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Introduction

Plutôt que d’insister sur le partage de fondements théoriques et méthodologiques propres à une discipline unique, il semble que les Études internationales soient plus souvent définies en fonction de leur objet d’analyse. Forest et ses collaborateurs (2009 : 417) suggèrent ainsi que l’ensemble d’internationalistes qui constitue ce champ d’études est essentiellement lié par une pluralité de sujets d’intérêt de recherche convergents autour d’une dimension internationale. De façon similaire, Jackson (2015 : 944) définit les Études internationales comme étant l’étude « of anything that invovlves cross-boundary encounters with difference ». En d’autres termes, les Études internationales permettent un point de rencontre afin d’analyser et d’améliorer la compréhension de différentes questions qui impliquent une dimension internationale, peu importe la discipline à laquelle les chercheurs appartiennent.

Face à une telle absence d’un besoin de se référer à une discipline unique pour les définir, les Études internationales apparaissent donc comme étant aisément associables à une approche interdisciplinaire. Plus spécifiquement, une telle convergence autour des questions impliquant une dimension internationale semble être un terreau fertile à l’utilisation d’une approche qui intègre les fondements théoriques et méthodologiques d’au moins deux disciplines distinctes. Certains auteurs vont d’ailleurs même jusqu’à considérer l’interdisciplinarité comme un élément constitutif des Études internationales. Selon Anderson et al. (2008 : 16), les Études internationales sont définies comme étant un champ d’études interdisciplinaire servant à explorer le monde tout en s’appuyant sur plusieurs domaines de recherche[1].

Une réflexion portant sur l’état actuel des débats et des pratiques en Études internationales est donc étroitement liée à une considération de la contribution d’une approche interdisciplinaire dans l’analyse des phénomènes internationaux. En considérant ce lien entre les Études internationales et l’interdisciplinarité, il semble que la pertinence du champ des Études internationales puisse être renforcée par l’identification de phénomènes internationaux dont l’analyse requiert l’adoption d’une approche interdisciplinaire. C’est dans cette optique que le présent article aborde le cas de l’analyse de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers. Depuis les années 1970, en marge de l’élaboration d’accords internationaux visant à protéger les investissements étrangers, de multiples initiatives ont été développées au sein d’organisations intergouvernementales dans l’optique de codifier divers standards de comportement visant les acteurs privés dans leurs opérations à l’étranger. Que ce soit par l’entremise des Principes directeurs pour les entreprises multinationales adoptés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE 2011) ou des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme auxquels le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a souscrit (Conseil des droits de l’homme 2011), plusieurs organisations ont adopté des instruments internationaux qui codifient de tels standards sans constituer des sources formelles du droit international[2]. Par ailleurs, certains traités internationaux formels en matière de corruption et de criminalité transnationale organisée portant sur la question de la responsabilité des entreprises privées pour des actes commis à l’étranger font partie intégrante de ce processus de codification (OCDE 1997 ; Nations Unies 2000 ; Nations Unies 2003). En l’espèce, le cas de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers est donc soulevé afin d’illustrer l’existence de phénomènes internationaux dont l’analyse requiert l’adoption d’une approche interdisciplinaire qui demeure au coeur des Études internationales.

Plus spécifiquement, le présent article est articulé autour de la question suivante : en quoi une approche interdisciplinaire en Études internationales permet-elle de pallier les lacunes des approches disciplinaires dans l’étude de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers ? Pour répondre à cette question, il convient d’abord de clarifier les circonstances dans lesquelles une approche interdisciplinaire doit être choisie. Ainsi, au-delà de la complexité qui caractérise plusieurs phénomènes internationaux, le présent article affirme que l’intégration d’au moins deux disciplines est dictée davantage par l’étendue des facteurs explicatifs d’un phénomène international. Afin d’illustrer cet argument théorique sur les Études internationales et l’interdisciplinarité, le présent article fournit une revue des travaux qui ont traité jusqu’ici de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers. Alors que la très grande majorité des études antérieures portant sur ce processus de codification provient du Droit international, certains travaux en Relations internationales portent également sur ce phénomène. Cette exploration de la littérature permet de mettre en exergue diverses approches pointant vers des facteurs explicatifs distincts dont la prise en compte est nécessaire afin de compléter l’analyse de ce phénomène international. En fait, l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers semble reposer autant sur le contenu et l’application des instruments internationaux que sur les relations de pouvoir entre les acteurs impliqués dans les processus de négociation et d’application de ces instruments. Face à cette pluralité de facteurs explicatifs, une approche interdisciplinaire qui dépasse le Droit international en intégrant davantage les Relations internationales apparaît comme étant une nécessité. En soutenant que le processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers est un phénomène international dont la compréhension nécessite une approche interdisciplinaire, le présent article contribue ultimement à consolider la pertinence du champ des Études internationales.

Avant d’aller plus loin, il convient de mentionner que le présent article vise davantage à démontrer la nécessité d’une approche interdisciplinaire afin d’analyser l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers plutôt que d’élaborer une telle approche interdisciplinaire. À cet égard, il s’agit bel et bien d’un appel à une analyse interdisciplinaire mettant en exergue la contribution du Droit international et des Relations internationales à une compréhension plus approfondie de ce processus de codification. Comme mentionné par Repko (2011 : 84-89 et 143-164), la reconnaissance de la nécessité d’une approche interdisciplinaire dans l’étude d’un phénomène précis et l’identification des disciplines pertinentes constituent des étapes clés qui précèdent l’élaboration d’un cadre d’analyse proprement interdisciplinaire. Il ne s’agit donc aucunement de présenter ici un cadre théorique interdisciplinaire ou d’élaborer les choix méthodologiques qui permettraient d’opérationnaliser l’approche interdisciplinaire qui est revendiquée.

I – La nécessité de l’interdisciplinarité dans l’analyse de certains phénomènes internationaux

Avant d’aborder le cas spécifique de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers, il convient d’expliciter davantage les circonstances dans lesquelles le choix d’une approche interdisciplinaire doit être préconisé en Études internationales. D’emblée, par opposition à une simple juxtaposition entre différentes disciplines, l’interdisciplinarité est considérée comme étant un effort d’intégration plus approfondie des fondements théoriques et méthodologiques provenant de chaque discipline (Thompson Klein 1990 : 56 ; Vick 2004 : 164). Sans devoir atteindre une unification des concepts qui est davantage reflétée dans la transdisciplinarité ou la néodisciplinarité (Thompson Klein 1990 : 65 ; Thompson Klein 2004 : 4 ; Forest et al. 2009 : 422-423 ; Long 2011 : 39-40 et 52 [cité dans l’introduction de ce numéro]), l’adoption d’une approche interdisciplinaire implique néanmoins un échange considérable[3]. En fait, plutôt que d’expliquer les théories et les concepts d’une discipline en fonction des référents qui sont établis dans un autre champ disciplinaire, l’interdisciplinarité vise à mettre en exergue la complémentarité et la possible articulation des concepts provenant de disciplines distinctes dans l’optique d’analyser un phénomène spécifique (Forest et al. 2009 : 423).

Une analyse du discours entourant l’interdisciplinarité a permis à Thompson Klein (1990) d’identifier un éventail d’objectifs reliés à la mobilisation d’une approche interdisciplinaire dans différents champs d’études. Ainsi, l’interdisciplinarité est perçue comme étant un moyen, entre autres, d’aborder des questions vastes, d’explorer les relations professionnelles et les relations disciplinaires, de résoudre des problèmes ainsi que de poursuivre la recherche d’une plus grande unité du savoir (Thompson Klein 1990 : 11). Plus spécifiquement, plusieurs auteurs mettent de l’avant au moins deux éléments distincts en lien avec le rôle d’une approche interdisciplinaire dans l’analyse et la compréhension de phénomènes. D’une part, certains soutiennent que la mobilisation d’une approche interdisciplinaire est essentiellement dictée par la complexité des phénomènes étudiés. Ainsi, Thompson Klein souligne que « the questions that lie at the heart of these [interdisciplinary] fields are liable to be more complex and more changeable than those that dominate a normal discipline » (1990 : 107). Cette connexion est telle que « complexité » devient parfois un mot-clé de l’« interdisciplinarité » (Thompson Klein 2004 : 2). En ce qui a trait au champ des Études internationales, certains auteurs sont d’avis que « [f]oreign policy makers and educators are becoming increasingly aware of the deficiencies of strict disciplinary approaches to the complexities of globalization processes and international affairs today ». Forest et al. (2009 : 426) soulignent également que l’interdisciplinarité constitue une réponse « à une complexification grandissante des problèmes internationaux » qui semble échapper aux visions partielles offertes par les disciplines prises de façon isolée. De telles affirmations remettent donc considérablement en question la pertinence des approches disciplinaires afin d’analyser l’état actuel des phénomènes internationaux (une position qui ne manquerait certainement pas de faire réagir plusieurs chercheurs abordant des questions internationales en choisissant les fondements théoriques et méthodologiques propres à une seule discipline !).

D’autre part, l’interdisciplinarité est parfois considérée comme résultant davantage de l’étendue du phénomène analysé. Un élément clé qui permet de distinguer les approches disciplinaires est la portée de chacune d’entre elles afin d’expliquer des phénomènes observables (Thompson Klein 1990 : 104-105). C’est dans cette optique que Thompson Klein indique qu’un des objectifs visés par l’utilisation d’une approche interdisciplinaire est d’aborder des « problems that are beyond the scope of any one discipline » (1990 : 11). De façon similaire, Vick maintient que l’interdisciplinarité « allows the researcher to engage problems whose solutions can only be found through combinations of disciplinary approaches and perspectives » (2004 : 181). Pour certains auteurs, l’interdisciplinarité émerge donc comme une façon d’aborder des phénomènes qui chevauchent les frontières établies entre diverses disciplines et dont les facteurs explicatifs dépassent les limites disciplinaires, sans pour autant faire référence au niveau de complexité du phénomène en question. Par exemple, l’analyse d’un phénomène international comme les négociations portant sur les changements climatiques implique clairement des considérations politiques (considération des rapports entre les différents États et autres acteurs impliqués dans les négociations), économiques (considération des niveaux de développement des pays) et juridiques (considération du contenu et de l’application des instruments internationaux en vigueur). L’étude de telles négociations demande alors au chercheur de puiser dans différentes disciplines afin de mieux comprendre ce phénomène international.

Sans vouloir remettre en question la pertinence de l’interdisciplinarité dans l’analyse de phénomènes internationaux complexes, il semble que la seconde justification soit plus solidement liée à la nécessité d’adopter une approche interdisciplinaire. D’emblée, l’adjectif « complexe » est couramment utilisé afin de caractériser un phénomène qui réunit une multitude d’éléments différents. Bien qu’il soit tout à fait approprié de mentionner qu’un phénomène dont les facteurs explicatifs s’étendent sur plusieurs disciplines comporte assurément une pluralité d’éléments différents à considérer, il n’est pas certain que le caractère complexe d’un phénomène dicte nécessairement une approche interdisciplinaire. En effet, certains phénomènes internationaux peuvent être éminemment juridiques ou politiques tout en étant excessivement complexes. Par exemple, l’application des obligations se trouvant dans différents accords internationaux ratifiés par un État peut renvoyer à des conflits normatifs impliquant des notions relevant autant du droit international de l’investissement que des droits de l’homme et du droit de l’environnement. De façon similaire, puisque la mondialisation a profondément modifié les relations de pouvoir existant entre les acteurs internationaux, certains auteurs rappellent que les rapports de force entre les acteurs étatiques et non étatiques à l’échelle internationale sont désormais plus complexes (Anderson et al. 2008 : 4). Puisqu’elle repose sur plusieurs facteurs à prendre en compte, la compréhension de tels phénomènes demeure incontestablement complexe, sans pour autant requérir une intégration d’outils théoriques et méthodologiques appartenant à plus d’une discipline.

Plutôt que de prôner une vision de l’interdisciplinarité comme étant liée au caractère complexe des phénomènes étudiés, le présent article admet que l’étendue d’un phénomène est un critère plus approprié pour justifier l’adoption d’une approche interdisciplinaire. Par le fait même, une telle proposition implique que l’emploi d’une approche interdisciplinaire devient une nécessité dans le cas de l’analyse d’un phénomène dont les facteurs explicatifs semblent chevaucher la frontière entre au moins deux disciplines. En d’autres termes, plutôt que d’affirmer la simple pertinence de l’interdisciplinarité pour aborder divers phénomènes internationaux, il importe de spécifier que le choix d’une approche confinée à une discipline unique afin d’analyser des phénomènes qui chevauchent plus d’un domaine d’études risque fort bien de mener à une compréhension incomplète.

Une telle conception de l’interdisciplinarité partage certains aspects des travaux concernant l’éclectisme analytique en Relations internationales. Selon Sil et Katzenstein (2010 : 412), un tel éclectisme constitue une posture intellectuelle impliquant un engagement avec différentes traditions de recherche au sein d’une même discipline. Parmi les différentes caractéristiques de l’éclectisme analytique, ces auteurs soulignent la formulation plus vaste des problèmes considérés en incluant des aspects qui échappent ordinairement aux chercheurs qui s’en tiennent à l’adoption d’une seule tradition (Sil et Katzenstein 2010 : 418). Insister sur la nécessité d’adopter une posture interdisciplinaire lorsque les facteurs explicatifs d’un phénomène chevauchent la frontière entre deux disciplines est donc étroitement lié à cette posture intellectuelle. Dans cette optique, l’éclectisme analytique et l’interdisciplinarité apparaissent comme étant deux alternatives possibles aux traditions de recherche plus conventionnelles en sciences sociales qui sont généralement limitées à la considération d’une approche spécifique pour expliquer un phénomène. Toutefois, il convient de spécifier que l’emploi d’outils théoriques et méthodologiques d’au moins deux disciplines constitue une distinction cruciale entre l’éclectisme analytique et l’interdisciplinarité. Plutôt que d’encourager le recours à diverses approches et traditions de recherche appartenant à une seule discipline, une analyse interdisciplinaire se distingue de l’éclectisme analytique en dépassant les limites d’une recherche plus conventionnelle en sciences sociales tout en employant explicitement des outils provenant de diverses disciplines.

Finalement, le choix de l’interdisciplinarité devient étroitement lié à la problématisation d’un objet d’études et à l’étendue du phénomène qui est identifié. Tel que mentionné par Forest et al. (2009 : 430), « [u]n questionnement interdisciplinaire émerge suivant la délimitation du sujet de recherche, l’identification des phénomènes principaux et secondaires en cause et la sélection des disciplines pertinentes ». Dans la mesure où les facteurs explicatifs d’un phénomène international semblent demeurer sous l’égide d’une seule discipline, l’adoption d’une approche limitée à une seule discipline peut apparaître comme étant tout à fait appropriée. À l’inverse, si l’articulation d’un phénomène international nécessite la considération de facteurs à la fois juridiques et politiques, il devient alors manifeste qu’une approche interdisciplinaire liée aux Études internationales est plus appropriée qu’une approche limitée à l’une ou l’autre des deux disciplines.

II – L’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers : une exploration des facteurs explicatifs

Afin d’illustrer l’existence de phénomènes internationaux dont la compréhension requiert une prise en compte de facteurs explicatifs provenant de disciplines diverses, la présente section de l’analyse se concentre sur une brève revue des travaux abordant l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers. D’emblée, il convient de spécifier que ces travaux sont largement dominés par les juristes et que très peu d’études proviennent de disciplines connexes. Néanmoins, la présente revue de la littérature permet d’identifier quelques travaux réalisés en Relations internationales. Au-delà du déséquilibre concernant le nombre de références provenant du Droit international par rapport aux Relations internationales, le principal élément que cette revue de la littérature tente de mettre en exergue est la pluralité des facteurs explicatifs qui sont avancés dans les travaux existants. Afin de mieux organiser ces facteurs explicatifs, cette section de l’article effectue cette distinction entre une approche juridique positiviste, une approche juridique pluraliste et des approches critiques.

A – L’approche juridique positiviste

Parmi les travaux portant sur la codification des responsabilités des investisseurs étrangers qui émanent du Droit international, certains s’inscrivent davantage dans une approche juridique positiviste. En Droit international, le terme « positiviste » renvoie essentiellement à une approche selon laquelle l’analyse du contenu et de l’application des instruments internationaux repose sur le rôle central des États ainsi que sur les sources formelles du droit international (Malanczuk 1997 : 1 et 35-36). La présente revue de la littérature permet d’identifier des travaux en Droit international qui abordent le phénomène de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers principalement en fonction des obligations des États au sein des traités internationaux de même qu’en insistant sur le caractère informel de plusieurs instruments internationaux qui codifient les responsabilités des investisseurs étrangers.

Plus spécifiquement, plusieurs travaux permettent ainsi de mettre en lumière certains obstacles concernant la règlementation des activités extraterritoriales des acteurs privés dans un système fondé essentiellement sur les États. En considérant les engagements des États au sein de traités internationaux en vigueur, certains auteurs reconnaissent qu’il existe un nombre limité de circonstances dans lesquelles la responsabilité de l’État d’origine d’un investisseur peut être engagée pour des violations des droits de l’homme commises à l’étranger (Clapham 2006 : 241-244 ; McCorquodale et Simons 2007 : 606-623). Par ailleurs, tout en soulignant que la responsabilité première de règlementer les activités des investisseurs étrangers revient à l’État dans lequel les investisseurs opèrent, certains travaux admettent le manque de ressources ou de volonté de la part des États hôtes afin d’appliquer la règlementation nationale (Joseph 1999 : 177).

Plutôt que d’aborder la question épineuse de l’imposition directe de responsabilités aux investisseurs étrangers, les travaux s’inscrivant dans l’approche juridique positiviste insistent davantage sur l’existence de traités internationaux formels qui obligent les États à prévoir dans leur droit national une responsabilité des acteurs privés pour différents actes commis à l’étranger. C’est dans cette optique que les traités internationaux en matière de corruption et de criminalité transnationale organisée sont largement cités (Quinones 2003 : 566 ; De Schutter 2006 : 37-38 ; Karavias 2013 : 63-67 ; Armone et Borlini 2014 : 371-376). Vazquez (2005 : 934) résume une telle possibilité dans les termes suivants :

Nor does the classical position maintain that the primary rules of international law do not address the conduct of private parties. Indeed, treaty provisions specifying that private conduct is either prohibited or permitted are commonplace. For example, the Convention on Combating Bribery of Foreign Public Officials contemplates the criminalization of bribery by any legal person (including a corporation).

Ainsi, lorsqu’il est question de codifier les responsabilités des investisseurs étrangers, une possibilité prônée par l’approche juridique positiviste est de s’inspirer de telles initiatives et de règlementer indirectement les activités extraterritoriales des investisseurs étrangers sans devoir déroger au caractère principalement interétatique du droit international.

Bien qu’ils ne correspondent pas à des sources formelles du droit international, plusieurs instruments informels élaborés par des organisations intergouvernementales sont néanmoins abordés par l’approche juridique positiviste. En effet, de nombreux travaux offrent une analyse détaillée du contenu et des termes employés dans les dispositions de ces instruments (Vogelaar 1980 ; Günter 1980 ; Clapham 2006 : 201-237). Par contre, plusieurs auteurs mentionnent clairement l’absence de contrainte juridique formelle pour la plupart de ces instruments. À titre d’exemple, Clapham (2006 : 201-202) souligne le caractère volontaire des Principes directeurs pour les multinationales de l’OCDE et l’absence d’une procédure juridiquement contraignante pour assurer leur application. En d’autres termes, l’ensemble des travaux reliés à l’approche juridique positiviste considère le caractère contraignant de ces initiatives internationales comme étant binaire et exclusivement réservé aux sources formelles du droit international.

En ce qui a trait au processus ayant mené à l’adoption des instruments internationaux, les travaux reliés à l’approche juridique positiviste fournissent parfois un aperçu des positions de certains acteurs impliqués dans leur élaboration (Vogelaar 1980 : 132 ; Huner 2000 : 203 ; De Schutter 2006 : 11 ; Vlassis 2008). Sans entrer dans une analyse poussée des intérêts de chacun des acteurs, ces travaux se distinguent des autres approches par une prise en considération du rôle joué par les États dans cette élaboration. Par exemple, l’échec des négociations entourant le Code de conduite des sociétés transnationales aux Nations Unies est souvent attribué aux nombreux désaccords entre les pays en développement et les pays développés (Lansing et Rosaria 1990 : 37-38 ; Malanczuk 1997 : 102-103 ; De Schutter 2006 : 2-3). D’autres travaux mentionnent l’influence qu’ont eue les États-Unis dans les négociations d’accords portant sur la corruption d’agents publics étrangers, sans explicitement considérer l’influence des acteurs privés dans un tel processus (Quinones 2003 : 564-565 ; Armone et Borlini 2014 : chapitre 10).

Certains spécialistes du droit international de l’investissement offrent également des analyses concernant les responsabilités des investisseurs étrangers qui cadrent dans l’approche juridique positiviste. Bien qu’il existe un nombre limité de circonstances pour lesquelles des fautes perpétrées par un investisseur peuvent être prises en compte par un tribunal d’arbitrage (Muchlinski 2006 ; Newcombe 2011, 2013 ; Yackee 2012 ; Dumberry et Dumas-Aubin 2012a : 360-371 ;), plusieurs auteurs soulignent l’absence d’obligations pour les investisseurs étrangers au sein des accords internationaux d’investissement (Newcombe 2007 : 397 ; Fauchald 2007 : 39-41). Afin d’outrepasser le caractère informel de nombreuses initiatives qui caractérisent ce processus de codification, une option qui est avancée dans la littérature est d’enchâsser le contenu de telles initiatives dans des accords internationaux d’investissement formels. Une proposition qui reflète particulièrement l’approche juridique positiviste provient de Dumberry et Dumas-Aubin (2012b : 600) :

In our view, different groups will, in the near future, increasingly put pressure on governments to take effective measures to control the activities of corporations abroad. One simple way for capital-exporting markets to respond to these grievances would be to adopt [bilateral investment treaties] imposing human rights obligations upon corporations. Many of these changes are feasible.

En somme, une approche juridique positiviste de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers permet de mettre en lumière diverses options juridiques afin d’imposer des responsabilités concernant les activités des acteurs privés en droit international. Si les accords actuels ne permettent que très rarement d’engager la responsabilité de l’État d’origine d’un investisseur étranger pour des violations extraterritoriales des droits de l’homme, un petit nombre d’accords internationaux permettent néanmoins d’imposer indirectement des responsabilités aux acteurs privés pour des actes de corruption et de criminalité transnationale organisée. Même si la plupart des instruments internationaux adoptés au sein des organisations intergouvernementales afin de codifier les responsabilités des investisseurs étrangers constituent des sources informelles du droit international, certains auteurs suggèrent qu’une prise en compte de ces initiatives dans les accords internationaux d’investissement pourrait permettre d’imposer des obligations aux investisseurs étrangers.

B – L’approche juridique pluraliste

Par opposition à une approche positiviste centrée sur le rôle de l’État, l’approche juridique pluraliste considère l’élaboration de normes internationales comme n’étant pas uniquement l’apanage des acteurs étatiques (Robé 1997 : 49 et 54-56 ; Berman 2007 : 1169-1170 ; Tamanaha 2008 : 387-390). En effet, plusieurs auteurs dont les travaux s’apparentent à cette approche insistent sur le rôle que peuvent jouer les acteurs privés dans l’élaboration des différentes initiatives visant à accroître la responsabilisation des investisseurs étrangers (Zerk 2006 : 93-102 ; Backer 2011 : 771-777 ; De Jonge 2011a : 52 ; Buhmann 2012 : 93-104). Par exemple, dans l’élaboration d’une théorie des responsabilités des acteurs économiques privés en droit international, Ratner (2001 : 451) soutient que le processus d’élaboration du droit doit directement impliquer l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques intéressés.

De surcroît, plutôt que d’insister sur le caractère non contraignant des initiatives internationales qui échappent aux sources formelles du droit international, l’approche juridique pluraliste semble plus encline à reconnaître une valeur normative à l’ensemble des instruments qui sont élaborés sous l’égide des organisations intergouvernementales. À cet égard, plusieurs auteurs considèrent implicitement de tels instruments comme étant une partie intégrante d’un cadre normatif plus vaste capable d’induire une certaine dynamique règlementaire (Campagna 2003 : 1229 ; Steinhardt 2005 : 179-180 ; Muchlinski 2007 : 110-112, 2012 : 146). Selon Zerk (2006 : 243) :

While the regulatory methods are still very much open to negotiation, considerable effort has already been invested at international level in devising « soft law » standards for multinationals. […] None of these involves any formal enforcement measures as yet, but this does not mean that they are not legally significant.

Bien que certains auteurs reconnaissent l’absence d’un caractère formellement contraignant ou admettent certaines lacunes quant à leur efficacité, l’ensemble des travaux reliés à l’approche juridique pluraliste se distingue par une reconnaissance de la pertinence d’une pluralité d’instruments informels portant sur les responsabilités des investisseurs étrangers.

Au-delà d’une telle reconnaissance, l’approche juridique pluraliste est aussi caractérisée par une certaine présomption que l’accumulation des initiatives internationales codifiant les responsabilités des investisseurs étrangers puisse aboutir à l’adoption de normes juridiques contraignantes (Zerk 2006 : 262-267 ; Footer 2009 : 61-62 ; Buhmann 2012 : 86). Une telle présomption est particulièrement claire dans une citation de Muchlinski (2007 : 112) : « The very fact that an increasing number of non-binding codes is being drafted and adopted in this area, suggests a growing interest among important groups and organizations […] and is leading to the establishment of a rich set of sources from which new binding standards can emerge ».

Enfin, une autre thématique récurrente dans l’approche juridique pluraliste concerne la reconnaissance de la personnalité juridique aux investisseurs étrangers afin de permettre l’imposition d’obligations internationales directement à ces acteurs privés (Chetail 2013 : 107-119). Certains auteurs soulignent ainsi que rien n’empêche, en principe, la reconnaissance d’une telle personnalité juridique (Ratner 2001 : 465-467 ; Zerk 2007 : 72-76 et 304-306 ; Muchlinski 2012 : 154). Par exemple, De Jonge (2011b : 77-83) s’inspire du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite afin d’imposer directement des obligations internationales aux investisseurs étrangers. D’autres auteurs suggèrent l’élaboration d’un mécanisme indépendant qui serait responsable d’aborder les allégations de mauvaise conduite de la part des investisseurs étrangers dans l’État hôte de leurs investissements (Bridgeman et Hunter 2008 : 218-235).

L’approche juridique pluraliste met donc essentiellement l’accent sur la pertinence des acteurs privés dans la codification des responsabilités des investisseurs étrangers et sur la valeur normative des diverses initiatives internationales informelles. Les initiatives qui ont été adoptées au sein des organisations intergouvernementales sont ainsi perçues comme étant des parties intégrantes d’un processus normatif pouvant aboutir à l’élaboration de normes juridiques contraignantes pour les acteurs internationaux. De plus, l’ensemble de ce processus normatif peut contribuer à une reconnaissance de la personnalité juridique des acteurs privés en droit international.

C – Les approches critiques

Une troisième approche pouvant être identifiée dans la littérature portant sur la codification des responsabilités des investisseurs étrangers comprend divers travaux qui mettent en exergue les intérêts sous-jacents à l’élaboration et à l’application des initiatives internationales. Au-delà de la reconnaissance du rôle des acteurs non étatiques dans l’élaboration et l’application des normes internationales, les approches critiques se distinguent généralement par une considération explicite des relations de pouvoir entre les acteurs impliqués et la capacité des acteurs les plus puissants à modifier le processus normatif en fonction de leurs propres intérêts (Cox 1996 : 89 ; Bachand 2013 : 117-118). Qui plus est, les approches critiques sont souvent considérées comme visant à « dénoncer et ultimement renverser (plutôt qu’adoucir) les rapports de domination et d’exploitation » (Bachand 2013 : 117). Bien qu’une telle visée soit sous-jacente à plusieurs références recensées, certains travaux qui sont rattachés aux approches critiques dans le présent article n’incluent pas explicitement cet engagement politique. Le terme « approche critique » est donc ici plutôt limité à divers travaux qui mettent de l’avant le rôle des relations de pouvoir dans l’élaboration des règles et des normes internationales codifiant les responsabilités des investisseurs étrangers.

Certains travaux reflétant une approche disciplinaire en Droit international soulignent ainsi la difficulté d’établir des responsabilités pour les investisseurs étrangers en insistant sur la capacité des acteurs privés et de leur État d’origine à influencer l’élaboration de ces normes. Par exemple, selon Charney (1983 : 777), le refus d’intégrer les investisseurs étrangers dans l’élaboration de diverses initiatives internationales fait en sorte que ces acteurs peuvent utiliser leur pouvoir et leur caractère transnational afin de faire échec aux différentes tentatives d’implantation de ces initiatives. Outre certaines analyses cadrant davantage dans la perspective juridique pluraliste, Muchlinski (2010 : 10) mentionne que le caractère non contraignant de la plupart des initiatives internationales visant à codifier les responsabilités des investisseurs étrangers est intimement lié aux relations de pouvoir sous-jacentes : « That these standards are mainly non-binding comes not from the fact that corporations are not subjects of international law but from the role that corporate interests play in the evolution of this system. How firms lobby home and host states and intergovernmental organizations […] is a key element here ».

Qui plus est, certaines analyses menées en Droit international démontrent également l’influence des relations de pouvoir dans l’élaboration d’initiatives internationales spécifiques. C’est ainsi que l’influence des intérêts des investisseurs étrangers est explicitement considérée dans diverses analyses portant sur l’adoption des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (Simons 2012 : 10-12, 34 ; Deva 2013 : 85-86 ; Buhmann 2013 ; Simons et Macklin 2014 : 84). Par exemple, selon Bilchitz et Deva (2013 : 8-9) :

The business sector not only enjoyed proximity with the [Special Representative], but its voices also seemingly had more influence on the text of the Framework and the [United Nations Guiding Principles] as compared to the voices of [nongovernmental organizations]. Human rights in the context of business thus hardly remained as ‘trumps’, because the business sector was able to negotiate narrow and non-binding human rights standards.

Bien que la très grande majorité des études portant sur le processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers soit le fruit du travail de juristes, les relations de pouvoir existant entre les acteurs internationaux impliqués dans le processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers sont aussi prises en compte dans différents travaux qui relèvent davantage des Relations internationales. Par contre, il importe de noter que l’ensemble des travaux portant sur le processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers et élaborés en Relations internationales semble adopter une approche qui demeure essentiellement critique. Par exemple, selon Cutler (2006 : 214 ; voir aussi 2003 : 35) :

Corporations themselves are responding to calls for corporate accountability and responsibility by developing ‘soft,’ nonbinding legal codes to foreclose the development of hard, binding international law. The [corporate social responsibility] movement is an integral element of the reconfiguration of political authority associated more generally with the contemporary historical bloc. Indeed, there are clear links between the [corporate social responsibility] movement, alongside the increasing multiplicity of sources of and mechanisms for corporate governance, and political economic changes brought about by the neoliberal discipline of global capitalism.

De façon similaire, en s’appuyant sur le Pacte mondial des Nations Unies, Fritsch (2008) insiste sur le puissant rôle des entreprises multinationales et des acteurs non étatiques dans l’élaboration des règles internationales afin d’expliquer le caractère volontaire de plusieurs initiatives.

Divers travaux ancrés dans le Droit international (pour la très grande majorité) ou les Relations internationales (pour quelques exceptions) offrent donc une perspective qui met en lumière des facteurs échappant à l’approche juridique positiviste et à l’approche juridique pluraliste. Plutôt que d’insister sur les difficultés juridiques entourant l’imposition d’obligations directes aux acteurs privés ou de suggérer qu’une accumulation d’initiatives internationales puisse mener à l’élaboration de normes davantage contraignantes, les approches critiques se concentrent davantage sur les relations de pouvoir entre les acteurs impliqués dans le processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers. Une analyse de l’évolution de ce processus de codification reposant sur une telle approche démontre ainsi la concordance entre les intérêts des acteurs internationaux les plus puissants et les initiatives internationales qui sont adoptées au sein des organisations intergouvernementales. De surcroît, ces travaux mettent essentiellement en lumière la capacité de puissants acteurs à limiter l’adoption de normes internationales davantage contraignantes.

III – Un phénomène nécessitant une approche interdisciplinaire

Les tentatives antérieures d’expliquer l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers parviennent à mettre en lumière plusieurs éléments cruciaux quant à la compréhension de ce processus de codification. Les différentes approches identifiées dans la section précédente démontrent néanmoins que la majorité des travaux recensés demeurent essentiellement ancrés en Droit international, avec quelques travaux provenant des Relations internationales. En d’autres termes, les études portant sur l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers demeurent limitées à l’une ou l’autre de ces disciplines. Pourtant, en considérant l’ensemble des facteurs explicatifs mis de l’avant par chacune des approches identifiées plus haut, il est clair que ce phénomène international constitue un amalgame d’instruments internationaux visant à encadrer les comportements des investisseurs étrangers de façon plus ou moins directe, tout en étant façonnés par des relations de pouvoir inhérentes entre les acteurs impliqués dans le processus en question. Par conséquent, une analyse de l’ensemble des initiatives élaborées et mises en oeuvre au sein des organisations intergouvernementales doit impérativement prendre en compte des facteurs explicatifs provenant de chacune des approches présentées plus haut.

Au risque de se répéter, il convient de mentionner qu’aucune des approches présentées dans la section précédente n’apparaît comme étant superflue ou inutile à la compréhension de ce phénomène international. L’approche juridique positiviste offre ainsi différentes possibilités afin de responsabiliser indirectement les acteurs privés en droit international, principalement par l’adoption d’accords dans lesquels les États s’engagent à modifier leur législation nationale afin de prévoir la responsabilité de leurs ressortissants pour des actes commis à l’étranger. Différentes options en lien avec la modification d’accords internationaux d’investissement sont également discutées dans cette approche. De son côté, l’approche juridique pluraliste permet de mettre en lumière l’impact potentiel d’instruments informels dans la responsabilisation des investisseurs étrangers. Dans la mesure où les acteurs privés choisissent d’opérer en considérant de telles initiatives, l’approche juridique pluraliste permet d’expliquer certains éléments de ce phénomène. Enfin, les travaux liés aux approches critiques demeurent les seuls à tenir compte du contexte dans lequel ces instruments sont développés et à considérer explicitement les relations de pouvoir existant entre les différents acteurs impliqués.

Même si chacune des approches identifiées dans la section précédente pointe vers des facteurs explicatifs pertinents, force est de constater qu’elles obscurcissent inévitablement certains éléments nécessaires à la compréhension de l’ensemble des initiatives adoptées. En effet, les approches juridiques positivistes et pluralistes négligent généralement la ferme opposition des entreprises multinationales et des investisseurs étrangers qui sous-tend l’élaboration et l’application des différentes initiatives internationales. Puisque l’approche juridique positiviste est centrée sur l’État, l’omission de cette opposition de la part des acteurs non étatiques est particulièrement criante. En plus de ne prévoir qu’une place limitée au potentiel normatif des initiatives qui échappent aux sources formelles du droit international, certains auteurs mentionnés plus haut proposent différentes réformes juridiques afin de responsabiliser davantage les investisseurs étrangers sans considérer l’opposition potentielle de nombreux acteurs à de telles réformes.

L’approche juridique pluraliste nie tout autant l’impact que peut avoir l’opposition des investisseurs étrangers quant à l’imposition d’obligations internationales dans ce processus de codification. Que ce soit en lien avec les effets cumulés de diverses initiatives internationales ou la possibilité de reconnaître une personnalité juridique aux investisseurs étrangers, cette approche semble assumer que l’ensemble de cette évolution normative tend nécessairement vers une plus grande responsabilisation des investisseurs étrangers. En éclipsant les intérêts divergents des différents acteurs internationaux impliqués dans ce processus, l’approche juridique pluraliste ne permet pas de rendre compte du fait que les intérêts des puissants investisseurs étrangers soient mieux servis par des initiatives dénudées d’un caractère formellement contraignant et que ces acteurs puissent façonner le processus de codification en fonction de leurs intérêts.

À l’inverse, l’analyse des relations de pouvoir par les approches critiques se fait parfois au détriment d’une pleine considération du contenu et de l’application des instruments internationaux clés. Alors qu’une divergence des intérêts et une différence dans le pouvoir qu’exerce chaque acteur apparaissent comme étant particulièrement porteuses dans l’explication de l’adoption d’instruments internationaux informels, une analyse plus nuancée semble nécessaire afin d’expliquer l’élaboration de traités internationaux formels prévoyant une obligation pour les États à modifier leur législation nationale afin de punir les entreprises privées ayant commis des crimes à l’étranger. En effet, une approche selon laquelle les puissants investisseurs étrangers et les États d’origine de ces investissements s’opposent à l’adoption de toutes initiatives internationales visant à encadrer les activités des acteurs privés à l’étranger rend difficilement compte du contenu et de l’application des instruments internationaux actuels.

Certes, il existe certains travaux qui dépassent les limites subsistant entre les approches identifiées précédemment. Par exemple, tout en reconnaissant un potentiel normatif à diverses initiatives visant à codifier les responsabilités des investisseurs étrangers, Miles (2013 : 125) attribue le manque de considération de telles responsabilités dans le droit international de l’investissement aux « traditional patterns of assertion of power and response to power that have characterised the evolution of international investment regimes ». En d’autres termes, Miles met clairement en relation l’évolution des instruments juridiques internationaux avec les relations de pouvoir qui existent entre les acteurs qui sont impliqués dans la négociation et l’application de ces instruments. Une certaine forme d’éclectisme analytique des approches juridiques mentionnées à la section précédente permet donc d’inclure différents types de facteurs explicatifs afin de mieux comprendre la question des responsabilités des investisseurs étrangers tout en demeurant ancrée dans le Droit international.

Outre la nécessité de combiner les facteurs présents dans différentes approches énumérées ci-dessus, une analyse du processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers pourrait être mieux servie par une approche interdisciplinaire intégrant à la fois le Droit international et les Relations internationales. Même si les deux disciplines sont étroitement liées et que l’analyse de plusieurs phénomènes internationaux ne peut se faire sans considérer leur apport respectif (Goldstein et al. 2000 : 387 ; Hathaway et Koh 2004 : 1 ; Lapointe et Bachand 2008 : 5-6), il convient de rappeler que le Droit international et les Relations internationales se concentrent sur des objets d’étude différents. Dans cette optique, le Droit international est souvent dépeint comme s’affairant essentiellement à l’explication du contenu des normes internationales et à leur application dans des cas donnés (Kratochwil 1989 : 1 ; Hathaway et Koh 2004 : 1). De leur côté, les chercheurs en Relations internationales s’intéressent principalement aux interactions entre les acteurs internationaux, de même qu’à l’explication de relations causales et de prédictions (Kratochwil 1989 : 1 ; Hathaway et Koh 2004 : 1).

Dans cette optique, l’analyse de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers requiert une intégration de ces deux objets d’étude. D’une part, une analyse du contenu et de l’application des instruments adoptés par les organisations intergouvernementales est essentielle afin de bien comprendre les nuances normatives qui existent entre les différents instruments. Le fait que ce processus de codification implique autant des instruments informels que des traités internationaux démontre de telles nuances et semble mieux abordé avec des notions qui sont offertes par le Droit international. D’autre part, le caractère évolutif de ce processus de codification peut être mieux analysé par une discipline dont l’objet d’étude est précisément les interactions entre les différents acteurs internationaux. Bien que les relations de pouvoir puissent être prises en compte par certaines approches critiques en Droit international, les outils théoriques et méthodologiques disponibles en Relations internationales apparaissent comme étant plus appropriés pour analyser les interactions entre les nombreux acteurs étatiques et non étatiques qui sont impliqués dans le processus de codification. Par exemple, le recours à une approche constructiviste critique (Price et Reus-Smit, 1998 ; Weber 2014) et à une analyse de discours (Milliken 1999 ; Wiener 2009 : 186-187) pourrait fournir une compréhension de ces interactions de pouvoir qui échappent à une analyse stricte du contenu des normes internationales en Droit international.

En d’autres termes, une analyse considérant pleinement le contenu et l’application des instruments internationaux, de même que les relations de pouvoir qui sont sous-jacentes au processus de codification des responsabilités des investisseurs étrangers doit nécessairement s’appuyer sur les outils théoriques et méthodologiques provenant autant du Droit international que des Relations internationales. En plus d’apparaître comme étant une façon de distinguer le produit de la recherche en apportant une contribution originale à la compréhension de ce phénomène, l’étendue des facteurs explicatifs à considérer au-delà d’une discipline unique dicte l’adoption d’une approche interdisciplinaire comme une condition nécessaire pour aborder le phénomène des initiatives internationales visant à responsabiliser les investisseurs étrangers.

Conclusion

Le champ des Études internationales, l’interdisciplinarité et l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers sont étroitement liés. Les Études internationales offrent un espace intellectuel propice à l’intégration d’outils théoriques et méthodologiques provenant de diverses disciplines afin d’étudier des phénomènes internationaux. De plus, une recension des travaux abordant l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers démontre que l’explication de ce phénomène international nécessite une considération d’au moins deux types de facteurs explicatifs qui sont mis de l’avant par différentes approches. Dans la mesure où la compréhension de ce phénomène requiert une prise en compte du contenu et de l’application de différents instruments internationaux, il importe de considérer l’apport du Droit international dans la compréhension de ce phénomène. Par ailleurs, puisque ce processus de codification implique aussi des rapports de force entre différents acteurs impliqués, un chercheur désirant apporter une meilleure compréhension de ce phénomène international doit aussi puiser dans les Relations internationales. Le cas de l’analyse de l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers illustre donc la nécessité d’adopter une approche interdisciplinaire et permet ultimement de consolider la pertinence des Études internationales.

Plus spécifiquement, la conclusion pouvant être tirée du présent article est double. D’une part, il existe des circonstances où l’adoption d’une approche interdisciplinaire apparaît comme une nécessité afin d’aborder des phénomènes internationaux qui tombent sous le champ des Études internationales. Au-delà du caractère complexe du phénomène étudié, la nécessité d’intégrer diverses disciplines est dictée par l’étendue des facteurs explicatifs qui sont suggérés à la suite de la problématisation du phénomène étudié. Certes, il existe probablement des phénomènes internationaux dont l’ensemble des facteurs explicatifs tombe sous l’égide d’une seule discipline. Il serait donc possible de soutenir que certains phénomènes internationaux ne requièrent aucunement l’adoption d’une approche interdisciplinaire tout en tombant sous le champ des Études internationales. Néanmoins, dès que les facteurs explicatifs d’un phénomène international chevauchent plus d’une discipline, l’adoption d’une approche interdisciplinaire apparaît comme étant une nécessité. Il convient alors de reconnaître l’insuffisance des approches disciplinaires dans de telles circonstances et d’opter pour une approche authentiquement interdisciplinaire.

D’autre part, en réponse à la question posée initialement, il est manifeste que l’utilisation d’une approche interdisciplinaire pour comprendre l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers permet de pallier les lacunes des travaux existants. Plutôt que de considérer un nombre plus limité de facteurs explicatifs identifiés dans les travaux précédents, une approche interdisciplinaire combinant le Droit international et les Relations internationales apparaît comme étant plus appropriée afin d’assurer autant une considération du contenu et de l’application des instruments internationaux que des relations de pouvoir entre les acteurs impliqués. Puisque l’exploration de nombreux travaux portant sur ce processus de codification permet de rendre compte de l’étendue des facteurs explicatifs propres à ce phénomène international, une analyse des diverses initiatives internationales qui sont adoptées par les organisations intergouvernementales afin d’encadrer les comportements des acteurs privés à l’étranger dépasse les limites des approches disciplinaires. Il convient alors d’intégrer les outils théoriques et méthodologiques du Droit international et des Relations internationales afin d’inclure l’ensemble des parties constituantes du phénomène.

Au coeur des débats et des pratiques qui caractérisent les Études internationales, une telle contribution à la consolidation de la pertinence de ce champ d’études permet d’être particulièrement optimiste quant à son avenir. L’espace intellectuel offert par ce champ d’études à quiconque désire entreprendre l’analyse d’un phénomène international nécessitant une approche interdisciplinaire demeure unique. Chaque expérience d’intégration de diverses disciplines connexes afin d’aborder un tel phénomène international constitue un réel enrichissement pour les Études internationales.