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Introduction

Les révoltes arabes ont amené avec elles leur lot de surprises (Gause 2011). C’est notamment le cas au niveau théorique, avec la remise en cause de la validité de plusieurs certitudes qui semblaient pourtant avoir force de loi. Il était par exemple pris pour acquis qu’il existait une certaine acceptation populaire de l’autoritarisme politique dans la région, tout comme il était par nature impossible pour l’Islam politique de s’ajuster au jeu démocratique. Le printemps arabe a balayé ces préconceptions, tout comme il a apporté la preuve de la fragilité des régimes syrien et libyen, que l’on imaginait pourtant inébranlables auparavant. Tout n’a évidemment pas été remis en cause, et l’on a pu observer certains éléments de continuité dans la compréhension du fonctionnement de la politique arabe (Rivetti 2015). C’est le cas par exemple en ce qui concerne la résilience des monarchies face à la faiblesse des régimes républicains (Yom et Gause 2012). De manière générale toutefois, toutes les révisions théoriques qui ont suivi les révoltes arabes n’ont fait qu’accroître le nombre de désaccords et de différends au sujet du fonctionnement des États rentiers arabes. Au final, c’est la notion même d’État rentier qui invite au débat, surtout si l’on considère que le phénomène du rentierism n’est pas unique au monde arabe, mais qu’il caractérise la politique interne et étrangère de plusieurs pays. Cette notion est-elle toujours utile pour expliquer les dynamiques de la résilience autoritaire à l’heure actuelle ?

L’objectif de cet article est de réévaluer le rôle de la rente des hydrocarbures relativement à un cas d’étude « classique » d’État rentier – celui de l’Algérie – pour illustrer cette contradiction profonde que l’on observe entre la nécessité de réformer radicalement une économie dépendant exclusivement du gaz et du pétrole, et l’impératif pour les élites au pouvoir d’y rester et de bénéficier de cette rente qui ne profite qu’à une toute petite partie de la population. Mais la contradiction qui se laisse percevoir dans l’État rentier algérien doit également se comprendre comme une résultante de l’influence internationale qui, à travers la structure du système (Wallerstein 2004), semble cantonner certains pays à un rôle qu’il leur est difficile d’abandonner. S’appuyant sur de nombreuses analyses et données économiques, cet article éclaire la contradiction qui se manifeste entre la nécessité de créer des sources alternatives de revenu et de productivité et le blocage d’un système politique qui ne permet pas en réalité à ces pays de se détacher de la rente ; en effet, le cadre international n’est pas favorable aux pays rentiers, les grandes puissances se livrant à une compétition acharnée pour les ressources naturelles – notamment les hydrocarbures et les ressources minières, mais aussi les terres agricoles (Colgan 2013 ; McMichael 2013). Alors que plusieurs critiques sont formulées à l’égard de la contribution explicative de la théorie de l’État rentier, cette étude montre que les conséquences politiques des choix économiques sont encore déterminantes sur la configuration des régimes politiques. Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de s’interroger sur cette contradiction qui aura selon nous des conséquences cruciales dans les débats entamés à la fin des années 1980 au sujet des processus de démocratisation au Moyen-Orient et Afrique du Nord (Luciani 1994 ; Sandbakken 2006).

I – La théorie de l’État rentier et ses critiques

Une grande partie des travaux portant sur la résilience autoritaire dans le monde arabe, c’est-à-dire la capacité des élites de se maintenir au pouvoir malgré l’absence de légitimité politique, postule que la majorité des pays de la région perçoit des « rentes » (revenus du pétrole et du gaz, aide étrangère et envoi de fonds de leurs migrants) qui leur permettent de contrer toute opposition politique. En allouant à leur population des aides financières, les élites de ces pays sont en effet en mesure d’acheter la paix sociale. La rente permet aussi de s’appuyer sur des forces de sécurité internes fiables (parce que bien récompensées), ainsi que de faire face à de potentielles révoltes par la distribution de ressources financières supplémentaires, comme ce fut le cas en 2011 (Beblawi et Luciani 1987 ; Bellin 2004). Bénéficier d’une telle rente a donc d’importantes conséquences, à la fois politiques et institutionnelles (Schwarz 2008). Le phénomène du « rentiérisme » a également une dimension internationale. Le travail de Wallerstein (2004) sur le système mondial est particulièrement utile pour comprendre le rôle des pays rentiers dans le système international, même si sa théorie a subi des critiques importantes (Pieterse 1988). L’aspect utile du travail de Wallerstein réside dans la théorisation du positionnement des différents pays dans le système de production économique mondial, qui relègue les pays rentiers du sud du monde à un rôle périphérique de fournisseurs de ressources naturelles pour les économies plus développées et les pays acheteurs de produits finis à forte valeur ajoutée. Cette position limite la marge de manoeuvre des élites des pays rentiers qui ont, bien sûr, tout intérêt à maintenir leur pays dans cette condition pour en tirer des bénéfices, mais qui y sont également « contraints » par la nature du système qui les empêche de lancer un véritable projet de diversification économique qui leur permettrait de sortir de la périphérie ou semi-périphérie. Tout en reconnaissant l’importance du rôle du système international, cet article se concentre surtout sur l’aspect interne du « rentiérisme » et sur sa relation avec l’autoritarisme politique.

Le postulat de base de la théorie de l’État rentier est que les citoyens n’ont ni l’intérêt ni la capacité de se révolter pour exiger un gouvernement plus ouvert et démocratique. En effet, les élites au pouvoir sont capables de s’isoler de la société en redistribuant une partie de la rente pour acheter la paix sociale et politique, et en investissant dans les moyens répressifs pour contrôler une potentielle opposition. Les ressources dont l’État a besoin ne viennent pas de la société, à travers la taxation par exemple, et les élites n’ont donc pas besoin d’écouter la demande politique qui pourrait émaner d’en bas parce que les ressources financières proviennent de l’extérieur de l’État. Ainsi, nous nous trouvons devant le paradoxe no taxation, no representation : les citoyens ne payant pas d’impôts n’ont pas le droit d’avoir une voix politique. Il s’agit là d’un contrat social non écrit, par lequel les citoyens acceptent d’être maintenus dans le silence politique en échange de biens matériels et de subventions à la consommation. Et dans l’éventualité où l’opposition politique et « la rue » ne pourraient être directement achetées, elles seraient réprimées au moyen des ressources rentières dont bénéficient les services de sécurité (2012), les dépenses militaires figurant parmi les investissements les plus importants dans les États rentiers arabes. Forts de cet instrument théorique, plusieurs chercheurs voient dans la rente l’instrument principal qui explique la résilience autoritaire des pays arabes.

Selon Sadiki (1997), la théorie de l’État rentier soulève une autre conséquence politique importante, qui se manifeste quand la rente diminue. Quand le prix des hydrocarbures est élevé, le budget des États pétroliers arabes leur permet de tenir effectivement les promesses du contrat social, en fournissant suffisamment de ressources aux citoyens – ce que l’on appelle la « démocratie du pain » – pour ne pas avoir à faire face à une forte opposition interne. Par contre, quand le prix du pétrole baisse ou que les rentes en général diminuent, le budget de l’État ne lui permet plus de dépenses massives. C’est à ce moment que les citoyens réclament la « démocratie du vote », c’est-à-dire qu’ils revendiquent un rôle central dans les décisions politiques. À ce moment, les dirigeants des États rentiers ont soit la possibilité de jouer la carte de la répression, soit d’essayer de dégager plus de ressources pour se maintenir au pouvoir. Une véritable démocratisation n’est pas souhaitée (Moutadayene 2001) et la libéralisation politique n’est qu’une mesure temporaire pour acheter du temps. En ce qui concerne les États rentiers du monde arabe, nombre d’experts s’accordent à dire que l’autoritarisme politique donc est appelé à prévaloir dans les deux cas (Smith 2006).

La théorie de l’État rentier a néanmoins subi des critiques importantes et fondées (DiJohn 2002). Smith (2017), par exemple, soutient que les conséquences « antidémocratiques » de la rente ne se réalisent que si le pays est déjà autoritaire au départ, ajoutant que les États rentiers n’utilisent pas la répression aussi souvent qu’on le croit ; tandis qu’Okhrulik (1999) avance que la distribution inégalitaire de la rente (inévitable dans un pays autoritaire) génère nécessairement une opposition au régime et que, par extension, elle compromet sa stabilité. Dans une étude statistique, Herb (2005) montre que le postulat que le pétrole fait du mal à la démocratie est faux et que le rôle des hydrocarbures en politique est plus complexe. Plusieurs autres facteurs peuvent expliquer la dégradation démocratique et l’autoritarisme des États rentiers. Plus récemment, Abulof (2017) a remarqué que les États rentiers n’ont qu’une légitimité politique « négative » et que par conséquent, la rente n’est pas suffisante pour assurer leur stabilité politique.

La multiplicité des interprétations du rôle des hydrocarbures dans le monde arabe s’explique par une réalité empirique hétéroclite. D’un côté, il est très difficile d’expliquer la résilience autoritaire de plusieurs pays arabes sans prendre en compte la rente des hydrocarbures (Muasher 2018). Il est en effet parfois difficile de séparer l’autoritarisme du rôle que jouent les revenus du gaz et du pétrole, ainsi que d’autres sources de rente externes, dans l’organisation politique et économique de ces États. C’est notamment le cas dans des pays comme l’Arabie saoudite, plusieurs pays du Golfe, l’Algérie, l’Irak sous Saddam Hussein ou encore la Libye sous Kadhafi. De l’autre côté, plusieurs de ces pays ont connu d’importantes vagues d’opposition interne, même dans des périodes où le prix des hydrocarbures était élevé. Cela semble donc suggérer que le contrat social que la rente permet de tenir n’est pas toujours suffisant pour empêcher la montée des mouvements d’opposition.

Les révoltes arabes n’ont pas permis de clarifier le rôle politique de la rente. Certains pays pétroliers ont en effet dû faire face à une menace importante contre leur stabilité politique, comme le Bahreïn et la Libye, contrairement à ce que suggère la théorie de l’État rentier (étant donné que le dictateur libyen a chuté et le Bahreïn a connu une révolte de taille qui a été réprimée par l’intervention militaire de l’Arabie saoudite). Les révoltes se sont produites au moment où le prix des hydrocarbures était assez élevé et en train de monter (la moyenne était de 79,83 dollars le baril en 2010 et de 94,13 dollars 2011) Par contre, et cela conformément à la même théorie, d’autres pays comme l’Arabie saoudite ou l’Algérie ont employé leurs revenus pétroliers pour empêcher la contagion des révoltes. Ces mesures ont réussi à assurer la résilience du régime autoritaire.

Il existe donc déjà plusieurs études examinant le lien entre l’État rentier et l’autoritarisme dans le monde arabe. Il existe aussi de nombreux travaux sur l’État rentier en Algérie, qui soulèvent souvent la question de l’absence de démocratisation (Garon 1994 ; Martinez 1998 ; Aissaoui 2001). En revanche, ces recherches ne se sont pas penchées de manière systémique sur la question de savoir comment les États rentiers – parfaitement conscients de la faiblesse d’une économie nationale entièrement bâtie sur la rente – essaient de trouver des alternatives économiques tout en conservant leur système politique. Les travaux en science politique présentés un peu plus haut se penchent principalement sur les conséquences politiques directes de la rente, alors que les recherches économiques sur le sujet ne prennent généralement pas en considération les contraintes politiques d’une économie rentière. Les recherches portent donc très peu souvent, hormis quelques exceptions (Goumeziane 1994), sur la façon dont les États rentiers essaient de sortir de cette contradiction économique et sur les contraintes politiques qui les empêchent de le faire.

Somme toute, les conséquences économiques de la rente pour un État sont tout aussi importantes que les conséquences politiques pour comprendre le fonctionnement du régime. Les élites sont aux prises avec un paradoxe : elles veulent réformer l’économie et se distancier de la rente pour améliorer la performance économique tout en conservant un pouvoir exclusif et autoritaire, et cela dans un cadre international qui voit d’un mauvais oeil la diversification économique, les grandes puissances ayant intérêt à maintenir les liens d’exploitation économique en place. Piégées dans cette contradiction, les réformes économiques visant à se détacher de la rente échouent, et l’économie rentière, qui est par nature instable, se pérennise. Cela a pour conséquence politique une stabilité superficielle, périodiquement menacée par des explosions de rage sociale. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’Algérie où les choix des dirigeants et les contraintes structurelles s’associent pour prévenir tout changement. Il est important par contre de souligner que le cas algérien n’est pas unique et qu’il est représentatif de dynamiques économiques et politiques qui caractérisent d’autres pays rentiers dans le monde arabe et ailleurs, comme le cas du Venezuela le montre clairement.

L’Algérie représente un cas d’étude particulier de dynamiques des États rentiers de la région. Du point de vue économique, ce pays est un cas classique d’État rentier parce que plus de 90 % des revenus en devises de l’État proviennent de la vente des hydrocarbures. Il existe toutefois une forte pression de la part de la société civile ainsi que de certaines parties de l’élite pour sortir de cette dépendance envers les hydrocarbures (Cavatorta et Rivetti 2018). Du point de vue politique, le pays reste autoritaire, mais avec une façade démocratique qui inclut le multipartisme, des élections périodiques et des médias relativement libres (Del Panta 2017). Ces paradoxes méritent d’être explorés plus en détail.

II – L’Algérie, la rente et le système politique

L’Algérie est un important producteur et exportateur de combustibles minéraux. Elle est l’un des principaux fournisseurs en hydrocarbures des pays d’Europe, notamment l’Italie, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni (Lestrange, Paillard et Zelenko 2005). Elle se classe au quinzième rang mondial pour ce qui est de la production de pétrole avec 9,2 milliards de barils de pétrole et des réserves de 0,9 % du total mondial. Outre une situation géographique avantageuse de par sa proximité avec les marchés européens, le pétrole algérien (appelé le « Sahara Blend ») est idéal en raison de sa faible teneur en soufre, qui le rend très facile à raffiner[1].

Mais le sous-sol algérien ne se limite pas au pétrole. L’Algérie regorge de plus de 4 500 milliards de m3 de gaz et de 93 815 milliards de m3 de gaz de schiste, facilement exportables vers l’Europe par des gazoducs nationaux et transcontinentaux ainsi qu’une flotte de méthaniers. L’Algérie produit par ailleurs du fer et de l’acier, des métaux précieux comme l’or et l’argent, et des minerais industriels. Le pays dispose en outre d’importants gisements de minéraux inexploités. On peut citer le célestin, le diamant, le manganèse, le quartz cristal, des terres rares, le tungstène et l’uranium.

En dépit de cela, ou plus exactement à cause de cela, certains experts, comme Mekideche (2008), s’accordent à dire que l’Algérie s’est enlisée dans un piège énergétique et qu’elle est l’exemple même de la mauvaise gestion d’un pays producteur. Pour ce qui est du développement économique, elle reste, et de loin, un modèle absolu d’échec de la relance à partir des revenus en devises des hydrocarbures. En effet, l’Algérie persiste depuis son indépendance dans cette stratégie qui consiste à baser son développement économique sur la rente pétrolière et gazière. L’explosion des revenus dans les années 1970 sous le président Boumédiène a effectivement permis à l’Algérie d’améliorer de manière considérable les indicateurs socioéconomiques du pays. Mais, ainsi que le veut la théorie de l’État rentier, cette rente a aussi contribué à rendre plus autoritaires et plus opaques les réseaux élitaires qui contrôlent l’État – que les Algériens appellent « le Pouvoir ».

Quand la valeur du dollar et du prix du pétrole ont chuté au milieu des années 1980 sous la présidence de Chadli Benjedid, l’Algérie a connu une crise économique sans précédent qui a ouvert la porte à la contestation politique et à un processus de libéralisation politique (Abderrazak 2001) qui a duré trois ans. Une fois le contrat social avec les citoyens rompu, ces derniers ont commencé à revendiquer une participation aux décisions politiques et l’on a assisté pendant un moment à un élan réformiste vers la diversification, géré par le Premier ministre Mouloud Hamrouche. Cependant, le coup d’État de janvier 1992 a mis un terme au processus de démocratisation et a sonné le début de la « décennie noire ». La hausse des prix du pétrole dans les années 1990, et de nouveau dans les années 2000, a permis aux élites au pouvoir de remporter la guerre civile qui avait commencé en 1991 (Martinez 1998 ; Testas 2002), et ensuite de revenir au parcours de développement économique financé par la rente.

Les émeutes de janvier et février 2011 ont été à nouveau contrôlées par les forces de sécurité et les revenus des hydrocarbures, qui ont permis d’acheter encore une fois la paix sociale (Volpi 2013). Cette paix sociale est cependant toujours temporaire et dépend de la rente que le président Bouteflika a habilement employée. Le pays est donc toujours au bord de l’instabilité sociale, étant donné que la majorité de la population compte sur la redistribution de la rente pour subvenir à ses besoins. Cependant, en même temps, cette rente abondante subit inexorablement les aléas du marché international.

Pour résoudre le problème de la dépendance envers la rente, les élites au pouvoir ont donc repris la discussion sur la nécessité d’impulser une autre direction à l’économie nationale, mieux utiliser la rente pour créer d’autres sources de revenus et doter le pays d’une politique économique dissociée de la rente (Ainas, Ouarem et Souam 2012). Chaque crise politique du pays entraîne la même discussion et la même option stratégique de la diversification économique. Le problème avec cette stratégie est cependant double. D’une part, la diminution de la dépendance envers la rente peut avoir des répercussions négatives sur les réseaux de patronage qui bénéficient au pouvoir, ce qui risque de provoquer la chute du système politique. D’autre part, de nouvelles stratégies alternatives demandent beaucoup de temps avant d’être efficaces et les élites n’ont pas suffisamment de temps pour « vendre » aux citoyens cette vision (qui exigerait beaucoup de sacrifices de leur part) tout en évitant de leur demander leur participation politique (qui entraînerait la fin du régime en place). La difficulté est qu’il faut satisfaire les besoins des citoyens qui se trouvent souvent en mode « survie », ce qui exige la redistribution d’une partie de la rente entre temps, pour que les élites puissent se maintenir au pouvoir. Cette contradiction est bien vivante aujourd’hui en Algérie comme ailleurs dans les autres pays rentiers. Elle a fait entrer le pays dans un cercle problématique de dépendance envers la rente, d’incapacité à réformer l’économie, d’opacité gouvernementale et d’incertitude politique face à un système autoritaire difficile à comprendre. Dans cette situation, le danger d’une explosion sociale est plus que jamais présent.

Le problème est que les ressources minérales constituent encore 95 % des exportations du pays, et l’unique source de devises pour la Trésorerie de l’État. Avec un secteur agricole moins développé que celui de ses voisins et une économie peu diversifiée, l’Algérie demeure prisonnière d’un modèle économique lourd de conséquences, qui n’est en rien allégé par la mauvaise utilisation des revenus en devises, souvent détournés par l’appareil politico-militaire. Le pays est aujourd’hui fortement tributaire de son secteur des hydrocarbures qui représente – selon le Fonds monétaire international – près de 70 % des recettes et subventions du budget et environ 97 % des recettes à l’exportation.

Il est nécessaire ici de résumer brièvement la situation algérienne en ce qui concerne les ressources délivrées par la rente, pour exposer ce niveau de dépendance. En 2016, l’Algérie a été le premier producteur de gaz africain, le troisième producteur de pétrole brut du continent et le dix-septième pour le volume de production de pétrole brut dans le monde. Elle occupait le neuvième rang des pays producteurs de gaz naturel dans le monde. Elle représentait par ailleurs 2,3 % de la production de gaz naturel et 1,7 % de la production de pétrole brut au monde. Le pays détient 2,4 % du total des réserves mondiales de gaz naturel, ainsi que 12,2 milliards de barils de réserves en pétrole brut, ce qui représente 0,9 % du total des réserves mondiales. La Société nationale de transport et de commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach), entreprise publique créée en 1963, domine le secteur des hydrocarbures du pays (Entelis 1999), dont elle assure plus de 80 % de toute la production.

A – Pétrole et gaz

La majeure partie des réserves prouvées en pétrole de l’Algérie se trouve dans la région d’Hassi Messaoud, plus grand champ pétrolier du pays. Le gouvernement a approuvé en février 2013 un amendement à la Loi sur les hydrocarbures avec des incitations fiscales pour que les entreprises étrangères investissent dans les zones non exploitées, notamment en offshore et là où le sous-sol est susceptible de recéler des ressources non conventionnelles. Selon la Sonatrach, environ 66 % du territoire algérien demeure en effet inexploré ou largement sous-exploré. Le potentiel ne s’arrête pas là ; reste encore la possibilité d’accroître la production dans les zones déjà exploitées, en particulier les bassins d’Hassi Messaoud, d’Illizi et de Berkine. D’après la Sonatrach, la province d’Hassi Messaoud-Dahar pourrait contenir jusqu’à 71 % des réserves pétrolières du pays, tous types confondus (prouvées, probables et possibles), tandis que le bassin d’Illizi, la deuxième plus grande zone, contiendrait environ 15 % de ces réserves. Les bassins d’Illizi et de Berkine ont été le théâtre de nombreuses découvertes depuis les années 1990 et ils détiennent toujours un potentiel important faiblement exploité. Selon l’agence américaine Energy Information Administration (eia), l’Algérie a produit 1,1 million de barils en 2015. Lorsqu’on ajoute à cela les autres hydrocarbures produits, sa production a avoisiné les 1,7 million de barils. Selon la même source, elle a exporté environ 540 000 barils de pétrole en 2015. Tous les chiffres semblent cependant indiquer une nette baisse des activités de production et d’exportation. Cette tendance a longtemps été occultée par la flambée des prix du pétrole, qui a atteint un record en 2008.

Concernant le gaz, plus de la moitié des réserves prouvées de gaz naturel se situent dans l’important champ de Hassi R’mel (à 45 km au sud d’Alger). Découvert en 1956, ce dernier est sous-exploité à cause de son vieillissement et de l’épuisement de ses réserves. Le reste du gaz provient des champs gaziers des régions du sud-est du pays. L’Algérie détient en outre d’importantes capacités inexploitées de gaz de schiste. Selon l’évaluation de l’eia, sept bassins identifiés contiennent un volume estimé à 96 815,30 milliards de m3 de gaz de schiste in situ, avec 20 020 milliards de m3 de réserves prouvées classées comme techniquement récupérables. En outre, six de ces bassins renferment 121 milliards de réserves probables de pétrole de schiste et de condensats, dont 5,7 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole de schiste jugées techniquement récupérables.

Tout investissement dans l’industrie des hydrocarbures est bien sûr problématique parce que cela soustrait des ressources potentielles à d’autres secteurs que l’on souhaiterait développer. En même temps, les revenus étatiques risquent de chuter si l’on ne renforce pas cette industrie, entraînant de facto une crise économique grave qui aurait des répercussions politiques considérables. Attirer des investisseurs étrangers pourrait évidemment permettre d’atteindre les deux objectifs, mais cette solution se heurte aux réseaux de corruption qui entourent l’industrie des hydrocarbures (Hadjadj 2007), outre le fait que les compagnies étrangères ont tendance à préférer un cadre législatif d’investissement clair et transparent afin d’éviter des sanctions dans leur pays d’origine (Chaib et Siham 2014 ; Boussalem et Benterki 2015).

B – La diversification

Le problème de la dépendance du pays envers les ressources gazières et pétrolières est bien connu par les élites politiques et économiques, et ce depuis au moins trois décennies (Hireche 1989) – à partir de la grande crise économique de la moitié des années 1980. Depuis, le pays a essayé de se lancer périodiquement dans de nouvelles politiques dans le but de diversifier son économie, en se concentrant sur des secteurs déterminés. En dépit de ces efforts, ces secteurs ont du mal à se développer et connaissent des faiblesses considérables. Celles-ci sont autant économiques que politiques, au regard de la nécessité de toujours équilibrer les objectifs à long terme (nécessité d’une diversification qui demande du temps et des changements politiques) et les objectifs à court terme (éviter de bousculer le système politique en employant la rente pour maintenir la paix sociale). Avec une élite politique et militaire incapable de se transformer (Bustos et Mane 2012 ; Martin 2012), il est très difficile d’entreprendre une véritable diversification qui aurait des impacts politiques considérables. Un bref résumé des secteurs à travers lesquels on essaie de diversifier l’économie en illustre les difficultés.

C – Le secteur minier algérien, une ressource à forte valeur

L’un des secteurs sur lesquels l’État a essayé de miser dans le cadre de sa politique de diversification est celui des mines, tant de métaux que de minerais industriels. Le ministère de l’Industrie et des Mines a estimé les réserves de minerai de fer à Gara Djebilet et celles du gisement Mechri Abdelaziz à 3,5 milliards de tonnes, et cela sans compter les gisements d’Ain Temouchent, de Djebel Anini, d’Ouenza-Boukhadra et de Sidi Maarouf. Fruit de la collaboration algéro-qatarie, une aciérie dans la zone industrielle de Bellara a récemment vu le jour. Sa capacité de démarrage est de 2 mt/an dont 1,5 million de tonnes de ronds à béton et 700 000 tonnes de fil machine (Algérie Presse Service 2017). Conformément à la règle 51/49 qui figure toujours dans la Loi de finance 2017, l’Algérie dispose de 51 % des parts avec l’Entreprise nationale de sidérurgie (groupe Sider) et le Fonds National d’Investissement (USGS 2016), tandis que Qatar International Co. dispose de 49 % des parts (Qatar Steel News 2013). Selon le Huffpost (2017), le nouveau complexe sidérurgique de Bellara sera le « second poumon » de l’industrie sidérurgique algérienne après le complexe Sider El Hadjar d’Annaba. Mais, cette euphorie n’est pas du goût de certains experts, dont Abderrahmane Mebtoul, qui est d’avis que l’exportation de fer et de phosphate ne pourra pas compenser une baisse de prix ou de production des hydrocarbures (Tamlali 2016).

Les autorités algériennes estiment aussi à 150 mt les réserves algériennes en zinc et en plomb (qui se situent principalement au nord du pays). Fin 2014, le total des ressources (prouvées, probables et possibles) de la seule mine d’Oued Amizour s’élevait à 68,9 mt avec un taux de 1,2 % de plomb et de 4,6 % de zinc (Terramin s.d.). Abed Maaden SpA est une société de Cecomines of China (90 %) et de la Sonatrach (10 %). Elle a rouvert la mine de plomb-zinc d’El Abed dans la wilaya de Tlemcen, fermée en 2002. La production de zinc et de plomb de cette mine était par le passé acheminée vers le Maroc afin d’y être traitée et réexportée ensuite sous forme concentrée (Grimaud 1984). Les gisements d’Ain Sedjra et de Boukhdema dans la wilaya de Sétif détiennent à eux seuls des réserves estimées à 12 mt de minerais mixtes (plomb, zinc, cuivre) (USA International Business Publication s.d.).

Selon le World Gold Council, l’Algérie dispose de 173,6 tonnes d’or, quantité qui n’a pas changé depuis une quinzaine d’années (Tahchi 2016a). Par ailleurs, le ministère de l’Industrie et des Mines estime les réserves d’or dans la région du Hoggar à 121 tonnes. La production d’or à partir de la mine d’Amesmessa[2] par l’entreprise d’exploitation des mines d’or (enor) a augmenté de 54 % en une année, passant de 647 kg en 2008 à 999 kg en 2009. Selon l’Agence nationale de développement de l’investissement (andi), en 2013, l’Algérie a produit 140 kg d’or, et 85 kg en 2014 (Ministère de l’Industrie et des Mines 2015), ce qui représente une baisse totale de 91 % depuis 2008. Ce type d’exploitation est en effet soumis aux aléas de la prospection, qui ne répond pas toujours aux attentes. Cela indique aussi à quel point il peut être dangereux pour une économie nationale de se fonder presque exclusivement sur les hydrocarbures et les minéraux.

En dépit de ces efforts pour exploiter la richesse en métaux du pays, il est très difficile de savoir comment les élites pourraient remplacer ne serait-ce qu’une modeste partie de la rente courante. En outre, il s’agit encore une fois d’une industrie extractive assujettie à plusieurs contraintes difficiles à contrôler : un prix international très changeant qui expose le pays à des hauts et des bas considérables (tout comme le prix du pétrole), la participation très active de partenaires étrangers qui désirent souvent un cadre légal sûr pour leurs investissements, et une faible participation de la force de travail algérienne – ce qui ne mettrait donc pas un terme au chômage croissant.

En ce qui concerne les minerais industriels, le gouvernement algérien est enfin parvenu à exporter une cargaison de ciment à destination de l’Afrique de l’Ouest, une première pour un pays dont les exportations hors hydrocarbures ne représentent que 5 % du total des exportations. En effet, le gouvernement a regroupé douze cimenteries au sein de la société holding Groupe industriel des ciments d’Algérie (gica). Le Groupe a produit 13 950 660 tonnes de ciment en 2017 contre 12 604 045 tonnes en 2016, soit une hausse de 11 % (Maghreb émergent 2018). Le ministère de l’Industrie et de la Promotion de l’investissement a investi près de 2,4 milliards de dollars dans gica afin d’augmenter sa production à 20 mt/an. Après le rachat des actifs d’Orascom Cement par le groupe Lafarge dans huit pays – dont l’Algérie – en 2007, ce dernier contrôle désormais 38 % du marché national du ciment. L’Égyptien asec Cement, propriétaire du groupe Citadelle – qui est lui actionnaire majoritaire d’asec Algérie Cement SpA – avait prévu de construire une nouvelle cimenterie avec une capacité de 3,2 mt/an à Djelfa (à 300 km au sud d’Alger). Toutefois, les travaux se sont arrêtés en 2010 et l’entreprise est en attente d’un acquéreur potentiel. En 2016, la société égyptienne a cédé la totalité de ses actifs à un consortium d’investisseurs algériens (Qalaa Holdings 2016).

Afin d’augmenter sa capacité de production annuelle et de s’assurer des parts de marché à l’international, le gica a prévu la modernisation et l’agrandissement de deux usines dans son plan de développement. Dans la même logique, le groupe a prévu la construction de trois nouvelles cimenteries. Par ailleurs, dans le cadre d’un programme complémentaire, une autre cimenterie fut inaugurée en 2017 à Adrar et un autre projet de cimenterie est en cours à Laghouat. Son équipement sera assuré par le groupe danois FLSmidth (FLSmidth News 2016).

Cette relance dans le ciment est évidemment la bienvenue, mais certaines questions demeurent quant à son impact réel sur une véritable diversification de l’économie algérienne. Après tout, l’Algérie se trouve loin derrière le Maroc dans ses efforts de construire des liens économiques plus solides et profitables avec l’Afrique subsaharienne, un marché d’ailleurs en pleine croissance et qui pourrait potentiellement stimuler les exportations algériennes hors hydrocarbures (Boukhars 2019). Une véritable politique de collaboration et d’échanges avec l’Afrique sub-saharienne pourrait bénéficier à la production hors hydrocarbures du pays, mais les relations diplomatiques sont assez mauvaises. Les autorités algériennes n’ont en effet pas vraiment fait d’efforts pour se tourner vers le sud du continent, préférant maintenir leurs liens traditionnels.

Pour ce qui est d’autres secteurs minéraliers, la Société des kaolins d’Algérie (Soalka) est l’unique entreprise en charge de l’exploitation et de la mise en valeur du kaolin. Soalka est une société par actions (sa) dont l’actionnaire majoritaire est le canadien Federal White Cement (fwc) avec 63 % des parts du capital, le reste étant détenu par l’Entreprise nationale des produits miniers non ferreux (enof). La Soalka exploite la mine d’El Milia dans la région de Jijel. La mine a amassé des réserves estimées à 15 millions de tonnes. La société exploite une unité de tri sur le gisement de Jebel Debbagh qui détient quelque 200 000 tonnes de réserve de minerai. La société a également lancé une campagne de prospection du kaolin sur le site de Tabelballa, dont les réserves sont estimées à un million de tonnes de minerai. Elle a élargi ses activités d’exploration en 2008 pour inclure d’autres minéraux et reçu des permis d’exploration pour le cuivre, le diamant, l’or et le calcaire (Soalka s.d.).

En ce qui concerne les exportations d’ammoniac, elles ont augmenté d’une année à l’autre, atteignant les 421,7 millions de dollars entre janvier et septembre 2014. En 2014, l’Algérie a enregistré une hausse considérable de 31,7 % sur les recettes à l’exportation hors hydrocarbures, avoisinant au total près de 2,05 milliards de dollars. En 2015, l’Algérie a produit 1,9 million de tonnes d’urée, dont 1,7 million de tonnes pour l’exportation, principalement vers l’Europe. L’exportation d’engrais a joué un rôle significatif dans cette augmentation, même si elle ne représente que 5 % des exportations totales (Oxford Business Group 2015).

Renforcée par les deux usines de fertilisants – Fertial et Sofert – la production algérienne d’engrais a quasiment triplé de 2014 à 2017. L’entrée en service de la société Al Djazaïria Al Omania LilAsmida (aoa) en tant que troisième opérateur a confirmé une conversion algérienne vers d’autres secteurs, comme celui des fertilisants. Cependant, la société espagnole Fertiberia, qui est actionnaire majoritaire dans l’entreprise Fertial à hauteur de 66 % de son capital, a été secouée par une importante affaire de corruption impliquant de hauts responsables de la société et des responsables algériens (El Watan 2018), ce qui va ternir l’image de cette industrie naissante, à l’image du secteur des hydrocarbures déjà touché par ce genre d’affaires.

Les phosphates sont l’une des principales richesses naturelles du pays. Avec un potentiel très faiblement exploité depuis plus de quarante ans, il est plausible que l’Algérie dispose de réserves pour largement plus de deux siècles, si l’on établit le ratio entre la production annuelle et les réserves.

Tableau 1

Production et réserves mondiales de phosphates naturels par pays en 2017

Production et réserves mondiales de phosphates naturels par pays en 2017
Source : United States Geological Survey (usgs)

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Le gouvernement mise beaucoup sur le phosphate de Djebel Onk (à l’est de l’Algérie) qui se veut la plaque tournante de l’exploitation et la transformation massives de phosphate. L’entreprise Ferphos assure l’essentiel de l’exploitation du phosphate algérien. Selon la presse algérienne, le gouvernement soutient quatre projets de transformation du phosphate. Le but est que ces projets, une fois achevés, permettent de compléter la chaîne de production – de l’état brut à l’état fini – et de réduire les coûts d’exportation de ce produit minier à l’état brut, tout comme ceux de son importation à l’état fini (Tahchi 2016a). En vue d’atteindre une capacité de transformation de 20 millions de tonnes par an à l’horizon 2022, l’entrée en service de cette nouvelle structure était prévue pour 2019 avant d’être repoussée à 2022 pour un lancement effectif de la production (Algérie Presse Service 2018a). Elle devrait confirmer l’ambition algérienne de combler le besoin national et de s’affranchir des marchés internationaux. Estimé à six milliards de dollars, ce projet d’usine s’effectue en partenariat avec deux entreprises chinoises, en l’occurrence Cetic et Wingfu (Algérie Presse Service 2018a), ce qui devrait conforter davantage la présence chinoise en Algérie. Selon l’Agence de presse officielle (aps), l’Iran – par l’intermédiaire de son ambassadeur à Alger – a exprimé un vif intérêt en janvier 2018 pour l’achat de phosphate algérien, mais le marché iranien n’est pas suffisant (Algérie Presse Service 2018b).

Outre les richesses que recèle la région du Hoggar à Tamanrasset, celle-ci dispose également de plus de 26 000 tonnes de réserves prouvées en uranium (oecd iLibrary 2018). Sur cette base, l’Algérie est classée au 26e rang mondial avec 0,24 % des réserves. Le pays ne cache pas sa volonté de créer une filière nucléaire civile en exploitant les réserves d’uranium de Tamanrasset avec des entreprises étrangères.

L’Algérie possède en effet deux réacteurs expérimentaux. Le premier, celui de Draria, fut construit en 1989, alors que le second, celui d’Aïn Oussera, a vu le jour en 1993. L’un a été vendu par la Chine, tandis que l’autre, dont l’existence a été longtemps gardée secrète, a été construit en partenariat avec l’Argentine. Cependant, selon les données du ministère de l’Énergie, les réserves prouvées de 29 000 tonnes sont seulement à même de faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1000 mégawatts chacune, et ce pour une durée de 60 ans maximum. Il est à noter que l’Algérie, qui a toujours défendu le droit des pays du Sud à disposer de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques dans le cadre du contrôle international, envisage la mise en service d’une première centrale nucléaire à partir de 2025.

Depuis la découverte de trois petits diamants dans l’oued Rhumel de Constantine, en 1833[3], les recherches géologiques se sont poursuivies de façon ininterrompue. L’espoir de trouver un gisement de diamants ou de pierres précieuses a toujours suscité les convoitises du pouvoir en place. Entre rêve et réalité, nul ne peut faire la distinction entre ce qui existe et ce qui pourrait exister, ou encore ce que les Algériens aimeraient voir exister.

Selon le ministère de l’Énergie et des Mines, l’exploitation du diamant algérien est répartie sur le Hoggar, la zone de Reggane et la zone du massif des Eglab. Dans le Hoggar, trois zones d’occurrences diamantifères sont connues : le Hoggar occidental, le Hoggar oriental et le Hoggar central (Tahchi 2016a).

Les efforts de diversification dans le secteur minier sont louables et, il faut le reconnaître, ont donné en quelques occasions des résultats économiques honorables pour le pays. Ils ne sont toutefois pas capables de contrebalancer le poids de la rente d’hydrocarbures qui restent, comme nous l’avons vu, la seule exportation algérienne.

D – Le timide rebond de l’option industrielle

De nouveau en 2015 – et comme chaque fois que le pays a connu une crise économique – une timide stratégie visant une réduction des importations puis une relance des exportations a précipitamment été mise en place par le gouvernement. Cela s’est cependant limité au seul secteur des hydrocarbures, dans lequel la Sonatrach est l’acteur principal. Si le réflexe de s’appuyer sur l’industrie des hydrocarbures pour entamer la diversification est en soi compréhensible et logique, il est cependant impossible d’obtenir des résultats tangibles sans s’attaquer aux obstacles politiques. Par conséquent, le rebond de l’option industrielle s’est réduit au renforcement de tout ce qui entoure l’industrie des hydrocarbures : une sorte de « diversification dans la continuité ».

Outre les changements législatifs visant à attirer plus d’investissements dans le domaine minier, l’Algérie ne lésine pas sur les moyens quand il s’agit de diversifier ce domaine. Plutôt que d’écouler bon nombre de produits à l’état brut et de les réimporter en produits finis, la nouvelle politique du gouvernement vise à traiter et transformer l’essentiel de la production du secteur minier pour la revente sur le marché local ou international. La nouvelle stratégie de la Sonatrach est de profiter de cet arsenal juridique qui lui est favorable. Selon l’actuel président directeur général de la Sonatrach, la compagnie va investir 56 milliards de dollars entre 2018 et 2022 (Reuters 2018a). Sans donner plus de détails sur l’opération, cette déclaration renforce l’idée que l’entreprise est à la recherche d’un nouveau souffle dans la maintenance de ses gisements d’une part, et dans l’exploration de nouveaux blocs de gaz et de pétrole d’autre part. Par ailleurs, le pdg de la Sonatrach a aussi mis l’accent sur l’importance du projet de « boosting phase III » de Hassi R’mel – d’un coût de 2 milliards de dollars – en insistant sur le fait que chaque retard serait préjudiciable à l’ensemble de la chaîne de production de gaz, et donc au pays tout entier (Hadjam 2018). Nul ne peut cependant dire si ce plan d’investissement s’inscrit dans la continuité d’un ancien plan d’action annoncé en 2017, ou s’il s’agit d’un nouveau plan de relance. En effet, l’entreprise a annoncé en mars 2017 vouloir booster sa production de plus de 14 %, après neuf ans de baisse de production de pétrole, et d’investir 9 milliards de dollars dans l’exploration ainsi que plus de 50 milliards de dollars dans diverses opérations (Slimani et El Wardani 2017).

La Sonatrach a bien sûr fait le choix de ne pas se diversifier, mais de se recentrer sur ses métiers de base comme le transport, le transport par canalisation, la commercialisation ainsi que l’exploration, la production, la liquéfaction et le gpl. Possédant déjà un bon nombre de pétroliers et de méthaniers (sans compter les futures acquisitions), la Sonatrach a acquis un important réseau de gazoducs transcontinentaux et transnationaux, ainsi qu’un réseau national très performant et en constante amélioration de transport par pipelines et gazoducs. C’est d’ailleurs à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau pipeline d’une capacité de 8,8 milliards de m3/an au mois de février 2018 que le pdg de la Sonatrach a annoncé un nouveau plan de développement de la compagnie, en se félicitant que sa construction soit intégralement réalisée par des entreprises algériennes.

Prochainement, le parlement algérien va examiner une nouvelle loi relative aux hydrocarbures. Il s’agira de la première loi depuis celle approuvée en février 2013, qui a apporté des changements majeurs, dans l’exploration offshore notamment, ainsi que dans l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste. Cette loi devrait permettre des progrès notables car son but est d’inciter les compagnies étrangères à investir davantage dans ce secteur (Hillier 2017). Le projet de loi annoncé a toutefois pris beaucoup de retard, et les services du ministère ont finalement dû faire appel à des consultants américains pour le rédiger (Reuters 2018b). Malgré le fait que l’Algérie dispose d’énormes réserves de gaz de schiste, que le pays possède une importante infrastructure gazière et que la proximité des marchés européens lui confère un avantage considérable, il est important que la législation algérienne s’adapte et évolue afin d’attirer plus de capitaux étrangers. Cela est d’autant plus vrai que la dernière loi de 2013 est devenue obsolète dans le contexte actuel (Oil&Gas Journal 2018).

Même si la « diversification dans la continuité » semble encore caractériser l’économie algérienne, dans certains secteurs « l’option industrielle » a fait ses preuves. Malgré un grand potentiel – à la fois humain, agricole et économique –, l’Algérie a pris beaucoup de retard dans ce processus de reconversion qui consiste à passer d’une économie rentière à un système économique créateur de richesses. Il semble toutefois que la diversification ait fonctionné quand les élites ont investi les revenus de la rente de manière productive. L’industrie algérienne a su briller dans le secteur de l’électronique par exemple. La région de Bordj-Bou-Arreridj est ainsi considérée comme la Silicon Valley algérienne. Elle englobe dix-neuf entreprises spécialisées dans l’électronique telles que Condor, Samsung, Cristor, ou encore Cobra Electronics, et cela sans compter les autres filiales d’entreprises réparties sur le territoire national.

Grâce à la manne de la rente, la politique d’aide et de soutien aux entreprises instaurée dans les « années glorieuses » a porté ses fruits dans d’autres secteurs d’activité. De l’agroalimentaire aux produits pharmaceutiques ou parapharmaceutiques, en passant par les cosmétiques, toutes ces activités ont profité des aides de l’État, qu’il s’agisse de transfert de devises étrangères pour les achats, du renouvellement des équipements de production ou encore d’incitations fiscales. Dès 2015, neuf entreprises algériennes ont réussi à concurrencer des multinationales et à gagner des parts de marchés à l’étranger après avoir conquis le marché algérien (Africa News Hub 2015).

Depuis novembre 2014, date à laquelle le constructeur français Renault a inauguré sa première usine de montage en Algérie, les grands constructeurs automobiles se bousculent pour implanter leurs usines de montage dans le pays. Une dizaine d’entreprises sont déjà présentes ou sont sur le point de s’installer sur le territoire, comme Volkswagen, Hyundai, Nissan, Peugeot, Kia Iveco, Hyundai, Renault Truck, et d’autres constructeurs moins connus. Au total, une quarantaine de constructeurs seront autorisés à s’implanter en 2018, d’après le site Tout sur l’Algérie (tsa) (Mammeri 2018). Selon certains responsables, la filière automobile promet la livraison de 260 000 voitures en 2018 (Ferhat 2017). Sur le plan technique, cette filière n’assure que le montage des véhicules, étant donné que l’essentiel des pièces de montage est importé de l’étranger. Il s’agit néanmoins d’un développement positif pour l’économie du pays. La production nationale est censée remplacer l’importation de véhicules qui avait atteint un record historique en 2012 avec près de 605 000 véhicules importés, avant de retomber à 98 000 unités en 2016. De son côté, l’industrie militaire s’est associée à ce processus en lançant sa propre usine de montage de véhicules de marque Mercedes-Benz.

L’emploi de la rente pour relancer l’option industrielle dans un effort de diversification peut donc fonctionner, même si les secteurs visés demeurent toutefois fragiles et souffrent d’innombrables insuffisances. Par exemple, la nouvelle stratégie pour une production nationale de véhicules n’a pas réellement servi la population locale. En réalité, les voitures produites localement sont plus chères que celles importées. Le paradoxe est tel que l’ancien ministre de l’Industrie et des Mines a qualifié cette situation « d’importation déguisée » (Radio Algérienne 2017). Pour obtenir un succès durable, il faudrait avoir plus de temps, des ressources et de la patience, mais cela est impossible dans le cadre d’une économie rentière qui est assujettie aux aléas du marché international et d’un système politique opaque qui distribue les ressources selon des critères clientélistes et non pas purement économiques.

III – Obstacles

Un certain nombre d’obstacles politiques et économiques au niveau structurel expliquent les résultats mitigés de cette logique industrielle empruntée par l’État et témoignent de la contradiction fondamentale au coeur de la politique de diversification. Quatre obstacles en particulier la ralentissent. Nous allons discuter de ces obstacles de manière séparée, même s’ils sont indissociables et se renforcent mutuellement.

A – L’importation, le lobby infranchissable

En raison de la prépondérance de la rente des hydrocarbures et de la faiblesse du reste de l’économie, l’Algérie est un pays qui importe tout, ce qui fait d’elle un énorme marché. Les importations de l’Algérie n’ont cessé d’augmenter, ce qui a plus profité aux importateurs qu’à la population, et a affecté les caisses de l’État (voir le tableau 2).

Tableau 2

Balance commerciale de 2007 à 2017 (en millions de dollars US)

Balance commerciale de 2007 à 2017 (en millions de dollars US)
Source : Ministère des Finances algérien (s.d.), « Zoom sur les chiffres », en ligne.

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Quand on observe le problème des importations massives, on commence à discerner les liens entre la politique et l’économie. Le domaine des affaires liées aux importations est très lucratif, et plusieurs membres de l’élite politique et militaire de l’État ont des intérêts directs ou indirects dans ce secteur. Une politique de diversification efficace, permettant de satisfaire la demande interne, affaiblirait les monopoles du secteur des importations – et les élites qui en sont parties prenantes devraient renoncer à des privilèges et des gains considérables.

En mars 2017, le ministre du Commerce algérien a fait le bilan du déficit commercial de 2016. Selon lui, la facture des importations était de 46,72 milliards de dollars, alors que les exportations avaient atteint 28,88 milliards de dollars, les seuls hydrocarbures comptant pour 27,1 milliards. Entre services et produits, l’Algérie a importé 15,89 milliards de dollars d’équipement et 14,33 milliards de dollars de biens destinés à l’outil de production. Les produits alimentaires ont été estimés à 8,22 milliards de dollars alors que l’importation des biens de consommation non alimentaires comptait pour 8,27 milliards de dollars. Sur un autre volet, l’Algérie a importé pour 2,2 milliards de dollars de médicaments, 1,29 milliard de dollars de véhicules de tourisme et 393 millions de dollars d’accessoires de voiture (Chitour 2017). Pire encore, le pays a importé pour 10 millions de dollars d’olives, ce qui est incompréhensible dans un pays méditerranéen où l’oléiculture est une activité très répandue.

Pour faire face à cette situation, le pouvoir s’est retranché derrière un protectionnisme injustifié, le gouvernement algérien préférant protéger non pas une production nationale menacée, mais plutôt une industrie qui est seulement en voie de création, voire qui n’existe pas. Cette stratégie part du principe qu’une pénurie de produits importés stimulerait la production nationale. Dans la réalité toutefois, cette stimulation n’a pas eu d’effets. En outre, plusieurs produits sont soumis à des licences d’importation très règlementées, ce qui rend l’importation très lucrative et bénéfique pour ceux qui parviennent à les obtenir. Or, comme dans beaucoup de pays autoritaires, ces licences sont très souvent octroyées aux membres de ce que Heydemann (2004) qualifie de « réseaux des privilèges » liés à l’élite politique.

B – Le lourd fardeau des subventions : le prix de la paix sociale

Comme nous l’avons déjà dit, la rente des hydrocarbures sert en grande partie à acheter la paix sociale, et une diversification économique pourrait à court terme miner la stabilité du système politique (Ruf 1997). Un bref résumé de la façon dont les subventions fonctionnent dans le système algérien nous permet de comprendre l’impact qu’aurait leur diminution sur le plan politique. Entre 2012 et 2017, l’ensemble des dotations budgétaires allouées au chapitre des subventions était estimé à 19,8 milliards de dinars (soit 132 millions de dollars), dont plus de la moitié portait sur les huiles de table et le sucre. Cependant, un montant de 5,27 milliards de dinars fut alloué en 2017 au Fonds de compensation des frais de transport dans le sud du pays. Ce fond a été instauré pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens résidant dans les régions éloignées en prenant en charge le coût de transport d’un certain type de produits de première nécessité et de certains matériaux de construction. Cette politique est bien sûr rationnelle d’un point de vue politique et social, mais il s’agit en même temps d’une subvention improductive pour l’État.

En matière d’énergie, l’Algérie offre à ses citoyens le kilowatt-heure et les carburants les moins chers du monde (ou presque). Le Trésor public assume la différence entre le coût réel de l’énergie et le prix de vente aux citoyens. C’est là d’ailleurs l’un des freins à l’investissement étranger. En effet, l’une des principales exigences des investisseurs étrangers dans les industries à forte consommation énergétique est de pouvoir bénéficier de l’énergie électrique et du gaz au prix du marché algérien. De plus, ce soutien stimule la consommation des ménages en électricité, gaz et carburant, et n’incite guère aux économies d’énergie, et cela pèse sur les caisses de l’État qui se voit contraint de subventionner la consommation énergétique de peur de déstabiliser la paix sociale. L’entreprise Sonelgaz, qui assure la distribution nationale de l’électricité et du gaz, estime qu’il lui faudrait trois à quatre milliards de dollars pour produire 2000 mw d’électricité supplémentaire, afin de couvrir la demande grandissante. D’autant plus que l’énergie électrique produite n’est pas renouvelable. Elle est issue de turbines à gaz, un gaz qui pourrait être économisé ou exporté. En 2016, le déficit de la Sonelgaz était estimé à 425 millions de dollars, étant donné qu’elle produit à un coût de 11,43 dinars algériens le kwh et qu’elle le vend à 4 dinars, soit un manque à gagner de presque 8 dinars/kwh.

Certes, les gouvernements successifs de l’ère Bouteflika ont mené à bien une politique qui consistait à réaliser un grand nombre d’infrastructures, dont des aéroports, des autoroutes, des hôpitaux, des universités et bien d’autres équipements, ainsi que deux millions de logements sociaux. Mais cela n’a été possible que grâce à la rente des hydrocarbures. Ces dépenses n’ont pas été planifiées dans le cadre plus général d’une diversification économique qui pourrait générer une croissance économique significative dans d’autres secteurs, comme le tourisme par exemple, moins dépendant des hydrocarbures. En outre, ces dépenses n’ont eu qu’un impact modeste sur le taux de chômage, véritable fléau pour la jeunesse du pays. D’autres enveloppes budgétaires ont été allouées à des mécanismes d’aides aux entreprises étatiques, aux jeunes et à l’emploi, tout cela associé à des dispositifs censés promouvoir la création d’entreprises par des jeunes. Sans contrôle, ces aides ont constitué un véritable gouffre financier pour l’État, mais elles sont nécessaires pour éviter le conflit social. Encore une fois, des objectifs louables sont pris au piège de la contradiction qui consiste à rechercher la diversification sans toucher au système de privilèges qui domine la politique algérienne.

En somme, les transferts sociaux en Algérie pour l’année 2018 ont augmenté de près de 8 % par rapport à 2017. Ils ont atteint 1,760 milliards de dinars (environ 14,84 milliards de dollars) en 2018, ce qui représente presque 9 % du pib du pays.

C – La Chine et le risque de désindustrialisation

Présente en Algérie depuis trois décennies, la Chine a renforcé sa présence dans plusieurs domaines au début des années 2000. Cette présence, si importante soit-elle, a pendant un temps été bénéfique aux deux parties, étant donné que, d’une part, l’Algérie avait besoin de produits bon marché et de services en urgence, et que, d’autre part, cela offrait à la Chine un nouveau marché de près de 36 millions de consommateurs potentiels. Cette présence s’est toutefois avérée nocive au bout d’un certain temps ; les prix des produits chinois défiant toute concurrence, tout effort de relance de l’industrie algérienne devenait quasiment inutile. Cette situation, contre toute attente, a entraîné une tendance à la désindustrialisation.

En effet, le contact avec la Chine n’a pas produit les résultats escomptés, et l’Algérie, qui espérait un transfert de savoir-faire dans le but de reconstituer son tissu industriel en s’inspirant du modèle chinois, s’est heurtée à une réalité bien éloignée de ses objectifs. Paradoxalement, cette situation n’a pas affolé la Chine ni dissuadé l’Algérie de s’ouvrir davantage aux entreprises chinoises (Tahchi 2016b). Après des projets de construction d’utilité et d’importance nationales, la Chine s’est offert le secteur minier avec, pour dernière conquête, le phosphate de l’Est algérien. Sur un autre plan, en 2019, l’entreprise China Harbour Engineering Company (chec) s’est fait engager pour réaliser l’extension de l’un des plus importants ports pétroliers d’Algérie, Skikda. En parallèle, le projet de nouveau mégaport de Cherchell (à l’est d’Alger), qui sera financé par un prêt de l’État chinois (Huffpost 2018), présente un seuil de coopération algéro-chinoise jamais atteint auparavant, et ouvre la voie à l’endettement extérieur auprès de la Chine, ce qui n’était pas envisageable il y a quelques années. En tout état de cause, la Chine a consolidé sa place en Algérie et cette coopération ne semble pas devoir s’arrêter là, étant donné que l’Algérie adhère déjà à l’idée du projet de la nouvelle route de la soie (Smati 2018).

D – Sclérose institutionnelle

Ces obstacles de type économique sont le produit d’un système politique sclérosé – qu’ils renforcent par ailleurs. Sous la pression populaire, le président Bouteflika ne briguera un cinquième mandat mais les réseaux de pouvoir semblent rester bien placés pour empêcher une véritable démocratisation du système politique. L’Algérie jouit d’une stabilité que ne connaissent pas beaucoup de ses voisins arabes. Mais il s’agit là d’une fausse stabilité ; le pays reste fragile en raison du poids de la rente des hydrocarbures qui ne permet ni une véritable diversification ni une véritable démocratisation.

La diversification de l’économie serait nécessaire pour faire sortir le pays du piège d’un développement entièrement basé sur le pétrole et le gaz, mais l’Algérie ne semble pas capable, à l’heure actuelle, d’en assumer le prix politique. En effet, le pouvoir ne semble pas prêt à renoncer à ses privilèges. Si pour l’instant l’Algérie demeure stable, certains analystes pensent que les politiques de l’élite algérienne ne permettent qu’une « gestion de l’instabilité » (Werenfels 2007). Il n’y a pas de véritable opposition politique, la rente permettant la cooptation et des investissements considérables dans l’appareil sécuritaire. Même si ce n’était pas le cas, la mémoire toujours très forte de la guerre civile convainc les opposants de composer avec le pouvoir plutôt que de l’affronter (Volpi 2013). Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de mobilisation sociale dans le pays. Les choix politiques et économiques sont en effet souvent contestés et il existe des mouvements politiques et socioéconomiques qui poussent au changement. Ces derniers ne sont toutefois pas liés les uns aux autres, et ils restent au niveau national. Pour l’instant donc, la sclérose institutionnelle garantit une sorte de stabilité, comme dans les autres pays arabes autoritaires. Cette stabilité par contre a des coûts significatifs sur le long terme et elle n’est que provisoire, ce qui la rend « fausse » pour ainsi dire (Cook 2017). Tous les pays qui dépendent de la rente des hydrocarbures doivent en effet réfléchir à ce qui va se passer quand les réserves en hydrocarbures s’épuiseront ou quand les pays importateurs trouveront d’autres sources d’énergie.

Conclusion

En définitive, l’Algérie est depuis cinquante ans l’otage d’une économie rentière que ni les réformes de la fin des années 1980 ni les changements sous les mandats de Bouteflika dans les années 2010 n’ont réussi à ébranler. Les efforts de redressement économique qui ont été engagés se sont heurtés au climat de contestation et de révolte qui a touché le monde arabe. D’emblée, tous les efforts d’austérité visant à stopper la gabegie d’une décennie « glorieuse », durant laquelle l’Algérie n’a réellement rien exporté (sauf du pétrole) et a tout importé (même du sable et des carburants), n’ont pas abouti. À la lumière de ces données, il devient assez clair que malgré l’effort de diversification engagé, le pays n’a pas été en mesure de sortir de sa situation de pays rentier. En effet, vendre ses ressources à l’état brut ou fini ne change rien au fait que l’Algérie est tributaire de sa rente.

Un nouveau gouvernement a été nommé en août 2017. Issu de l’aile dure du pouvoir, il a fait savoir que le pays était en crise et qu’il fallait entamer une cure d’austérité. Cette ligne dure aurait pu mettre en péril la paix sociale longuement préservée, mais cela n’a pas été le cas. Face à la multiplication des contestations sociales, le gouvernement a en effet choisi d’éviter la confrontation et d’apaiser la situation. La pression populaire en 2019 a conduit le régime à écarter Bouteflika, mais ne songe pas entamer un processus de transition démocratique « à la tunisienne », visant seulement des changements cosmétiques qui puissent garantir la continuité du Pouvoir. Mais cela n’a pu se faire que grâce à la manne que représentent les hydrocarbures.

La théorie de l’État rentier a été souvent critiquée – avec raison – parce que la dépendance envers les hydrocarbures n’explique pas tout de la politique du monde arabe. Cet article montre toutefois assez clairement qu’il ne faut pas négliger l’impact de la rente sur les choix politiques et économiques d’un pays comme l’Algérie, prise encore dans une contradiction très problématique en ce qui concerne son avenir et sa stabilité, comme elle l’était déjà après la grave crise de la fin des années 1980 (Benachenhou 1993). Par contre, s’il est vrai que la légitimité politique ne peut s’acheter, comme le soutien Abulof (2017), satisfaire les besoins primaires de la population au moyen de la rente peut permettre au régime d’acheter sa survie. Le cas algérien représente bien les contradictions et les difficultés des pays rentiers, du monde arabe comme d’ailleurs dans le monde. Ces problèmes sont encore aggravés dans un contexte international où les ressources naturelles font face à une demande accrue.