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Les études de genre constituent la discipline que les profanes affectionnent. C’est à qui ira d’un raisonnement original qui emportera l’argument de manière définitive. Il est vrai que l’Occident, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et des choix politico-bellicistes qu’il adopta, réveilla une querelle qui avait opposé colonisateurs européens et colonisés de confession musulmane. Du statut qu’avait progressivement acquis la gent féminine découlait la supériorité dont la civilisation occidentale tentait une nouvelle fois de se prévaloir, tandis que les membres de la communauté musulmane qui appartenaient, selon un tel schéma, à un groupe unique, de surcroît homogène, perpétuaient une condition féminine uniforme que l’on proclamait inacceptable, voire scandaleuse. Les courants conservateurs islamiques, voire islamistes, ne cherchèrent guère à dénoncer une instrumentalisation politique, peu en accord avec l’esprit des Lumières dont l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord se déclaraient les gardiennes. Ils saisirent, au contraire, l’occasion qu’offrait, au lendemain de la chute de l’Union soviétique, cette nouvelle approche manichéenne du monde pour rappeler à l’ordre les quelques égarés qui refusaient une lecture littérale du texte sacré. Et pour convaincre ils usèrent de sanctions qui étouffèrent un courant modéré, voire laïc, qui commençait à peine à oser s’exprimer publiquement.
L’émergence d’un terrorisme se réclamant de l’islam, la proclamation d’un État dit islamique aux ambitions internationalistes, les vocations que ces courants suscitent aujourd’hui en Occident parmi une jeunesse « déboussolée » (généralement d’origine musulmane) ont comme éclipsé une importante problématique : celle de difficiles conquêtes juridiques, politiques, économiques et sociales dont la gent féminine, à travers le monde, attend souvent encore des dividendes.
Aussi le recueil que publient Gülay Caglar (Research Fellow au Département Genre et Globalisation de l’Université Humboldt de Berlin), Elisabeth Prügl (professeure de Relations Internationales au Graduate Institute of International and Development Studies de Genève) et Suzanne Zwingel (professeure associée à l’Université d’État de New York à Postdam) est-il le bienvenu. En effet, Feminist Strategies in International Governance nous rappelle que les études de genre sont une discipline sérieuse qui s’attache à répondre à un monde en évolution constante aux conditions féminines extrêmement diverses. Les trois directrices d’une publication qui rassemble, en fait, des actes d’un colloque soulignent, dans la préface et l’introduction, l’aboutissement d’un étonnant combat qui en vint à atteindre la très grande majorité des sociétés de la planète. Au mois de janvier 2011, l’un Women, agence onusienne, fut en définitive fondée, démontrant l’importance du rôle que les organisations internationales – de la Déclaration et Programme d’action de Pékin (15 septembre 1995) à nos jours – avaient joué. L’action engagée par de telles instances fut, faut-il s’empresser d’ajouter, appuyée par l’élaboration de stratégies féministes qui visaient à pousser sur la scène internationale une problématique qui reste, aujourd’hui encore, l’objet d’une vive polémique : l’indispensable égalité des genres.
Prenant acte de la création de l’un Women, les trois auteures soulignent qu’elles estimèrent dès lors nécessaire une approche en deux volets. La première procédait d’une réflexion critique de l’état du féminisme aujourd’hui. La seconde entendait proposer un précis permettant d’appréhender les enjeux d’importance qui figuraient au programme international. Ainsi le prestigieux Institut des hautes études internationales et du développement (à Genève) accueillit-il, au mois d’octobre 2010, une conférence internationale réunissant universitaires et activistes ; la langue anglaise, plus souple, désigne un troisième groupe que le français ne parvient pas à rendre : celui de femocrats, lesquelles évoluaient au sein des organisations internationales.
Le recueil, dense, comprend quatre parties. La première traite de divers outils et de leur utilité dans la transformation des donnes mondiales et nationales : la législation, l’intégration de la dimension des genres (ce que l’anglais désigne sous l’expression de gender mainstreaming), et le développement de l’expertise dans ce même champ. De même s’agit-il ici d’examiner la dichotomie entre les visions des « bureaucrates » (selon le terme retenu) des organisations internationales et la société civile.
La deuxième partie de Feminist Strategies in International Governance se penche sur les normes internationales d’égalité des genres, accordant une attention toute particulière aux dividendes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (18 décembre 1979). Les contributions qui figurent dans ce volet déplorent, il faut le souligner, la « malléabilité » des normes portant sur les genres.
La troisième partie s’attache, dans un premier temps, à analyser l’introduction du concept de genre dans le discours dont usent les résolutions du Conseil de sécurité ; elle se penche alors sur la tentative d’une autre appréhension des enjeux nationaux et internationaux à la suite de la mise en oeuvre de nouvelles normes internationales. On pourra noter une contribution intéressante : celle d’Andrea Schneiker et de Jutta Joachim. Les deux chercheuses examinent la reformulation de la politique sécuritaire mise en oeuvre par le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède, au lendemain de l’adoption d’un texte que proposa le Conseil de sécurité de l’onu : la Résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité.
Enfin, la quatrième partie de l’ouvrage explore le volet de la gouvernance économique internationale, alors qu’un très faible nombre de femmes figure au rang d’experts au sein des institutions mondiales qui s’inscrivent dans ce champ.
S’il faut tenter de conclure un aperçu bien insuffisant de la richesse de Feminist Strategies in International Governance, l’on se contentera de souligner qu’il constitue un manuel de référence qui aidera les chercheurs et praticiens – pour tenter de rendre le terme anglais de practitioners – à répondre à leur tâche. Quant aux profanes, ils ne pourront que regretter des textes peu accessibles qui traitent pourtant d’une problématique majeure, puisque celle-ci a remis en cause une organisation sociale qui rythma notre histoire au travers des siècles.