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Sommes-nous contraints à vivre dans un régime néolibéral ? Quelle place y a-t-il pour les innovations et les régimes alternatifs ? Quelles sont les possibilités et les difficultés liées à la transition vers un autre régime ? Toutes ces questions font partie de l’éventail d’interrogations auquel Hideko Magara et ses collaborateurs tentent de répondre dans cet ouvrage qui se veut un bilan des travaux de leur nouveau projet de recherche. Lancé officiellement en 2010, ce projet de recherche porte sur l’effet des crises économiques sur les changements de paradigme au sein des régimes de politiques publiques (policy regimes).
Inspiré par les travaux de Przeworski sur les régimes, où les crises peuvent servir de catalyseur pour l’innovation, l’ouvrage analyse la persévérance du régime néolibéral actuel à travers le temps et face à la dernière crise financière et explore les possibilités de changement de paradigmes. L’ouvrage, divisé en trois parties, comprend quinze chapitres. La première partie est consacrée aux explorations théoriques et aux développements conceptuels, la seconde aux coalitions sociales et à la possibilité de changement par les élections. Quant à la troisième partie, elle porte sur la gouvernance globale et les domaines de politiques publiques.
Le projet de recherche étant inspiré des travaux de Przeworski, il semblait incontournable d’inclure celui-ci dans l’ouvrage et de lui offrir d’ouvrir la partie consacrée aux explorations théoriques. Pour cet auteur, seuls deux cas représentent de véritables innovations : il s’agit de la Suède et du keynésianisme, qui fera l’objet d’un chapitre subséquent, ainsi que du Royaume-Uni et du néolibéralisme. Ainsi, alors que la crise des années 1930 et celle des années 1970 ont mené à des changements radicaux, la crise actuelle ne semble pas, selon Przeworski, avoir eu un tel effet.
Les chapitres suivants sont également intéressants et offrent de nouveaux développements conceptuels pour enrichir les travaux de Przeworski. À ce titre, deux chapitres se penchent sur les régimes de croissance économique (growth regimes), soulignant leur complémentarité avec les régimes de politiques publiques (policy regimes) et même leur interdépendance. Boyer vient également bien compléter la section en évoquant dans son chapitre l’évolution historique du capitalisme vers une indépendance du contrôle direct du pouvoir politique, qui a tout de même donné un nouveau rôle à l’État, illustrant ses propos à l’aide de la théorie de la régulation.
Amable et Palombarini entament la deuxième partie de l’ouvrage en évoquant la similarité des cas français et italien dans une tentative de créer un bloc bourgeois au moyen de réformes destinées à conclure de nouvelles alliances. Les deux auteurs soulignent également les problèmes de représentation qu’auraient les classes populaires au sein de ces nouvelles alliances si le projet de bloc bourgeois avait véritablement fonctionné. Les chapitres d’Im et d’Ido, respectivement consacrés à la Corée du Sud et au Japon, montrent une belle application des travaux sur les régimes sur des cas asiatiques. L’un laisse entrevoir la possibilité d’une innovation où l’élection de Park Geun Hye, pourtant fille d’un ancien dictateur, pourrait mener à l’instauration d’un régime de type social-compensatoire (social compensationist) et l’autre fait état de l’existence d’un mécanisme de rétroaction liant une coalition de classes sociales à un régime de politiques publiques et assurant du coup une certaine stabilité quant à la position des électeurs moyens face aux alternatives qui leur sont offertes.
La troisième partie de l’ouvrage, axée sur le caractère global de la crise ainsi que sur les problèmes de gouvernance qu’elle entraîne, débute par le chapitre de Martinelli sur l’analyse politique et sociologique de cette crise en s’intéressant de près au cas des États-Unis. Il explicite ainsi le cadre cognitif encore fortement orienté vers l’idée d’un marché autorégulant, vers le pouvoir des lobbys, et dresse un bilan de la présidence d’Obama en ce qui a trait à la régulation financière en soulignant le problème de la polarisation politique. Bien évidemment, le domaine du marché du travail est également abordé dans l’ouvrage, et Fukuda interroge la nature même des institutions qui s’y rattachent en prenant l’exemple de l’Union européenne et du Japon ainsi que celui des enjeux liés à la flexicurité. Dans son chapitre, Sacchi tente d’expliquer le résultat surprenant des élections générales italiennes de 2013 non pas par le dégoût de la corruption ou les divers privilèges des politiciens mis à l’avant-scène comme on le voit souvent, mais bien par un troisième facteur, cette fois structurel, qui n’est rien de moins que la détérioration substantive de la qualité démocratique du pays !
Heureusement, le livre ne se termine pas sur cette note et le chapitre de Shiratori offre une perspective tout à fait originale des régimes en les replaçant dans un contexte multiniveau. Alors que les régimes sont normalement étudiés au niveau international ou étatique, Shiratori, en scindant l’unité ontologique aux niveaux régional et sous-national, discute des possibilités de transferts horizontaux, mais également verticaux, des diverses politiques et de leurs effets. En somme, les chapitres de l’ouvrage sont bien rédigés et argumentés, les développements conceptuels sont particulièrement intéressants et la dimension sociale est également bien située relativement aux régimes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire en observant le nom des auteurs, la perspective asiatique n’est pas omniprésente et l’ouvrage garde bien sa vocation internationale. Il aurait toutefois été intéressant que la dimension temporelle des régimes soit davantage traitée, puisque, malheureusement, cette dernière n’est pas toujours abordée de la même façon par les auteurs.