Article body
Les réflexions sur les questions environnementales sont devenues des préoccupations planétaires et occupent les agendas des acteurs nationaux et internationaux, publics et privés, qui cherchent activement des solutions aux problèmes liés aux dégradations environnementales. Cet ouvrage collectif de quatre chapitres, partant d’une approche pluridisciplinaire, s’inscrit dans cette logique en mettant en relief la dimension environnementale des inégalités sociales ainsi que celles créées par les politiques écologiques. Les différentes contributions des auteurs convergent vers trois principales thématiques qui se renforcent mutuellement. Il s’agit des inégalités environnementales, des inégalités écologiques et de la justice environnementale. Le lien entre ces thématiques constitue l’originalité de l’ouvrage.
Au coeur de l’ouvrage, il est démontré que les inégalités sociales ont une dimension environnementale et que les politiques écologiques créent des inégalités sociales. Les inégalités environnementales sont « des inégalités d’exposition aux risques environnementaux, exposition qui est jugée disproportionnée » dans la mesure où « certaines catégories sociales en souffrent plus que d’autres de façon significative » (p. 7). Une autre facette de ces inégalités peut s’observer sur le plan des « ressources vitales, qui ne sont pas accessibles à une part grandissante des populations humaines » (p. 9). Retenons que les inégalités environnementales sont définies à travers les impacts environnementaux qui affectent de manière inéquitable les populations humaines, tandis que les inégalités écologiques sont « des inégalités d’impacts sur les écosystèmes » (p. 81) qui sont évaluées par le biais des contributions inégales des actions humaines à « la dégradation actuelle de la situation, notamment en ce qui concerne le changement climatique » (p. 13). Les différents auteurs de l’ouvrage démontrent la corrélation entre les inégalités environnementales et écologiques en mettant en exergue le fait que ceux qui dégradent davantage l’environnement sont souvent à l’abri des risques environnementaux. Cette démonstration permet de situer la question de la justice environnementale qui « vise à repérer, mesurer et corriger les inégalités environnementales qui s’arriment avec les injustices sociales » (p. 35).
Le lien entre ces trois thématiques part du principe que l’environnement est un bien commun à tous. Mais les profits que l’humanité tire de cet environnement, sa dégradation et les effets néfastes qui en résultent, sont inégalement répartis entre les pays et au sein des populations. Dans le chapitre quatre, l’exemple illustratif donné par Emelianoff résume parfaitement les inégalités écologiques et environnementales. Pour l’auteur, « en 2000, les émissions de gaz à effet de serre par habitant d’une trentaine de pays étaient de cent fois inférieures à celles des États-Unis » (p. 82). L’auteur estime que ces inégalités écologiques s’arriment aussi bien aux inégalités environnementales dans la mesure où « 97 % des morts et 90 % des victimes dus à des désastres naturels, en particulier climatiques, se situaient dans les pays en développement » (p. 82). C’est dans cette perspective que la question de la justice environnementale se pose avec acuité du fait qu’il soit nécessaire de rétablir une égalité et une justice sociale dans une perspective environnementale. Pour ce faire, Centemeri et Renou reviennent succinctement sur ces inégalités et proposent de s’y attaquer à travers « la dénonciation de la condition matérielle d’inégalités écologiques » et « la dénonciation de l’échange écologiquement inégal entre les pays du Nord et du Sud » (p. 63). Selon ces auteurs, la reconnaissance des inégalités environnementales permet de s’attaquer aux inégalités écologiques afin d’envisager une justice environnementale et sociale à travers des politiques écologiques plus inclusives et plus durables.
Il est important de souligner que c’est l’imbrication de ces trois thématiques qui accentue le débat sur la question environnementale et qui remet en cause les modèles de développement économique basé sur la croissance qui relèguent à l’arrière-plan « l’humain et son bien-être ». Puisque, nonobstant les différences de proportion des contributions humaines aux dégradations environnementales, les effets pervers du changement climatique qui en est la résultante exposent l’humanité à un destin dramatique commun.
L’ouvrage tire sa force de la complémentarité des chapitres et de son approche pluridisciplinaire. Cette pluridisciplinarité est le fil conducteur qui relie la problématique environnementale étudiée aux autres disciplines connexes, par le biais d’un cadre théorique axé sur l’approche socioéconomique, écologique et l’approche par « capabilités ». Un accent particulier a été mis sur cette dernière, qui permet d’identifier les inégalités et de réfléchir au modèle d’égalité. Ce cadre permet aux auteurs d’explorer les multiples formes des inégalités à travers l’analyse documentaire, en relevant les dimensions quantitatives et surtout qualitatives des inégalités environnementales. Cependant, deux principales faiblesses sont à noter. D’abord les perspectives liées à la justice environnementale sont moins pertinentes par rapport aux inégalités écologiques et environnementales décrites dans l’ouvrage puisqu’elles sont juste axées sur deux avenues : l’accroissement de l’approche par capabilité développée par Amartya Sen, qui permet aux populations de vivre dignement à travers leur propre développement et leur liberté réelle ; et l’implication citoyenne par le biais des initiatives locales pour la restauration de la qualité environnementale. Ces perspectives n’ont rien de nouveau, et il serait peut-être plus pertinent d’orienter la justice environnementale vers une gouvernance environnementale avec comme soubassement le principe d’horizontalité, qui exige l’implication active et effective de tous les acteurs, de toutes les couches sociales et à tous les niveaux, dans l’élaboration, la mise en oeuvre et le suivi-évaluation des politiques écologiques et environnementales. Cette gouvernance environnementale est une approche non seulement plus globale, mais aussi plus inclusive que l’implication citoyenne qui, dans l’ouvrage, est simplement basée sur les initiatives locales que les citoyens peuvent eux-mêmes entreprendre sur le plan environnemental. Les interventions horizontales dans le cadre de la gouvernance environnementale permettraient un environnement socialement vivable, économiquement viable et écologiquement durable. Enfin, la question de la transition écologique n’est pas suffisamment développée par rapport aux questions relatives à la justice environnementale et aux effets inégalitaires des risques environnementaux.