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Cet ouvrage se penche sur une thématique d’actualité : quelle est la politique russe en matière de production et d’exportation d’hydrocarbures, et dans quelle mesure cette politique contribue-t-elle à la politique de puissance menée par Moscou à l’endroit de son étranger proche ? À la suite de la guerre avec la Géorgie (2008), des nombreux épisodes de friction avec la Biélorussie et surtout avec l’Ukraine quant aux livraisons de gaz naturel, puis de la guerre civile en Ukraine et de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la question demeure d’actualité. Par ailleurs, la forte médiatisation des campagnes de prospection pétrolière et gazière en Arctique souligne l’importance de la région comme réservoir potentiel de nouveaux gisements, dont la mise en valeur viendrait soutenir la politique énergétique russe.
Le thème n’est certes pas nouveau : de nombreux ouvrages se penchent sur le complexe énergie-diplomatie en Russie et soulignent le levier économique et financier que l’abondance russe en hydrocarbures fournit à Moscou, qui ne se prive pas de ce levier géopolitique par le biais de prêts, de menaces de rupture d’approvisionnement, de tracé des tubes (gazoducs et oléoducs). On recense ainsi, notamment, Energy Choices in Russia (Ebel, 1994) ; Petrostate : Putin, Power, and the New Russia (Goldman, 2008) ; Russia and the West. The Energy Factor (Milov, 2008) ; Putin’s Oil. The Yukos Affair and the Struggle for Russia (Sixsmith, 2010) ; Russia’s Energy Policies : National, Interregional and Global Levels (Pami [dir.], 2012) ; Wheel of Fortune. The Battle for Oil and Power in Russia (Gustafson, 2012) ; Red Gas : Russia and the Origins of European Energy Dependence (Högselius, 2012), pour ne citer que quelques ouvrages, de qualité très diverse, tant le sujet a suscité de débats.
L’auteur analyse la genèse du secteur pétrolier et gazier russe dans sa configuration actuelle. Il retrace son évolution, depuis l’époque soviétique, quand des investissements massifs ont permis d’augmenter considérablement la production et de développer des infrastructures d’exportation vers l’Europe occidentale, en passant par la chute de l’urss, le démantèlement des secteurs pétrolier et gazier sous l’égide des affidés du régime, puis la décision du pouvoir russe, sous la gouverne du président Poutine, de reconstituer des oligopoles forts, capables de contrôler production et distribution et, surtout, de répondre efficacement aux consignes du pouvoir. Cette restructuration du système de production a été particulièrement réussie dans le marché du gaz, l’avènement du géant Gazprom permettant le contrôle quasi total de la distribution et une relation symbiotique avec l’État que traduit le fonctionnement du binôme Poutine-Medvedev. Dans le secteur pétrolier, cette restructuration a été plus conflictuelle, passant notamment par le procès de Khodorkovski et le démantèlement de Yukos dans le processus de mise au pas des sociétés pétrolières russes indépendantes, au profit de Rosneft. Parallèlement, l’auteur relate les efforts, couronnés de succès, du gouvernement pour reprendre le contrôle des activités de prospection et de production aux dépens des accords de partenariat avec les pétrolières occidentales.
Cette politique de renationalisation et de concentration a permis au gouvernement russe de constituer un puissant outil financier, assurant une réelle sécurité budgétaire pour l’État russe, mais aussi géopolitique, permettant à Moscou de faire pression sur les ex-républiques d’Asie centrale et du Caucase, et surtout sur la Biélorussie et l’Ukraine ; de créer un certain ascendant sur le marché énergétique européen ; de susciter une réelle rivalité entre la Chine et le Japon pour l’accès aux ressources énergétiques russes. Se posant ainsi en arbitre des convoitises asiatiques mais aussi européennes, Moscou a pu asseoir un réel pouvoir fondé sur l’abondance énergétique, le contrôle des réseaux de distribution et la reprise en main des accords de production avec les sociétés étrangères.
Cette position dominante est-elle durable ? L’auteur souligne plusieurs faiblesses dans la position russe actuelle. Tout d’abord, l’excès de confiance dans l’arbitrage de la rivalité sino-japonaise a irrité tant Beijing que Tokyo. La corruption intense qui caractérise la gestion des secteurs pétrolier et gazier ainsi que l’insouciance engendrée par la position de force de Moscou induisent de forts retards dans les investissements, faisant en sorte que les réserves s’épuisent et que les équipements vieillissent : leur obsolescence est avancée et leur renouvellement coûtera extrêmement cher aux entreprises, si tant est que le niveau de production puisse être durablement maintenu. Ébloui par l’aisance financière, le gouvernement a négligé d’investir dans la relance des secteurs industriel et des services, conduisant l’économie russe à une dépendance toujours plus forte au secteur des hydrocarbures. Négligée aussi, l’efficacité énergétique russe demeure très faible, ce qui induit une surconsommation domestique et prive le pays de plusieurs milliards de dollars de recettes d’exportation. Inquiets de cette montée en puissance de la Russie, les pays de l’Union européenne s’efforcent (quoiqu’en ordre parfois dispersé) de réduire leur dépendance en diversifiant leurs sources d’approvisionnement (Algérie, Norvège), en favorisant l’interconnexion des réseaux et en imposant une réglementation interdisant la position dominante d’un producteur propriétaire de son réseau de distribution. Enfin, Gazprom comme Rosneft se heurtent aux coûts extrêmes de la production en Arctique, ce qui renforce leur dépendance à l’égard des entreprises étrangères, que précisément Vladimir Poutine souhaitait éradiquer.
Ainsi, dans cet ouvrage dense, de lecture parfois un peu ardue, mais fort bien documenté, l’auteur dresse un portrait sans concession de la politique énergétique récente du gouvernement russe. Il en souligne les forces, mais aussi les faiblesses structurelles : la pérennité de la superpuissance énergétique russe demeure sujette à débat.