maitrisent pas la langue d’enseignement à leur arrivée au Québec (Mc Andrew et al., 2021). Cela influence le travail du personnel enseignant qui devient plus riche, mais aussi plus exigeant. En effet, cette diversité ethnoculturelle[1], qui enrichit à la fois l’expérience du personnel enseignant et celle des élèves (Koubeissy, 2019), favorise les échanges et la collaboration en classe (Kamano et Benimmas, 2017). Elle incite également le personnel enseignant à développer une compréhension approfondie des différences présentes dans leurs classes (Davies et Provencher, 2015), ce qui lui permet d’ajuster ses pratiques pédagogiques (Piquemal et al., 2009). Ces pratiques se situent dans un processus dont le but ultime est la recherche de meilleures façons de répondre à la diversité, conçue elle-même comme un stimulant riche qui favorise l’apprentissage (Ainscow, 2005). Ainsi, afin d’offrir à l’ensemble des élèves des chances égales de réussite, tous les acteurs et les actrices scolaires sont appelés à prendre en considération cette diversité (Akkari et Radhouane, 2019; Armand, 2013) et à développer des occasions d’apprentissage pour tous les élèves (CSE, 2017). C’est dans cette définition plus complète qui prend en considération la diversité ethnoculturelle dans les écoles que cet article s’inscrit. Il vise à explorer certains défis auxquels fait face le personnel enseignant en travaillant dans un contexte de diversité et d’inclusion, et à proposer des perspectives de développement vers une éducation inclusive.

CONTEXTE DE DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE ET D’INCLUSION : DÉFIS ENTOURANT LE TRAVAIL DU PERSONNEL ENSEIGNANT ET PISTES DE DÉVELOPPEMENT

Pour répondre à l’objectif de l’article, nous avons dressé un portrait de certaines recherches menées sur l’inclusion, sur l’éducation inclusive ou sur les pratiques inclusives, sous l’angle de la diversité ethnoculturelle, en vue d’orienter la catégorisation des défis présentée plus loin. Pour répertorier des articles dans le domaine, une recherche documentaire a été effectuée en utilisant les mots clés suivants : inclusion, éducation inclusive, pratiques inclusives, diversité ethnoculturelle et enseign*[2], principalement dans les bases de données Google Scholar et EBSCO. Nous avons sélectionné la période allant de 2008 à 2023 pour cerner les recherches menées dans les 15 dernières années, qu’elles soient nationales ou internationales. Pour les fins de cet article, nous avons sélectionné plusieurs écrits scientifiques découlant de recherches empiriques en français (Allenbach et al., 2016; Audet et al., 2022; Azéma et Leblanc, 2022; Charette, 2016; Conus, 2021; Fortier et al., 2018; Geillon, 2015; Gosselin-Gagné, 2018; Heine, 2018; Jacobs, 2018; Jacquet et André, 2021; Kamano et Benimmas, 2017; Kanouté et al., 2016; Koubeissy et Audet, 2021, 2022; Lafortune, 2014; Liboy, 2014; Liboy et Mulatris, 2016; Mottet, 2021; Niyubahwe et al., 2019; Noël et Ogay, 2017; Papazian-Zohrabian et al., 2018; Piquemal et al., 2009; Potvin et Leclerq, 2014; Querrien, 2017; Vatz Laaroussi et al., 2008). Il est important de souligner que la majorité des articles consultés sont issus de recherches qualitatives qui ont eu recours à l’entretien comme outil de collecte de données, sous différentes formes : récits de pratique, entretiens semi-structurés et entretiens semi-dirigés inspirés des récits de pratique. Les résultats de ces articles témoignent des défis auxquels le personnel enseignant peut être confronté en contexte de diversité et d’inclusion. Nous soulignons que cette recension des écrits ne s’est pas attardée à explorer les croyances du personnel enseignant, ses perceptions et ses points de vue quant à la diversité et/ou à l’inclusion, ce qui constitue une limite méthodologique.

Le survol des articles fait ressortir, entre autres, trois thématiques que nous avons retenues parce qu’elles appuient l’objectif de notre article et permettent de développer une connaissance sur les défis entourant le passage vers un paradigme inclusif : la formation interculturelle et inclusive du personnel enseignant; les interventions du personnel enseignant en contexte de diversité ethnoculturelle et la collaboration avec les familles dans un tel contexte. En nous inspirant de ces trois thématiques, nous présentons les défis auxquels pourra être confronté le personnel enseignant en contexte de diversité ethnoculturelle en trois sous-parties, chacune englobant également des pistes de développement vers une éducation inclusive : 1) des défis en lien avec la formation initiale et continue du personnel enseignant en contexte de diversité ethnoculturelle et d’inclusion; 2) des défis en lien avec la mise en place des pratiques pédagogiques et des ressources en contexte de diversité ethnoculturelle et d’inclusion; et 3) des défis en lien avec la collaboration avec les familles en contexte de diversité ethnoculturelle et d’inclusion. Pour alimenter les sous-parties qui suivent, des articles de nature théorique ont aussi été consultés. Un aperçu général sur le concept de l’enseignement sert d’introduction aux trois sous-parties.

L’enseignement comme acte interactif

L’enseignement est un travail qui s’exerce en interaction avec les élèves et les actrices et les acteurs scolaires (Tardif et Lessard, 1999). En vue de préparer les tâches connexes à la profession, telles que la présentation du curriculum, les évaluations, les bulletins, la rencontre des parents, les contenus à enseigner, etc., le personnel enseignant peut ressentir une pression entre ce qui est prescrit, ce qui est réalisé, et les ressources qu’il doit mobiliser au quotidien (Amigues, 2009; Méard et Bruno, 2008; Tardif et Lessard, 1999). C’est donc un travail qui comporte plusieurs enjeux pédagogiques, sociaux et affectifs et qui exige « une préparation formelle et des capacités personnelles » (Piquemal et al., 2009, p. 338). Il consiste, entre autres, à improviser en s’adaptant aux différentes situations (Azéma et Leblanc, 2022; Farmer et al., 2021; Tardif et Lessard, 1999), à gérer les émotions d’autrui, à motiver, à encourager, à écouter et à soutenir ses élèves, à rassurer les parents et à les accueillir en classe (Piquemal et al., 2009). Bucheton (2009) décrit le travail d’enseignement comme un ajustement et un coajustement avec l’agir de chaque élève et ses besoins (Bucheton, 2009). L’élève est donc un acteur principal qui joue un rôle dans la coconstruction du sens de l’apprentissage (Koubeissy, 2019). Cela dit, en contexte de diversité ethnoculturelle, le travail du personnel enseignant devient de plus en plus important et complexe quant à l’évolution des besoins liés au contexte et à la prise en considération des particularités de chaque élève (Akkari et Radhouane, 2019; Gérin-Lajoie, 2002; Koubeissy, 2019). Dans ces classes multiethniques, le personnel enseignant doit tenir compte de la diversité ethnoculturelle au quotidien avec tous les défis, les occasions et les enjeux que cette diversité comporte (Akkari et Radhouane, 2019; Gosselin-Gagné, 2018; Mottet, 2021) ainsi que des ressources qu’il doit mobiliser (Ainscow, 2020). En outre, le personnel enseignant se trouve devant le défi de gérer toutes les prescriptions scolaires et de répondre aux besoins du milieu qui s’annonce de plus en plus exigeant. Il y a une négociation en termes de coût et de bénéfice (Malo, 2010) entre ce qu’il peut réaliser et ce qu’il souhaite réaliser, tout en considérant les facteurs du contexte. Ainsi, des membres du personnel enseignant se conforment aux prescriptions et d’autres les déjouent ou agissent sur celles-ci pour élargir leur marge de manoeuvre et répondre aux besoins de leurs élèves (Koubeissy et Audet, 2022). Cela dit, l’acquisition d’une compétence professionnelle dite « interculturelle » ou encore « interculturelle et inclusive » est de mise (Armand, 2013; Larochelle-Audet et al., 2013; Potvin et al., 2015). Par cette compétence, on entend « une compétence à communiquer avec des personnes aux référents divers, de même que des attitudes d’ouverture, de tolérance et de solidarité » (ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 1998, p. 2). La compétence peut s’exprimer concrètement par le fait de s’informer sur les spécificités sociales, culturelles et linguistiques ainsi que sur le contexte migratoire des familles des élèves qui fréquentent l’école et d’éviter les stéréotypes, les standardisations et la discrimination à leur égard (Armand, 2013). La formation associée à cette compétence et au travail en contexte de diversité ethnoculturelle est présentée de façon détaillée dans la prochaine section.

Les défis en lien avec la formation initiale et continue du personnel enseignant en contexte de diversité ethnoculturelle et d’inclusion

La formation initiale et continue est un processus de changement, de transformation et d’ajustement du travail du personnel enseignant aboutissant à l’amélioration des pratiques enseignantes et au développement des compétences professionnelles (Bucheton, 2009; Bucheton et Soulé, 2009; Mukamurera et Uwamariya, 2005; Tardif et Lessard, 1999; Tomlinson, 2004; Tomlinson et Imbeau, 2011). De ce fait, la formation du personnel enseignant à la diversité et à l’inclusion ressort comme un besoin urgent à combler en recherche (Cavanagh et al., 2016). C’est un élément clé de l’inclusion (Tremblay, 2020) et un enjeu important pour l’accueil de tous les élèves, dont ceux qui sont issus de l’immigration, selon une perspective inclusive (Fortier et al., 2018; Kamano, 2014). De plus, c’est une occasion pour que le personnel enseignant développe des attitudes plus positives à l’égard de l’inclusion (Tremblay, 2020) ainsi qu’un profil inclusif (Donnelly et Watkins, 2011).

Au Québec, différentes mesures ont été mises en place depuis la fin des années 1990 dans la perspective de former le personnel enseignant pour qu’il tienne compte de la diversité ethnoculturelle et pour le soutenir dans ses pratiques. La Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle : une école d’avenir (MEQ, 1998) engage le personnel enseignant à promouvoir l’intégration socioculturelle des élèves immigrants et à favoriser leur réussite. Plus récemment, la Politique de la réussite éducative (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2017) promouvait une approche plus inclusive. L'une de ses principales mesures porte sur le rôle de l'équipe-école dans le soutien au bien-être et à l'apprentissage des élèves dans un climat scolaire sécuritaire, accueillant, inclusif et ouvert à la diversité. Cette politique réitère l’importance de la formation initiale et continue du personnel scolaire dans la réussite éducative de tous les élèves. Bien que les bases d’une éducation inclusive soient formalisées, c’est plutôt l’approche intégrative qu’inclusive qui prédomine encore au Québec (Tremblay, 2020), ce qui ne serait pas sans conséquence sur la formation initiale et continue du personnel enseignant, ainsi que sur sa perception de la diversité. Concernant la formation initiale, en arrimage avec les politiques, plusieurs universités québécoises ont introduit des cours sur les enjeux de la diversité ethnoculturelle à partir des années 1990, mais d’une manière inégale (Larochelle-Audet et al., 2016; Potvin et al., 2021). En effet, d’après une étude menée sur 12 universités québécoises, l’enseignement sur la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en formation initiale ressort comme étant insuffisant (Larochelle-Audet et al., 2013). Selon le portrait de la formation enseignante dressé, des étudiants et des étudiantes obtiennent leur brevet d’enseignement sans avoir suivi de cours leur permettant de composer avec un environnement hétérogène sur le plan ethnoculturel (Larochelle-Audet et al., 2013). Ainsi, la formation initiale à l’enseignement au Québec souffre, d’une part, d’un manque de temps alloué à la diversité ethnoculturelle et, d’autre part, d’absence de références communes portant sur cette diversité (Geillon, 2015). En ce qui concerne la formation continue, plusieurs études menées auprès du personnel enseignant ont souligné que ce dernier se sentirait insuffisamment préparé à implanter des pratiques inclusives et interculturelles (Fortier et al., 2018; Jacobs, 2018; Piquemal et al., 2009; Ramel, 2015). Cela exige un changement qui touche les logiques d’action et la pensée des différents acteurs et différentes actrices scolaires (Bergeron et Prud’homme, 2018). Cela dit, enseigner dans un contexte de diversité et d’inclusion pose plusieurs défis (Gérin-Lajoie, 2002; Kamano et Benimmas, 2017; Levasseur, 2018; Potvin, 2014) et les compétences pédagogiques du personnel enseignant ne suffisent plus à la gestion des classes multiethniques (Akkari, 2006; Potvin, 2014). Potvin (2014) propose le développement des compétences qui s’inscrivent dans les approches interculturelles et inclusives afin de promouvoir des stratégies visant à transformer les structures et les pratiques éducatives (Potvin, 2014). Ces deux approches, malgré certaines différences, se complètent mutuellement (Audet et Gosselin-Gagné, 2023). C’est ainsi que l’on parle d’une compétence interculturelle et inclusive (Potvin et al., 2015), qui pourrait être à la base de la formation initiale et continue du personnel enseignant.

Par ailleurs, pour développer ce champ de formation du personnel enseignant, il faut considérer plusieurs facteurs. Soulignons, en premier lieu, que les politiques promouvant l’inclusion scolaire ont suscité des changements dans la composition des classes ordinaires, ce qui a rendu indispensable le développement de compétences plus avancées, s’appuyant sur la diversité de la classe, en matière de curriculum, de méthodes d’enseignement, de stratégies d’apprentissage et d’interventions différenciées (Noël et Ogay, 2017; Tremblay, 2020).

En deuxième lieu, la formation doit être repensée, considérant l’évolution de la diversité sociale, religieuse et linguistique (Leroux, 2021). Il s’agit de prendre en compte des réalités scolaires qui deviennent de plus en plus complexes, en lien avec le racisme, la discrimination, l’arrivée des élèves de pays en guerre, les traumatismes vécus par certains élèves, etc. (Potvin et al., 2021), et de se sensibiliser aux besoins des élèves et à l’importance de créer un environnement de classe qui valorise et respecte la diversité (Young et Mary, 2009). Plus particulièrement, le personnel enseignant a besoin d’être préparé à gérer les situations attribuables aux traumatismes et aux deuils liés aux contextes de guerre et de crise (Papazian-Zohrabian et al., 2018; Piquemal et al., 2009) afin d’accompagner les élèves en détresse et de les orienter vers les ressources d’aide (Lafortune, 2014). Dans cette lignée, les conclusions de la recherche de Papazian-Zohrabian et al. (2018) indiquent un besoin clair en formation et en intervention en contexte scolaire concernant la situation des réfugiés, leur santé mentale, les indicateurs de leur mal-être et l’impact des deuils et des traumatismes sur leur apprentissage. Pour pallier le manque de certaines ressources, Geillon (2015) propose de créer un répertoire commun qui comprend des ressources issues de la littérature, des recherches et des pratiques dans le domaine de la diversité ethnoculturelle.

En troisième lieu, la formation gagnerait à développer des compétences chez le personnel enseignant en matière de communication interculturelle et de sensibilisation aux causes structurelles de la discrimination (Heine, 2018) pour lui permettre de se décentrer de lui-même et de ses pratiques culturelles et sociales pour s’engager envers ses élèves (Akkari et Gohard-Radenkovic, 2002; Audet, 2018; Jacobs, 2018). De ce fait, la formation doit avoir une visée compréhensive qui lutte contre les inégalités sociales, les systèmes d’oppression, la discrimination, le racisme et autres, mais elle doit aussi adopter une approche qui soutient l’empowerment (l’autonomisation) du personnel enseignant (Kincheloe et al., 2011; Maury et Hedjerassi, 2020).

Si l’intégration des élèves issus de l’immigration signifie que ces derniers deviendront des citoyens réflexifs, informés et civiquement engagés, il est fort important que le personnel enseignant soit formé selon une perspective qui lui permet d’agir à titre de penseur critique, ayant une voix et le pouvoir d’agir en éducation (Kincheloe et al., 2011; Leroux, 2018; Maury et Hedjerassi, 2020; Tardif, 2014). Cela dit, des recherches critiques donnant la voix au personnel enseignant et permettant, à travers les outils de collecte de données, de le sensibiliser aux différents enjeux de diversité et d’inclusion seront privilégiées dans le domaine. Ce type de recherche perçoit l’enseignement comme un acte politique qui doit lutter pour la justice sociale et pour la démocratie en éducation afin d’apporter des changements dans la société (Freire, 2018). Les membres du personnel enseignant, considérés comme des actrices et des acteurs actifs, ne seront plus traités comme des objets de formation qui reçoivent des paquets de connaissances préétablies (Akkari, 2006); ils doivent plutôt développer un sens politique et historico-social du monde qui les entoure pour qu’ils puissent agir sur la réalité (Akkari et Radhouane, 2019; Koubeissy et Audet, 2021). Et surtout, ils doivent percevoir l’enseignement comme une pratique de liberté qui ne les réduit pas au statut de techniciens, privés de tout contrôle sur leurs compétences (Giroux, 2010; Tardif, 2014). La prise de conscience de leurs positions sociales et politiques, de leurs attitudes et de leurs décisions aura une influence sur leurs élèves et sur leur enseignement (Freire, 1996, 2018).

Les défis en lien avec la mise en place des pratiques pédagogiques et des ressources en contexte de diversité ethnoculturelle et d’inclusion

De ce qui précède, il semble que la formation initiale et continue ne prépare pas suffisamment le personnel enseignant à tenir compte de la diversité ethnoculturelle dans une perspective d’inclusion scolaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains membres du personnel enseignant pourraient manquer d’expérience en ce contexte ou ne pas se sentir toujours qualifiés pour gérer les nouvelles réalités qui en découlent (Mukumurera et Balleux, 2013). D’autres pourraient se trouver sans outils et sans stratégies différenciées pour tenir compte de la diversité ethnoculturelle (Kamano, 2014; Kamano et Benimmas, 2017). Par exemple, des membres estiment qu’il manque de ressources en matière de compétences interculturelles et en matière de formation afin d’adapter les outils d’évaluation et les méthodes pédagogiques aux réalités des élèves, et remettent en question certains préjugés et biais (Potvin et Leclercq, 2014). D’autres, compte tenu du fait que certains élèves ne maitrisent pas suffisamment la langue de scolarisation à leur arrivée au Québec, pourront ressentir une inquiétude (Cavanagh et al., 2016) et un sentiment de frustration et d’insuffisance (Kamano et Benimmas, 2017). En effet, certains membres du personnel enseignant, oeuvrant dans des classes qui comptent des élèves ayant des profils différents en termes d’origines, de langues et de cultures, de trajectoire prémigratoire et de niveau de maitrise de la langue d’enseignement, risquent de développer des perceptions souvent déficitaires quant à la diversité et aux besoins de ces élèves (Conus, 2021; Jacobs, 2018; Lea, 2010) et de manquer de conscience à l’égard des inégalités liées à cette diversité (Heine, 2018). D’autres vont encore plus loin et perçoivent la diversité comme une menace à leur identité québécoise (Mc Andrew et al., 2021), d’où l’importance, en continuité avec la partie précédente, de former le personnel enseignant d’une manière à augmenter sa conscientisation aux enjeux de la diversité et de l’inclusion. Il s’agit de se décentrer de ses propres valeurs et de ses propres normes et de dépasser la sphère des perceptions de ses cultures pour aller à la rencontre de ses élèves (Audet, 2018).

Un autre défi se présente, celui de trouver des différences à l’intérieur d’un même groupe d’élèves issus de l’immigration, des élèves arrivant d’un contexte de crise ou de guerre. Par exemple, les profils des élèves d’origine haïtienne immigrés au Québec après le séisme de janvier 2010 en Haïti diffèrent sur les plans social et scolaire, mais convergent à propos d’éléments liés au séisme, à des degrés différents (Lafortune, 2014). En effet, des problématiques liées aux deuils et aux traumatismes sont perçues de façon plus marquée chez les élèves arrivés immédiatement après le séisme que chez ceux qui sont arrivés plus de six mois après (Lafortune, 2014). Ainsi, le profil des élèves peut converger sur un aspect, mais diverger sur d’autres. Par ailleurs, l’arrivée d’élèves réfugiés, souvent en cours d’année scolaire, génère un surplus de travail pour le personnel enseignant qui doit mettre en place des stratégies pour répondre aux besoins d’accompagnement de ces élèves, en plus de compenser leur manque de maitrise du français (Grisales et al., 2016). Puisque chaque élève est unique et a des besoins spécifiques, il est important de prendre la diversité des élèves dans son ensemble (CSE, 2017). D’autres défis pédagogiques peuvent être attribuables à la non-disponibilité des informations sur les antécédents, les valeurs et les profils des élèves (Kamano et Benimmas, 2017). Il peut arriver, par exemple, qu’un membre du personnel enseignant ne reconnaisse pas qu’un élève de sa classe a vécu des traumatismes (guerre, catastrophes naturelles) par manque d’antécédents disponibles au dossier de l’élève, ce qui influe sur la manière de l’accompagner.

Le personnel enseignant est ainsi appelé à ajuster son enseignement pour couvrir les besoins diversifiés de ses élèves (Ainscow, 2005; André, 2018; Armand, 2013) et pour instaurer des pratiques scolaires inclusives et équitables (Apple, 2011; Koubeissy et Audet, 2021; Potvin, 2017). Plusieurs pistes ont été proposées à ce niveau. Il s’agit de comprendre les besoins des élèves, leurs trajectoires pré et post migratoires ainsi que leurs conditions et leurs expériences de vie (Bajaj et al., 2017; Bouchamma, 2015; Goussot, 2015; Papazian-Zohrabian et al., 2018). Dans ce sens, pour prendre en charge des élèves touchés par la guerre, des attitudes professionnelles sont proposées, comme la capacité d’ajustement à de nouvelles situations, l’aptitude de création, l’habileté à modifier le curriculum et la collaboration d’équipe (Piquemal et al., 2009). Bien que la différenciation pédagogique semble une pratique incontournable dans un tel contexte (David et Mendonça Dias, 2020; Mottet, 2021), certains membres du personnel enseignant interrogés sur ce sujet ont exprimé des difficultés à planifier une différenciation des apprentissages ou à mettre en oeuvre, de manière régulière, certaines pratiques pédagogiques en raison du manque de temps (Querrien, 2017). En ce qui concerne les préjugés et les biais mentionnés précédemment, une pratique pédagogique serait de s’éloigner des explications basées sur la culture qui pourraient être discriminatoires, une fois l’exclusion visible de l’élève identifiée par rapport aux situations d’enseignement-apprentissage (Jacobs, 2018).

Dans cette optique, certains auteurs et certaines autrices considèrent que la pédagogie culturellement pertinente pourra pourvoir aux besoins des élèves dans un tel contexte tout en promouvant, entre autres, le développement de leurs compétences culturelles et leur réussite scolaire (Bajaj et al., 2017; Farmer et al., 2021; Ladson-Billings, 1995, 2014). Ladson-Billings (1995) souligne que cette pédagogie permet aux élèves de développer un sens des responsabilités, un intérêt à l’égard de leur éducation et un esprit critique. Une piste est donc de sensibiliser le personnel enseignant et de le former à cette pédagogie.

Dans une perspective critique, des méthodes et des stratégies équitables en classe gagnent à être développées pour éviter l'hégémonie culturelle et linguistique ainsi que toute forme de discrimination afin d'aider les élèves de divers groupes à faire la médiation entre leur culture d'origine et la culture scolaire (Banks, 2020). Le personnel enseignant doté d’une pensée critique peut mettre les élèves au défi d'apprendre à négocier avec le monde qui les entoure (Macedo, 2018). Les élèves devraient apprendre à lire le monde de manière critique au lieu de simplement savoir lire et écrire, afin qu'ils puissent comprendre les idéologies dominantes cachées (Freire, 2018). C’est pourquoi il est important que le personnel enseignant développe avec les élèves un dialogue constructif qui remet en question leurs connaissances, leurs besoins et leurs problèmes existants et démantèle les relations de pouvoir qui les ont isolés (Kincheloe et al., 2011).

Les défis en lien avec la collaboration avec les familles en contexte de diversité ethnoculturelle et d’inclusion

L’école inclusive ne peut prétendre accueillir l’enfant dans sa particularité sans impliquer sa famille (Conus, 2021). Enseigner, c’est collaborer avec les élèves, les parents et les actrices et acteurs scolaires pour remplir la mission de l’école, favoriser le bien-être et la réussite de l’élève et développer un climat sécuritaire à l’école. Collaborer est donc « la participation d’acteurs, appartenant à des groupes professionnels différents, aux processus de prise de décision ou d’intervention visant à répondre aux besoins particuliers des élèves » (Allenbach et al., 2016, p. 88). Pour sa part, Deslandes (2019) considère que la collaboration école-famille se développe « en présence d’un partage des responsabilités, d’une confiance mutuelle et d’une communication ouverte entre les partenaires » (p. 6).

En contexte de diversité ethnoculturelle, Vatz Laaroussi et al. (2008) notent que la collaboration avec les parents immigrants se manifeste à travers deux modèles : celui de partenariat par représentation et de participation à l’institution et celui du modèle du parent assistant à l’école. Le premier fait référence aux diverses politiques accordant une place officielle aux parents dans l’école (comités d’école et parents au Québec) et le deuxième se distingue particulièrement par son caractère parascolaire (faire du bénévolat à l’école; accompagner son enfant lors d’activités parascolaires, etc.). Dans le même sens, Kanouté et al. (2016) constatent dans une étude qui porte sur l’expérience scolaire d’élèves issus de l’immigration que les parents s’intéressent, entre autres, à l’apprentissage de leurs enfants, à leur vécu et à leur bien-être à l’école. Malgré cette attitude positive, la collaboration des familles avec l’école est parfois qualifiée de faible (Liboy et Mulatris, 2016) et peut paraitre invisible ou encore difficile à établir (Charette, 2016). Plusieurs facteurs influencent la construction de cette collaboration. D’entrée de jeu et sans s’y limiter, il s’agit de certaines contraintes comme le manque de ressources dans les écoles, la non-flexibilité des horaires de travail des parents, les problèmes de transport et le stress associé à la vie de certains dans les quartiers défavorisés (Deslandes, 2019), de même que la recherche d’emploi pour d’autres (Kamano et Benimmas, 2017). Un autre facteur important est parfois la barrière de la langue (Deslandes, 2019; Jacquet et André, 2021; Kanouté et al., 2016; Liboy et Mulatris, 2016), du fait que la langue d’enseignement n’est pas celle que parlent les parents. Cela peut justifier la faiblesse de l’aide offerte par certains parents dans la réalisation des devoirs et leur faible participation aux activités de l’école (Kanouté et al., 2016), ce qui complique l’établissement de lien avec les familles. Pour contrer ce défi, il parait aidant de varier les moyens de communiquer avec les parents qui ne maitrisent pas le français, comme avoir recours à des interprètes et tirer parti de la diversité ethnoculturelle et linguistique des collègues (Gosselin-Gagné, 2018). En plus de l’impact de la langue, la collaboration avec les parents peut être sujette à des incompréhensions et à des tensions attribuables à des différences culturelles en matière des représentations de l’école, du rôle et des responsabilités du personnel enseignant ainsi que des attentes de l’école (Deslandes, 2019). Dans son étude, Conus (2021) a constaté que des membres du personnel enseignant s’attendent à ce que les parents s’adaptent aux normes de la classe, même celles qui sont implicites, agissent selon les règles de vie de la classe souhaitées et prennent l’initiative de se renseigner sur le cheminement de leur enfant. Ce personnel aborde la relation avec les nouveaux élèves et leurs parents en se basant sur des modèles de classe strictement définis et établis et tentent, le cas échéant, de les conformer à ces règles. Cela dit, le désengagement des parents, attribuable au fait qu’ils ne sont pas habitués à ce fonctionnement et qu’ils ne sont pas au courant des attentes du personnel enseignant, n’est pas nécessairement bien perçu par ce dernier. C’est comme si on demandait aux élèves et à leurs parents de s’adapter à l’école, même si c’est elle qui devrait s’adapter pour les accueillir dans leur diversité. C’est dans ce sens que les valeurs et la culture de la famille sont portées à se distinguer également de celles que glorifient l’école et la société d’accueil (Gosselin-Gagné, 2018; Liboy et Mulatris, 2016). Ainsi, des malentendus dits culturels peuvent survenir lors de la communication avec les parents (Piquemal et al., 2009). Le personnel enseignant est appelé à les démystifier et à expliquer aux parents le fonctionnement de l’école et les tâches attendues de leur part. Il est également appelé à comprendre les attitudes des parents qui, par exemple, s’abstiennent de répondre aux messages envoyés par l’école et par lui-même, n’étant pas habitués à ce fonctionnement (Liboy et Mulatris, 2016).

Il est ainsi question de tirer profit de la richesse de cette diversité culturelle et linguistique. Afin de mieux comprendre le fonctionnement de l’école, certains parents considèrent que le fait d’être invités à assister à une demi-journée ou à une journée dans la classe de leur enfant est une piste aidante (Liboy, 2014). Parmi les stratégies que le personnel enseignant pourrait déployer pour engager les parents et tirer profit de leurs compétences linguistiques et culturelles, il y a possibilité de les inviter à partager en classe leurs passions, leurs expériences et le parcours d’immigration ou de travail (Macià Bordalba et al., 2021). Il s’agit de mettre en place des pratiques et des activités qui tiennent compte de leurs compétences culturelles, de valoriser leur vécu et de respecter leur réalité (Ladson-Billings, 2014). Une autre piste de développement serait d’approfondir la collaboration entre collègues du personnel enseignant immigrant et non immigrant, afin de mieux comprendre le contexte des familles (Liboy et Mulatris, 2016). Selon les mêmes auteurs, les membres non immigrants trouvent en leurs collègues immigrants, une ressource aidante en vue d’avoir de bons échanges avec les familles immigrantes, puisqu’ils ont été renseignés sur diverses stratégies. Une piste très peu exploitée est celle de développer un curriculum avec les parents, basé sur leur culture et sur leurs valeurs, ce qui favorise leur engagement ainsi que l’apprentissage des élèves (Sandoval-Taylor, 2005). Une autre stratégie, proposée par Bajaj et Suresh (2018), consiste à ce que le personnel enseignant s’engage dans des activités pour découvrir la vie et la culture des familles à travers un community walk précédé par une projection de vidéos et de documentaires portant sur la culture des familles immigrantes. Finalement, une autre piste de développement serait de favoriser la participation des parents aux recherches, tout en leur donnant l’agentivité de s’exprimer d’une manière réflexive et critique, ce qui favoriserait leur implication dans l’apprentissage de leurs enfants. Il s’agit de mener des recherches collaboratives qui tiennent compte des fonds de savoirs des parents (Moll et al., 2005). Comme c’est le cas avec toutes les personnes participantes aux recherches, il est important de s’éloigner de toute instrumentalisation des parents et de réviser sa posture de chercheur et de chercheuse en abordant des thèmes liés à ce domaine.

CONCLUSION

La revue de littérature dressée au début de l’article a permis de faire ressortir des thématiques autour desquelles s’articulent des recherches en éducation inclusive, plus particulièrement sous l’angle de la diversité ethnoculturelle. Elles ont ouvert la voie à une catégorisation de défis auxquels pourrait être confronté le personnel enseignant dans ce contexte. Puisque la formation du personnel enseignant ressort comme une thématique sur laquelle sont menées plusieurs recherches, et que les recherches à venir devraient se concentrer sur cette formation (Cavanagh et al., 2016), il serait important de « (re)penser une formation à l’intervention en contexte de diversité ethnoculturelle qui souhaite rapprocher la théorie et la pratique et préparer à ses enjeux actuels » (Audet et al., 2022, p. 10). Donnelly et Watkins (2011) soutiennent l’idée que le fait de poursuivre sa formation personnelle et professionnelle tout au long de sa vie est l’une des quatre valeurs qui caractérisent le profil inclusif d’un personnel enseignant. Pour sa part, Ainscow (2023) aborde l’importance pour le personnel enseignant d’apprendre des modèles inclusifs adoptés dans d’autres écoles pour développer ses pratiques inclusives. Cela renvoie à la nécessité d’améliorer l’offre de formation et de trouver des occasions de former le personnel enseignant. Partant des défis illustrés dans l’ensemble des articles consultés, nous considérons que de futures recherches critiques pourront avoir leur place quant aux enjeux de la diversité ethnoculturelle et aux pistes de développement vers une éducation inclusive.

Finalement, cet article présente plusieurs limites. Étant donné qu’il aborde les défis que le personnel enseignant rencontre en milieu scolaire, il semble avoir un discours déficitaire sur l’inclusion et sur la diversité. La perspective selon laquelle la diversité enrichit le contexte scolaire et le travail du personnel enseignant est peu exploitée dans l’article. Par ailleurs, ce dernier n’a abordé que trois des catégories ressorties de la revue de littérature et ne s’est pas intéressé aux croyances du personnel enseignant et à ses perceptions, au rôle de la direction, aux politiques et à tout autre facteur se rapportant au système.