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Dans ce nouveau livre, dont le titre en français est « Terre de paix. La résolution des conflits et la politique de tous les jours dans les interventions internationales », Séverine Autesserre, professeure en relations internationales au Barnard College de l’Université Columbia à New York, introduit un nouveau modèle pour analyser ces interventions et, notamment, leurs modes de fonctionnement aux effets si disputés parmi les professionnels du sujet. Se basant sur son travail antérieur, en particulier son premier livre, The Trouble with the Congo, publié en 2010, ainsi que sur de nouvelles recherches conduites dans plusieurs pays, S. Autesserre démontre qu’une dynamique essentielle de la prévention et de la réponse aux conflits aujourd’hui découle de la manière dont les intervenants, en majorité des étrangers, qu’ils soient civils ou militaires, interagissent avec la population locale.

En effet, quel que soit le pays où ils sont engagés, ces étrangers analysent le conflit de la même façon, utilisent les mêmes modèles pour résoudre les problèmes (sans prendre le temps de les adapter au contexte en question), valorisent l’expertise technique plutôt que la connaissance des populations locales et régionales ainsi que des langues qu’elles parlent, vivent séparés de la population afin d’éviter les risques sécuritaires, ne restent sur le terrain que pour de courtes périodes et considèrent que les populations locales ne sont pas capables de concevoir ni de mettre en place les programmes nécessaires au rétablissement de la paix. Autesserre démontre que ces pratiques sont maintenues en dépit de leurs effets négatifs sur le succès de ces opérations. Elle note, néanmoins, que certaines organisations ne tombent pas dans ce piège (ou même dans ce cercle vicieux, expliquant que ce mode opératoire se soutient de lui-même et que toute critique donne lieu au renvoi de la personne qui ose le critiquer) et que ces organisations arrivent à travailler beaucoup plus efficacement avec les populations locales.

Le livre comprend trois parties. La première partie contient l’introduction, de même que l’élaboration de l’hypothèse et du modèle d’analyse. Dans cette partie, l’auteure présente la manière dont les intervenants construisent leurs connaissances du pays en question, les réactions de la population locale aux pratiques qui en découlent et une analyse de leurs effets. Elle décrit dans la deuxième partie la façon dont les intervenants créent et maintiennent une distance avec la population. La création d’un cercle d’intervenants, fermé à la population locale, donne lieu à une structure par définition inégale, où les intervenants sont supérieurs à ceux qu’ils sont censés aider, où leurs pratiques quotidiennes les empêchent d’être efficaces et où ces routines deviennent leur propre raison d’être, à défaut de l’efficacité des programmes mis en place. La troisième partie contient la conclusion, un résumé de l’analyse et des recommandations pour remédier aux problèmes abordés par l’auteure.

L’une des principales critiques d’Autesserre est que tous les intervenants voient comme seule solution la création d’un État à l’image de celui qui existe dans leur pays d’origine, c’est-à-dire un État où les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont distincts et où ce modèle permet d’arrêter la violence et l’exploitation illégale des ressources naturelles et d’assurer la sécurité de la population. Dès lors, un État compétent peut être développé grâce à l’augmentation des compétences techniques de ses fonctionnaires. Ces solutions qui viennent du haut sont les seules à être perçues comme viables. L’idée que les communautés locales pourraient trouver, par elles-mêmes, une solution à leurs conflits est considérée comme fantaisiste et de toute évidence impossible. Pour finir, ces pratiques, où les intervenants campent sur leurs positions, se refusent à consulter la population et insistent pour imposer des modèles dont ils n’osent pas remettre en question l’efficacité, créent par défaut une structure d’inégalité entre eux et la population. Cette structure ne fait que renforcer ces lignes de démarcation, envenimer leurs relations avec ceux qu’ils disent être là pour aider, mais dont les opinions sur l’utilité de leur assistance ne les intéressent pas. Les intervenants se renforcent sur leurs positions en insistant sur l’obtention des résultats au court terme, qui leur permettent de continuer à recevoir le soutien financier des donateurs. Les intervenants, dit Autesserre, ont de bonnes intentions, mais qui sont difficiles à réaliser à cause de leurs pratiques quotidiennes, philosophies et modèles de travail.

Le livre énumère en détail tous ces défauts et donne de nombreux exemples très intéressants. Cependant, à force d’exemples, l’argumentation finit souvent par se faire répétitive. Une grande partie de l’ouvrage pourrait être beaucoup plus courte. La conclusion, qui suggère des solutions aux problèmes décrits et analysés en détail dans le livre, est en revanche plutôt brève. Pour résumer, Autesserre suggère que les intervenants accordent plus d’importance aux connaissances locales et linguistiques (et que ces compétences soient évaluées dans le recrutement du personnel) qu’à l’expertise technique, que les intervenants emploient davantage de main-d’oeuvre locale, que la population soit plus systématiquement consultée et que les lignes de fracture entre les intervenants et la population soient brisées pour éliminer l’inégalité qui existe aujourd’hui entre ces deux groupes.

Autesserre reconnaît qu’il est difficile de savoir si les solutions qu’elle suggère rendraient les intervenants plus efficaces. Comme très peu d’entre eux fonctionnent de la manière qu’elle propose, il faudrait que d’autres donateurs y aient recours. Les programmes alors mis en place permettraient d’évaluer ses conclusions.